« gêne », définition dans le dictionnaire Littré

gêne

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

gêne

(jê-n') s. f.
  • 1La question qu'on faisait subir aux accusés pour leur arracher des révélations. Menacés de la gêne, ils ont tout découvert, Th. Corneille, Pers. et Dém. v, 2. On le retira de la gêne pour le réserver au gibet, Chateaubriand, Natch. 2e part. vers la fin.

    Par extension, les tortures qu'on inflige à quelqu'un pour lui faire dire quelque chose, pour en tirer de l'argent.

    Mettre à la gêne, donner la question ; et fig. soumettre à une vive peine, mettre dans un grand embarras. C'est en cette manière qu'il nous a appris qu'il fallait mettre à la gêne de tels imposteurs, Pascal, Prov. 16. Si elle [la conscience] refuse de parler, c'est qu'elle est complice du crime ; il la faut faire parler par force, il la faut mettre à la gêne et à la torture, Bossuet, Sermons, Péché d'habitude, 3. Sont-ils d'accord tous deux pour me mettre à la gêne ? Racine, Phèd. v, 4.

    Donner la gêne, donner la question ; et fig. imposer un grand effort. Il ne faudrait pas donner la gêne à notre esprit, pour trouver de quoi nous entretenir avec lui, Massillon, Carême, Prière 1.

    Se donner la gêne, s'inquiéter ; se mettre l'esprit à la gêne, faire de grands efforts. Il se donne la gène pour faire des vers.

  • 2 Par extension, douleurs très vives comparées à celles de la question. Je ne veux point d'un fils dont l'implacable haine Prend ce nom pour affront et mon amour pour gêne, Corneille, Héracl. v, 5. La recevoir [Émilie] de lui me serait une gêne, Corneille, Cinna, II, 2. Pour moi, j'en ai souffert la gêne sur mon corps, Molière, l'Ét. IV, 5. Je sens de son courroux des gênes trop cruelles, Molière, Dép. am. v, 2. Non, non, l'enfer n'a point de gêne Qui ne soit pour ton crime une trop douce peine, Molière, Sgan. 16. La pierre, la colique et les gouttes cruelles… De travaux douloureux le viennent accabler, Sur le duvet d'un lit, théâtre de ses gênes, Lui font scier des rocs, lui font fendre des chênes, Boileau, Épît. X.
  • 3Ce qui met trop à l'étroit, mal à l'aise. Être à la gêne dans ses souliers. Il y a un peu de gêne dans la respiration.
  • 4L'embarras que cause le séjour d'une personne chez une autre. Restez chez moi, il y a place pour vous, vous ne me causerez pas de gêne.
  • 5Contrainte fâcheuse, état pénible où l'on se trouve. Que de vivre à la gêne avec un indiscret, Régnier, Sat. VIII. Puis-je vivre et traîner cette gêne éternelle ? Corneille, Rodog. v, 4. Ces feintes ont pour moi des gênes trop cruelles, Corneille, Théod. IV, 1. Je souffre, et c'est pour vous que j'ose m'imposer La gêne de souffrir et de le déguiser, Corneille, Oth. I, 4. Je m'impose à vos yeux la plus dure des gênes, Corneille, D. Sanche, I, 2. L'hymen où je m'apprête est pour vous une gêne ! Corneille, Sertor. IV, 2. Mais je ne puis souffrir qu'un esprit de travers Qui, pour rimer des mots, pense faire des vers, Se donne en te louant une gêne inutile, Boileau, Disc. au roi. Le délassement le plus sûr des gênes, des bienséances, Massillon, Carême, Temples. Où le sexe, élevé loin d'une triste gêne, Marche avec les héros, et s'en distingue à peine, Voltaire, Tancr. IV, 6. Quintilien n'est franc ni dans sa critique ni dans son éloge ; on y sent la gêne, Diderot, Claude et Nér. II, 103. Charmante maison, point de gêne ; on y est comme chez soi, Picard, Deux Philiberts, I, 4.

    Terme de peinture. Synonyme de contrainte dans le dessin.

    Sans gêne, sans s'imposer aucune contrainte. C'est chez nous [singes] qu'à vivre sans gêne S'instruisit le grand Diogène, Béranger, Orang-out. Diogène, sous ton manteau, Libre et content, je ris et bois sans gêne, Béranger, Nouv. Diog.

    Être sans gêne, prendre ses aises sans s'inquiéter des autres. Ce monsieur est sans gêne.

    On dit dans un sens analogue : C'est un monsieur sans gêne ; et, avec ellipse de monsieur, c'est un sans gêne, vous êtes un sans gêne.

    Substantivement. Le sans-gêne, voy. SANS-GÊNE, à son rang alphabétique.

  • 6État voisin de la pauvreté, pénurie. Être dans la gêne.

    PROVERBE

    Où il y a de la gêne il n'y a pas de plaisir.

HISTORIQUE

XIIIe s. Et si tost comme il le [la] vout metre à la gehine, ele reconnut toute le [la] verité et fu arse, Beaumanoir, LXIX, 16. Or ont, por leur amour, perpetuel haïne, Por leur joie, tristesce, por leur pais, ataïne [fâcherie], Et por leur faus deliz, très destraignant jaïne ; Perilleuse est amor qui tel queue traïne, J. de Meung, Test. 1975.

XIVe s. Pour gehines et justices de le [la] ville faites au dit terme, Caffiaux, Abatis de maisons, p. 24.

XVIe s. Je ne veulx corrompre son esprit à le tenir à la gehenne et au travail, Montaigne, I, 181. Quelle gehenne ne souffrent les femmes, guindées et cenglées, à tout de grosses coches sur les costez ? Montaigne, I, 308. Estre tiré sur la gesne [torturé], Paré, VI, 14. Ilz les emprisonnoient, ilz leur donnoient la gehenne, Amyot, Lucull. 35. Tu fais que sage de confesser la verité avant que l'on te donne la geyne pour te la faire dire, Amyot, Anton. 76.

ÉTYMOLOGIE

Contraction de gehenne (voy. ce mot) ; Maine, géhaigne.