« dormir », définition dans le dictionnaire Littré

dormir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

dormir

(dor-mir), je dors, tu dors, il dort, nous dormons, vous dormez, ils dorment ; je dormais ; je dormis ; je dormirai ; je dormirais ; dors, qu'il dorme, dormons ; que je dorme, que nous dormions ; que je dormisse ; dormant v. n.
  • 1Reposer dans le sommeil. Il dort profondément. Le malade va mieux, il a dormi d'un bon somme. Il dormait quelquefois dans le jour. Pourras-tu dans son lit dormir en assurance ? Corneille, Nicom. V, 1. Trop dormir fait mal à la tête, Et trop dormir c'est vivre en bête, Scarron, Virg. trav. VII. Guillot, le vrai Guillot, étendu sur l'herbette, Dormait alors profondément, La Fontaine, Fabl. III, 3. Cette réflexion embarrassant notre homme, On ne dort pas, dit-il, quand on a tant d'esprit, La Fontaine, ib. IX, 4. T'attendre aux yeux d'autrui, quand tu dors, c'est erreur, La Fontaine, ib. XI, 3. Je ne dormirai point sous de riches lambris ; Mais voit-on que le somme en perde de son prix ? La Fontaine, ib. XI, 4. Ce n'est qu'à prix d'argent qu'on dort en cette ville, Boileau, Sat. VI. C'est là que le prélat, muni d'un déjeuné, Dormait d'un léger somme, attendant le dîné, Boileau, Lutr. I. Mais tout dort et l'armée et les vents et Neptune, Racine, Iphig. I, 1. La vie est un sommeil ; les vieillards… ont eu un songe confus, informe et sans aucune suite ; ils sentent néanmoins, comme ceux qui s'éveillent, qu'ils ont dormi longtemps, La Bruyère, XI. Tout dort, tout est tranquille ; et l'ombre de la nuit…, Voltaire, Zaïre, V, 8. La nuit finissait, il était quatre heures, tout dormait encore dans les bivouacs de Delzons, hors quelques sentinelles, quand tout à coup…, Ségur, Hist. de Napol. IX, 2.

    Dormir à bâtons rompus, être réveillé, se réveiller plusieurs fois sans pouvoir faire un somme continu.

    Dormir comme un loir, dormir beaucoup, profondément, à cause que le loir est un animal hibernant, qui dort plusieurs mois de suite pendant l'hiver. On dit de même, dormir comme une marmotte.

    Dormir comme une souche, être profondément endormi.

    Dormir tout debout, ou, simplement, dormir debout, n'en pouvoir plus de sommeil, être accablé par le sommeil, au point de s'assoupir sans être couché ou assis.

    Conte à dormir debout, propos fabuleux qui ne méritent aucune créance. Voilà ce qui s'appelle des contes à dormir debout, Sévigné, 73. Les contes à dormir debout que l'on vous fait, Sévigné, 256.

    Dormir sur l'une et l'autre oreille, et, plus souvent, sur les deux oreilles, dormir profondément, et, figurément, être plein de sécurité. … Je lui conseille De dormir, s'il se peut, d'un et d'autre côté, La Fontaine, Coupe.

    Dans un sens opposé, ne dormir que d'un œil, être en une vigilance inquiète. Certain jaloux ne dormant que d'un œil, La Fontaine, On ne s'avise....

    Dormir en lièvre, dormir les yeux ouverts, et, figurément, être toujours sur le qui-vive. Cette crainte maudite M'empêche de dormir sinon les yeux ouverts, La Fontaine, Fabl. II, 14.

    Il n'en dort pas, se dit d'un homme qu'une vive espérance, une crainte incessante, une préoccupation assiége constamment.

    Fig. Le feu qui semble éteint souvent dort sous la cendre, Corneille, Rodog. III, 4.

