« détourner », définition dans le dictionnaire Littré

détourner

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

détourner

(dé-tour-né) v. a.
  • 1Faire prendre une autre direction. Détourner quelqu'un de son chemin. Détourner un coup.

    Fig. Détourner les soupçons. Détourner sa pensée d'un objet désagréable. Ce zèle sur mon sang détourna votre perte, Corneille, Héracl. II, 6. Mais toi, par quelle erreur veux-tu toujours sur toi Détourner un courroux qui ne cherche que moi ? Racine, Androm. III, 1. C'était une cérémonie commune et généralement observée dans tous les sacrifices d'imposer les mains sur la tête de la victime, de la charger d'imprécations et de prier les dieux de détourner sur elle tous les malheurs dont les êgyptiens pouvaient être menacés, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. I, p. 69, dans POUGENS. Quelle perte, sire, comme l'observe très bien votre majesté, quand nous aurons le malheur de la faire ! j'en détourne ma pensée, D'Alembert, Lett. au roi de Prusse, 23 févr. 1776.

    Absolument. Détourner, faire tourner les soupçons d'un autre côté, faire perdre la piste. Détournez, détournez ; ses questions nous embarrassent. Antonio : Il n'y a que moi qui prends soin de votre jardin ; il y tombe un homme, et vous sentez que ma réputation en est effleurée. - Suzanne à Figaro : Détourne, détourne. - Figaro : Tu boiras donc toujours, Beaumarchais, Mar. de Fig. II, 21.

  • 2Changer le cours. Tel qu'un ruisseau docile Obéit à la main qui détourne son cours, Racine, Esth. II, 9. Platon est celui de tous qui a le plus imité Homère ; car il a puisé dans ce poëte comme dans une vive source dont il a détourné un nombre infini de ruisseaux, Boileau, Longin, 11. Pour faciliter la construction de la plupart des ouvrages, il avait fallu détourner le cours de la rivière, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. II, p. 29, dans POUGENS. Les divers gisements des îles, leur forme sphérique ou angulaire présentent à ces effroyables torrents d'air [les ouragans] des surfaces plus ou moins obliques qui détournent le courant, Raynal, Hist. phil. X, 5.
  • 3 Terme de chasse. Détourner un cerf, un sanglier, c'est tourner autour de l'endroit où la bête est entrée et s'assurer qu'elle n'en est pas sortie, pour la courre ensuite. Comme on envoie un piqueur détourner un cerf avant qu'on aille au rendez-vous de chasse, Voltaire, Lett. d'Argental, nov. 1759.

    Découvrir, par le moyen du limier, le lieu où le cerf a sa reposée et en marquer l'enceinte pour se reconnaître.

  • 4Tourner d'un autre côté. Détourner son visage. Il détourna la tête pour ne pas me voir. N'a-t-il point détourné ses yeux vers le palais ? Racine, Andr. V, 3. Mais quoi, sans me répondre, Vous détournez les yeux et semblez vous confondre, Racine, Bérén. II, 4. Et toujours détournant ma vue avec horreur, Racine, Iphig. II, 1. Un bruit confus s'élève et du peuple surpris Détourne tout à coup les yeux et les esprits, Racine, Athal. II, 2. Jusqu'à quand, seigneur, m'oublierez-vous ? sera-ce pour toujours ? jusqu'à quand détournerez-vous de moi votre face ? Sacy, Bible, Psaume XII, 1. Levez le bras, frappez ; je détourne les yeux, Voltaire, M. de Cés. III, 2.

    Fig. Détourner les oreilles, ne pas écouter. Détourne, roi puissant, détourne tes oreilles De tout conseil barbare et mensonger, Racine, Esth. III, 3.

    Fig. Détourner les yeux, ne pas donner attention. J'ai vaincu ses mépris ; j'ai détourné ma vue Des malheurs qui dès lors me furent annoncés, Racine, Brit. IV, 2. Il faut détourner les yeux de ces temps sauvages qui sont la honte de la nature, Voltaire, Mœurs, Avant-propos. Ne détournez point vos yeux de dessus eux, après que vous les aurez renvoyés libres, puisqu'ils vous ont servi pendant six ans, Sacy, Bible, Deutéron. XV, 18.

