« abîmer », définition dans le dictionnaire Littré

abîmer

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

abîmer

(a-bi-mé) v. a.
  • 1Précipiter dans un abîme. Jehova abîma Sodome. Un tremblement de terre abîme parfois une maison. Nous ne pouvons abîmer Télémaque dans les flots de la mer, Fénelon, Tél. XIX. Dieu résolut enfin… D'abîmer sous les eaux tous ces audacieux, Boileau, Sat. XI.
  • 2 Fig. Abîmer dans la douleur, dans les dettes. Cette nouvelle l'abîma en de graves réflexions. En l'esclavage un autre hymen l'abîme, Corneille, Sert. 1. Faites qu'elle aime ailleurs et punisse son crime Par ce désespoir même où son change m'abîme, Corneille, Perth. II, 1. L'inceste où malgré vous tous deux je vous abîme, Recevra de ma main sa première victime, Corneille, Œd. v, 10.
  • 3Ruiner, endommager, gâter, tacher. Les procès ont abîmé sa fortune. L'ouragan abîme les blés. Les pluies abîment les chemins. Son chapeau est tombé dans la boue ; il est tout abîmé. Le soleil abîme certaines étoffes. Maux qui sont capables d'abîmer l'État, Bossuet, Lett. XXXIV. Pour soutenir tes droits… Abîme tout plutôt, c'est l'esprit de l'Église, Boileau, Lutrin, I. Un procès, une saison cruelle, une taxe qui vous abîme, Massillon, Visit.
  • 4Dans une discussion. Abîmer son adversaire, ne lui laisser rien de bon à répondre. On voit en tous ces endroits comme il les abîme [ces théologiens], Bossuet, Avertiss. VI.

    S'ABÎMER, v. réfl.

  • 5Tomber dans un abîme. Le vaisseau s'abîma dans la mer. Une grande partie s'abîma dans le fleuve. L'infanterie s'abîma dans un marais. Troie s'abîma dans les flammes. Au fond de l'eau bouillante elle s'est abîmée, Rotrou, M. de Chrispe, v, 10. Mourez ; tout doit mourir, et nos saints monuments S'abîment avec nous sans laisser plus de trace, Delavigne, Paria, IV, 7. Terre où je n'ai plus rien que mon cœur puisse aimer, Ouvre-toi ! Dans tes flancs puissé-je m'abîmer ! Lemercier, Fréd. et Br. IV, 4.
  • 6 Fig. Tout s'abîme dans l'oubli. S'abîmer dans l'étude. Il s'abîme dans de tristes pensées. S'abîmer dans le désespoir. Toi donc qui vois les maux où ma muse s'abîme, Boileau, Sat. II. Et dans les doux torrents d'une allégresse entière Tu verras s'abîmer tes maux les plus amers, Corneille, T. d'or, Prol. Que les tristes pensers où votre âme s'abîme, Ne vous empêchent pas de prévenir son crime, Mairet, Sol. II, 8. Ces tristesses profondes où vous vous abîmez, Bourdaloue, Pensées, t. III, p. 65. Occupé de tout cela, rempli d'admiration à la vue de tout cela, on voudrait de quelque manière s'abîmer et s'anéantir, Bourdaloue, ib. p. 386. Boufflers s'abîma en respects, et répondit [au roi] que de si grandes marques de satisfaction le récompensaient au-dessus de ce qu'il pouvait mériter, Saint-Simon, 214, 144. Je m'abîme dans ces pensées, Sévigné, 12, 6. Château, chapelle, donjon, tout s'en va, tout s'abîme, Courier, 1, 176.
  • 7Être gâté ou endommagé. Certaines étoffes s'abîment au soleil.

    ABÎMER, v. n. Tomber dans un gouffre, se perdre. Sodome abîma en une nuit. Toute sa fortune abîmera quelque jour. Sa maison a abîmé dans le tremblement de terre. Il semblait que le monde dût abîmer, Perrot D'Ablancourt, dans FERAUD. Jurant à faire abîmer la ville de Valence, Scarron, Rom. com. II, 14.

    Peu usité en cet emploi.

REMARQUE

Ce mot offre une idée de profondeur. Pourquoi, dit Voltaire dans ses remarques sur Corneille, dit-on abîmé dans la douleur, dans la tristesse ? C'est que l'on peut y ajouter l'épithète de profonde. Des grammairiens ont reproché à l'Académie d'avoir admis abîmer avec le sens de gâter : un habit abîmé. L'Académie n'a fait en cela que constater un usage, peu élégant sans doute, mais qui est très réel. En tout cas, cet usage n'a point amoindri le mot abîmer, qui garde dans sa plénitude sa grande signification.

HISTORIQUE

XVIe s. Il estoit homme désordonné, dissolu et desbordé en despense et abysmé de dettes, Amyot, Galba, 26. En toute autre sumptuosité de faire jouer jeux et donner festes publiques, il abysma, par manière de dire, la magnificence de tous ceulx qui s'estoient efforcés d'en faire auparavant, Amyot, César, 6. Si que les nefs sans crainte d'abismer Nageoient en mer à voiles avallées, Marot, II, 249. Dont plus n'auront crainte ne doute, Et deust trembler la terre toute, Et les montagnes abismer Au milieu de la haute mer, Marot, IV, 291. Sers-moi de phare et garde d'abismer [que ne s'abîme] Ma nef qui flotte en si profonde mer, Ronsard, 595. Dont il est necessaire que les uns soient par desespoir jettés en un gouffre qui les abysme, Calvin, Inst. 662. Tous ensemble forment une indissoluble amitié pour abysmer les Lutheriens, Carloix, VIII, 16. Oh ! quantes fois de ton grave sourcy Tu abysmas ce faulx peuple endurcy ! Du Bellay, J. III, 93, verso.

ÉTYMOLOGIE

Abîme ; Berry, abisser ; provenç. abissar ; anc. catal. abisar ; espagn. abismar ; ital. abissare. Le patois du Berry, ainsi que d'autres, ont suivi abyssus et non abyssimus.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ABÎMER. Ajoutez :

4En général, maltraiter. Saint Augustin et les deux lettres auxquelles on nous renvoie y sont abîmés, Bayle, La France toute catholique, à la fin.