« dispenser », définition dans le dictionnaire Littré

dispenser

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

dispenser

(di-span-sé) v. a.
  • 1Départir, distribuer. Et qu'à bien dispenser les choses, Il faut mêler, pour un guerrier, à peu de myrte et peu de roses, Force palme et force lauriers, Malherbe, IV, 5. L'autorité de l'homme est de peu d'importance, Et passe en un moment ; Mais cette vérité que le ciel nous dispense Dure éternellement, Corneille, Imit. I, 5. Les siens qu'il agrandit, les grâces qu'il dispense, Rotrou, Vencesl. I, 6. Au point que la nuit semble effacer les couleurs, Dispense le sommeil et charme les douleurs, Brébeuf, Phars. II. Il est besoin d'une grande sagesse pour dispenser la connaissance de la vérité, Arnauld, Fréquente communion, Préface. Quant à son temps, bien sut le dispenser : Deux parts en fit, dont il soulait passer L'une à dormir et l'autre à ne rien faire, La Fontaine, Son épitaphe faite par lui-même. Qui dispense la réputation ? Pascal, dans COUSIN. La sagesse qui dispense les grâces, Bossuet, le Tellier. Dieu qui dispense les maux selon les forces, Fléchier, Aiguillon. Il leur dispense avec mesure Et la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits, Racine, Athal. I, 4. Elle dispensa de grandes louanges à l'éducation qu'on donnait à Saint-Cyr, Maintenon, Lett. à Mme de Cayius, 18 nov. 1716. Gouverner les celliers et dispenser le vin, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. VII, p. 258, dans POUGENS. Il [le soleil] dispense les jours, les saisons et les ans à des mondes divers autour de lui flottants, Voltaire, Henr. VI.
  • 2 Terme de pharmacie. Préparer. Vieux en ce sens. Dispenser la thériaque. Les statuts des épiciers portent que les aspirants à la maîtrise dispenseront leurs chefs-d'œuvre en présence de tous les maîtres, Furetière.
  • 3Au sens positif, qui dérive directement du sens de distribuer, mais qui a vieilli. Dispenser à, autoriser, permettre de faire quelque chose qui est défendu. Quoi ! s'il aimait ailleurs, serais-je dispensée à suivre à son exemple une ardeur insensée ? Corneille, Poly. III, 2.
  • 4Au sens négatif qui est seul usité aujourd'hui. Dispenser de, permettre à quelqu'un de ne pas faire quelque chose qui est ordonné. Dispenser du jeûne. Dispenser de faire maigre. Le grand âge dispense d'aller à la guerre. Seigneur, c'est me ranger plus que vous ne pensez Sous ces austères lois dont vous me dispensez, Racine, Phèd. II, 2.

    Fig. Et le soin de sa gloire à présent la dispense De se porter pour vous à cette violence, Corneille, Nicom. IV, 5. Dispense ma valeur d'un combat inégal, Corneille, Cid, II, 2. Il [Pilate] se contente de demander qu'on le délivre, ou qu'on le dispense de le condamner [Jésus-Christ], Massillon, Car. Pass. Il en était de ces dîners comme de beaucoup d'autres où la société, jouissant d'ellemême, dispense l'hôte d'être aimable, pourvu qu'il la dispense de s'occuper de lui, Marmontel, Mém. X. Votre bras, votre gloire ont combattu pour vous, Et dispensent d'aïeux un guerrier comme vous, Ducis, Othello, I, 7.

    Absolument. L'occasion convie, aide, engage, dispense, Corneille, Suite du Menteur, III, 5.

  • 5Dispenser, sans régime indirect, absoudre ou relever d'une faute commise. Le pape seul peut dispenser en cas de simonie. Il faut qu'on soit dispensé pour obtenir deux bénéfices.
  • 6Il se dit en termes de civilité à l'impératif, pour demander la permission de ne pas faire quelque acte de politesse. Dispensez-moi de vous reconduire. Dispensez-moi de vous aller voir si souvent. Il faut que tes conseils m'aident à repousser… Madame, au nom des dieux, veuillez m'en dispenser, Corneille, Rodog. III, 1. Adieu, dispensez-moi de parler là-dessus, Corneille, Sertor. IV, 3.

    Il se dit, aux autres modes, pour décharger, d'une façon polie, du soin de faire, de dire. Je l'ai dispensé de m'accompagner. Je vous dispense d'en dire davantage.