  • 2Dormir se dit aussi de ce qu'on a nommé le sommeil des plantes. Le soir, de nos jardins parcourez les carreaux ; Voyez, ainsi que nous, sur leurs tiges baissées S'assoupir de ces fleurs les têtes affaissées, Et, dormant au lieu même où veilleront leurs sœurs, Du nocturne repos savourer les douceurs, Delille, Trois règnes, VI.
  • 3Dans le langage biblique, dormir avec une femme, passer la nuit avec elle. Sa maîtresse [de Joseph] le prit par son manteau, et lui dit encore : Dormez avec moi, Sacy, Bible, Genèse, XXXIX, 12.
  • 4Dormir construit avec des substantifs et ayant en apparence, mais en apparence seulement, le sens actif. Le malade a dormi plusieurs heures de suite.

    Dormir la grasse matinée (c'est-à-dire dormir pendant la grasse matinée), dormir jusqu'à onze heures ou midi. Vous deviez être au lit toute cette journée, Ou tout du moins dormir la grasse matinée, Poisson, le Fol raisonnable, dans LE ROUX, Dict. comique.

    Dormir sa réfection, dormir autant qu'on en a besoin, c'est-à-dire dormir autant que la réfection l'exige. Le sommeil est nécessaire à l'homme ; et lorsqu'on ne dort pas sa réfection il arrive que…, Molière, Princ. d'Él. Prol.

  • 5Dans le style élevé, il se dit du sommeil de la mort. Elle va descendre à ces sombres lieux, à ces demeures souterraines, pour y dormir dans la poussière avec les grands de la terre, avec ces rois et ces princes anéantis…, Bossuet, Duch. d'Ort. Vous serez vous-même réduit en poudre au milieu des incirconcis, et vous dormirez avec ceux qui ont été passés au fil de l'épée, Sacy, Bible, Ézéchiel, XXXII, 28. Ses vices dormiront avec lui dans la poussière du tombeau, Massillon, Car. Impén. …c'est ici que dorment nos aïeux, Ducis, Abuf. II, 7. J'ai suivi mon époux jusqu'aux tombes sacrées Où dorment des Césars les cendres révérées, Chénier M. J. Tibère, III, 1. Les morts dorment en paix dans le sein de la terre ; Ainsi doivent dormir nos sentiments éteints, Musset, Poésies nouv. Nuit d'octobre.
  • 6 Fig. Être en repos, en sécurité. Nous ne connaissons que notre confiance dans le ministre et le malaise que nous éprouvons : nous ne dormons que parce qu'on dort au pied du Vésuve, Mirabeau, Collection, t. III, p. 232.
  • 7 Fig. Ne point agir quand on devrait le faire. Aux menaces du fourbe on doit ne dormir point, Molière, Tart. V, 3. L'habitude de se laisser voler par ses domestiques, jointe à la vigilance du coupable, à qui son maître ne pouvait reprocher d'avoir dormi dans son service, le portèrent à la clémence, Hamilton, Gramm. 11. Tu dors, Brutus, et Rome est dans les fers, Voltaire, M. de Cés. II, 2. Dans tous les lieux, sans cesse, ouvrant l'œil et l'oreille, En paraissant dormir le gouvernement veille, Ducis, Othello, II, 7.

    En matière féodale, quand le vassal dort, le seigneur veille, ou quand le seigneur dort, le vassal veille, c'est-à-dire quand l'un des deux néglige d'user de ses droits, l'autre en profite.

    Familièrement. Cet homme ne dort pas, se dit d'un homme à l'affût de toutes les circonstances qui lui sont favorables.

    Dormir sur une affaire, la conduire lentement, doucement.

    Laisser dormir un ouvrage d'esprit, attendre pour en mieux juger que l'imagination soit refroidie. Oui je dormais sur un petit volume Qui me vaudra d'être encore étrillé, Béranger, Gohier.

    Laisser dormir une affaire, attendre pour y donner suite.

