« forcer », définition dans le dictionnaire Littré

forcer

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

forcer

(for-sé. Le c prend une cédille devant a et o : je forçai, forçons) v. a.
  • 1Faire subir à une chose une violence, une effraction. Mme Colbert ne voulait qu'il la vît [sa future] que le soir ; il força les portes et se jeta à ses pieds, Sévigné, 394. Du sérail, s'il le faut, venez forcer la porte, Racine, Bajaz. II, 3. On força un coffre dont la reine avait emporté la clef, et l'on n'y trouva que des haires, des ceintures armées de pointes de fer, Genlis, Mlle de la Fayette, p. 116, dans POUGENS.

    Forcer une clef, forcer une serrure, tordre une clef, les ressorts d'une serrure, de manière que cette clef, ces ressorts ne peuvent plus jouer.

    Terme d'escrime. Forcer le fer, engager avec force l'épée de son adversaire.

    Terme de manége. Forcer la main, se dit en parlant d'un cheval qui refuse d'obéir, qui s'emporte. On dit aussi forcer à la main, gagner à la main.

    Fig. Forcer la main à quelqu'un, le contraindre à faire quelque chose.

    Avoir la main forcée, faire quelque chose malgré soi.

    Fig. Forcer le sens, y faire quelque violence qui le dénature. En prenant naturellement la gnose pour la connaissance pratique de Dieu et de l'Évangile, vous parlez naturellement, et cela est vrai ; en forçant le sens et substituant à la gnose l'état passif, cela est absurde, Bossuet, Nouv. myst. 15.

    On dit de même : forcer l'analogie. Ce n'est que dans une généralité scolastique et en forçant l'analogie que l'on peut, sur le rapport unique de la similitude d'une seule partie, appliquer le même nom à des espèces qui diffèrent autant entre elles que celle de l'oiseau du tropique, par exemple, et celle du véritable pélican, Buffon, Ois. t. XVI, p. 47, dans POUGENS.

  • 2Prendre, traverser de vive force. Forçons, forçons enfin ces superbes murailles, Du Ryer, Scévole, I, 1. Montrez-lui comme il faut s'endurcir à la peine… Reposer tout armé, forcer une muraille, Corneille, Cid, I, 6. Je tiens sa prison même assez mal assurée… Je crains qu'on ne la force, Corneille, Poly. III, 5. Est-ce là celui qui forçait les villes et qui gagnait les batailles ? Bossuet, Louis de Bourbon. On ne l'eut pas plus tôt vu, pied à terre, forcer le premier ces inaccessibles hauteurs, que son ardeur entraîna tout après elle, Bossuet, ib.

    On dit de même : forcer le passage, l'entrée, etc. Quand son bras força notre frontière, Racine, Alex. II, 1. Ses criminels amis en ont forcé l'entrée [du sérail], Racine, Bajaz. V, 7. Forcer le passage du Granique avec très peu de troupes contre une multitude infinie de soldats, Fénelon, Dial. des morts, Pyrrhus, Démétrius.

    Par extension. Forcer la consigne, ne pas s'y conformer, l'enfreindre avec violence.

    Fig. Forcer la porte de quelqu'un, entrer chez quelqu'un malgré la défense qu'il a faite de laisser entrer.

  • 3Triompher de la résistance d'une troupe militaire. Comme on les pensait forcer dans leur retranchement, on eut quelque désavantage, Perrot D'Ablancourt, Arrien, I, 7, dans RICHELET. Pouvions-nous le surprendre, ou forcer les cohortes Qui de jour et de nuit tiennent toutes ses portes ? Corneille, Héracl. IV, 6. Chacun se plaignait de leur brigandage [des bandes de pillards], sans que personne pût les forcer dans leur retraite, Fléchier, Hist. de Théodose, IV, 20. Força les plus mutins, et regagnant le reste…, Racine, Mithr. v, 4. Après qu'on fut entré dans la ville par les brèches, les assiégés se défendirent encore longtemps avec un courage incroyable, et il fallut les poursuivre et les forcer de maison en maison, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. V, p. 197, dans POUGENS.

    Fig. Forcer quelqu'un dans ses retranchements, voy. RETRANCHEMENT.

