« dérober », définition dans le dictionnaire Littré

dérober

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dérober

(dé-ro-bé) v. a.
  • 1Enlever par larcin, prendre furtivement ce qui appartient à autrui. On m'a dérobé mon argent, Molière, l'Av. IV, 7. L'impossibilité de subsister jusqu'au temps de leurs récoltes les força de descendre dans la plaine pour y dérober des vivres, Raynal, Hist. phil. XIV, 26.

    Familièrement. S'il a du bien, il ne l'a pas dérobé, il l'a bien gagné.

    Absolument. Vous ne déroberez point, et nul ne trompera son prochain, Sacy, Bible, Lévit. XIX, 11.

    Terme de fauconnerie. Un faucon dérobe les sonnettes, quand il s'en va sans être congédié.

    Fig. Dérober à quelqu'un la gloire qui lui est due. Et je n'ai jamais su dérober mes succès, Corneille, Sertor. V, 7. Jamais on ne m'a vu dérober la victoire, Racine, Alex. IV, 2.

    Dérober se dit d'un auteur qui s'approprie des pensées, des expressions, des passages d'un autre auteur. C'est un plagiaire ; ce que vous louez, il l'a dérobé.

  • 2Prendre par surprise ou par adresse. Dérober un baiser. Faut-il que je dérobe avec mille détours Un bonheur [de voir Junie] que vos yeux m'accordaient tous les jours ? Racine, Brit. II, 6. Chaque fois que je suis tenté de vous dérober la moindre caresse, Rousseau, Hél. I, 10.

    Poétiquement. Vous avez donc perdu ces puissantes merveilles Qui dérobaient les cœurs et charmaient les oreilles, Mairet, Sophon. V, 9.

  • 3Avec un complément direct de personne. Dépouiller quelqu'un par larcin. Ce domestique dérobe ses maîtres. Pour aller ainsi vêtu il faut que vous me dérobiez, Molière, l'Av. I, 5.

    Fig. Nos aïeux ont pensé presque tout ce qu'on pense ; Leurs écrits sont des vols qu'ils nous ont faits d'avance ; Mais le remè de est simple, il faut faire comme eux : Ils nous ont dérobés, dérobons nos neveux, Piron, Métrom. III, 7.

  • 4Faire perdre. Chaqueinstant nous dérobe une partie de nous-mêmes. Il ne cessait de se plaindre de sa destinée qui lui dérobait la victoire, Vaugelas, Q. C. liv. III, dans RICHELET.
  • 5Dérober quelques moments à ses affaires, prendre sur ses occupations des moments que l'on consacre à autre chose. Quoi ! pour vous confier la douleur qui m'accable, à peine je dérobe un moment favorable, Racine, Brit. II, 6.
  • 6Soustraire à, enlever à, préserver de. À ses premiers transports dérobe ta présence, Corneille, Cid, III, 1. Je ne t'ai pas voulu dérober ta victime, Corneille, ib. III, 4. Son trépas dérobait sa tête à ma poursuite, Corneille, ib. IV, 5. Dérobe au moins ta tête à ce pressant danger, Corneille, Cinna, I, 4. Et sa tête qu'à peine il a pu dérober, Corneille, Pomp. I, 1. Cet homme périt sur mer avec ses enfants et sa femme en voulant dérober leur vie aux persécutions, Molière, l'Av. V, 5. Il fut dérobé à la fureur de son aïeule, Bossuet, Hist. I, 6. Josabeth, fille du roi, prit Joas, fils d'Ochozias, et le déroba du milieu des autres enfants du roi, lorsqu'on les massacrait, Sacy, Bible, Paralip. II, 22, 11. Ma funeste amitié pèse à tous mes amis ; Chacun à ce fardeau veut dérober sa tête, Racine, Mithr. III, 1. Quels empressements Vous dérobent sitôt à nos embrassements ? Racine, Iphig. II, 2. Les petites affaires vous déroberaient aux grandes, Fénelon, Tél. XXIII. Bientôt la mort va me dérober au présent qui m'attriste et à l'avenir qui m'effraye, Maintenon, Lettre au card. de Noailles, 31 déc. 1711. Et je reprends ma gloire et ma félicité En dérobant mon sang à l'infidélité, Voltaire, Zaïre, II, 3. À dérober vos jours au fer des assassins, Voltaire, Triumv. III, 2. Je dérobai une victime à mes ennemis, Montesquieu, Lett. pers. 8. Je prie le ciel qu'il te dérobe à tous les dangers, Montesquieu, ib.
  • 7Cacher à la vue, aux regards, à la connaissance. Un mur lui dérobait la vue de la campagne. Faut-il qu'à vos yeux seuls un nuage odieux Dérobe sa vertu qui brille à tous les yeux ? Racine, Phèd. V, 3. Peut-on de nos malheurs leur dérober l'histoire ? Racine, Athal. II, 7. Une noire tempête déroba le ciel à nos yeux, Fénelon, Tél. I. Pour dérober aux amants de Pénélope le retour de Télémaque, Fénelon, ib. IX. Un tourbillon de flamme le déroba presque à ma vue, Fénelon, ib. X. Mes larmes malgré moi me dérobent sa vue, Voltaire, Zaïre, II, 2. Mars entra dans la mêlée, une poussière épaisse commença à le dérober, Montesquieu, Gnide, 1. Ô crime ! ô honte ! ô cruel souvenir ! Fatal voyage ! aux yeux de l'avenir Que ne peut-on en dérober l'histoire ! Gresset, Vert-Vert, ch. II.

