« innocent », définition dans le dictionnaire Littré

innocent

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

innocent, ente

(i-no-san, san-t') adj.
  • 1Qui ne nuit point, qui ne fait point de mal. L'agneau est un animal innocent. Mais, seigneur, épargnez un enfant innocent, Voltaire, Orphel. III, 2.

    Il se dit des choses dans le même sens. Un remède, un breuvage innocent. Messieurs les régents sont si animés contre moi à cause des innocents Principes de physique qu'ils ont vus, et si en colère de ce qu'ils n'y trouvent aucun prétexte pour me calomnier, Descartes, Lett. à Chanut, 34, du t. 1er de l'éd. de 1724.

  • 2Qui n'est point coupable, en parlant des personnes. Et le plus innocent devient souvent coupable, Quand aux yeux de son prince il paraît condamnable, Corneille, Hor. V, 2. Il disait donc en parlant de cette prison malheureuse qu'il y était entré le plus innocent de tous les hommes, et qu'il en était sorti le plus coupable, Bossuet, Louis de Bourbon. On eût dit que les prisons n'étaient faites que pour eux [les chrétiens, sous Dioclétien] ; aussi étaient-elles tellement remplies de ces innocents coupables, qu'il ne restait plus de place dans les cachots pour les malfaiteurs, Bossuet, Panég. St Gorgon, I. Grâces au ciel, mes mains ne sont point criminelles ; Plût aux dieux que mon cœur fût innocent comme elles ! Racine, Phèdre, I, 3. Que de pécheurs voluptueux et invétérés deviendraient innocents, si le long usage de la volupté tout seul les dispensait devant Dieu d'être chastes ! Massillon, Carême, Mot. de conv. Mon cœur est innocent, mais ma main est coupable, Voltaire, Mérope, III, 4.

    Innocent se construit avec la préposition de. On vous soupçonna même d'être coupable de sa mort. - J'en suis aussi innocent que vous, Fénelon, Dial. des morts mod. Richelieu, Oxenstierne.

    Le sang innocent, le sang des personnes innocentes. Dans le sang innocent ta main va se plonger, Racine, Esth. III, 3.

    Substantivement. Un innocent. Une innocente. Son amour conjugal chassant le paternel Vous fera l'innocente et moi le criminel, Corneille, Nicom. III, 7. Dans des fleuves de sang tant d'innocents plongés, Voltaire, Orphel. III, 3. Souvent d'affreux soupçons l'innocent est noirci, Briffaut, Ninus II, III, 2.

  • 3Qui n'est point coupable, en parlant des choses ; qui ne vient point d'une mauvaise intention. Ils mangeaient, ils buvaient, ils se mariaient ; c'étaient des occupations innocentes ; que sera-ce quand en contentant nos impudiques désirs… ? Bossuet, Mar.-Thér. Elle prêtait de nouveau l'oreille à Dieu qui l'appelait avec tant d'attraits à la vie religieuse ; et l'asile qu'elle avait choisi pour défendre sa liberté devint un piége innocent pour la captiver, Bossuet, Anne de Gonz. Traiter en vos écrits chaque vers d'attentat, Et d'un mot innocent faire un crime d'État, Boileau, Sat. IX. Ce qui fut innocent peut-il cesser de l'être ? Voltaire, Fanat. III, 3. On ouvrait toutes mes lettres ; on empoisonnait ce qu'elles avaient de plus innocent, et les personnes qui avaient juré ma perte en faisaient des extraits odieux, Voltaire, Lett. en vers et en prose, 52.

    Familièrement. Un sabre innocent, un sabre qui n'a jamais servi. Ce noble mortel Marche en brandissant Un sabre innocent, Béranger, Carabas.

  • 4Pur et sans malice, en parlant des personnes. Une jeune fille innocente. Il est innocent comme un enfant. Et grande, je l'ai vue à tel point innocente, Que j'ai béni le ciel d'avoir trouvé mon fait, Molière, Éc. des f. I, 1. Il [l'amour] rend agile à tout l'âme la plus pesante, Et donne de l'esprit à la plus innocente, Molière, ib. III, 4. Lorsque le monde plus innocent était encore dans son enfance, Bossuet, Yolande de Monterby. Les rois, en des siècles plus innocents, furent autrefois eux-mêmes les juges du peuple, Fléchier, Lamoign.

    Même sens, en parlant des choses. Il était dans cet âge innocent où l'on ne soupçonne point le mal. Badinage innocent. Et d'un œil innocent il couvrait sa pensée, Régnier, Sat. III. Les premiers plaisirs qui nous ont trompés sont entrés dans notre cœur avec une mine innocente, comme un ennemi qui se déguise, Bossuet, la Vallière. On déclare une guerre immortelle et irréconciliable à tous les plaisirs ; il n'y en a aucun si innocent qu'il ne devienne suspect, Bossuet, ib. Et ses cris innocents [d'un enfant], portés jusques aux dieux, Racine, Phèdre I, 5. Enfant de tant de rois, faut-il qu'on sacrifie Aux ordres d'un soldat ton innocente vie ? Voltaire, Orphel. I, 5. Qui fait, dit-on, de petits vers innocents, D'Alembert, Lett. à Voltaire, 3 janv. 1765.

    Jeux innocents, petits jeux de société, où l'on impose des pénitences à ceux qui se trompent.

    Substantivement. Un innocent, une innocente, celui, celle qui est sans malice et dans l'ignorance des choses de la vie. Une jeune innocente. Quoi ! pour une innocente un esprit si présent ! Molière, Éc. des f. III, 5. Et je serai la dupe, en ma maturité, D'une jeune innocente et d'un jeune éventé ! Molière, ib. IV, 7. Voilà ce que vaut le bon abbé ; il me soulage si parfaitement de toutes sortes d'affaires, qu'il semble que je sois une innocente, Sévigné, 29 janv. 1680. Cette pauvre innocente a-t-elle mérité Qu'on payât son amour de tant de cruauté ! Regnard, Ménechm. V, 3.

    Faire l'innocent, affecter une grande simplicité, feindre d'ignorer une chose. Vous faites l'innocente, et vous ne l'êtes guère, Th. Corneille, Baron d'Albikrac, II, 1.

  • 5Simple, crédule, niais. Vous êtes bien innocent de croire ce que cet homme vous dit.

    Substantivement. C'est un grand innocent Le duc d'Orléans est un lâche et un innocent de prendre des scrupules, Retz, IV, 65. