« gras », définition dans le dictionnaire Littré

gras

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

gras, asse

(grâ, grâ-s') adj.
  • 1Semblable, analogue à la graisse. L'huile, le beurre sont des substances grasses. Les parties grasses du corps.

    Terme de chimie. Corps gras, corps neutres, acides ou salins, solubles dans l'éther et l'alcool, insolubles ou fort peu solubles dans l'eau, et qui brûlent avec une flamme volumineuse en donnant du noir de fumée sans ammoniaque ni autres produits azotés.

  • 2Qui est fourni de graisse. Poularde grasse. Une carpe très grasse. Il ne tiendra qu'à vous, beau sire, D'être aussi gras que moi, La Fontaine, Fabl. I, 5. Vous moquez-vous ? il faut un roi qui soit gros et gras comme quatre, Molière, Impr. de Vers. 1. Vous n'êtes point grasse ; mais vous avez un beau teint, vous êtes blanche, vous êtes tranquille, Sévigné, Lett. du 26 août 1677. Elle n'avait pas dans ses mouvements la pesanteur des femmes trop grasses ; son embonpoint ni sa gorge ne l'embarrassaient pas, Marivaux, Pays. parv. 4e part. Comme ils sont dodus et gras Ces bons citoyens du Maine [chapons] ! Béranger, Chapons.

    Fig. Tuer le veau gras, voy. VEAU.

    Le bœuf gras, bœuf choisi qui figure dans la pompe du carnaval.

    Être gras comme un moine, être gras à lard, c'est-à-dire être fort gras. Où j'avale tant de nectar Que je m'en trouve gras à lard, Scarron, Virg. I. On y faisait très bonne chère ; j'y devins gras comme un moine, Rousseau, Confess. VII.

    Gras du bec, qui mange de bons morceaux. Non, car ces gens si gras du bec Votent l'eau claire et le pain sec, Béranger, Enrh.

    Dormir la grasse matinée, dormir bien avant dans le jour. On vit avec horreur une muse effrénée Dormir chez un greffier la grasse matinée, Boileau, Ép. V.

    Fig. Sortir bien gras, sortir fort gras, d'un emploi, d'une affaire, s'y être enrichi.

    Fig. et familièrement. En serez-vous plus gras ? c'est-à-dire en serez-vous plus riche, plus heureux, plus avancé ? Quand j'aurai fait le brave, et qu'un fer pour ma peine M'aura d'un mauvais coup transpercé la bedaine, Dites-moi, mon honneur, en serez-vous plus gras ? Molière, Sganarelle, 17.

    On dit de même : Je n'en suis pas plus gras pour cela. Ah ! vous voilà bien gras avec votre chimère, Destouches, Phil. marié, III, 13.

  • 3Il se dit de la viande par opposition au poisson et aux légumes. L'Église défend les aliments gras en carême. Bouillon gras.

    La soupe grasse, la soupe faite avec du bœuf ou du lard.

    Choux gras, choux accommodés à la graisse ou au lard.

    Fig. et familièrement. Faire ses choux gras de quelque chose, en faire ses délices, en faire son profit.

    Jours gras se dit, chez les catholiques, des jours où il est permis de manger de la viande, par opposition aux jours maigres où il n'est pas permis d'en manger.

    Plus particulièrement, les jours gras, le jeudi et les trois jours qui précèdent le carême, c'est-à-dire le dimanche, le lundi et le mardi, ou même tous les jours du jeudi au mardi. Nous avons passé ici les trois jours gras, ma fille, Sévigné, 410.

    On joint l'épithète de gras à chacun de ces quatre jours : jeudi gras, dimanche gras, etc.

