« choir », définition dans le dictionnaire Littré

choir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

choir

(choir), je chois, tu chois, il choit ; chu, chue, il se conjugue avec l'auxiliaire être : ils sont chus ; les autres temps et les autres personnes ne sont pas usités ; cependant Bossuet a dit : il chut, et on pourrait se servir de ce temps ; on pourrait aussi employer le futur je choirai, et sous une autre forme, je cherrai ; il faut autant que possible résister à ces désuétudes mal fondées qui frappent certains mots.
  • V. n. Tomber. Le Pô… dans sa caverne profonde, S'apprête à voir en son onde Choir un autre Phaéthon, Malherbe, II, 2. Fais choir en sacrifice au-dessus de la France Les fronts trop élevés de ces âmes d'enfer, Malherbe, II, 12. Tout va choir en ma main, ou tomber dans la vôtre, Corneille, Rodog. I, 5. Et pour te faire choir je n'aurais aujourd'hui Qu'à retirer la main qui seule est ton appui, Corneille, Cinna, V, 1. Vous laissez choir ainsi ce glorieux courage, Corneille, Cid, II, 5. Et ma tête en tombant ferait choir sa couronne, Corneille, Cid, II, 1. Combien en trompe un tel espoir [d'une longue vie], Et combien en laisse-t-il choir Dans le plus beau de leur carrière ? Corneille, Imit. I, 23. Mais plus dans un haut rang la faveur vous a mis, Plus la crainte de choir vous doit rendre soumis, Th. Corneille, Essex, I, 2. Pour nous saluer laissant choir son chapeau, Régnier, Sat. X. Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir En badinant sur les bords de la Seine, La Fontaine, Fabl. I, 19. Je l'ai laissé choir, Molière, Sgan. 22. Nous l'avons, en dormant, madame, échappé belle ; Un monde près de nous a passé tout du long, Est chu tout au travers de notre tourbillon, Molière, Fem. sav. IV, 3. Ainsi qu'on voit, sous cent mains diligentes, Choir les épis des moissons jaunissantes, Voltaire, dans GIRAULT-DUVIVIER. J'ai très bien pu, par distraction, faire choir sur le bouquin la bouteille à l'encre, Courier, I, 93. Cet insolent chut du ciel en terre, Bossuet, II, Démons, 2.

REMARQUE

Prenez garde de choir, façon de parler bourgeoise, dit de Caillières, 1690 ; ce qui montre que, bien qu'alors les meilleurs écrivains, Corneille, Molière, La Fontaine, usassent du mot choir, les puristes l'écartaient comme vulgaire.

La forme du futur je cherrai, due à la prononciation normande de la diphthongue oi, est une des traces de la confusion des prononciations dialectiques qui s'est faite.

SYNONYME

CHOIR, TOMBER. Des auteurs de synonymes ont dit que choir désignait particulièrement un choc, un coup, une impulsion qui fait perdre l'équilibre, renverse et porte de haut en bas, tandis que tomber marque une chute d'un lieu très élevé. Distinction illusoire ; ces deux mots, venus l'un du latin, l'autre des idiomes germaniques, expriment exactement la même idée, comme on le voit dans le vers de Corneille cité plus haut : Tout va choir en ma main ou tomber en la vôtre ; et dans cet exemple de Chapelle et Bachaumont : Toute la nuit donques il plut, Et tant d'eau cette nuit il chut, Que… La seule différence c'est que choir vieillit, tandis que tomber est en plein usage. Si l'on ne dit pas que la pluie ou la foudre choit, cela tient uniquement à la désuétude qui frappe le verbe choir ; et la preuve que rien d'intrinsèque n'empêche de le dire, c'est que nos pères le disaient.

HISTORIQUE

XIe s. Quant [il] le dut prendre, si lui caït à terre, Ch. de Rol. XX. Charles verrat son grant orguil cadeir, ib. XLII. Que il [l'arc] me chedet [tombe, au subjonctif], com fist à Guenelon, ib. LX. Faut lui li cuer, si [il] est chaeit avant, ib. CLXIII. Charles chancele, pour po [peu] qu'il n'est caüt, ib. CCLXIII. De bons vassals confondue et chaiete [déchue], ib. CXLVI.

XIIe s. Quant [il] le dut prendre [le gant], as piez li qiet devant, Ronc. p. 17. Pluie n'i chiet, ni erbe n'i vergie [verdoie], ib. p. 41. [Il] empoint le bien, si le fait jus chaïr, ib. p. 60. Et cheent foudre et menu et souvent, ib. p. 68. En grant dolor en est France cheüe, ib. p. 69. Selles tournées et les resnes chaües, ib. p. 80. Je charrai jà, se vous ne me tenez, ib. p. 94. Car le rei sun seigneur il a mult avillié, E vers lui en charra en grant enemistié, Th. le mart. 38. Hum vus deit bien mustrer que ne faciez tel fait, Dunt saint iglise chiece en plus dolereus plait, ib. 83.

