« déposer », définition dans le dictionnaire Littré

déposer

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

déposer

(dé-pô-zé) v. a.
  • 1Poser une chose que l'on portait. Il déposa son fardeau. Du tonnerre vengeur s'en va tout embraser, Et, tranquille, à ses pieds revient le déposer, Racine, Esth. prol.

    Déposer son fardeau, se dit quelquefois d'une femme qui accouche.

    Déposer le masque, ôter le masque qui couvre le visage ; et fig. se montrer tel qu'on est, ne plus rien dissimuler.

    Fig. Déposer sa fierté, quitter la fierté qu'on avait. Je dépose à vos pieds l'éclat de leur faux lustre, Corneille, Poly. V, 6. Celui qui se propose de trouver la vérité déposera ses préjugés, Diderot, Opin. des anc. phil. (Thomasius). Comme un poids importun, déposez votre haine, Delavigne, Paria, V, 2. Déposer le fardeau des misères humaines, Est-ce donc là mourir ? Lamartine, Médit. I, 27.

  • 2Mettre (sans idée accessoire). Il est défendu de déposer des ordures le long de ce mur.

    Déposer son fardeau, se dit trivialement de quelqu'un qui va à la selle.

  • 3Laisser aller au fond les parties épaisses, en parlant d'un liquide. Le Nil dépose chaque année un limon fécond.

    Absolument. Cette liqueur dépose. Ce vin a beaucoup déposé.

  • 4Mettre pour quelque temps une chose dans un lieu. Déposer sa canne à la porte d'un spectacle. Déposer des marchandises en lieu sûr.
  • 5Mettre en dépôt. Déposer un testament chez le notaire. Déposer de l'argent à la caisse d'épargne. Le cultivateur s'est vu forcé de déposer ses récoltes dans les magasins du gouvernement, Raynal, Hist. philos. V, 14.

    Déposer une plainte, remettre une plainte à l'autorité judiciaire.

    Par extension, remettre. Le cœur me battait de joie durant la route, et le moment où je déposai cet argent dans ses mains, me fut mille fois plus doux que celui où il entra dans les miennes, Rousseau, Confess. VI.

    Fig. Il dépose ses secrets dans le sein de son ami. Voulez-vous sauver quelque chose de ce débris si universel, si inévitable ? donnez à Dieu vos affections ; nulle force ne vous ravira ce que vous aurez déposé en ses mains divines, Bossuet, Duch. d'Orl.

  • 6Donner en garantie. Déposer un cautionnement.
  • 7Se démettre, abdiquer. Sylla déposa la dictature. Il me semble surtout incessamment le voir Déposer en nos mains son absolu pouvoir, Corneille, Cinna, III, 2.
  • 8Dépouiller une personne d'une magistrature, d'une dignité élevée. Patrobe, Polyclète, et Narcisse et Pallas Ont déposé des rois, ont donné des États, Corneille, Othon, II, 2. Les évêques que l'Église veut déposer, Pascal, Prov. 16. On ordonna que tous ceux qui refuseraient de souscrire à ces deux nouveaux articles de foi, seraient exclus et déposés du ministère et de toute fonction ecclésiastique, Bossuet, Var. XIV, § 121. Je puis faire les rois, je puis les déposer, Racine, Bérén. III, 1.
  • 9 Terme de construction. Démonter un objet posé à demeure, faire la dépose.

    On dit dans le même sens, déposer des rideaux de lit ou autres.

  • 10 V. n. Faire sa déposition comme témoin, rendre témoignage. Déposer en faveur de quelqu'un. Il déposa qu'il avait vu l'accusé. Il déposa avoir entendu dire que. Des témoins qui déposent de la même vérité, Bossuet, Hist. II, 13. Il déposa d'un fait qu'il ne pouvait ignorer, Bossuet, Messe. Pourquoi contre vous-même allez-vous déposer ? Racine, Phèd. III, 3. C'est l'ennemi de Jésus-Christ qui dépose en faveur de son innocence, Massillon, Car. Pass. Les mondains déposent tous contre le monde, Massillon, Car. Mélange.

