« drôle », définition dans le dictionnaire Littré

drôle

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

drôle

(drô-l') s. m.
  • 1Se dit d'un homme ou d'un enfant qui, ayant quelque chose de décidé, de déluré, ne laisse pas d'exciter quelque inquiétude, et sur lequel d'ailleurs on s'attribue quelque supériorité. Je veux savoir absolument quel est ce drôle avec qui elle a des intelligences, Hauteroche, le Cocher, sc. 3. Le drôle a si bien fait par son humeur plaisante Qu'il possède aujourd'hui cinq mille écus de rente, Scarron, Don Japhet, I, 1. Les comédiens étaient de grands drôles bien faits, Hamilton, Gramm. 10. [Longepierre] C'était un drôle, intrigant, de beaucoup d'esprit, doux, insinuant, Saint-Simon, 100, 61. Monsieur Judas est un drôle Qui soutient avec chaleur Qu'il n'a joué qu'un seul rôle, Béranger, Judas.

    On le dit aussi des animaux dans les fables. Ce brouet fut par lui servi sur une assiette ; La cigogne au long bec n'en put attraper miette, Et le drôle eut lapé le tout en un moment, La Fontaine, Fabl. I, 18. Le loup… Revient voir si son chien n'est pas meilleur à prendre ; Mais le drôle était au logis, La Fontaine, ib. IX, 10.

    Faire de son drôle, mener une vie de galanterie. J'ai fait de mon drôle comme un autre, Molière, la Princ. II, 2. J'ai ouï dire que vous faisiez de votre drôle avec les plus galantes, Molière, Fourb. I, 6.

    Ce mot, comme le mot de coquin, s'emploie très bien pour exprimer le mécontentement actuel, sans exclure les sentiments affectueux. Commandant, s'écria-t-il après l'avoir lue [la lettre de son neveu], y a-t-il dans votre escadron de chasseurs d'Afrique une place pour un drôle que je renie et que je déshériterai ? Ch. de Bernard, la Femme de 40 ans, § VII.

    En un sens tout à fait injurieux, un mauvais drôle, ou, simplement, un drôle, une personne méprisable. C'est un drôle. Je ne suis point un drôle, et je suis honnête homme, Collin D'Harleville, M. de Crac, sc. 17.

  • 2 Adj. Qui a quelque chose de singulier et de plaisant. Cet homme-là est bien drôle. Voilà qui est drôle. Un conte fort drôle. Ah ! ah ! ah ! ma foi, cela est tout à fait drôle, Molière, Bourg. gent. IV, 7. Vous êtes tout à fait drôle comme cela, Molière, ib. III, 2. Cela est plaisant, oui, ce mot de mariage ; il n'est rien de plus drôle pour les jeunes filles, Molière, Mal. imag. I, 5. Je ne saurais vous voir et m'empêcher de rire ; Je n'ai vu de ma vie un plus drôle de corps, Boursault, Ésope, II, 6. …Depuis plus d'un jour Je l'étudie et je l'examine ; C'est bien la plus drôle de mine ! Favart, Soliman, II, I, 1.

    Drôle, en ce sens, se prend substantivement, et se construit avec la préposition de et un substantif (voy. pour cette construction la préposition DE au n° 3, et DIABLE au n° 12). C'était la régence alors ; Et sans hyperbole, Grâce aux plus drôles de corps, La France était folle, Béranger, Gaudr.

    En cet emploi, il se dit aussi au féminin (drôle, et non drôlesse). Une drôle d'idée. Une drôle de femme. J'ai une drôle d'idée dans la tête, c'est qu'il n'y a que des gens qui ont fait des tragédies, qui puissent jeter quelque intérêt dans notre histoire sèche et barbare, Voltaire, Lett. d'Argenson, 26 janv. 1740. Il est comique que le bien d'un Parisien soit en Souabe ; mais la chose est ainsi ; la destinée est une drôle de chose, Voltaire, Lett. Mme de Florian, 11 avril 1767. Imaginez toutes les contradictions, toutes les incompatibilités possibles, vous les verrez dans le gouvernement, dans les tribunaux, dans les spectacles de cette drôle de nation, Voltaire, Candide, 22. Pendant que je vous fais ces lignes très sensées, voici une drôle d'aventure, Courier, Lett. I, 168.

REMARQUE

Les dérivés drolatique, drôlement, drôlerie se rapportent au sens de drôle adjectif, et non de drôle substantif.

HISTORIQUE

XVe s. Tous les drolles mes compaignons, Quand d'eux me viendra souvenir, Auront part en mes oraisons, Basselin, LIII. La goutte un drolle n'affronte, Qui boit sans songer au compte ; Avares en sont saisis, Qui ont les escus moisis, Basselin, XXXII.

XVIe s. Draule, Des Accords, Bigarr. f° 136, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

Génev. drôle, garçon, sans signification mauvaise. On a indiqué le scandinave troll, mauvais génie ; mais le sens et l'orthographe font difficulté. Diez y voit, avec raison, le même mot que l'allem. drollig, plaisant ; angl. droll ; à quoi on peut comparer le flamand drol, l'anc. scandin. drioli, le gaëlique droll, qui signifient un homme lourd et gauche. On remarquera à côté de cela l'orthographe draule, qui, si elle était plus appuyée, ne cadrerait pas avec ces rapprochements.