  • 4Faire violence à une femme. Mme de Valentinois accusa son beau-père non-seulement de lui en avoir conté, mais de l'avoir voulu forcer, Saint-Simon, 44, 2.
  • 5Forcer un cheval, l'excéder de fatigue.

    Se dit aussi des hommes. On les force de travail [les nègres], on leur épargne la nourriture, même la plus commune, Buffon, Hist. nat. hom. Œuv. t. v, p. 147, dans POUGENS.

    Forcer sa main, se fatiguer la main par quelque effort. Ma chère enfant, je ne veux pas forcer ma main ; c'est pourquoi voici le petit secrétaire, Sévigné, 260.

  • 6 Terme de chasse. Forcer une bête, la courre jusqu'aux abois. Forcer un cerf. Il [le loup] est infatigable et c'est peut-être de tous les animaux le plus difficile à forcer à la course, Buffon, Quadrup. t. II, p. 197. Tenez, tenez, le voilà qui court la plaine et force un lièvre qui n'en peut mais, Beaumarchais, Mar. de Figaro, II, 2.
  • 7Surmonter, vaincre. Elle a forcé les vents et dompté leur furie, Malherbe, II, 8. Mais enfin ton humeur force ma patience, Régnier, Élég. II. Forcez l'aveuglement dont vous êtes séduite, Corneille, Médée, I, 5. Si j'aimais assez mal pour essayer mes armes à forcer des périls qu'ont préparés vos charmes, Corneille, Tois. d'or, II, 2. Forcez, rompez, brisez de si honteuses chaînes, Corneille, Nicom. I, 2. Je cède à des raisons que je ne puis forcer, Corneille, ib. V, 1. Notre amour à tous deux ne rencontre qu'obstacles Presque impossibles à forcer, Corneille, Agésil. IV, 3. Forcerai-je moi seul tout l'empire romain ? Mairet, Sophon. v, 1. Nous le vîmes partout ailleurs comme un de ces hommes extraordinaires qui forcent tous les obstacles, Bossuet, Louis de Bourbon. Combien de fois tes yeux forçant ma résistance…, Racine, Alex. IV, 1. C'est en vain que forçant ses soupçons ordinaires, Racine, Bajaz. I, 1.
  • 8 Fig. Faire fléchir le courage. Malgré le mauvais succès de ses armes infortunées, si on a pu le vaincre, on n'a pu le forcer [Charles I], Bossuet, Reine d'Anglet.

    Ne pas laisser la liberté de faire ou ne pas faire. Force par ta vaillance Ce monarque au pardon et Chimène au silence, Corneille, Cid, III, 6. Mais l'empire inhumain qu'exercent vos beautés Force jusqu'aux esprits et jusqu'aux volontés, Corneille, Cinna, III, 4. Enfin aux châtiments il se laisse forcer, Corneille, Inscr. mises sous des estampes, VII, Punition des villes rebelles. Si ce fils… à quelque amour encor avait pu vous forcer, Racine, Mithr. II, 4. Mazarin voulut essayer de faire Louis XIV empereur ; le dessein était chimérique ; il eût fallu ou forcer les électeurs ou les séduire, Voltaire, Louis XIV, 6.

    Par extension. Forcer la terre à produire. Qui force la nature a-t-il besoin qu'on l'aide ? Corneille, Médée, IV, 6. Notre sort n'est pas tel qu'on le puisse forcer, Corneille, Sophon. V, 1. L'autre [Condé], et par l'avantage d'une si haute naissance, et par ces grandes pensées que le ciel envoie, et par une espèce d'instinct admirable dont les hommes ne connaissent pas le secret, semble né pour entraîner la fortune dans ses desseins et forcer les destinées, Bossuet, Louis de Bourbon. Assez d'autres viendront, à mes ordres soumis, Se couvrir des lauriers qui vous furent promis, Et, par d'heureux exploits forçant la destinée, Trouveront d'Ilion la fatale journée, Racine, Iphig. IV, 6.

    Il se dit aussi des sentiments, des passions, etc. Apprends d'elle à forcer ton propre sentiment, Corneille, Poly. V, 3. Forcez en ma faveur une trop juste haine, Corneille, Pomp. IV, 2. Si ton cœur demeure insensible, je n'entreprendrai point de le forcer, Molière, Prince d'Él. II, 4. Je ne veux point forcer ton inclination, Molière, l'Avare, IV, 3.

    Forcer le devoir de quelqu'un, contraindre moralement quelqu'un à manquer à son devoir. … Va, songe à ta défense, Pour forcer mon devoir, pour m'imposer silence, Corneille, Cid, v, 1. Elle cherche un combat qui force son devoir, Corneille, ib. V, 3.

    Forcer, avec à suivi d'un infinitif. J'ai forcé ma colère à le laisser parler, Corneille, Nicom. I, 2. Ceux-ci, après soixante et douze ans de guerre continuelle, furent forcés à subir le joug des Romains, Bossuet, Hist. I, 8. Nous sommes forcés à reconnaître nos misères, Bourdaloue, Carême, I, Prière, 339. Que si tous mes efforts ne peuvent réprimer Cet ascendant malin qui vous force à rimer, Boileau, Sat. IX. À prendre ce détour qui l'aurait pu forcer ? Racine, Mithr. IV, 1.

    Forcer, avec de et un infinitif. L'intempérance du malade force quelquefois le médecin d'être cruel, Patru, Plaidoyer 9, dans RICHELET. Et forçons-le de voir Qu'il peut en faisant grâce affermir son pouvoir, Corneille, Cinna, IV, 4. …Jusqu'à ce jour l'univers en alarmes Me forçait d'admirer le bonheur de vos armes, Racine, Alex. V, 3. Et força le Jourdain de rebrousser son cours, Racine, Athal. V, 1. Nous ne réconcilierons jamais le monde avec elle [la vertu], il est vrai ; mais, du moins, nous le forcerons de la respecter, Massillon, Panég. St Jean-Baptiste. Il force les Anglais de se rembarquer, Voltaire, Louis XV, 35.

  • 9 Terme de jeux. Contraindre à jeter une carte forte ou un atout, au whist et au boston.

    Obliger quelqu'un de jouer sans prendre, à l'hombre. Obliger un des joueurs à jouer un as ou le quinola, au reversis.

  • 10Obtenir par force, par importunité. Forcer le consentement, le vote de quelqu'un. Votre tyrannie N'usa de son pouvoir sur la faible Amélie Que pour tromper mes vœux, que pour forcer son choix, Delavigne, Vêp. sicil. II, 4.

    Obtenir par la puissance d'un sentiment. Une vertu qui devait forcer l'estime du monde, Bossuet, Anne de Gonz. Ce n'est point par des paroles qu'on peut forcer l'hommage du monde, c'est par la vertu et l'audace, Vauvenargues, l'Orat. chagr. Il [Jupiter] voulait non que le ciel les reçût [ses enfants], mais qu'il les demandât, et qu'à leur égard l'admiration seule forçât les vœux de la terre, Courier, Éloge d'Hélène.

    Forcer les respects, l'admiration, les obtenir de ceux mêmes qui ne sont pas disposés à les accorder.

  • 11 Terme de jardinage. Forcer une plante, l'obliger à fleurir ou à porter du fruit plus tôt qu'elle ne le ferait naturellement, au risque de la fatiguer.

    Forcer à fruit, tailler long pour avoir plus de fruits.

  • 12Exagérer, outrer. Ne forçons point notre talent ; Nous ne ferions rien avec grâce, La Fontaine, Fabl. IV, 5. Ne forcez point la nature, Sévigné, 135. Dans son système il force un peu ses idées, Bossuet, Var. 15. L'homme impatient force toute chose pour se contenter, Fénelon, Tél. XXIV.

    Forcer sa voix, se dit d'un chanteur qui fait des efforts de voix.

    Forcer nature, faire plus qu'on ne doit ou qu'on ne peut. On a un peu forcé nature pour mériter les bontés de Mlle Clairon, et cela est bien juste ; elle trouvera dans son rôle plusieurs changements, Voltaire, Lett. Mlle Clairon, janv. 1750.

  • 13 Terme de comptabilité. Forcer la recette, passer en recette plus qu'on n'a reçu.

    Forcer quelqu'un en recette, obliger un comptable à verser une recette qu'il a négligé de recevoir.

  • 14Hâter, précipiter. Forcer le pas, la marche.
  • 15 V. n. Terme de marine. Forcer de voiles, augmenter la voilure, de telle sorte que le vent, ayant action sur une plus grande surface de toile, fasse un plus grand effort qui pousse le navire dans la direction qu'on lui assigne, Jal Pour ne rien dérober à M. du Quesne, il faut observer qu'il fit le devoir d'un bon général en envoyant nous dire par le chevalier de Chaumont que nous devions forcer de voiles et aborder les vaisseaux de la tête ennemie, plutôt que de nous laisser gagner par le vent, Villette-Mursay, Combat du 10 février 1675, dans JAL.

    Un mât force quand il supporte un trop grand effort.

    Forcer de rames, ramer aussi fort qu'il est possible.

  • 16 Terme de jeux. Jeter une carte supérieure à celle qui a d'abord été jouée.
  • 17Se forcer, v. réfl. Faire trop d'efforts, mettre trop de véhémence à quelque chose. Ne vous forcez pas tant.
  • 18S'efforcer. Seigneur, voyez César, forcez-vous à lui plaire, Corneille, Pomp. II, 4.
  • 19Être surmonté. Ô malheur qui ne se peut forcer ! Molière, l'Ét. II, 14.
  • 20Faire effort sur soi-même. Forcez-vous, avalez cette médecine. Sa colère, seigneur, s'est forcée un moment, Mairet, Mort d'Asdrub. v, 3. Ah ! forcez-vous, de grâce, à des termes plus doux, Corneille, Perth. II, 5. Je me force au respect…, Corneille, Androm. V, 2. Ainsi Néron commence à ne se plus forcer, Racine, Brit. III, 8. …Et je ne puis penser Qu'à feindre si longtemps vous puissiez vous forcer, Racine, Mithr. III, 5.

REMARQUE

1. Des grammairiens ont essayé d'indiquer une nuance de sens entre forcer à et forcer de suivis d'un infinitif. Mais l'usage des auteurs ne permet aucune distinction réelle.

2. On trouve dans Saint-Simon : Forcer d'argent, payer une grosse somme : Dubois pensait déjà au cardinalat, et au besoin qu'il aurait de forcer d'argent à Rome, Saint-Simon, 480, 209. Il est probable que c'est une mauvaise lecture, et qu'il faut lire foncer, voy. FONCER 2.

HISTORIQUE

XIIIe s. Glorieus sire pere… Aiés merci de m'ame, car li cors est forcés, Ch. d'Ant. VIII, 1382.

XVe s. Par moy ton cueur jà forcéne sera, Orléans, 1.

XVIe s. Il est bon quelquefois de forcer sa complexion pour le plaisir de ses amis, Marguerite de Navarre, Lett. 78. Alexandre, forceant la ville de Gaza, Montaigne, I, 4. Les mouvements forcez [involontaires] de nostre visage, Montaigne, I, 97. On me faisoit gouster la science par une volonté non forcée, et de mon propre desir, Montaigne, I, 195. La sagesse ne force pas nos conditions naturelles [elle ne nous empêche pas d'être hommes], Montaigne, II, 20. Le peuple alloit souvent forceant ou destournant les propositions du senat, en y ostant ou adjoustant quelque chose, Amyot, Lyc. 10. Au demeurant, de forcer ses ennemis qui tenoient les cymes des cousteaux, et les en dechasser à force, il n'y voyoit point de moyen, Amyot, Fab. 16. Si l'on ne luy [à Annibal] baille point moyen de combattre, il est force forcée ou qu'il se ruine de soy mesme s'il demeure, ou…, Amyot, ib. 30. Il veit forcer et violer ses filles estans encore à marier, Amyot, Timol. 19. Ces plantes, forcées par chaleur artificielle, se perdent à peu d'occasion en leur premier âge, De Serres, 545.

ÉTYMOLOGIE

Force ; provenç. forsar ; espagn. forzar ; portug. forcar ; ital. forzare.