« fureur », définition dans le dictionnaire Littré

fureur

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fureur

(fu-reur) s. f.
  • 1Folie frénétique. La fureur est une cause d'interdiction. Il lui prend de temps en temps des accès de fureur. Le majeur qui est dans un état habituel d'imbécillité, de démence ou de fureur, doit être interdit, Code Nap. art. 489.

    Par exagération. Sorte de folie. Au défaut d'un meilleur refuge, iront-ils enfin se plonger dans l'abîme de l'athéisme, et mettront-ils leur repos dans une fureur qui ne trouve presque point de place dans les esprits ? Bossuet, Anne de Gonz. Quelle fureur, dit-il, quelle aveugle caprice, Quand le dîner est prêt, vous appelle à l'office ! Boileau, Lutr. I. Comme tout ce qui a rapport à l'histoire des arts est au moins aussi important que des récits de batailles, monuments de notre fureur, je finirai cette année par un fait qui servit à perfectionner la chirurgie, Duclos, Hist. Louis XI, Œuv. t. III, p. 51, dans POUGENS. N'y a-t-il pas de la fureur à nourrir des paons dont le prix n'est pas moindre que celui des statues ? Buffon, Ois. t. IV, p. 50, dans POUGENS.

    Fureur utérine, voy. NYMPHOMANIE.

    Fureur amoureuse, le rut. Cette fureur amoureuse ne dure que trois semaines ; pendant ce temps-là, ils [les cerfs] ne mangent que très peu, ne dorment ni ne reposent, Buffon, Quadrup. t. II, p. 31.

  • 2Passion excessive, démesurée pour une personne. Il aime, il hait jusqu'à la fureur. Une ombre chérie avec tant de fureur, Corneille, Œdipe, I, 1. Je l'ai livrée entre les mains de ceux qu'elle avait aimés, entre les mains des Assyriens, dont elle avait été passionnée jusqu'à la fureur, Sacy, Bible, Ézéchiel, XXIII, 9. Songez-y bien, il faut désormais que mon cœur, S'il n'aime avec transport, haïsse avec fureur, Racine, Andr. I, 4. Ce cœur né pour haïr qui brûle avec fureur, Voltaire, Fanat. V, 4. Parmi les causes qui contribuèrent à la conquête du nouveau monde, on doit compter cette fureur des femmes américaines pour les Espagnols, Raynal, Hist. phil. VI, 8.

    À la fureur, d'une façon passionnée. Ciel ! que je vous haïrais, si je ne vous aimais à la fureur ! Hamilton, Gramm. 9. Le gouverneur aimait les femmes à la fureur, Voltaire, Cand. 13.

  • 3Passion excessive, démesurée pour une chose. Que n'a-t-on pas dit de sa fermeté [de Louis XIV], à laquelle nous voyons céder jusqu'à la fureur des duels ? Bossuet, Mar.-Thér. Les fausses religions, le libertinage d'esprit, la fureur de disputer des choses divines sans fin, sans règle, sans soumission, Bossuet, reine d'Anglet. Les jeux sont devenus ou des trafics, ou des fraudes, ou des fureurs, Massillon, Car. Él. Eh bien ! son Dorante, que t'a-t-il fait ? car il me semble que ta fureur est que je le haïsse, Marivaux, Préj. vaincu, sc. 8. La fureur de la plupart des Français c'est d'avoir de l'esprit, Montesquieu, Lett. pers. 66. Malgré la fureur du paganisme dont il était possédé, il ne répandit pas une goutte de sang chrétien, Diderot, Opin. des anc. phil. (éclectisme). On n'y eut pas plutôt ouvert des cafés [à Constantinople] qu'ils furent fréquentés avec fureur, Raynal, Hist. phil. III, 12.

    Faire fureur, être fort en vogue. Cette actrice, cette pièce fait fureur. On dit aussi : Tout le monde s'y porte ; c'est une fureur ; et dans un sens analogue : Il est dans la fureur de ses succès.

  • 4 Familièrement. Habitude importune, fatigante, nuisible de faire quelque chose. Il a toujours la fureur de se mêler des affaires des autres. Comme il connaissait la fureur dont sa femme se donnait en spectacle pour sa danse et pour sa parure, Hamilton, Gramm. 7. Qui n'a pu retenir sa misérable fureur de parler, Marivaux, Marianne, 7e part. Cette fureur de charger une histoire de portraits a commencé en France par les romans, Voltaire, Russie, Préf. Hist.
  • 5Colère extrême. Vous eussiez vu leurs yeux s'enflammer de fureur, Corneille, Cinna, I, 3. Tu céderas ou tu tomberas sous ce vainqueur, Alger, riche des dépouilles de la chrétienté… dans ta brutale fureur, tu te tournes contre toi-même, et tu ne sais comment assouvir ta rage impuissante, Bossuet, Marie-Thér. Il tourna sa fureur contre les Juifs, Bossuet, Hist. I, 9. Craignez de négliger Une amante en fureur qui cherche à se venger, Racine, Andr. IV, 6. Ma tranquille fureur n'a plus qu'à se venger, Racine, Baj. IV, 5. L'auriez-vous cru, madame, et qu'un si prompt retour Fît à tant de fureur succéder tant d'amour ? Racine, Bajaz. III, 5. Cette chasse acheva de la mettre en fureur, Fénelon, Tél. VII.

    De fureur, par un mouvement de fureur. …J'étais si transporté, Que, donnant de fureur tout le festin au diable…, Boileau, Sat. III. Gilotin en gémit, et, sortant de fureur…, Boileau, Lutr. I.

    Se dit aussi des animaux. La fureur d'un taureau. Un lion en fureur. Semblable à une bête en fureur, Fénelon, Tél. VIII.

    En termes de l'Écriture sainte, la colère de Dieu. Seigneur, ne me repoussez pas dans votre fureur

  • 6Emportement, violence. L'autre d'un si grand zèle admire la fureur, Corneille, Hor. III, 2. De protestations, d'offres et de serments, Vous chargez la fureur de vos embrassements, Molière, Mis. I, 1. Dans la plus grande fureur des guerres civiles, Bossuet, Reine d'Anglet. Témoins de la fureur de mes derniers adieux, Racine, Andr. II, 2. La fureur des combats que Mentor tâchait d'éteindre, Fénelon, Tél. X. Nous n'aurions pas le temps de nous entretenir, si nous ne prévenions pas la fureur de ses politesses, Marivaux, Paysan parvenu, 2e part. J'avais toutes les raisons de croire que la fureur de ses désordres céderait aux charmes de Primerose et aux étonnantes vertus de mon ami, Voltaire, Jenni, 5. C'est en Angleterre surtout, plus qu'en aucun pays, que s'est signalée la tranquille fureur d'égorger les hommes avec le glaive prétendu de la loi, Voltaire, Dict. phil. Supplices, II.
  • 7Agitation violente de choses inanimées. L'aquilon en fureur. Mais enfin le ciel m'aime, et ses bienfaits nouveaux Ont arraché Maxime à la fureur des eaux, Corneille, Cinna, V, 2. Celui qui met un frein à la fureur des flots Sait aussi des méchants arrêter les complots, Racine, Athal. I, 1. La mer lasse de se mettre en fureur, Fénelon, Tél. VI. La terre tremblante Frémit de terreur ; L'onde turbulente Mugit de fureur, Rousseau J.-B. Cantate, Circé.
  • 8Transport qui ravit l'âme. Il fut saisi d'une fureur divine. La fureur prophétique. La fureur poétique. Fureur martiale. Une sainte fureur s'empara de lui. Je sens au second vers que la muse me dicte, Que contre sa fureur ma raison se dépite, Régnier, Sat. X. [Les esprits faciles qui] N'éprouvèrent jamais en maniant la lyre Ni fureurs ni transports, Rousseau J.-B. Ode au comte du Luc.
  • 9 Au plur. Il se dit des emportements, des transports en tout genre. Les fureurs de Roland. De poétiques fureurs. Vous voyant exposée aux fureurs d'une femme, Corneille, Nicom. I, 1. Ce qu'ont de plus affreux les fureurs de la guerre, Corneille, ib. III, 1. Pour ne point rappeler ici les guerres des Albigeois, les séditions des Vicléfites en Angleterre, et les fureurs des Taborites en Bohême, on n'avait que trop vu à quoi avaient abouti toutes les belles protestations des Luthériens en Allemagne, Bossuet, Var. X, § 25. Venez, à vos fureurs [les fureurs des Euménides] Oreste s'abandonne, Racine, Andr. V, 5. Défendez-moi des fureurs de Pharnace, Racine, Mithr. I, 2. À de moindres fureurs je n'ai pas dû m'attendre, Racine, Iphig. IV, 5. …De l'amour j'ai toutes les fureurs, Racine, Phèdre, I, 3. Il n'eût point eu le nom d'Auguste Sans cet empire heureux et juste Qui fit oublier ses fureurs, Rousseau J.-B. Ode à la fortune. Tu peux faire trembler la terre sous tes pas, Des enfers allumés déchaîner la colère ; Mais tes fureurs ne feront pas Ce que tes attraits n'ont pu faire, Rousseau J.-B. Cantate, Circé. Les princes trouvent toujours des âmes assez viles pour excuser leurs fureurs, Duclos, Hist. de Louis XI, Œuvres, t. II, p. 475, dans POUGENS. Conçois-tu bien l'excès de mes fureurs jalouses ? Voltaire, Fanat. II, 4. Ceux qui sont pénétrés de l'amour des sciences, qui n'en font pas un indigne métier et qui ne les font point servir aux misérables fureurs de l'esprit de parti, Voltaire, Mél. litt. Lett. au P. Tournemine. Cavalier [un des chefs des protestants des Cévennes, lors des dragonnades] est mort officier général et gouverneur de l'île de Jersey, avec une grande réputation de valeur, n'ayant conservé de ses premières fureurs [la violence de son fanatisme religieux] que le courage, Voltaire, Louis XIV, 36. Pourquoi demandez-vous que ma bouche raconte Des princes de mon sang les fureurs et la honte ? Voltaire, Henr. I.

    Familièrement. Des fureurs, des scènes violentes, des emportements sans raison. Ce prince [le régent] lui opposait en vain des raisons ; elle [la duchesse de Berri] y répondait par des fureurs, Duclos, Mém. Rég. Œuv. t. V, p. 396.

SYNONYME

FUREUR, FURIE. Le radical de ces deux mots est le même ; le suffixe seul est différent. Étymologiquement, la fureur est l'état d'un homme furieux ; la Furie est un personnage mythologique chargé des vengeances des dieux. De là résulte que la fureur, bien que violente, peut être cachée dans le fond de l'âme, tandis que la furie éclate au dehors. Par une conséquence naturelle, furie a pu se dire de l'impétuosité d'une attaque, comme dans cette phrase consacrée : la furie française, qui exprime l'impétuosité des assaillants ; tandis que fureur ne serait pas applicable et aurait un autre sens. D'autre part, il y a dans fureur une signification de folie, de transport qui n'est pas dans furie ; ce qui fait qu'on dit fureur prophétique, et non furie prophétique.

HISTORIQUE

XIIe s. Sire, ne me arguer en ta fuirur, e en la tue ire ne castier [châtier] mei, Liber psalm. p. 49. Lores parlerat à els sa ire, et en sa furur les conturberat, ib. p. 2.

XIIIe s. Ele [Judith] ne douta pas les furors des rois, ainz se offri à mort por sauver le pueple, Latini, Trésor, p. 62.

XIVe s. La fureur du pueple qui avoit cessé de coustiver [cultiver] les terres, Bercheure, f° 40, recto.

XVIe s. Ô la fureur d'une bruslante rage, Qui maintenant transporte mon courage, Du Bellay, J. IV, 17, recto.

ÉTYMOLOGIE

Prov. et esp. furor ; ital. furore ; du lat. furorem.