« croire », définition dans le dictionnaire Littré

croire

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

croire

(kroi-r' ; en 1703, la prononciation indiquée est crere, sur le théâtre on disait je croa et non pas je cres ; plusieurs prononcent crere, dit Chifflet, Gramm. p. 201 ; je crais, dit Vaugelas ; la prononciation longtemps incertaine, comme on voit, est maintenant fixée), je crois, nous croyons, vous croyez, ils croient ; je croyais, nous croyions ; je crus, nous crûmes ; je croirai ; je croirais ; crois, croyons, croyez ; que je croie, que nous croyions, que vous croyiez, qu'ils croient ; que je crusse ; croyant ; cru, crue v. a.

Résumé

  • 1° Être persuadé qu'une chose est vraie, réelle
  • 2° ajouter foi à, obéir à, suivre l'avis
  • 3° en croire
  • 4° penser, présumer, s'imaginer
  • 5° s'en rapporter à, compter sur
  • 6° v. n. ajouter foi
  • 7° avoir la foi
  • 8° croire à, avoir confiance en
  • 9° croire à, être persuadé de l'existence de…
  • 10° croire en, être persuadé de l'existence de…
  • 11° se croire, avoir certaine opinion de soi ; être cru.
  • 1 V. a. Être persuadé qu'une chose est vraie, est réelle. Un Turc, un hérétique qui ne croit ni ciel, ni saint, ni Dieu, ni loup-garou, Molière, D. Juan, I, 1. Mais encore faut-il croire quelque chose dans le monde ; qu'est-ce que vous croyez ? Molière, ib. III, 1. La promptitude à croire le mal sans l'avoir assez examiné est un effet de l'orgueil et de la paresse, La Rochefoucauld, Max. 267. Incrédules les plus crédules, ils croient les miracles de Vespasien pour ne pas croire ceux de Moïse, Pascal, Pens. Part. II, art. 17. Vous ne pouviez plus mal choisir que d'accuser le Port-Royal de ne pas croire l'Eucharistie, Pascal, Prov. 16. Il ne croit donc pas le sacrifice de la messe, Pascal, ib. Le pape entreprend donc sur nos libertés dans cette bulle où il veut nous obliger de croire ses décisions, Pascal, ib. 19. Quand les pères ont condamné Eutychès, parce qu'il ne croyait qu'une nature en Jésus-Christ, a-t-il dit que non et qu'il en croyait deux ? Pascal, Lett. de Nicole au P. Annat. En montrant la vérité, on la fait croire, Pascal, dans COUSIN. C'est un aveuglement de vivre mal en croyant Dieu, Pascal, ib. Que dirai-je de ceux qui croyaient la transmigration des âmes ? Bossuet, Hist. II, 6. Tels sont les prodiges qu'il faut croire quand on ne veut pas croire les miracles du Tout-puissant ? Bossuet, ib. II, 13. Au troisième jour il ressuscite, il paraît aux siens qui l'avaient abandonné et qui s'obstinaient à ne pas croire sa résurrection, Bossuet, ib. II, 6. Ces hommes délicats qui ne croient pas la vérité de Jésus-Christ et de la parole, Fléchier, Serm. I, 69. Les uns croient la Providence, les autres la nient, Fénelon, Pyrrh. Ce qu'il croyait il le voyait, au lieu que les autres croient ce qu'ils voient, Fontenelle, Carré. Le gouverneur ne savait que croire des dieux, il était obsédé d'Épicuriens, Fontenelle, Oracles, ch. 14. Il a recours au Dieu de ses pères ; il redoute ses jugements qu'il faisait semblant de ne pas croire, Massillon, Car. Doutes sur la relig. Nous nous laissons mollement entraîner au cours fatal que nous emporte sur le préjugé général que nous ne croyons rien, Massillon, ib. Vous tremblez sur un avenir que vous vous étiez vanté de ne pas croire, Massillon, ib. Vérit. de la relig. Ceux de Formose croient une espèce d'enfer, Montesquieu, Espr. XXIV, 11. Ces auteurs, me repartit-il, n'ont pas cherché dans l'Écriture ce qu'il faut croire, mais ce qu'ils croient eux-mêmes, Montesquieu, Lett. pers. 134. Si quelque chose justifie ceux qui croient une fatalité à laquelle rien ne peut se soustraire…, Voltaire, Louis XIV, 25. Vous croyez tous les maux que votre âme redoute, Voltaire, Mérope, I, 2. Si ces philosophes croient l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme, Rousseau, Hél. III, 18.