    Laisser dormir les lois, en suspendre momentanément l'exécution. Sparte elle-même a laissé dormir ses lois, Rousseau, Contr. IV, 6.

    Laisser dormir ses fonds, ses capitaux, ne pas les faire valoir.

    Laisser dormir noblesse, se disait autrefois lorsqu'un gentilhomme, qui voulait faire le commerce, déclarait qu'il n'entendait être commerçant que pendant un certain temps.

  • 8Rester immobile, être sans mouvement, en parlant des choses. Il fait beau pêcher où l'eau dort.

    On dit qu'un sabot, qu'une toupie dorment, quand le mouvement qui les anime est si rapide qu'ils semblent immobiles.

    Fig. Dormir comme un sabot, dormir profondément.

    Terme de marine. On dit que le sablier dort, quand on a oublié de le retourner ; qu'une rose des vents dort, quand elle ne tourne pas, le bâtiment changeant de route. Laisser dormir l'horloge, oublier de la remonter.

  • 9 V. a. Dans le langage élevé et dans cette seule locution, dormir son sommeil. Dormez votre sommeil, riches de la terre, et demeurez dans votre poussière, Bossuet, le Tellier. Tous les riches ont dormi leur sommeil, et, lorsqu'ils se sont éveillés, ils n'ont rien trouvé dans leurs mains, Sacy, Bible, Psaumes, LXXI, 6.

    Par une même figure grammaticale, mais dans le langage familier, dormir un bon somme, avoir un bon sommeil pendant un long espace de temps.

    C'est par analogie de cet emploi que A. de Musset a hasardé dormi au passif : Suis-je pas belle encor ? pour trois nuits mal dormies Ma joue est-elle creuse et mes lèvres blêmies ? dans le Dict. de POITEVIN.

    On trouvera à l'historique : dormir une éternelle nuit. Cela pourrait aussi très bien se dire.

  • 10 S. m. Le long dormir est exclu de ce lieu, La Fontaine, Papef. Que les soins de la Providence N'eussent pas au marché fait vendre le dormir Comme le manger et le boire, La Fontaine, Fabl. VIII, 2.

PROVERBES

Il n'y a pas de pire eau que celle qui dort, c'est-à-dire il faut se défier des gens qui ne manifestent rien de ce qu'ils ressentent. Mais il n'est, comme on dit, pire eau que l'eau qui dort, Molière, Tart. I, 1.

Qui dort dîne, c'est-à-dire en dormant on s'engraisse aussi bien qu'en mangeant. Ce proverbe se prend aussi dans un sens moqueur, pour reprocher l'indolence à un paresseux, et lui faire entendre que, s'il ne travaille pas, il ne dînera qu'en songe.

Le bien, la fortune lui vient en dormant, c'est-à-dire il devient riche sans rien faire. Les biens nous viennent en dormant, je vous assure, Regnard, Retour impr. sc. 1.

Jeunesse qui veille et vieillesse qui dort, c'est signe de mort.

Il ne faut pas réveiller le chat qui dort, il ne faut pas renouveler une méchante affaire qui est assoupie. À l'historique, on trouve : réveiller le chien qui dort, ce qui est mieux.

REMARQUE

Les douze heures que j'ai dormi et non dormies. L'apparence de verbe actif disparaît quand on restitue l'ellipse : Les douze heures pendant lesquelles j'ai dormi.

HISTORIQUE

XIe s. Charles se dort, li empereres riches, Ch. de Rol. LV. Par touz les prez or se dorment li Franc, ib. CLXXX.

XIIe s. Que il m'avint anuit [cette nuit] en mon dormant, Ronc. p. 163. Ne fausse amors ne veut que s'entremete De moi laisser dormir ne reposer, Couci. Il dormirent lur somne, Liber psalm. p. 101. Li dormirs est partiz de mes eauz [yeux], Machabées, I, 6.

