« expérience », définition dans le dictionnaire Littré

expérience

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

expérience

(èk-spé-ri-an-s') s. f.
  • 1Acte d'éprouver, d'avoir éprouvé. Je ne vous en croirai qu'après l'expérience, Corneille, Cid, II, 1. L'expérience que j'ai de la confusion des disputes, Pascal, Esprit géom. I. Ah ! de vos premiers ans l'heureuse expérience Vous fait-elle, seigneur, haïr votre innocence ? Racine, Brit. IV, 3. Vous ne savez pas, répondit Idoménée, combien toutes les expériences sont inutiles aux princes amollis et inappliqués qui vivent sans réflexion, Fénelon, Tél. XII. Le monde entier est occupé à observer un seul homme [le roi] à toute heure, et à le juger en toute rigueur : ceux qui le jugent n'ont aucune expérience de l'état où il est, Fénelon, ib. XI. [Les rois sont] défiants, par l'expérience continuelle qu'ils ont de l'artifice des hommes corrompus dont ils sont environnés, Fénelon, ib. XII. Celui qui a eu l'expérience d'un grand amour, néglige l'amitié, La Bruyère, IV. L'expérience du monde en dégoûte, on le sait, Rousseau, Émile, IV.

    Faire l'expérience d'une chose, la ressentir, l'éprouver. À mes dépens j'en fais l'expérience, Régnier, Élég. v. La haute vaillance Dont je ne fais ici que trop d'expérience, Corneille, Sertor. III, 2.

    En un autre sens, faire l'expérience de, essayer si une chose réussit. Et de votre beauté faites l'expérience, Mairet, Sophon. III, 2. Saint-Aubin en a fait cent fois l'expérience [d'un conseil médical], Sévigné, 395.

    Dans le style élevé, faire l'expérience de, faire l'apprentissage. Il vint chercher la guerre au sortir de l'enfance, Et même en fit sous moi la noble expérience, Racine, Bajaz. I, 1.

  • 2Connaissance des choses acquise par un long usage. C'est [la patience à souffrir un malheur] l'effet vertueux de votre expérience, Corneille, Hor. V, 2. L'expérience consommée est la couronne des vieillards, et la crainte de Dieu est leur gloire, Sacy, Bible, Ecclésiastiq. XXV, 8. Une jeune souris de peu d'expérience Crut fléchir un vieux chat…, La Fontaine, Fabl. XII, 5. Ce qu'une judicieuse prévoyance n'a pu mettre dans l'esprit des hommes, une maîtresse plus impérieuse, je veux dire l'expérience, les a forcés de le croire, Bossuet, Reine d'Anglet. Je m'en reposerai sur votre expérience, Racine, Brit. III, 1. Un roi sans expérience de la guerre, Fénelon, Tél. v. L'expérience est la mémoire de beaucoup de choses, Diderot, Opin. des anc. philos. (Hobbisme). Expérience signifie communément la connaissance acquise par un long usage de la vie, jointe aux réflexions que l'on a faites sur ce qu'on a vu, et sur ce qui nous est arrivé de bien et de mal, Du Mars. Œuvres, t. v, p. 247. Ne songeons qu'à rendre utile et salutaire aux hommes cette expérience héréditaire que le présent dispose et lègue aux siècles à venir, Marmontel, Élém. littér. Œuvres, t. VIII, p. 75, dans POUGENS. L'esprit, la pureté des intentions et de l'âme ne sauraient tenir lieu d'expérience, Genlis, Veill. du chât t. II, p. 415, dans POUGENS.

    Au plur. Ses longues expériences étaient pour l'État un trésor inépuisable de sages conseils ; et sa justice, sa prudence, la facilité qu'il apportait aux affaires, lui méritaient la vénération et l'amour de tous les peuples, Bossuet, le Tellier.

  • 3Tentative pour reconnaître comment une chose se passe. Expérience de physique, de chimie, de physiologie. Les expériences sont les véritables maîtres qu'il faut suivre dans la physique, Pascal, Pesant. de l'air, Conclusion. L'art de faire des expériences porté à un certain degré n'est nullement commun, Fontenelle, Newton. [L'écriture] par laquelle les productions, les vues, les expériences, les découvertes de tous les âges accumulées servent de base et de degré à la postérité pour s'élever toujours plus haut, Turgot, 2e disc. en Sorbonne. Personne n'a su mieux disposer une expérience pour la rendre propre, soit à confirmer les résultats de la théorie, soit à servir de base au calcul, Condorcet, Daniel Bernoulli. En physique le mot expérience se dit des épreuves que l'on fait pour découvrir les différentes opérations et le mécanisme de la nature, Du Marsais, Œuvres, t. v, p. 249. Il faudrait laisser à la postérité des expériences commencées ; il faudrait la mieux traiter que l'on ne nous a traités nous-mêmes, Buffon, Exp. sur les végét. 2e mém.
  • 4Expérience, se dit quelquefois absolument pour méthode expérimentale, connaissance à posteriori par l'observation des faits.

HISTORIQUE

XIIIe s. Ainsinc va des amis poissans, Douz est à lor mescongnoissans [à ceux qui ne les connaissent pas] Lor servise et lor acointance Par le defaut d'experience, la Rose, 18781.

XIVe s. Cure nouvelement aquise et demenée en lumiere par l'experience de ceux d'ore [d'à présent], H. de Mondeville, f° 4. Pour ce que procès de temps, longue experience et longue estude y sont requises quant à engin de homme, Oresme, Eth. x (16). Il ont experience que plusieurs fois ont passés telz perilz, Oresme, ib. 79.

XVIe s. Je cognoy par experience cette condition de nature qui…, Montaigne, I, 41. Il n'y a que quelques hommes qui se meslent d'enregistrer leurs experiences, Montaigne, III, 230. Il ne faut point flater soymesmes, ni autrui, ains dire franchement ce que les experiences passées demonstrent, Lanoue, 22. Ceste très belle sentence, que l'experience a tant de fois fait trouver veritable, Lanoue, 41. S'il estoit question de savoir si un cheval ou un chien sont bons ou mauvais, on vouldroit avoir du temps pour en faire l'experience avant qu'en juger, Lanoue, 70. Combien d'hommes riches se sont ruinez après ces miserables experiences [d'alchimie], Lanoue, 477.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. experientia, esperientia ; espagn. experiencia ; ital. esperienzia ; du latin experientia, de experiens, éprouvant, de experiri (voy. EXPERT). D'après Palsgrave, p. 9, au XVIe siècle, on prononçait euzperiense.