    Terme d'art militaire. Dérober une marche, une étape, la faire à l'insu de l'ennemi. Il est piqué au vif de l'habileté du maréchal de Villars, qui lui a dérobé une marche, Maintenon, Lettre à Mme de Glapion, 31 juillet 1712.

    Terme de chasse. Un chien dérobe la voie, quand il chasse sans crier, étant à la tête de la meute.

    Terme de marine. Cette voile, cette côte dérobe le vent, l'intercepte. Un vaisseau dérobe le vent à un autre, quand il passe trop près de lui du côté du vent.

  • 8Ôter l'enveloppe de certaines graines. Dérober des fèves.
  • 9Se dérober, v. réfl. Disparaître, se soustraire. Se dérober à tous les yeux, aux recherches. Non pour me dérober aux rigueurs du supplice, Corneille, Poly. IV, 1. Dérobons-nous, mon frère, à ces âmes cruelles, Et laissons-les sans nous achever leurs querelles, Corneille, Rodogune, III, 5. Quiconque se dérobe à l'humble obéissance Bannit ma grâce en même temps, Corneille, Imit. III, 13. Je me suis dérobée au bal pour l'amour d'eux, Molière, Éc. des maris, III, 9. Le docteur… Se dérobe à sa furie, La Fontaine, Contr. Je me dérobe à cet embarras, Sévigné, 367. On la vit souvent se dérober à sa dignité, Fléchier, Mar. Thér. Je l'ai vu dans leurs bras quelque temps se débattre, Tout sanglant à leurs coups vouloir se dérober, Racine, Andr. V, 3. Fidèle à sa douleur et dans l'ombre enfermée, Elle se dérobait même à sa renommée, Racine, Brit. II, 2. Souffrez que, de vos cœurs rapprochant les liens, Je me cache à vos yeux et me dérobe aux siens, Racine, ib. III, 8. Elle se donne au public avec autant d'empressement qu'elle s'y dérobait, Maintenon, Lettre à d'Aubigné, 25 juin 1684. Pour se dérober à la fureur des persécutions, Massillon, Car. Temples. À la proscription peu se sont dérobés, Voltaire, Triumv. I, 4. Quoi ! vous voulez vous dérober à moi ? Voltaire, Nan. II, 3.
  • 10Se dérober de, quitter. Je me dérobai de mes camarades qui ne s'y attendaient pas, Scarron, Rom. com. II, ch. 14. Il vous dira… que, durant qu'il dormait, je me suis dérobée d'auprès de lui, Molière, G. Dand. III, 12. …cet homme se dérobe D'avec sa femme, La Fontaine, Serv. Télémaque se dérobe du camp pendant la nuit, Fénelon, Tél. XVIII.

    Absolument. M. de Charost se déroba et vint avertir mon grand-père, Saint-Simon, 10, 118. Me puis-je avec honneur dérober [enfuir] avec vous, Racine, Phèd. V, 1.

    Fig. Ma plainte se dérobe et m'échappe du cœur, Régnier, Élég. V.

  • 11Se cacher. Le chevreuil est plus adroit à se dérober, plus difficile à suivre que le cerf, Buffon, Chevreuil.

    Être caché. Quels rapports moraux, politiques ou religieux se sont dérobés à Pascal ? Chateaubriand, Génie, III, II, 6.

  • 12Manquer, faire défaut. La mer agitée semblait se dérober sous le navire, Fénelon, Tél. IV.