    Fig. Ce monument [un Mémoire écrit par Louis XIV à propos de la guerre de la succession] dépose à la postérité en faveur de la droiture de son âme [de Louis XIV], Voltaire, Louis XIV, 28. … Sont autant de témoins dont le cri glorieux A déposé pour vous au tribunal des dieux, Voltaire, Sémiram. I, 5. Ton génie dépose contre tes principes, Rousseau, Ém. IV.

  • 11Se déposer, v. réfl. Être mis en dépôt. Les sommes qui se déposent à la caisse d'épargne.

    Abdiquer, quitter le pouvoir, une dignité. Les empereurs qui se déposaient, Bossuet, Hist. I, 10.

    Aller au fond, en parlant des impuretés d'un liquide. Le limon se dépose quand l'eau est tranquille.

REMARQUE

L'Académie, en parlant de déposer, faire une déposition, dit qu'il est ordinairement neutre ; et elle ne donne aucun exemple de l'emploi à l'actif. Mais au mot déposition elle dit que ce mot signifie ce qu'un témoin dépose et affirme par devant le juge qui l'entend ; dans ce qu'un témoin dépose elle le fait actif. Déposer est naturellement actif ; et l'on peut dire déposer un témoignage et puis, elliptiquement ou intransitivement, déposer en justice, déposer contre quelqu'un. Cela remarqué, il semble que déposer ne peut être actif en ce sens qu'avec témoignage ou un mot analogue ; et que, partout ailleurs, le plus sûr et le plus clair paraît être d'en faire un verbe neutre, et de dire non déposer un fait, mais déposer d'un fait.

HISTORIQUE

XIIe s. Il deposat les puissanz del siege, eshalçat les humles, Liber psalm. p. 253. Le roi de France cui je [pensé-je] tost desposer, Et de son chief fors la corone oster, Bat. d'Aleschans, V. 2808. Que s'il le vunt devant l'apostolie apeler, K'ensi le purrunt bien de sun sié deposer, Th. le mart. 42. Et se nul ad tenu seculiers poestez, E par celes purchast [acquière] divines dignitez, Ostez seit de comune e del tut deposez, ib. 127. Kar li reis nel fait pas pur nului deposer, Mais pur ço qu'il voldreit l'arcevesque mater, Se à sa volenté ne le peust aturner, ib. 25.

XIIIe s. Roi, je t'ai servi dès t'enfance ; Mais cil qui tiennent ta balance M'ont deposé, Un dit de verité. Des murs de Douai l'ost [ils] esgardent, Qui les biens d'environ despose [garde], Guiart, Ms. f° 294, dans LACURNE.

XVe s. Quand il sut comment le roi [Édouard II] avoit esté pris et deposé de sa couronne, Froissart, I, I, 28. Pour un il en trouvera dix, Qui contre moi deposeront [témoigneront], Patelin.

XVIe s. Il feut deposé de l'estat de capitaine general, Montaigne, III, 196. Un gendre entre les mains de qui je deposasse en toute souveraineté la conduite de mes biens, Montaigne, IV, 75. Cela mesme qu'un tesmoing deposoit pour l'avoir veu de ses yeulx, Montaigne, IV, 183. Collatinus se deposa luy mesme voluntairement du consulat, Amyot, Publ. 12. Il voulut que le temple de Saturne fust le tresor publique, auquel on deposeroit tout l'argent qui se leveroit sur le peuple, Amyot, Publ. 22. Il produisit au conseil quelques esclaves, lesquelz deposerent qu'Alcibiades et autres siens familiers avoient ainsi mutilé quelques autres images, Amyot, Alc. 33. Qu'il falloit que la promesse de la vie ou autre chose lui eussent faict deposer contre la verité, D'Aubigné, Hist. I, 180.

ÉTYMOLOGIE

Dé… préfixe, et poser ; provenç. depausar ; espagn. deposar. Voy. POSER pour la confusion des radicaux entre poser (pauser), et le latin positum.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

DÉPOSER. Ajoutez :
12 Fig. Déposer son cœur, confier tous ses sentiments. Enfin j'ai déposé mon cœur à M. d'Uzès, Sévigné, 6 avr. 1672.

REMARQUE

Ajoutez : En résultat de la discussion qui établit qu'on dit déposer un témoignage, mais qu'on ne peut pas dire déposer un fait (il faut déposer d'un fait), ce vers de Florian est incorrect : Mille témoins pour un déposent l'attentat, Fabl. V, 19.