    Croire une chose comme l'Évangile, comme un article de foi, la croire fermement.

    Croire tout comme article de foi, être extrêmement crédule.

    Familièrement. J'aime mieux le croire que d'y aller voir, se dit de choses qu'on dédaigne de vérifier, ou qu'on n'a pas le temps ou le moyen de vérifier.

    Si vous ne le croyez pas, allez-y voir, se dit à une personne qui doute.

    Terme de pratique. Croire un titre, le recevoir pour preuve.

    Faire croire une chose, la persuader. Nous serions coupables de faire croire une fausseté. Je fis croire et je crus ma victoire certaine, Racine, Andr. I, 1.

    Se faire croire, obtenir créance. Ce voyageur raconte de telles choses, qu'il a beaucoup de peine à se faire croire. Ô bienheureux soupirs, favorables moments, Où l'un et l'autre cœur, plein de doux sentiments, Aime et le dit et se fait croire ! La Fontaine, Daphné, III, 4.

    Se faire croire une chose, se la persuader à soi-même. L'homme est ainsi fait qu'à force de lui dire qu'il est un sot, il le croit ; et, à force de se le dire à soi-même, on se le fait croire, Pascal, Pensées, art. XXIV, 38, éd. Lahure, 1860.

  • 2Ajouter foi à, obéir à, suivre l'avis. Croyez-vous cet homme-là ? Il ne croit pas les médecins. Je vous crois. Croyez-moi, ne faites point cela. Il croit cette âme basse et se montre sans foi ; Mais, s'il croyait la sienne, il agirait en roi, Corneille, Pomp. II, 1. Ah ! ah ! qui des deux croire ? Ce discours au premier est fort contradictoire, Molière, l'Étour. I, 4. Les sages le prévirent ; mais les sages sont-ils crus en ces temps d'emportement, et ne se rit-on pas de leurs prophéties ? Bossuet, Reine d'Anglet. Un honnête homme qui dit oui et non mérite d'être cru ; son caractère jure pour lui, donne créance à ses paroles et lui attire toute sorte de confiance, La Bruyère, V. Non, ou vous me croirez, ou bien de ce malheur Ma mort m'épargnera la vue et la douleur, Racine, Brit. IV, 3. Oui, monsieur, je vous crois, comme mon propre père, Racine, Plaid. I, 7. Qui l'aurait crue [la maréchale de Clérambault], on eût fait son repas sans quitter les cartes, Saint-Simon, 104, 116. Souffle sur ton amour, ami, si tu me crois, Chénier, 159.

    Par extension. J'ai failli, je l'avoue, et mon cœur imprudent A trop cru les transports d'un désir trop ardent, Corneille, Nic. II, 2. Et croire la pitié qui me pourrait surprendre, Rotrou, Bélis. IV, 8. Et de mille remords son esprit combattu Croit tantôt son amour et tantôt sa vertu, Racine, Andr. V, 2.

    S. m. Le croire, l'action d'ajouter foi. Jamais on ne toucha mieux le naturel de la croyance en matières de choses humaines que quand on a dit que le croire est une courtoisie ; car, comme c'est une courtoisie de croire à un homme d'honneur, aussi est-ce une incivilité bien rustique de démentir de braves et fidèles écrivains, Garasse, Rech. des recherches, p. 806, dans LACURNE.

