« endormir », définition dans le dictionnaire Littré

endormir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

endormir

(an-dor-mir) v. a.

Il se conjugue comme dormir.

  • 1Faire dormir. Endormir un enfant. Argus avec cent yeux sommeille ; Mais croyez-vous Endormir un amant jaloux ? Quinault, Isis, III, 7.

    Fig. Il se dit de ce qui est fort ennuyeux, d'abord de l'ouvrage ou du récit, et, par suite, de l'auteur même. Cette pièce est si ennuyeuse qu'elle endort. Je vous endormirai quelque jour des affaires de cette province, Sévigné, 220. Allez de vos sermons endormir l'auditeur, Boileau, Sat. I. Un style trop égal et toujours uniforme En vain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme, Boileau, Art p. I. Sœur Andrieux, contez, contez, entendez-vous ? Si vous ne dormez pas, ma sœur, endormez-nous, Lebrun, Épigr. à propos des Contes d'Andrieux.

  • 2Jeter dans un état moral comparé au sommeil du corps. Endormir la prudence, la vigilance de quelqu'un. Des mots Dont tous les courtisans endorment les plus sots, Régnier, Sat. IV. J'ai reconnu ses défaites, Et comment elle endort de douceur sa maison, Régnier, Élég. II. Tandis qu'il endort votre crédulité par des discours, Hamilton, Gramm. 9. À cette erreur qui endort tant d'âmes impénitentes, Massillon, Car. Impénit. fin. Il s'était laissé endormir par les lettres de César et les feintes démonstrations qu'il faisait paraître de souhaiter la paix, Vertot, Révol. rom. XIII, p. 265.
  • 3Engourdir, calmer. Endormir un membre. Endormir la douleur. Le monde endort les chagrins, mais il ne les guérit pas, Massillon, Av. Des afflict. Le christianisme endort la douleur, fortifie la résolution chancelante, Chateaubriand, Génie, II, III, 4. C'est ainsi que le commerce a trouvé l'art d'endormir et de tromper la discorde, Raynal, Hist. phil. XII, 20.
  • 4S'endormir, v. réfl. Tomber dans le sommeil. La charité nous oblige à réveiller ceux qui s'endorment, Patru, Plaid. 5, dans RICHELET. C'est sur cette lecture que je m'endors, Sévigné, 68. Il s'endort, il s'éveille au son des instruments, Son cœur nage dans la mollesse, Racine, Esth. II, 9. On s'endormait aux sentiments de délicatesse qu'elle voulait expliquer sans les comprendre, et elle ennuyait en voulant briller, Hamilton, Gramm. 6.
  • 5 Fig. N'avoir pas soin de son devoir, de ses affaires, n'y pas veiller. S'endormir dans l'oisiveté. Les officiers s'endorment sur la bonté de leurs maîtres, Patru, Plaid. 4, dans RICHELET. Je laisse aux doucereux le langage affété Où s'endort un esprit de mollesse hébété, Boileau, Sat. IX. Les erreurs sur lesquelles votre esprit s'endort, Massillon, Pet. car. Drap. Ne nous endormons point sur la foi de leurs prêtres, Voltaire, Œdipe, II, 5. Le fils de Lasthénès ne s'était point endormi sur le danger de ses frères, Chateaubriand, Mart. II, 24.

    Absolument. Ne pas s'endormir, être très éveillé sur ses intérêts. Votre belle-mère ne s'endort point, et c'est sans doute quelque conspiration contre vos intérêts où elle pousse votre père, Molière, Mal. imag. I, 10. Il y a des gens qui ne s'endorment pas, Sévigné, 583.

    Familièrement. S'endormir sur le rôti, négliger l'occasion propice.

  • 6S'endormir du sommeil de la mort, de la tombe, mourir.

    S'endormir dans le Seigneur, mourir en état de grâce. Joram s'endormit avec ses pères, il fut enseveli avec eux dans la ville de David, Sacy, Bible, Rois, IV, VIII, 24. Il s'est endormi cette nuit au Seigneur, Sévigné, 292. Elle s'endort tranquillement au Seigneur et s'en retourne dans le sein de Dieu d'où elle était sortie, Massillon, Av. Mort du pécheur.

    PROVERBE

    Parlez à lui, il s'endort, se dit de quelqu'un qui ne songe pas à ce qu'on lui dit.

HISTORIQUE

XIe s. Endormiz est, ne puet mais en avant [il ne peut aller plus loin], Ch. de Rol. CLXXX.

XIIe s. Or poez [vous pouvez], fait il, esculter Del cher seignor, cum s'umilie ; Or nus [nous] cuide peler la fie [figue], E od beau parler endormir, Benoit de Sainte-Maure, II, 9069. Si'n ocist à destre e à senestre estrangement, de ci que le braz li fud endormiz des granz colps que il out dunez, Rois, p. 212. Sa main tendid vers l'ume Deu, e cumandad que il fust pris ; mais la main li endormid chalt pas [aussitôt], si que il ne la pout retraire, ib. 286.

XIIIe s. Plorant [elle] s'est endormie ; Diex la gard d'encombrer, Berte, XXXIX. L'Université, qui lors iere Endormie, leva la chiere, la Rose, 12030. Quant je la voi, de parler n'ai pooir, Li cuer me faut, ma langue est endormie, Complainte dou tens, Jubinal, t. II, p. 255. Enlumine mes euz [yeux], que ne m'endorme en la mort, Psautier, f° 19. Li enfes s'est al fu [feu] assis, à endormir n'a gaires mis, Partonop. v. 1053. Perres [Pierre] endormis n'enjalez [engelés] N'a pas les dois seur la viele, Mais si bien chante et si viele…, G. de Coinsi, Du cierge.

XVe s. …mon cueur endurera, En actendant d'avoir de celles Que bon eur lui apportera, Et de l'endormye beuvra, Orléans, Ball. 82. Que dites-vous ? dit-il, contrefaisant l'endormi, Louis XI, Nouv. LXIII.

XVIe s. Pour endormir l'ardeur de cette fureur [érotique], Montaigne, I, 94. Endormir les ouies par la continuation d'un son, Montaigne, I, 106. Des medicaments qui assopissent et endorment la partie, Montaigne, I, 281. Il lui vint aux jambes une douleur endormie avec une pesanteur, Amyot, Sylla, 54. Laguerre n'estoit point esteincte ny amortie, ains seulement endormie, Amyot, Lucull. 11. Quand l'eau n'estoit plus trouble, on pescha à l'endormie, à quoy ne fut pas espargnée la coque du Levant, D'Aubigné, Conf. LIX. Si un homme luy [à la torpille] touche avec une verge, elle luy endormira le bras, Paré, XXIII, 29. Je ne veux point de trop volage amie, Ny ne la veux aussi trop endormie, Saint-Gelais, 230. Pierre leur disoit pour les endormir et les engager à le suivre, Mém. sur du Guesclin. ch. 18.

ÉTYMOLOGIE

En 1, et dormir ; bourguig. andremi ; provenç. endormir, endurmir ; ital. indormire.