  • 7Se dispenser, v. réfl. Être départi. Les honneurs se dispensent quelquefois au hasard.
  • 8Se dispenser à, prendre la permission de faire. Quand je me dispensais à lui mal obéir, Corneille, Rodog. I, 5. Ma curiosité pour ce demi-quart d'heure S'osera dispenser…, Corneille, Mél. III, 6. Et c'est aussi pourquoi ma bouche se dispense à vous ouvrir mon cœur avec plus d'assurance, Molière, Dép. am. II, 1. Je finis, mon très cher monsieur, en vous demandant pardon de ma longueur, mais surtout de ce que je me dispense si familièrement à m'écarter de mon sujet avec vous, qui avez l'esprit si juste et si délicat, Bayle, Lett. à Minutoli, 31 janv. 1673.

    On a dit, dans le même sens, se dispenser de. On passe aisément d'un degré à l'autre ; ce qui s'est fait par une nécessité invincible, on prend droit, on se dispense de le faire sans nécessité, Patru, Plaid. 6.

    Se dispenser avec à ou de, en ce sens, a vieilli.

  • 9S'exempter de, prendre la permission de ne pas faire. Il s'est dispensé d'aller à son bureau. C'étaient des superstitions respectables par leur ancienneté, autorisées par les lois de l'Empire et par le consentement de presque tous les peuples, dont il fallait se dispenser, Massillon, Car. Immut. de la loi.

    S'excuser de faire, s'abstenir. Comme assez près des murs il avait son escorte, Je me suis dispensé de le mettre plus loin, Corneille, Sertor. IV, 3. Dans les visites qui sont faites Le renard se dispense et se tient clos et coi, La Fontaine, Fabl. III, 3.

REMARQUE

On notera dispenser à, se dispenser à, dans Corneille et dans Molière. Dispenser à, c'est permettre de ; dispenser de, c'est exempter de. Au reste, dispenser à a vieilli, et la signification s'en est obscurcie.

HISTORIQUE

XIIIe s. Puisque li mariages fu malvès el commencement, il ne pot jamés estre bons, se toute le [la] verité du meffet n'est contée en sainte Eglise, et que li apostoles [le pape] ne voille sor ce dispenser, Beaumanoir, LVII, 11.

XVe s. Le roi qui s'escript de Portingal et qui n'a nul droit à la couronne, car il est bastard non dispensé, Froissart, II, III, 19.

XVIe s. Il dispensoyt son temps en telle faczon que il s'esveilloyt entre huit et neuf heures, Rabelais, Gar. I, 21. Puis que voulez que je poursuive, o sire, L'œuvre royal du Pseautier commencé : … D'y besongner me tiens pour dispensé [autorisé], Marot, IV, 206. Par les anges il dispense ses benefices envers les hommes, et fait ses autres œuvres, Calvin, Instit. 108. Au reste la pluspart se dispense [permet] de faire la collation morselloire, comme ils disent, Calvin, ib. 1001. Il faut se soubmettre du tout à l'auctorité ou du tout s'en dispenser, Montaigne, I, 204. Mal dispenser son loisir, Montaigne, I, 289. Il y en a qui conseillent de se dispenser quelques fois à boire d'autant, pour relascher l'ame, Montaigne, II, 14. Les voylà à dispenser [disposer] leurs engins, Montaigne, III, 120. Ils ne jouirent point du privilege de l'aage, qui les dispensoit d'aller à la guerre, Amyot, Marcell. 1. Que le pape ne pouvoit dispenser [excuser, donner dispense] une femme d'avoir espousé les deux freres, Du Bellay, M. 158. De peur que, se voulant dispenser [permettre] de tailler ces arbres hors saison, cela ne les fist perir, De Serres, 810. De dispenser [permettre] la mere de famille de se lever tard, ordinairement, ne se peut, De Serres, 819.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. dispensar, despensar ; espagn. dispensar ; ital. dispensare ; du latin dispensare, de dis… préfixe, et pensare, distribuer, peser (voy. PENSER). Le sens primitif est répartir, distribuer ; puis on passe au sens de accorder permission, ce qui est une répartition, distribution ; là le sens se partage, et dispenser veut dire tantôt permettre de ne pas faire (par exemple dispenser de jeûner), tantôt permettre de faire.