« enfler », définition dans le dictionnaire Littré

enfler

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enfler

(an-flé) v. a.
  • 1Remplir de souffle, d'air. Viendrai-je, en une églogue entouré de troupeaux, Au milieu de Paris enfler mes chalumeaux ? Boileau, Sat. IX.

    Grossir, en remplissant d'air, de gaz. Enfler un ballon. Enfler ses joues. De tels bienfaits enflent la bouche de la renommée, Voltaire, Lett. à Cather. 143.

    Le vent enfle les voiles, il les rend tendues par le souffle. Le génie qui m'inspirait m'abandonna ; mon esprit et mon âme tombèrent languissants comme les voiles d'un navire auquel tout à coup manque le vent qui les enflait, Marmontel, Mém. III. Il voit les passions, sur une onde incertaine, De leur souffle orageux enfler la voile humaine, Lamartine, Méd. II, 13.

    Fig. Enfler les voiles, se dit de ce qui favorise, fait avancer. Le vent de la faveur enflait leurs voiles.

    Grossir en remplissant d'un liquide. L'eau enfle le ventre d'un hydropique. Les efforts que le petit homme avait faits pour tirer son pied hors du pot l'avaient enflé, Scarron, Roman com. part. II, ch. 8. Tes prés [de la France] enflent de lait la féconde génisse, Chénier, Hymne à la France.

  • 2 Fig. Faire paraître plus grand par une sorte d'enflure. Bien différent de ceux qui rassemblent le plus de titres qu'ils peuvent et qui croient augmenter leur mérite à force d'enfler leur nom, Fontenelle, Hartsoeker. Aussitôt… tu verras poëtes, orateurs… De tes titres pompeux enfler leurs dédicaces, Boileau, Sat. VIII.
  • 3Enfler la voix, un son, les renforcer. Chasseur, tu rapportes ta bête, Et de ton cor enfles le son, Béranger, D. chasse.
  • 4Augmenter par l'afflux d'un liquide. Les pluies ont enflé la rivière.

    Fig. De mille exploits fameux enfler ma renommée, Corneille, le Ment. I, 3. Qu'importe de mon cœur, si je suis mon devoir, Et si mon hyménée enfle votre pouvoir ? Corneille, Sertor. I, 3. Dès l'abord il sut vaincre, et j'ai vu la victoire Enfler de jour en jour sa puissance et sa gloire, Corneille, ib. v, 1. Ma voix, depuis dix ans qu'il commande une armée. A-t-elle refusé d'enfler sa renommée ? Corneille, Nicom. IV, 2. Nous avons beau enfler nos conceptions, nous n'enfantons que des atomes, Pascal, dans COUSIN. La pluralité des titres que vous possédez et qui enflent si fort votre revenu, Massillon, Confér. Reven. ecclésiast.

  • 5Exagérer, surfaire. Enfler la dépense. On leur exagère toujours les inconvénients d'un état où l'intérêt d'une maison ne les demande pas ; on leur enfle les avantages et les agréments de celui auquel on les destine, Massillon, Car. Vocat. Pas davantage, suivant notre calcul, que j'ai un peu enflé, Voltaire, L'homme au 40 écus, Entretien avec un géomètre. Il y a apparence que ce prince [l'empereur Macrin] enflait les choses, Montesquieu, Rom. 16. M. Adam ignorait et cachait son mérite avec le même soin que tant d'autres se donnent pour étaler et pour enfler le leur, D'Alembert, Éloges, Jacq. Adam. On ne m'accusera pas d'enfler mes mémoires, Picard, Duhautcours, I, 5.

    Terme de pratique. Enfler le cahier, les rôles, y mettre des choses inutiles, afin de les allonger et de se faire payer plus cher.

  • 6Donner plus de force à certains sentiments. Ses satrapes enflaient ses espérances, Vaugelas, Q. C. liv. III, dans RICHELET. Cela enfle le courage des Tyriens, Vaugelas, ib. IV, dans RICHELET. Ne porter qu'un faux jour dans son obscurité, C'était de ce prodige enfler la cruauté, Corneille, Œdipe, I, 4. Non, j'ai peint votre cœur dans une indifférence Qui n'enfle d'aucun d'eux, ni n'abat l'espérance, Corneille, Cid, I, 1. L'orgueil de ma naissance enfle encor mon courage, Corneille, Rodog. IV, 1. [Il] Enfle l'avidité de mes ressentiments, Corneille, Attila, v, 4.