  • 3En croire, locution dans laquelle en, signifiant proprement sur cela, est devenu explétif. Ne vous alarmez pas, elle ne m'en croit pas, Corneille, Perthar. I, 4. Je n'en serai point cru à mon serment, et l'on dira que je rêve, Molière, Georg. Dand. II, 8. Les enfants n'en veulent plus croire leurs grands-pères, Bossuet, Hist. II, 2. De cette sorte, saint Jean-Baptiste, qu'on jugea digne d'être le Christ, n'en fut pas cru quand il montra le Christ véritable, Bossuet, ib. II, 10. On aimera mieux qu'un faussaire soit prophète qu'Isaïe, ou que Jérémie, ou que Daniel ; ou bien chaque siècle aura porté un faussaire heureux que tout le peuple en aura cru, Bossuet, ib. II, 13. M'en croirez-vous ? Lassé de ses trompeurs attraits, Au lieu de l'enlever, fuyez-la pour jamais, Racine, Andr. III, 1. Ah ! fallait-il en croire une amante insensée ? Ne devais-tu pas lire au fond de ma pensée ? Racine, ib. V, 3. Quelle faiblesse à moi d'en croire un furieux ? Racine, Mithr. III, 4. Je m'en fie à Burrhus ; j'en crois même son maître, Racine, Brit V, 1. Là, si vous m'en croyez, d'un amour éternel Nous irons confirmer le serment solennel, Racine, Phèd V, 1. Ah ! si vous m'en croyez, ne m'interrogez pas, Voltaire, Œdipe, III, 4. J'obéis sans rien craindre et j'en crois les oracles, Voltaire, Sémiram. V, 4.

    À l'en croire, s'il faut l'en croire, locutions qui expriment le doute. À l'en croire, tout est perdu.

    Par extension. En croirez-vous cette lettre ? S'il en croit votre ardeur, je suis sûr du trépas ; Mais peut-être, madame, il ne l'en croira pas, Corneille, Sertor. V, 4. Et vous n'en croirez pas toute cette colère, Corneille, Toison, IV, 3. En crois-tu mes soupirs ? en croiras-tu mes larmes ? Corneille, Héracl. V, 3. J'en ai cru le hasard, Rotrou, Bélis. II, 10. Si j'en crois leurs alarmes, Racine, Andr. I, 4. Que n'en croyais-je alors ma tendresse alarmée ? Racine, Iphig. I, 1. Que si j'en crois ma gloire, il y faut renoncer, Racine, ib. II, 7. En croirez-vous toujours un farouche scrupule ? Racine, Phèd. I, 1. Je connais mal peut-être une loi si nouvelle, Mais j'en crois ma vertu qui parle aussi haut qu'elle, Voltaire, Alz. III 5. Et j'en croyais trop tôt un déplaisir mortel, Voltaire, Zaïre, IV, 7. Ciel ! que vois-je ! en croirai-je ma vue ? Voltaire, Triumv. II, 4. N'en croyez pas, madame, un orgueil téméraire, Voltaire, Mérope, I, 3.

    En faire croire, dire des mensonges, tromper la crédulité. À qui vous veut ouïr, vous en faites bien croire, Corneille, Ment. I, 6. Il en ferait bien croire à des esprits mal faits, Quinault, la Comédie sans comédie, II, 5.

  • 4Penser, présumer, s'imaginer. Que va-t-on croire de moi ? Vous ne sauriez croire combien cela me contrarie. Il a cru bien faire. Je vous pardonne d'avoir cru sur la foi du P. Bauny qu'Aristote ait été de ce sentiment, Pascal, Prov. 4. Si on leur fait entendre que vous croyez pouvoir faire votre salut en calomniant vos ennemis, Pascal, Prov. 15. Je ne crois pas que j'en pusse sortir, si on y recevait de vos nouvelles, Sévigné, 164. Mais c'est un jeune fou qui se croit tout permis Et qui pour un bon mot va perdre vingt amis, Boileau, Sat. IX. Un homme ne veut point croire qu'il soit orgueilleux, ni lâche, ni paresseux, il veut croire qu'il a raison, Bossuet, Connais. I, 16. Elle croyait servir l'État, elle croyait assurer au roi des serviteurs en conservant à Dieu des fidèles, Bossuet, Reine d'Anglet. Assiége-t-il quelque place, il invente tous les jours de nouveaux moyens d'en avancer la conquête ; on croit qu'il expose les troupes ; il les ménage en abrégeant le temps des périls par la vigueur des attaques, Bossuet, Louis de Bourbon. Augustin crut que la pénitence n'avait rien qui déshonorât le sacerdoce, Fléchier, Panég. I, p. 260. Vous croyez qu'un amant vienne vous insulter ? Il vous rapporte un cœur qu'il n'a pu vous ôter, Racine, Andr. II, 1. Mais cependant, seigneur, que faut-il que je croie D'un bruit qui me surprend et me comble de joie ? Racine, Iphig. I, 2. Que croira-t-on de vous, à voir ce que vous faites ? Racine, Andr. III, 1. Les grands ne comptent le reste des hommes pour rien et ne croient être nés que pour eux-mêmes, Massillon, Pet. carême, Obstacl. Jésus-Christ souffre à notre place et les grands croient que tout doit souffrir pour eux, Massillon, ib. À voir le climat affreux de la Moscovie, on ne croirait jamais que ce fût une peine d'en être exilé, Montesquieu, Lett. pers. 50. Il en est de l'esprit et du goût comme de la philosophie ; rien n'est plus rare que d'en avoir, plus impossible que d'en acquérir, et plus commun que de s'en croire beaucoup, D'Alembert, Essai sur la société des gens de lettres, Œuvres, t. III, p. 44, dans POUGENS. Trop croire de, avoir une trop haute opinion de. Rome a trop cru de moi, Corneille, Hor. II, 1. Et j'y pouvais un jour, sans trop croire de moi, Prétendre, en les servant, un honorable emploi, Molière, l'Étour. V, 3.