    Fléchir, manquer, en parlant des genoux. Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi, Racine, Phèdre, I, 3. Mes genoux se dérobaient sous moi, Fénelon, Tél. IV. Ses genoux commençaient à se dérober sous lui, Fénelon, ib. XX.

  • 13 Terme de manége. Ce cheval se dérobe de dessous l'homme, se dit d'un cheval qui, tout à coup et par un mouvement irrégulier, s'échappe de dessous l'homme qui le monte.

    PROVERBE

    Est bien larron qui larron dérobe.

SYNONYME

DÉROBER, VOLER. Dérober, c'est priver de ce qui s'appelait autrefois robes, désignant tout ce qui composait l'équipement et l'approvisionnement d'un homme. Voler, c'est prendre par fraude ou par violence un bien quelconque appartenant à autrui. Voler est donc plus général. Un marchand qui trompe sur le poids, vole sa pratique, mais ne la dérobe pas. De plus, dérober, c'est prendre en cachette et sans violence quelque chose de matériel ou que l'on considère comme tel ; c'est pour cela que à la dérobée veut toujours dire en cachette, sans être aperçu. Qui dérobe vole ; mais celui qui vole à force ouverte ne dérobe pas.

HISTORIQUE

XIIIe s. Que de son pucelage l'eüssiez desrobée, Berte, CXV. Et quant illec se voit cheüe, Sa chiere et son habit remue, Et si se desnue et desrobe, Qu'ele est orfenine de robe, la Rose, 6175. Le sire du Chastel estoit criez [accusé par le cri public] de desrober les pelerins et les marchans, Joinville, 210.

XIVe s. Et trestoute la ville au baron s'acorda ; Et il lor rendi ce que on leur desroba, Baud. de Seb. IX, 876.

XVe s. Un de ses gens avoit desrobé en une eglise le tabernacle. - Comment avez vous osé rober cette eglise ? Louis XI, Nouv. V.

XVIe s. Frere Jean de la main se pend aux branches, cependant que le cheval se desrobe dessoubz luy, Rabelais, Garg. I, 42. Sa femme, le voyant pensif, cuydoyt qu'on l'eust au marché desrobbé, Rabelais, Pant. IV, 47. Les pillars desrobboyent grain et pain par les champz, Rabelais, ib. IV, 61. La crainte, le desir, l'esperance nous desrobent le sentiment de ce qui est, Montaigne, I, 12. De nuict et comme à la desrobée, Montaigne, I, 39. Victoire desrobée [obtenue par surprise], Montaigne, I, 29. Tout ce que vous vivez, vous le desrobez à la vie, c'est à ses despens, Montaigne, I, 85. Desrobbons icy la place d'un conte, Montaigne, I, 110. Je me desrobois de tout aultre plaisir pour les lire, Montaigne, I, 196. Un simple garsonnet de Lacedemone ayant desrobé un regnart, Montaigne, I, 306. Je feus contrainct, par sa cruauté, de me desrobber de luy et de m'en fuyr, Montaigne, II, 193. En se desrobbant tout à faict du sentiment [par la mort], Montaigne, II, 301. Une jouissance desrobbée [secrète], Montaigne, III, 351. Les vices, quand ils se desrobberont à la vue de l'humaine justice, Montaigne, II, 304. Si j'ay volé ou desrobbé quelqu'un, Montaigne, III, 245. Desrobber ung larron [voler un voleur], Despériers, Cymbal. 78. Nous avons desrobé le prince et patron des robeurs, Despériers, ib. 89. Nature reluit aux bastards et enfants desrobés [faits à la dérobée], Yver, p. 602. Les Toscans s'effroyerent tellement, que la plus part se desroba du camp et s'escarta çà et là, Amyot, Publ. 16. Le chargeant d'avoir soubstraict et desrobbé partie du butin de la Thoscane, Amyot, Cam. 20. Tous ceulx qui avoient manié les finances de la chose publique avoient grandement pillé et desrobbé le public, Amyot, Arist. 10. Il les envoya par petites trouppes et à la desrobbée, Amyot, Timol. 18.

ÉTYMOLOGIE

Dé… préfixe, et le vieux français rober, enlever par vol (voy. ROBE) ; wallon, derôber ; picard, rauber, prendre, ravir. Robe a signifié ce qui équipe et approvisionne, et aussi la robe, le vêtement que l'on porte ; de là le sens de dérober des fèves, leur enlever leur robe, leur enveloppe.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

DÉROBER. Ajoutez :
14 Terme de turf. Un cheval se dérobe, quand il s'écarte de la piste.