  • 4Où il y a plus ou moins de graisse. Cette sauce, cette soupe est trop grasse.
  • 5Sali, rempli de graisse. Essuyez-vous, vous avez le menton gras. On le trouva [Jacques Clément] dans un profond sommeil ; son bréviaire était auprès de lui, ouvert et tout gras au chapitre du meurtre d'Holopherne par Judith, Voltaire, Henr. V, note. Une multitude de gens à pied suivaient en cheveux gras et en silence, Voltaire, Princ. de Babyl. 11.
  • 6Qui s'épaissit trop avec le temps. De l'huile grasse.
  • 7Fromage gras, fromage qui est fait avec tout le lait non écrémé.

    Figues grasses, figues qui, avec le temps, ont contracté une espèce de graisse.

    Figue grasse, grosse figue sèche, dont on se sert pour faire des tisanes.

    Lessive grasse, lessive fortement chargée d'alcali.

    Vin gras, vin qui a pris la graisse, voy. GRAISSE, n° 5. Gras se dit aussi en ce sens de l'eau-de-vie et de la bière.

  • 8 Terme de marine. Le temps est gras quand il est humide et brumeux.

    Un navire court à grasses boulines quand le vent est assez favorable pour qu'on puisse se mettre sous l'allure du largue.

  • 9Éclat gras, éclat d'un corps qu'on dirait avoir été frotté avec une substance grasse.

    Terme de peinture. Couleur grasse, couleur qui est couchée avec abondance.

    Peindre à gras, retoucher avant que la couleur soit sèche ; ce qui produit un très bon effet.

    En mauvaise part. Dessin gras, dessin mou, sans vigueur et sans ton.

  • 10Avoir la poitrine grasse, être sujet à la toux suivie de l'exspuition de mucosités épaisses. Une poitrine grasse et flegmatique se trouvera bien de l'air de Ste-Geneviève et mal de celui des quais, Saint-Foix, Ess. Paris, Œuv. t. III, p. 415, dans POUGENS.

    Toux grasse, toux dans laquelle on rejette des mucosités, par opposition à toux sèche où l'on n'amène rien.

  • 11Terre grasse, terre forte, tenace et fangeuse. Il s'engagea dans des terres grasses où l'artillerie ne put s'avancer. La montée [à Miradoux] est assez droite et fort longue, et les terres y sont grasses en hiver, La Rochefoucauld, Mém. 215.

    Terre grasse est aussi le nom donné à l'argile qui sert à dégraisser les étoffes, à ôter les taches.

    Argile grasse, argile qui contient peu de silice.

    Mortier gras, mortier qui contient trop de chaux.

    Pierre grasse, pierre humide.

    Par extension. Le pavé est gras, quand on glisse dessus, qu'on y marche difficilement. On dit aussi : Il fait gras marcher.

  • 12Qui produit abondamment les moissons et les herbes. Aux frontières de la Gédrosie, pays gras et abondant, Vaugelas, Q. C. 540. Nous vîmes la grasse campagne, Scarron, Virg. III. L'électeur [de Bavière] se trouvait dans une abondance durable par les pays gras et neufs dont il était maître, Saint-Simon, 135, 245. Davoust, tout brûlant d'une colère qu'il concentre avec effort, répond qu'il propose une retraite à travers un sol fertile, sur une route vierge, nourricière, grasse, intacte, dans des villages encore debout et par le chemin le plus court, Ségur, Hist. de Nap. IX, 4.

    Terres grasses, terres très fertiles.

    Gras pâturages, lieux qui produisent de l'herbe en abondance et où les bestiaux s'engraissent.

  • 13 Terme de botanique. Plantes grasses, celles dont les tiges et les feuilles sont épaisses, charnues, succulentes, telles que les cactus.
  • 14Avoir un parler gras, ou bien avoir la langue grasse, parler comme si on avait quelque chose de gras, de pâteux dans la bouche. Un air de béatitude, avec un parler gras, lent et nasillard, faisait volontiers prendre sa physionomie [de l'évêque de Châlons] pour niaise, Saint-Simon, 78, 15.

    Parler gras signifie aussi grasseyer.