  • 5Tourner en sens contraire. Détourner une corde, une manivelle.
  • 6Écarter de manière à préserver. Détourner un fléau. Il est en ma puissance De détourner le coup qui si fort vous offense, Molière, l'Étourdi, I, 10. J'ai détourné le coup et tant fait que par crainte Le pauvre Trufaldin…, Molière, ib. I, 11. Hé bien, aimez Porus, sans détourner sa perte, Racine, Alex. V, 2. Je reconnus Vénus et ses feux redoutables ; Par des vœux assidus je crus les détourner, Racine, Phèd. I, 3. De tant de maux, Abner, détournons la menace, Racine, Athal. V, 2. Dieu, détourne de moi ces noirs pressentiments, Voltaire, Zaïre, V, 3. Ciel, détourne les coups que ce moment prépare, Voltaire, Alz. III, 5.
  • 7Donner une autre destination. Détourner des fonds de leur emploi. Tout ce que je faisais pour Thérèse était détourné par sa mère en faveur des affamés, Rousseau, Confess. VII.
  • 8Soustraire frauduleusement. Détourner des fonds, des papiers. Comme on eut à dessein détourné une coupe d'or en ce festin, Vaugelas, Q. C. 529. Ces personnes avaient détourné cet argent pour l'employer contre l'État, Pascal, Prov. 15. Les principaux citoyens détournaient à leur profit les revenus publics, Montesquieu, Espr. VIII, 14.

    Par extension. Au bout de quelques jours il détourne l'enfant Du perfide voisin, puis à souper convie Le père qui s'excuse et lui dit en pleurant : …J'aimais un fils plus que ma vie… On me l'a dérobé…, La Fontaine, Fabl. IX, 1.

    Détourner un mineur, une mineure, en faire le détournement.

  • 9Écarter quelqu'un de sa voie, de ses intentions, de ses projets, par des discours, par des conseils, par des influences morales. Détourner quelqu'un de son devoir. Détourner du mal. Il s'imaginait qu'il serait aisé de le détourner d'un si terrible dessein, Vaugelas, Q. C. liv. X, dans RICHELET. Que la considération des misères présentes et celle des misères futures vous détournent de l'impureté, Maucroix, Homél. 14, dans RICHELET. L'un [des reproches] que l'amiral [de Coligny] a su le crime [l'assassinat du duc de Guise], l'autre qu'il n'a voulu ni détourner ni découvrir le criminel, Bossuet, Var. Déf. 1er disc. § 35. Ses femmes à toute heure autour d'elle empressées Sauront la détourner de ces tristes pensées, Racine, Bérén. IV, 6. Mais quoi ! cet intérêt et si juste et si tendre De tout autre intérêt peut-il vous détourner ? Voltaire, Mérope, I, 1.

    Détourner le dessein de quelqu'un, en détourner quelqu'un. Non, ma mère… ni mes sœurs… Ne détourneraient pas le dessein que j'ai pris, Rotrou, Antig. I, 6. Croyez-vous pouvoir venir à bout de détourner ce fâcheux mariage que mon père s'est mis en tête ? Molière, Pourc. I, 3. Pourquoi détournais-tu mon funeste dessein ? Racine, Phèd. III, 1.

  • 10Déranger. Vous êtes occupé, je crains de vous détourner de votre travail. Le roi était mécontent des fréquents voyages de Barbezieux à Paris, où les plaisirs le détournaient, Saint-Simon, 5, 68.
  • 11Détorquer. Détourner le sens d'un passage, d'une loi. Embarras que vous essayez d'éluder en détournant la question, Pascal, Prov. 12. C'est ainsi qu'il [Josèphe] détournait l'Écriture sainte pour autoriser sa flatterie, Bossuet, Hist. II, 10. Nous contredirions même les intentions du Sauveur, en détournant le sens et l'esprit de cette histoire et détruisant tout le fruit qu'il se propose d'en tirer, Massillon, Car. Mauv. riche.
  • 12 V. n. Tourner. Vous n'avez qu'à suivre cette route, messieurs, et détourner à main droite, vous serez au bout de la forêt, Molière, Fest. III, 2.
  • 13Se détourner, v. réfl. Sortir de son chemin. Au lieu de se détourner de son chemin pour l'éviter, Pascal, Prov. 11. Israël s'est détourné du seigneur comme une génisse qui ne peut souffrir le joug, Sacy, Bible, Osée, IV, 16. C'est le chemin, je crois, pour aller en Provence. - Eh mais, quand il faudrait se détourner un peu, Cent milles de chemin ne sont pour moi qu'un jeu, Collin D'Harleville, Chât. en Esp. II, 4.

    Se tourner d'un autre côté. Le cardinal de Bouillon n'est pas connaissable [pour le chagrin de la mort de Turenne], il jeta les yeux sur moi, et, craignant de pleurer, il se détourna, Sévigné, 202. Ses yeux comme effrayés n'osaient se détourner, Racine, Athal. II, 2. …Non, demeurez, ne vous détournez pas, De vos regards du moins honorez mon trépas, Voltaire, Scythes, III, 2.