XIIIe s. Et li quens ot esté cheüs, Villehardouin, CXLIII. Dont li chaïrent aus piés tout en plorant, Villehardouin, XXVIII. Et nous commenderent [les barons] que nous vous cheissiens as piés, Villehardouin, XVI. Dont fu jus boutés li empereres Marchufles, et chaï de si haut que, quant il vint à terre, il fu tout esmiés, Villehardouin, CXXVII. Quant de si haute honor [je] sui cheüe en la boe, Berte, XXXIII. Et li vens est cheüs, et li tems s'asseüre, ib. XLII. Chascuns redoutoit mout en leur mains à cheïr, ib. LXIII. S'or ne set moult Renart de frape, Il est chaoit en male trape, Ren. 13570. Or sui cheois, ce m'est avis, De grant enfer en paradis, la Rose, 3365. Riens ne puet tant homme grever, Comme cheoir en povreté, ib. 803. Qui bien vesquit tant que li dent Li fussent cheoit par viellesce, ib. 5397. Et fortune la mescheans, Quant sus les hommes est cheans, ib. 4965. Se ge veïsse ilec plovoir Quarriaus et pierres pelle-melle, Ainsinc espés comme chiet grelle, ib. 1798. Quant aucuns caoit en poverté, Beaumanoir, L, 19. Si tost que la terre a sa derraine roie por semer blé, ele quiet en deffense, par nostre coustume, Beaumanoir, LII, 3. Il n'en perderoient pas le cors, mais il querroient en la merci du segneur de lor avoir, Beaumanoir, XXI, 20. Ou quant eles [les maisons] caoient, se on ne les voloit refere, Beaumanoir, XXIV, 30. Et s'il ne le veut porsivir, il en quiet en autele amende comme cil seroit qu'il avoit fet ajorner, Beaumanoir, 55. Et sembloit que foudre cheist des ciex, Joinville, 215. Et ce qui chiet du bois sec ou [au] flum, nous vendent les marcheans en ce païs, Joinville, 220. De peu de pluie chiet grant vent, Fabliaux, édit. JUBINAL, 311.

XIVe s. Et celles qui sont involuntaires, il y chiet pardon et aucunes fois misericorde, Oresme, Eth. 47. Celui qui est beneuré n'en cherra pas en telles fortunes comme en chaït le roy Priant, Oresme, ib. 25. Quant ses enfans cherroient en misere, il perdroit sa felicité, Oresme, ib. 23.

XVe s. Ils estoient perdus davantage et chus es mains de leurs ennemis, Froissart, I, I, 18. Messire Jean Delle leur chey en la main, et tantost l'aviserent, Froissart, II, II, 240. Et sont en chemin que ce trou ne leur fauldra de grant piece ou au moins la craincte d'y cheoir, Commines, V, 9. Comment les Croyois [la famille de Croy] cheurent sur leurs pieds du viel temps, Chastelain, Chron. de Bourg. 222.

XVIe s. Le premier homme est cheut, pource que Dieu avoit jugé cela estre expedient, Calvin, Instit. 764. Afin qu'ils ne cheussent point en telles offenses, Calvin, ib. 834. Si un aveugle mene l'autre, tous deux cheent en la fosse, Calvin, ib. 941. Encor posé le cas que l'eusse faict, Au pis aller n'y cherroit qu'une amende, Marot, II, 89. Les murailles cheurent d'elles mesmes par faveur divine, Montaigne, I, 254. Duquel coup estant cheute de son long esvanouïe, Montaigne, III, 181. Perdition certes qui estoit à deplorer de tant d'ames qui estoyent cheutes en si horribles precipices, Lanoue, 375. La herce estant cheute sur un gros homme bien armé…, D'Aubigné, Hist. I, 317. Le plus grand des elephans, par cas d'adventure, estoit cheut de travers tout au beau milieu de la porte, Amyot, Pyrrh. 75. Les renes luy cheurent des mains, Amyot, ib. 76. Quand quelqu'un chet du haut en bas d'une breche, Paré, X, 1.

ÉTYMOLOGIE

Saintonge, chère, choir, chet, chu, tombé ; Berry, cheir, prononcé cher ; picard, tcher, kère, keu, keute, tombé, tombée ; norm. quaire ; bourg. choi, et aussi chezai ; ital. cadere. L'ancien français cheoir, en deux syllabes, vient de cadēre, 2e conjugaison, au lieu de la vraie conjugaison latine cadĕre, avec l'accent sur cá, qui, si elle eût donné un mot français, aurait produit chedre, et à laquelle l'italien cadere est fidèle.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

CHOIR. - REM. Ajoutez :

2. On trouve chet au lieu de choit : Mme de Mazarin chet en pauvreté, D'Argenson, Mém. in-8, 1860, t. II, p. 393.

3. L'exemple où Bossuet a employé le prétérit chut est ainsi conçu : Cet insolent [le démon], qui avait osé attenter sur le trône de son créateur, frappé d'un coup de foudre, chut du ciel en terre, plein de rage et de désespoir, Bossuet, 1er sermon, Démons, 2.