  • 15 Terme de vétérinaire. Ce cheval a la vue grasse, il a la vue trouble.
  • 16 Terme de charpente. Pièce de bois grasse, pièce plus forte qu'elle ne doit être.
  • 17 Fig. Licencieux, graveleux. Tenir des discours un peu gras. Le vieux commandeur, avec tous ses contes gras, quant à la substance, ne perdait jamais sa politesse de la vieille cour, Rousseau, Confess. VII.

    Cause grasse, une cause que les clercs du palais choisissaient pour plaider entre eux aux jours gras, et qui était remplie de choses plaisantes.

    Cause grasse, se disait aussi de quelque affaire plaisante qu'on réservait pour la plaider aux jours gras. De même que l'on plaidait et que l'on plaide encore, je crois, ces jours-là, une cause grasse au Châtelet et au parlement, Saint-Foix, Ess. Paris, Œuv. t. IV, p. 167.

  • 18 S. m. La partie grasse d'une viande. Le gras et le maigre d'un jambon. Donnez-moi du gras.

    Familièrement. Tourner au gras, prendre beaucoup d'embonpoint.

    Absolument. La viande. Il aime le gras.

    Riz au gras, riz qu'on a fait crever dans un bouillon gras.

    Légumes au gras, légumes accommodés avec de la graisse. Épinards au gras.

  • 19Particulièrement, chez les catholiques, la viande, les mets gras. Le gras et le maigre. Il faudra que le prince mange tout seul en gras à sa petite table, Maintenon, Lett. à M. d'Aubigné, 4 septemb. 1677.

    Manger gras, manger de la viande les jours maigres. Samedi 10 août 1686, le roi a dîné et soupé gras dans son appartement, Dangeau, I, 369. Ne pourrait-il pas manger gras à une table avec les personnes qui ont le même besoin ? Maintenon, Lett. au card. de Noailles, 1700, t. IV, p. 182, dans POUGENS. Les Dalécarliens demandèrent qu'on fît brûler tous les citoyens qui feraient gras le vendredi, Voltaire, Mœurs, 119.

  • 20Le gras de la jambe, la partie de la jambe qui est fort charnue, le mollet. Voilà ma justification, dont vous ferez part au gros abbé, si jamais, par hasard, il a mal au gras des jambes sur ce sujet, Sévigné, 16 oct. 1675.

    Gras de jambe, s'est dit autrefois pour faux mollet. Il m'a chassé de sa chambre, parce qu'il s'est mis de mauvaise humeur, et qu'il s'est imaginé que je lui avais mis de travers son gras de jambe, Dancourt, 2e chap. du Diable boit. I, 2.

  • 21Maladie des vers à soie
  • 22Tourner au gras, se dit du vin qui prend la graisse (voy. GRAISSE, n° 5).
  • 23 Terme de chimie. Gras des cadavres, corps gras qui se forme par saponification des tissus animaux restés longtemps plongés dans l'eau ou enfouis dans une terre humide.
  • 24Gras, adv. Parler gras, grasseyer. L'on ne peut être plus content de lui-même : il s'est acquis une voix claire et délicate, et heureusement il parle gras, La Bruyère, XIII. Elle affectait d'être languissante, de parler gras, Hamilton, Gramm. 10.

    Terme de peinture. Peindre gras, avoir le pinceau gras, peindre par couches épaisses.

    Pain gras-cuit, pain qui n'a pas levé, qui est pâteux faute de cuisson.

    Terme de fauconnerie. Voler haut et gras, se dit d'un oiseau dont le vol est hardi.

    Terme de vétérinaire. Ce cheval est gras-fondu, il est malade de gras-fondure.

HISTORIQUE

XIIe s. Dunc comença sun cors durement à grever, E les grasses [grossières] viandes, chous e nes [navets] à user, Th. le mart. 93. Nis dous feiz [même deux fois] descendirent jus des palefreiz cras, ib. 114.