    Je crois, à ce que je crois, employés comme incise, c'est-à-dire d'après mon opinion, selon mon sentiment Vous ferez bien, je crois, de ne plus fréquenter cet homme-là. Il avait, à ce que je crois, étudié la question la matinée.

    Je crois bien, signifie en certaines circonstances déterminées par le contexte : cela n'est pas étonnant. Il n'aime plus cette personne, je crois bien, elle n'est plus la même, Pascal, P. div. 38.

    Regarder comme. On le crut fou. Il ne faut presque rien pour être cru fier, incivil, méprisant, désobligeant ; il faut encore moins pour être estimé tout le contraire, La Bruyère, V.

    Croire quelque chose à quelqu'un, croire qu'il possède cette chose. Je lui crois beaucoup d'habileté Je croyais à cet homme plus de droiture qu'il n'en a.

  • 5S'en rapporter à, compter sur. Je croirais ses conseils et je verrais Pyrrhus, Racine, Andr. III, 5. J'ai prononcé sa grâce et je crois sa promesse, Racine, Baj. III, 5. Je fus sourde à la brigue et crus la renommée, Racine, Brit. IV, 2. Un malheureux sans nom, si l'on croit l'apparence, Voltaire, Mérope, II, 1.
  • 6 V. n. Ajouter foi. Je crois sur sa parole, et lui dois tout crédit, Corneille, Sertor. II, 4. Juste retour, monsieur, des choses d'ici-bas ; Vous ne vouliez pas croire, et l'on ne vous croit pas, Molière, Tart. V, 3.

    Être porté à se soumettre aux autorités supérieures, célestes. L'esprit croit naturellement, et la volonté aime naturellement, de sorte que, faute de vrais objets, il faut qu'ils s'attachent aux faux, Pascal, Pensées, part. I, art. 10. Qu'il croie par raison ou par erreur, Bossuet, Hist. II, 13. Du monde des humains inexplicable histoire ! Partout c'est le besoin d'adorer et de croire, Delille, Imagin. VIII.