    Inspirer de l'orgueil, de la confiance, de la présomption. Ce nouvel éclat de votre dignité Lui doit enfler le cœur d'une autre vanité, Corneille, Cid, I, 7. La gloire de ce choix m'enfle d'un juste orgueil, Corneille, Hor. II, 1. Quand la gloire nous enfle, il sait bien comme il faut Confondre notre orgueil qui s'élève trop haut, Corneille, ib. v, 1. Cette haute vertu dont le ciel et le sang Enflent toujours les cœurs de ceux de notre rang, Corneille, Pomp. I, 3. Les bons succès nous enflent, Fléchier, Dauph. Les richesses qu'ils ont acquises par le commerce et la force de l'imprenable ville de Tyr, située dans la mer, avaient enflé le cœur de ces peuples, Fénelon, Tél. II. Les sciences nous enflent, l'ignorance nous égare, Massillon, Carême, Prière 2.

    Absolument. Vous allez donc voir… la force confondue par la faiblesse, la science qui enfle céder à la simplicité qui édifie, Massillon, Panég. St Franç. de P.

  • 7Enfler son style, écrire d'une manière ampoulée.
  • 8 Terme d'orfévrerie. Agrandir au marteau, sur la bigorne, les parties inférieures des pièces d'argenterie qui doivent former le ventre, comme aux pots à l'eau, aux cafetières.
  • 9 V. n. Devenir plus gros. Avec de l'eau bouillante on fait enfler l'orge d'un tiers. Le bras piqué enflait à vue d'œil. Sa gorge enfle, et du sang dont le cours s'épaissit Le passage se ferme ou du moins s'étrécit, Corneille, Attila, v, 6. Mais qui fait enfler la Sambre Sous les jumeaux effrayés ? Boileau, Ode I.

    Le lait enfle, il se soulève par l'action de la chaleur.

  • 10S'enfler, v. réfl. Devenir enflé. Le ballon s'enfla lentement. Une grenouille vit un bœuf Qui lui sembla de belle taille ; Elle qui n'était pas grosse en tout comme un œuf, Envieuse, s'étend, et s'enfle et se travaille, La Fontaine, Fabl. I, 3. Il y a dans l'esprit comme un levain d'orgueil qui s'enfle et se dilate par la science, Fléchier, Panég. II, 233. Les voiles s'enflent d'un vent favorable, Fénelon, Tél. XI.

    Devenir tuméfié. Il se donna une entorse, et son pied s'enfla beaucoup. Cette gorge qui s'enfle, Corneille, Rodog. v, 4.

    Être soulevé. L'onde s'enfle dessous [les vaisseaux], et d'un commun effort Les Maures et la mer montent jusques au port, Corneille, Cid, IV, 3.

    Devenir plus gros, plus ample. Par qui le monde entier… L'a vu [le peuple de Rome] cent fois marcher sur la tête des rois, Son épargne s'enfler du sac de leurs provinces, Corneille, Cinna, II, 1. Leur trésor n'a pas besoin de s'enfler des faibles débris d'une famille malheureuse, Voltaire, Louis XV, 42. Tout à coup la flamme engourdie S'enfle, déborde ; et l'incendie Embrase un immense horizon, Lamartine, Médit. II, 6.

  • 11S'enorgueillir. Voyez comme elle s'enfle et d'orgueil et d'audace, Corneille, Médée, II, 2. Certes, si je m'enflais de ces vaines fumées Dont on voit à la cour tant d'âmes si charmées, Corneille, Théod. I, 1. Que veraient-ils en eux qu'ils pussent estimer, S'ils voyaient devant toi ce qu'est leur chair fragile ? Comment souffriraient-ils qu'une masse d'argile S'enflât contre la main qui vient de la former ? Corneille, Imit. III, 14. Ne vous enflez donc pas d'une si grande gloire, Molière, Mis. III, 6. Le zèle qui prend sa source dans la charité, c'est un zèle doux et patient : il ne s'irrite point, il ne s'enfle point, Massillon, Confér. Zèle p. le sal. des âmes. Nous autres juges, [nous] ne nous enflons pas d'une vaine science, Montesquieu, Lett. pers. 68. Il était impossible que la plupart des jésuites ne s'enflassent du vent de ces deux hommes [le P. de la Chaise et le P. le Tellier], et qu'ils ne fussent aussi insolents que les laquais du marquis de Louvois, Voltaire, Dict. phil. Jésuites.