    Être écarté, en parlant d'un coup, d'un mal, etc. Que votre colère et votre fureur se détournent de votre cité de Jérusalem et de votre montagne sainte, Sacy, Bible, Daniel, IX, 16.

    Fig. Perdre les attaches, les sentiments qu'on avait. Un homme qui ne se détourna jamais de ses devoirs, Fléchier, M. de Mont. Si ton cœur encore D'un père infortuné ne s'est pas détourné, Voltaire, Tancr. IV, 6.

HISTORIQUE

XIe s. Ferir l'en volt, se [il] n'en fust desturnet, Ch. de Rol. XXXII. Ceste bataille nen ert [sera] mais destornée, ib. CCLX.

XIIe s. La meie generaciuns toleite est [est enlevée], e desturnede est de mei, Liber psalm. p. 233. Bele dame me prie de chanter… Je ne m'en sai ne m'en puis destorner, Couci, X. Coment, fait dunc li quens, puet estre deturné, Quant vus li devez fei, humage et ligeé ? De lui tenez grans fius e honurs en barné, Th. le mart. 45. Pur poi Randulf de Broc n'out le vaslet tué ; Mais il nel pout trover ; car Deux l'a desturné, ib. 124. De part li rei li unt icel respit duné ; Dient : li reis voldra l'endemain par verté Ses acuntes oïr, n'iert pur rien desturné ; Il i ira, ço dit, e il s'en sunt turné, ib. 35. Li rois en volt aveir la lei de la cuntrée, Mais l'arcevesques ad cele lei desturnée, ib. 26. Mais se il volsist traire la gent chaperunée, Mult peüst aveir bien sa mort dunc eschivée : Car en icele iglise ad mainte desturnée [détour] ; De sun gré suffri mort en la maisun sacrée, ib. 153.

XIIIe s. Vo fille sera arse [brûlée], jà n'en ert [sera] destornée, Berte, XVI. [Que Dieu] Destourt mon corps de honte, que [je] ne soie mal mise, ib. XXX. Mes l'autrier oi [j'eus] la jambe quasse ; En un broion [piége] par mescheance, Là m'avient ceste mesestance : Onques ne me poi destorner, Ren. 7323. Et s'il se destornent qu'il ne puissent estre pris, li destorné doivent estre contraint par gardes et par apiax, et mener dusques au banissement, Beaumanoir, LX, 12. Et se li deteres [débiteur] se destorne, si que li creanciers ne pot demander se [sa] dete…, Beaumanoir, LV, 35.

XIVe s. Cy devise la maniere comme on doit destourner le cerf, Modus, f° X.

XVe s. Et monta à cheval et s'en vint sur les rues ; et destourna ce jour à faire cruauté et plusieurs horribles faits qui eussent esté faits, si il ne fust allé au devant, Froissart, I, I, 272. Ceux qui l'aimoient le prierent pour Dieu que il ne le fist, car trop y sont les lieux divers et destournés, Bouciq. II, ch. 20.

XVIe s. Ces considerations ne destournent pas un homme d'entendement de suyvre…, Montaigne, I, 120. Cela les destourne de meilleures occupations, Montaigne, I, 181. Ils se destournent de leur voye un quart de lieue pour courir après un beau mot, Montaigne, I, 91. Destourner la face pour ne veoir le coup, Montaigne, II, 364. Une interpretation destournée, contraincte et biaise, Montaigne, IV, 239. Femme qui recele ou detourne n'est plus recevable à renoncer, ains est reputée commune, Loysel, 397. Le peuple alloit souvent forceant ou destournant les propositions du senat, en y ostant ou adjouxtant quelque chose, Amyot, Lyc. 10. Numa distribua des terres aux pauvres, pour destourner le peuple au labourage, Amyot, Numa, 28. Quant à ses biens, ses amis en detournerent et sauverent une bonne partie, qu'ils luy envoyerent en Asie, Amyot, Thém. 48. Le peuple se meit après l'eau du lac pour la destourner, Amyot, Cam. 9. On le chargea d'avoir destourné des toiles et des pents de retz à chasser, Amyot, Pomp. 7. Quand Antigonus fut à l'endroit d'une ruelle par où il fault destourner pour monter contre-mont au chasteau, Amyot, Aratus, 20. L'argent vif par sa ponderosité destourne [détord] l'intestin qui estoit entors et replié, Paré, XV, 65 bis.

ÉTYMOLOGIE

Dé… préfixe, et tourner ; bourguig. detonai.