  • 7Avoir la foi. À la première prédication des apôtres, beaucoup crurent. Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée, Corneille, Poly. V, 5. Il y a trois moyens de croire : la raison, la coutume, l'inspiration, Pascal, Pensées, art. XXIV, 43, éd. Lahure, 1860. Le miracle qu'elle attendait est arrivé ; elle croit, elle qui jugeait la foi impossible, Bossuet, Anne de Gonz.
  • 8Croire à, avoir confiance en, ajouter foi à. Il [Attila] croyait fort aux devins, et c'était peut-être tout ce qu'il croyait, Corneille, Attila, Préf. Quoi ! vous ne croyez pas au séné, ni à la casse, ni au vin émétique ? - Et pourquoi veux-tu que j'y croie ? Molière, le Fest. III, 1. Allez, ne croyez point à monsieur votre père, Molière, Tart. II, 2. Direz-vous qu'ils la reçoivent [cette constitution] extérieurement, mais que dans leur âme ils n'y croient pas ? Pascal, Lett. de Nic. au P. Annat. Ô ciel ! qu'on doit peu croire Aux dehors imposants des humaines vertus ! Gresset, Édouard III, II, 6.
  • 9Croire à, être persuadé de l'existence de, de la vérité de. Il proteste de son innocence ; mais je n'y crois pas. Comment n'eussent-ils pas cru aux oracles ? ils croyaient bien aux songes, Fontenelle, Oracl. I, 8. Le mot célèbre de Fontenelle à un prince qui lui disait qu'il croyait peu à la vertu : monseigneur, il y a d'honnêtes gens, mais ils ne viennent pas vous chercher, Condorcet, Maurepas. Ainsi de nouvelles erreurs entretiennent dans des erreurs anciennes ; et on croit à toutes avec d'autant plus de confiance, qu'on croit à un plus grand nombre, Condillac, Hist. anc. III, 3. Je crois à la victoire et non pas à la paix, Luce de Lancival, Hector, V, 4. Je ne crois plus aux Dieux, je crois aux fils ingrats, Delavigne, Paria, III, 4. Il est dit : croyez à l'Église ; mais il n'est pas dit : croyez aux miracles, à cause que le dernier est naturel et non pas le premier ; l'un avait besoin de précepte, non pas l'autre, Pascal, Pensées, art. XXXIII, 8, éd. Lahure, 1860.
  • 10Croire en, être persuadé de l'existence de. Croire en Dieu. Attend pour croire en Dieu que la fièvre le presse, Boileau, Sat.I.

    Croire en soi, avoir une idée exagérée de son mérite.

  • 11Se croire, v. réfl. Avoir certaine opinion de soi. Cet homme se croit habile. Pour être plus qu'un roi, tu te crois quelque chose, Corneille, Cinna, III, 4. Il n'y a que deux sortes d'hommes : les uns justes qui se croient pécheurs, les autres pécheurs qui se croient justes, Pascal, Pensées, art. XXV, 72, éd. Lahure, 1860.

    Penser quelque chose au sujet de soi. Il se croyait au moment de réussir. Je me croirais haï d'être aimé faiblement, Voltaire, Zaïre, I, 2.

    Avoir confiance en soi. Tout est illustre en eux quand ils daignent se croire, Corneille, Pomp. II, 1. Écoutez tout le monde, croyez peu de gens, gardez-vous bien de vous croire trop vous-même, Fénelon, Tél. XXIV.

    Être cru. Ce qui se dit souvent finit par se croire.

    S'en croire, obéir au sentiment qu'on a. Mais, si je m'en croyais, je ne le verrais pas, Racine, Andr. II, 1.

    S'en croire beaucoup, s'en croire beaucoup trop, avoir en ses forces ou son mérite une confiance exagérée.

    PROVERBE

    Croyez cela et buvez de l'eau, c'est-à-dire buvez de l'eau pour mieux digérer de pareils contes.

REMARQUE

1. Croire, suivi de que, dans une phrase affirmative, veut l'indicatif : Je crois que cela est. Mais autrefois il n'en était pas ainsi ; et le sens dubitatif qui est naturellement attaché à croire faisait qu'on mettait volontiers le subjonctif : La plus belle des deux je crois que ce soit l'autre, Corneille, le Ment. I, 4. Je croyais bien qu'on fût damné pour n'avoir pas de bonnes pensées, mais…, Pascal, Prov. 4. Vous croyez donc qu'il faille avoir Beaucoup de peine à Rome en fait que d'aventures ? La Fontaine, Cand. Elle croyait que le petit Noirmoutier dût être aveugle, Sévigné, 6. Je croyais que tout fût perdu, Sévigné, 114. Je croyais que vous n'eussiez point fait réponse au cardinal, Sévigné, 128. Il croyait que ce dût être le 15e de ce mois, Sévigné, 324. Malgré ce rejet actuel du subjonctif, on l'admettra sans peine dans une phrase telle que celle-ci : Nous nous demandons sans cesse ce qu'on croit que nous soyons, Massillon, Myst. Incarn.