    Être exagéré. Il y a tant d'hommes naturellement outrés et dans la bouche desquels tout s'enfle, tout grossit, tout sort de la vérité simple et naturelle, Massillon, Car Pard. des off.

    Prendre un ton, un style ampoulé. Un poëte s'enfle, se guinde, Et se croit au sommet du Pinde Pour de grands mots vides de sens, Lamotte, Odes, t. I, p. 421, dans POUGENS.

HISTORIQUE

XIIe s. Mezine [médecine] ki seichet les enflées choses, Job, p. 507. [De peur] ke la science, cant ele conoist et n'aimet mie, n'enflet, ib. 443. Il ot enflé le vis et le menton, Ronc. p. 100. Un des convers as monies [chez les moines] (ne le m'unt pas nummé) Out mult esté grevé de grant enfermeté, E out d'idropisie le ventre mult enflé, Th. le mart. 94.

XIIIe s. Se la mers est enflée ou coie [paisible], Ja ne sera qu'on ne la voie [l'étoile polaire], Lais inédits, p. III. Li rois Ricars ot moult le cueur enflé [jaloux] dou roi Philippe, qui avoit l'honneur d'Acre, Chron. de Rains, p. 42. Dans Pieres, li hermites seoit devant son tré [tente], Li rois Tafurs i vint, et moult de son barné [de ses barons], Plus en i ot de mil qui sont de faim enflé, Ch. d'Ant. v, 6. Science, quand elle enfle, est chose si parverse, Qu'elle envenime tout, se la boe n'est terse [essuyée], J. de Meung, Test. 1044. Quant je vien à mon osté [logis], Et ma feme a regardé Derier moi le sac enflé, Colin Muset, dans Hist. littér. de la Fr. t. XXIII, p. 558.

XIVe s. Le cuer enflé à mal faire et dire, Ménagier, I, 3. Et celle lui ala son amour presenter, Tant qu'elle fu enchainte [enceinte], qu'elle prist à enfler, Baud. de Seb. VI, 293.

XVe s. Si ils [les Parisiens] fussent venus servir le roi au point où ils sont quand il alla en Flandre, ils eussent mieux fait ; mais ils n'en avoient pas la teste enflée, Froissart, II, II, 205. Et tous jours depuis commença la chose à enfler entre les dicts deux ducs, Fenin, 1410.

XVIe s. [Depuis Ronsard, etc.] je ne vois si petit apprenti qui n'enfle des mots, qui ne renge des cadences à peu prez comme eulx, Montaigne, I, 190. Il trouva la riviere si enflée et courant si roide qu'il ne s'osa approcher du fil de l'eau, Amyot, Rom. 4. Les prosperitez enflent et elevent le cueur à ceux mesmes qui l'ont petit de leur nature, Amyot, Eumènes, 17. Ce Vatinius avoit des escrouelles au long du col, à raison de quoy Ciceron, l'ayant un jour ouy plaider, l'appella orateur enflé, Amyot, Cicéron, 32. Gabinius eut peur de se mettre sur la mer qui estoit desja enflée, à cause que c'estoit la saison d'hyver, Amyot, Anton. 10. Il dit à ceux-là, que, s'il ne pouvoit leur enfler le cœur avec des dementis, il leur enfleroit le visage par des soufflets, D'Aubigné, Vie, LXIX. Dès lors Maurice enfloit ses troupes au lieu de les congedier, D'Aubigné, Hist. I, 15.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. enflar, eflar, uflar ; espagn. inflar ; ital. infiare ; du latin inflare, de in, en, et flare, souffler.