« enterrer », définition dans le dictionnaire Littré

enterrer

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enterrer

(an-tè-ré) v. a.
  • 1Mettre dans la terre. Enterrer son or, ses bijoux. La méfiance et la tyrannie font que tout le monde enterre son argent, Montesquieu, Esp. XXII, 1.

    Fig. Enterrer de l'argent, le dépenser en travaux, en remuements de terre. Ce jardin lui coûte gros, il y a enterré plus de dix mille francs.

    Terme de marine. Mettre avec le lest du vaisseau. On a enterré ces futailles.

  • 2Inhumer, mettre un corps mort en terre. On l'a enterré avec beaucoup de pompe. On l'enterra sans cérémonie. On enterrera vif qui l'enterrera mort [Polynice], Rotrou, Antig. III, 5. Si elle meurt, ne manquez pas de la faire enterrer du mieux que vous pourrez, Molière, Médec. malgré lui, III, 2. Un mort s'en allait tristement S'emparer de son dernier gîte ; Un curé s'en allait gaiement Enterrer ce mort au plus vite, La Fontaine, Fabl. VII, 11. Ils n'avaient pas de quoi se faire enterrer, Bossuet, Hist. III, 6. Criton lui ayant demandé [à Socrate] comment il souhaitait qu'on l'enterrât : comme il vous plaira, dit Socrate, si pourtant vous pouvez me saisir et que je n'échappe pas de vos mains, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. IV, p. 437, dans POUGENS.

    Absolument. Sous la première et la seconde race, on n'enterrait pas même dans l'enceinte des villes, Saint-Foix, Ess. Paris, Œuvres, t. IV, p. 27, dans POUGENS.

    Par extension, survivre à. Il nous enterrera tous. Ce malheureux père a enterré ses enfants. Je ne savais pas que vous eussiez enterré votre médecin, Voltaire, Lett. d'Argental, 6 nov. 1767.

    Fig. Que le monde voit peu de ces femmes dont parle saint Paul, qui, vraiment veuves et désolées, s'ensevelissent, pour ainsi dire, dans le tombeau de leur époux et y enterrent tout amour humain avec ces cendres chéries ! Bossuet, Anne de Gonz.

    Par moquerie, en parlant d'un médecin inhabile, faire mourir ou laisser mourir. Encore un malade qu'il vient d'enterrer.

  • 3Recouvrir de choses comparées à un tas de terre. La maison tomba et les débris l'enterrèrent. Être enterré sous les décombres d'un édifice.
  • 4Obliger à demeurer dans un lieu triste et ennuyeux. Il veut m'enterrer en province. Mais sur une terreur qui peut être indiscrète, L'enterrer toute vive au fond d'une retraite, La Chaussée, Gouvern. II, 10. Ainsi loin du palais où vous fûtes nourrie, Vous allez, belle Irène, enterrer votre vie, Voltaire, Irène, IV, 1.

    Il se dit des choses qu'on met comme en terre et qu'on fait oublier. À qui la peur de perdre enterre le talent, Régnier, Sat. XI. Cette honte qu'aurait le silence enterrée, Court le pays, et vit du vacarme qu'il fait, La Fontaine, Coupe.

  • 5Faire oublier, effacer la réputation de quelqu'un. Ce poëte avait des rivaux, il les a tous enterrés. Il y a telle femme qui anéantit ou enterre son mari au point qu'il n'en est fait dans le monde aucune mention, La Bruyère, III. C'est ce qui donna lieu à ce mot de Benserade, où le double sens est assez visible : Si quelqu'un de nous, dit-il à Racine, avait pu prétendre d'enterrer M. Corneille, c'était vous, monsieur ; cependant vous ne l'avez pas fait, D'Olivet, Hist. Acad. t. II, p. 308, dans POUGENS.
  • 6Voir la fin de. Si nous t'enterrons, Bel art dramatique, Pour toi nous dirons La messe en musique, Béranger, Musique.

    Familièrement. Enterrer le carnaval, se livrer aux dernières folies du carnaval.

    Enterrer la synagogue avec honneur, sortir d'un engagement avec honneur et d'une manière irréprochable (voy. SYNAGOGUE).

  • 7Tenir caché. Enterrer ses secrets.

    Il faut enterrer cela, il n'en faut plus parler.

  • 8S'enterrer, v. réfl. Être inhumé. Les morts ne s'enterrent pas dans l'enceinte des villes.
  • 9Être recouvert de débris qui s'écroulent. Samson s'enterra sous le temple des Philistins.

    Fig. S'enterrer sous les ruines d'une place, mourir en défendant une place de guerre. S'enterrer sous les ruines de la patrie, ne pas survivre aux désastres de la patrie.

  • 10Se mettre dans un lieu retiré, dans une retraite profonde. S'enterrer dans une province, vivre hors de Paris, au fond d'une province. L'offre que vous me faites de venir à Bourbon est tout à fait héroïque ; mais il n'est pas nécessaire que vous veniez vous enterrer dans le plus vilain lieu du monde, Boileau, Lett. à Racine, 13 août 1687.

    S'enterrer tout vif, rompre tout commerce avec le monde. Mon dessein n'est pas de renoncer au monde et de m'enterrer toute vive dans un mari, Molière, G. Dandin, II, 4. La dame s'enterrait ainsi toute vivante, La Fontaine, Matr. J'eus en horreur le monde et les maux qu'il enfante ; Loin de lui pour jamais je m'enterrai vivante, Voltaire, Olympie, II, 2. Le marquis de Mirepoix s'amouracha de la fille d'un cabaret en Allemagne, et s'enterra si bien avec elle qu'on ne l'a pas vu depuis, Saint-Simon, 69, 127.

  • 11 Terme de manége. On dit qu'un cheval s'enterre quand, cherchant un point d'appui sur la main du cavalier, il baisse la tête et s'abandonne sur les épaules.

HISTORIQUE

XIe s. À grant honur puis les ont enterrez, Ch. de Rol. CCIX. Long un autel belement [ils] l'enterrerent, ib. CCLXXI.

XIIe s. Baron, dit Charles, nos amis enterrons, Ronc. p. 154. Funt il : que s'a li reis si fort à dementer ? Se il veïst ses fiz e sa femme enterrer, E trestute sa terre ardeir e embraser, Ne deüst il tel duel [deuil] ne faire ne mener, Th. le mart. 133.

XIIIe s. Et fu entierée [la reine] en l'eglise Sainte-Crois, Chr. de Rains, p. 88. Si recevez mon palefroi, Et as gens irez demander S'il i a cors à enterrer Ne nul enfant à bautizier, Ren. 21150. Au temps que les corneilles braient, Qui por la froidure s'esmaient, Qui sor les cors lor vient errant, Qu'eles vont ces noiz enterrant Et s'en garnissent por l'yver, Rutebeuf, II, 66.

XVIe s. Disant qu'il ne falloit point deterrer Lysandre, ains plus tost enterrer avec luy sa harengue, Amyot, Lysand. 57.

ÉTYMOLOGIE

En 1, et terre ; bourguig. antarré ; provenç. et espagn. enterrar ; ital. interrare.