2. Croire suivi de que, dans une phrase négative ou interrogative, veut le subjonctif : Je ne crois pas qu'il vienne. Croyez-vous qu'il le fasse ? Avez-vous cru qu'il partît si tôt ? Je ne croyais pas qu'il payât. Croyez-vous encore qu'il ait de l'habileté, après toutes les sottises qu'il a faites ?

3. Croire, dans une phrase interrogative, suivi de que, peut être suivi du futur de l'indicatif ou du conditionnel : Croyez-vous qu'il payera ses dettes ? Aviez-vous cru qu'il payerait ses dettes ? Les grammairiens se sont efforcés d'établir une différence de sens entre ces constructions et celles où l'on met le subjonctif ; croyez-vous qu'il paye ? aviez-vous cru qu'il payât ? mais toutes les différences paraissent arbitraires.

4. Croire se construit avec un verbe à l'infinitif sans préposition intermédiaire ; on n'imitera donc pas les exemples suivants : Ils [les évêques de Beauvais et Beaufort] crurent d'en venir facilement à bout, La Rochefoucauld, Mém. 9. Mais enfin croyez-vous de vivre toujours ? Rousseau, Ém. V.

5. On a dit en croire à : Vous n'en avez cru ni à ma parole ni à l'expérience, Bossuet, cité dans le Dict. de BESCHERELLE. Il est mort ; cependant si j'en crois à mes yeux…, Créb. Électre, IV, 1. Cet homme, car déjà j'en crois à ma fureur, Bernis, Religion, I, 233. Cette locution n'est pas incorrecte en soi, puisqu'on dit activement en croire ; mais elle est peu usitée.

SYNONYME

1. CROIRE QUELQUE CHOSE, CROIRE à QUELQUE CHOSE ; CROIRE QUELQU'UN, CROIRE à QUELQU'UN. Croire quelque chose, c'est l'estimer véritable : Je crois ce que vous me dites. Croire à quelque chose, c'est y ajouter foi, y avoir confiance, s'y fier : Je ne crois pas à l'efficacité de ce remède. Croire quelqu'un, c'est ajouter foi à ce qu'il dit : Il ne faut pas croire les menteurs. Croire à quelqu'un, c'est croire à son existence : Croire aux sorciers, c'est croire qu'il y en a ; Croire les sorciers, c'est croire ce qu'ils disent.

2. FAIRE CROIRE, FAIRE ACCROIRE., Faire croire, c'est persuader à autrui une chose que l'on croit vraie ou que l'on croit fausse. Faire accroire, c'est persuader à autrui une chose que l'on sait fausse. Aussi faire croire peut se dire des choses comme des personnes : Ce nuage de poussière me fit croire qu'une troupe de cavaliers venait ; mais faire accroire ne peut se dire que des personnes.

HISTORIQUE

XIe s. Il dit au rei : jà mar crerez Marsile, Ch. de Rol. XI. Iert i sis nies [son neveu y sera] li quens Rolans, ce crei [je crois], ib. XLII. Mort sont li conte, se est qui mei en creit, ib. XLII. Del rei paien, sire, por ver [pour vrai] creez, ib. LIII. [Il] Ne creit en Deu le fil sainte Marie, ib. CXII. Respont li dus : sire, je vous en crei, ib. CCLII. Li reis creit Deu, faire veut son service, ib. CCLXVIII. Creire [elle] veut Deu, chrestientet demande, ib. CCXCII.

XIIe s. Ostages bien creüz [en qui on puisse se fier], Ronc. p. 12. Se ne creez mes dits, ib. p. 22. Creez [croyez] mon los [conseil], ib. p. 27. Si voirement come nous le creon, ib. p. 48. Las ! se jel pert, de ce sui bien creanz, Jamais n'ert jor que n'en soie dolans, ib. p. 86. Et si [il] cresra sainte crestienté, ib. p. 117. Dame, cil dex en cui [nous] somes creant, ib. p. 121. [Dame] qui croit faus druz [amant] menteor, Couci, I. Je sai moult bien qu'ele croit les felons, ib. XII. Conseil [il] aura creü moult fol et enfantif, Sax. XXIV.