XIIIe s. Là dormirent la nuit, H. de Valenciennes, II. Anuit avecques moi [je] ferai Bertain dormir, Berte, XII. De peine et de travail [elle] dort si ferm et si dur, ib. XLI. Nus selier ne autres ne doit sele tainte garnie livrer, devant que ele est esté vernicie, se ce n'est sele dormant, Liv. des mét. 213. Trop de ledes choses aviennent à ceux qui tex [tels] dormirs maintiennent, la Rose, 13664. L'en [on] se dort le soir [dans une navigation] là où en [on] ne scet se l'en se trouvera ou fons de la mer, Joinville, 210.

XIVe s. Quant l'en dort, il ne appert pas ne n'est manifeste qui est bon ou qui est malvois, Oresme, Eth. 30. Celui qui dort ne vit pas, fors de tele vie comme vit une plante, Oresme, ib. 311. Mais Jehan tint leurs parolles Droictement comme frivolles, Et leur disoit : Vous faictes tort ; Vous esveillez le chien qui dort, Liv. du bon Jehan, 1033.

XVe s. Le deable, qui oncques ne dort, resveilla ceux de Bruges, Froissart, II, II, 52. Nos gens ne dormirent mie, ains saillirent contre eux par grande hardiesse à qui mieulx mieulx, Bouciq. II, ch. 22. Il fit faire sa sepulture pour dormir ses jours, Hist. de Louis III, duc de Bourbon, p. 371, dans LACURNE. Et tant fit qu'il se trouva en la chambre où la levriere se dormoit, Louis XI, Nouv. XXVIII.

XVIe s. L'esprit troublé de mon cher pere Anchise En mon dormant haste mon entreprise, Du Bellay, J. IV, 16, recto. Filz de deesse, en quelle seureté Es-tu icy au dormir arresté Si longuement ? Du Bellay, J. IV, 22, verso. Mais quand l'homme a perdu ceste douce lumiere, La mort luy fait dormir une eternelle nuict, Du Bellay, J. VI, 17, recto. Nos voisins ne dorment pas, et n'ont que trop de connoissance de nos desordres, Lanoue, 223. Agesilaus dit que pour ce jour là il falloit laisser dormir les loix, Amyot, Agésil. 49. Les vents sont assoupis, les bois dorment sans bruit, Ronsard, 744. Qui dort grasse matinée, trotte toute la journée, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 389. Trop dormir cause mal vestir, Leroux de Lincy, ib. p. 429. L'autre sauvage qui avoit cependant dormy [perdu connaissance] du coup que le chevalier du dragon lui avoit donné, Don Flores de Grece, f° CXX, dans LACURNE. Neantmoins en y avoit-il bien de telx qui eussent eu grand mestier [besoin] de dormir le vin qu'ilz avoient beu à oultrage, Menard, Hist. de du Guesclin. p. 528, dans LACURNE. Essuyez de tristes yeux Le long gemir ; Et me donnez pour le mieux Un doux dormir, la Marguerite des marguerites, cité dans Revue de l'Instr. publique, 19 juin 1862, p. 186.

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. dremi ; Berry, dourmir ; provenç. dormir, durmir ; espagn. dormir ; ital. dormire ; du latin dormire. Dans l'ancienne langue, dormir prend la forme réfléchie, comme d'autres verbes neutres la prenaient et la prennent encore. La conjugaison je dors, tu dors, il dort, etc. n'est point, dans la vérité, une irrégularité ; ces formes suivent la conjugaison latine : dórmio, dórmis, dórmit, etc. où l'accent est sur dor.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

DORMIR. Ajoutez :
11Il se dit d'un végétal pendant le temps où la séve n'a pas de mouvement. Je conseille aussi l'échaudage, pratiqué lorsque la vigne dort, comme complément de l'épontage, Pellet, dans Travaux de la Comm. départem. contre le phylloxéra, Perpignan, 1874, p. 91.