XIIIe s. Tout li tavernier de Paris pueent vendre tel vin come il voelent, cras ou bouté, et à tel fuer come il voelent, Liv. des mét. 29. Grosses brebis et crasses vaches, Ren. 11473. Et sachiez que ses gras [de l'autruche] est molt profitables à toutes dolors que on ait en ses membres, Latini, Trésor, p. 222. Et ge les voi, les jengleors, Plus cras qu'abbés ne que priors, la Rose, 2568.

XIVe s. Le bras estoit dessous la manche Gras et roond, Lande dorée. Si le vin est gras [sorte de maladie du vin], Ménagier, II, 3.

XVe s. Le pays de Normandie est un des plus gras du monde, Froissart, I, I, 264. Icellui Henriet jura gras et detestables sermens qu'il ne buroit [boirait] point, Du Cange, grassus. Et n'est loisible aucunement à homme ou femme, hault ou bas, De le tenir secrètement, Ne aussi d'en faire ses choux gras, Coquillart, Plaid. de la simple et de la rusée. Notre hoste a aussi du bon fromage et bien gras, Louis XI, Nouv. XCIX.

XVIe s. Un fascheux corps vestu d'un satin gras, Un satin gras doublé d'un fascheux corps, Marot, III, 84. Se faire arracher des dents saines, pour en former la voix plus molle et plus grasse, Montaigne, I, 307. Un chien enragé luy emporta le gras de la jambe, Montaigne, III, 302. Je fois [fais] mes jours gras des maigres, Montaigne, IV, 288. On dit qu'il avoit la langue un peu grasse, ce qui ne luy seoit pas mal ; son parler gras…, Amyot, Alc. 2. Un jour blasmant quelqu'un qui estoit extrement gras et replet, Amyot, Caton, 18. Gras et souillé du suif de la Sicile, Amyot, Nicias, 1. Il descouvrit une source d'une humeur grasse et huileuse, qui ne differoit en rien de l'huile naturelle, ayant le lustre et la grassesse si semblable, que l'on n'y eust sceu…, Amyot, Alex. 96. Et à cause des terres qui sont fort grasses en-ce païs-là, homme ny cheval ne pouvoit marcher avant ny arriere, Carloix, II, 13. Au jeune le sang est plus gras et gluant pour faire prompte union et regeneration de chair, Paré, VII, 4. Matiere crasse et visqueuse, Paré, I, 29. Celle [maison] de son voisin, où la cuisine estoit plus grasse que la sienne, Noel du Fail, Contes d'Eutrap. f° 18, dans POUGENS.

ÉTYMOLOGIE

Picard, cras ; wallon, crâs, au fém. crâse ; namurois, crau, au fém. crause ; Hainaut, cras, au fém. crasse ; provenç. et catal. gras ; espagn. graso ; ital. grasso ; du bas-lat. grassus, qui est dans les Addenda de Quicherat avec le sens de gras, et qui représente le latin crassus, signifiant épais.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

GRAS.
9Ajoutez :

Un faire gras, se dit d'un peintre qui couche la couleur avec abondance. Il [J. Duvivier] établissait savamment ses masses ; il entrait ensuite dans de très grands détails, en conservant un faire gras et large, L. Gougenot, dans Mém. inéd. sur l'Acad. de peinture, publ. par Dussieux, etc. t. II, p. 321.

25 Terme de forestier. Bois gras, celui dont le tissu est mou, poreux, peu résistant, dont le grain est peu serré, la fibre lâche et imparfaitement lignifiée, Nanquette, Expl. débit et estim. des bois, Nancy, 1868, p. 172.
26Emballage en gras et en maigre, emballage en toile grasse (voy. TOILE, n° 6) et en toile ordinaire.
27 Terme de filature. Filer en gras, filer en ajoutant de l'huile. Nous filons en gras, avec addition de 8 pour 100 d'huile, Enquête, Traité de comm. avec l'Anglet. t. III, p. 692.