XIIIe s. Biaus sire, nous avons vos lettres veües, qui nous dient que nous vos creons de tout ce que vos dirés, Villehardouin, LXVI. Et vos feistes mout mal quant vos les creütes, Villehardouin, CXXIII. Les lettres disoient que autant les creüt-on comme lor seigneurs, Villehardouin, X. Bien fait qui se porvoit En croire ce qu'il doit, Ce dit li vilains, Proverbes du comte de Bret. Ms. de St-Germ. f° 114, dans LACURNE. Çà est li bons vins de Soissons ; Sor l'erbe vert et sor les jons Fait bon boivre à henap [coupes] d'argent ; Caiens [céans] croit l'en [l'on fait crédit] toute la gent ; Caiens boivent et fol et saige, Cortois D'Artois, Ms. de St-Germ. f° 83, dans LACURNE. Se croire me voulez, bien serez assenée [dirigée], Berte, XLVI. Constance, dist Symons, je croi que elle ait faim, ib. XLIX. Sachiez, vous en avez mauvais conseil creü, ib. LI. Un certain messager qui bien faisoit à croire [en qui on se pouvait fier] Pour bien faire message, n'estoit pas com le loire, ib. LXVI. Je croi qu'ele soit morte, ib. XCV. Ains croi [je] que sans point de demore, Son hommage [tu] li renoiasses, Ne jamès par amor n'amasses, la Rose, 4264. Amors, qui te fait en li croire, Te tolt ton sens et ta memoire, Et de ton cuer les iex avugle, ib. 6929. Et trouva que le Vieil de la Montagne ne creoit pas en Mahommet, ainçois creoit en la loy de Haali, qui fu oncles de Mahommet, Joinville, 260. Il a maint preuhomme chevalier en la terre des Crestiens et des Sarrazins, qui onques ne crurent Dieu ne sa mere, Joinville, 275. Le saint roi se esforça de tout son pooir, par ses paroles, de moi faire croire en la loi crestienne, Joinville, 197. Ertaut de Nogent fu le bourgois du monde que le conte creoit le plus, Joinville, 205. Moult de ses gens li loerent [conseillèrent] que il attendist tant que ses gens feussent revenus, parce que il ne li estoit pas demouré que la tierce partie de ses gens ; et il ne les en voult onques croire, Joinville, 214.

XIVe s. Et il s'en croient au jugement de ceulz qui sont bons et sages, Oresme, Eth. 243. Qui croit paroles doucereuses souvent les trouve venimeuses, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 387. Vous parlez saigement ; Se ne croy vo conseil, jammais Diex ne m'ament [m'amende] ; Car de boin conseil croire, vienent li bien souvent, Baud. de Seb. VIII, 460.

XVe s. Il estoit moult aimé et cru en la ville, Froissart, I, I, 190. Puis que nature s'entremit D'entailler si digne figure, Il est à croire qu'elle y mit De ses biens à comble mesure, Chartier, Excusation de maître Alain. Et le roy, croyant ces choses, s'en alla audit pais de Normandie, J. de Troyes, Chron. 1475. Et pour ce à vous bien confesser me doy De croire [prêter] ainsi, dont j'ai grant repentance, Quant on n'a pas renvoyé devers moy Un prest que fis…, Deschamps, Poésies mss. f° 343, dans LACURNE. Suppliant au roy ne vouloir legierement croire contre luy et son filz, Commines, I, 1. Le bruyt d'artillerie faisoit croire de tous les deux costez quelque grande entreprinse, Commines, I, 11. Quant le roy eut ce ouy, il dit à Tanor : Tanor, ne me croyez jamais, se celluy qui là a parlé n'est Salphar de Liban, Perceforest, t. VI, f° 107. Le roy y estoit en personne, qui à ce siege ne croyoit personne [ne s'en rapportait à personne], ib. t. V, f° 101. Il ne fut pas maistre pour lors ne cru de faire son vouloir, Louis XI, Nouv. I.

