« feu.2 », définition dans le dictionnaire Littré

feu

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

feu, feue [2]

(feu, feû) adj.
  • Défunt, défunte.

    Il se met après l'article défini ou après un adjectif possessif, et alors il s'accorde avec son substantif. Suivant le testament du feu roi notre père, Corneille, Pomp. I, 2. Une devise qui est peinte au Louvre dans l'antichambre de la feue reine mère Anne d'Autriche, Bouhours, Entretien des devises, p. 287.

    Il se place avant l'article défini ou l'adjectif possessif, et alors il est invariable. Je tiens de feu ma femme, et je me sens comme elle Pour les désirs d'autrui beaucoup d'humanité, Molière, Mélicerte, I, 4. Et j'ai toujours été nourri par feu mon père Dans la crainte de Dieu, monsieur, et des sergents, Racine, Plaid. II, 4. J'ai ouï dire à feu ma sœur que sa fille et moi naquîmes la même année, Montesquieu, Lett. pers. 51.

    Il se met devant un nom propre, et il est invariable. Et l'on dit qu'autrefois feu Bélise, sa mère…, Molière, Mélicerte, I, 4.

    Il se met devant monsieur, et madame, et alors il est invariable. La dame dit : Regardez si j'ai point Quelque habit d'homme encor dans mon armoire ; Car feu monsieur en doit avoir laissé, La Fontaine, Orais. Vous étiez, madame, aussi bien que feu madame la princesse de Conti, à la tête de ceux qui se flattaient de cette espérance, Voltaire, Épît. à la duch. du Maine. J'ai connu dans mon enfance un chanoine de Péronne, âgé de quatre-vingt-douze ans, qui avait été élevé par un des plus furieux bourgeois de la ligue ; il disait toujours : Feu monsieur de Ravaillac, Voltaire, Dict. phil. Ravaillac.

REMARQUE

1. Feu s'accorde avec son substantif quand il suit l'article : la feue reine ; mais il reste invariable quand il le précède : feu la reine, feu ma mère.

2. Cette règle est contestée par plusieurs grammairiens qui repoussent une pareille anomalie. Si on se réfère à l'usage, il n'a pas été toujours constant ; témoin cet exemple de Balzac : Si vous ne connaissez pas Uranie, cette nymphe que j'ai tant louée, je vous avertis que c'est feue ma bonne amie, Mme des Loges, Lett. XI, 13.

3. D'après l'Académie, feu n'a pas de pluriel ; cette remarque n'est pas fondée ; et il est correct de dire : les feus rois de Prusse et d'Angleterre. On dirait aussi, mais sans accord : feu mes oncles.

4. Feu ne se dit que des personnes que nous avons vues ou que nous avons pu voir ; on ne dit pas feu Platon, feu Cicéron, si ce n'est en plaisantant ou en style burlesque.

5. Quand on dit le feu pape, le feu roi, etc. on entend toujours le pape dernier mort, le roi dernier mort, etc. Il n'y a point trouvé les propositions condamnées par le feu pape, Pascal, Prov. 1.

6. On dit feu la reine s'il n'y a pas de reine vivante ; et la feue reine si une autre l'a remplacée.

HISTORIQUE

XIe s. Las ! mal feüx ! oum esmes avogluz ! Quer [car] ço vedons que tuit sumes desvez ; De nos pechez sumes si ancumbrez, La dreite vide nus funt très oblier, Chanson de St Alexis, CXXIV. Pur que portai [eus-je un enfant], dolente, mal feüde ? ib. LXXXIX.

XIIIe s. Se li rois Loys fust feüs [mort], Rutebeuf, II, 62. Ge Gauvaings, chevalers, filz fahu Jofre… por faire l'anniversaire fahu Ostent Beraut, chevalier, Bibl. des chartes, 3e série, t. v, p. 86. Amprès lou clous [clos] qui fu mon seignor Girart, lou prevoire [prêtre] fau… et la vigne qui fu fau Tiebaut, ib. 5e série, t. IV, p. 470.

XIVe s. Certaines maisons que Guillaume Baron et Raquille, famme feux du dit Baron aviont achatées des hoirs feux Tevenot…, Archives du Cher, dans JAUBERT, Gloss. I, p. 110. Certes, biaus chiers sire, à mon vuel, Fussiez-vous evesques eslus, Quant nostre evesque fu feüs, le Miracle de Théophile, dans le Théâtre français au moyen âge, p. 148. Les biens de feuwe Maroie de Ransart, laquelle trespassa ou dit hospital, Compte de l'hospital de Wez de 1360, cité par ROQUEFORT, Supplém. art Cotte.

XVe s. …La grant Alison, Laquelle tenoit ce mignon, Et l'entretint longtems, et l'eut, Comme on dit, par succession De sa feu tante qui mourut, Coquillart, l'Enquête de la simple et de la rusée. Le regne du feu roy Louis onzieme, Commines, VII Prol.

XVIe s. Le tien fut pere, Marot, J. p. 210, dans LACURNE. Nous en avons emprunté nostre feu maistre Jehan [de l'usage des Romains de ne pas nommer la mort], Montaigne, I, 72. Un domestique de feu mon pere, Montaigne, I, 100. Eu esgard mesmement à son contract de mariage et testament de feue sa femme, Pasquier, Rech. VI, 11. Feue de très recommandable memoire madame l'archiduchesse d'Autriche, Cérémon. de France, p. 229, édit. in-4°. À la cruelle bataille devant Constantinople moururent feuz de bonne memoire les roys Lisuart et Perion, D. Flores de Grece, f° 135. La femme qui fut maistre Jean de Vernon, Gr. coust. de France, liv. II, p. 271.

ÉTYMOLOGIE

Berry, funt, et aussi defeu, defeue ; ital. fu, la fu regina, la feue reine. Il est difficile de rendre compte de toutes les formes de ce mot : le berrichon funt est le latin functus, défunt ; l'italien fu est la troisième personne du prétérit , il fut, il a cessé de vivre. Mais d'où vient le vieux français feü ou fahu, qui est la forme la plus ancienne ? Ce mot dissyllabique représenterait une forme barbare, fadutus ou fatutus ; est-il permis de conjecturer qu'il provient irrégulièrement de fatum, et qu'il signifie qui a accompli sa destinée ? L'exemple du XIe siècle qui signifie évidemment malheureux, qui a un mauvais destin (comparez l'anglais ill-fated), appuie cette conjecture. Feu est très certainement la contraction de l'ancien feü, et ne peut représenter le latin fuit, l'italien fu. Si donc on embrasse la totalité de l'expression de l'idée en France, on trouve trois sources : le français feu, feü, pour lequel nous avons indiqué une conjecture, et qui, étant dissyllabique, ne peut provenir de functus ; le berrichon qui est le latin functus, et l'italien fu qui est le latin fuit. Au XVIe siècle, l'italianisme fit prendre la forme italienne (le tien fut pere, de J. Marot) ; mais elle ne dura pas, et ce fut l'ancien feu qui se maintint.