XVIe s. Il appert par les livres des anciens Peres que cela estoit receu sans difficulté, de dire croire l'Eglise, et non pas en l'Eglise, Calvin, Instit. 811. Ils l'envoyarent vivre en la forest de Biere ; je croy qu'elle n'y soit plus maintenant, Rabelais, Gar. I, 21. Messieurs, je croy que vous soyez faict mal, pardonnez le nous, Rabelais, Pant. II, 25. Je croy en Dieu le pere tout-puissant… Je croy la saincte et catholicque Eglise Estre des sainctz et des fideles une Vraye union, entre eux en tout commune… Finalement croi la vie eternelle, Marot, IV, 342. Je croy que, avant que recepvez ceste reponse, vous aurez du roy ce que avés demandé, Marguerite de Navarre, L. 50. Je vous supplie le croire de ce que je l'ay prié vous dire, Marguerite de Navarre, ib. 49. S'il en faut croire du Bellay, Montaigne, I, 25. Je ne croy pas que ces mouvements se feissent avecques discours [réflexion], Montaigne, I, 50. Si ce sont medecins, je les crois en ce qu'ils disent de…, Montaigne, I, 58. Je crois de la medecine tout le pis ou le mieulx qu'on vouldra, Montaigne, I, 130. Ils croyent les ames immortelles, et les mauldites estre logées du costé de l'occident, Montaigne, I, 238. Les grands esprits font un aultre genre de biencroyants, Montaigne, I, 389. Au moins se trouveroit-il une chose qui se croiroit par les hommes d'un consentement universel, Montaigne, II, 319. Il ne fault pas croire à chascun, dict le precepte, Montaigne, II, 331. Du mont souvent armée devalla, Croyant pour vray qu'en la campaigne il soit : Puis ne trouvant personne, s'en alla, Et croit qu'il est monté par autre voye, La Boétie, 487. Je n'en diray pas davantage, sinon que je me fay croire qu'elle en viendroit à bout en huit jours, Lanoue, 437. Et, pour cela, il s'en faisoit croire, et parloit. d'une braveté grande, Despériers, Contes, XLII. Ses amis allerent enhortans le peuple assistant de croire à ce qu'il avoit dit, Amyot, Solon, 11. Les Megariens le creurent facilement, Amyot, ib. 12. Ne croire point aux dieux, Amyot, Péric. 60. Il leur feit à croire que Alexandre s'estoit, en dormant, apparu à luy, Amyot, Eum. 25. Plusieurs croient que le poëte et l'historien soient d'un mesme mestier ; mais ils se trompent beaucoup, Ronsard, 514. Legier croire [croire légèrement] fait decevoir ; Il faut congnoistre avant que aymer, l'Amant rendu Cordelier, p. 514, dans LACURNE. Ne croire à Dieu que sur bons gages, Cotgrave Fol ne croit jusques à tant qu'il reçoit, Cotgrave Pour neant demande conseil qui ne le veut croire, Cotgrave Qui sempres croit et asne meine, son corps ne sera jà sans peine, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Saintong. crére ; wallon, creure ; Berry, creire ; provenç. creire ; espagn. creer ; portug. crer ; ital. credere ; du latin credere.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

CROIRE. - REM.

6. Racine a dit : Vous croyez qu'un amant vienne vous insulter, Andr. II, 1. Laharpe trouve là une faute évidente qu'il faut corriger en lisant : croyez-vous ? On ne peut être de l'avis de Laharpe ; les exemples cités à la Remarque 1 rendent sa correction tout à fait inutile.

7. Croyez-moi que, reconnaissez avec moi. Croyez-moi qu'Alcidon n'en sait guère en amour, Corneille, Veuve, III, 4. Si tes feux en son cœur produisaient même effet, Crois-moi que ton bonheur serait bientôt parfait, Corneille, Mélite, I, 2. Cela [à propos de paroles flatteuses du roi sur les Grignan] fut charmant, et l'on doit être comblé ; mais croyez-moi que les temps changent, Sévigné, 28 févr. 1680.

8. Je l'ai cru s'éteindre, a été dit pour : J'ai cru qu'il s'éteignait. Hélas ! qu'il était grand quand je l'ai cru s'éteindre, Votre amour, et qu'à tort ma flamme osait s'en plaindre ! Corneille, Androm. Lexique, éd. Marty-Laveaux.

ÉTYMOLOGIE

Ajoutez : M. Darmesteter, Mém. de la Soc. de linguistique, t. III, p. 52, a décomposé le verbe credo, en do, je donne, et çrad, cœur (le même que kard, voy. CŒUR) : je donne mon cœur, ma foi ; sanscr. çraddadhāmi.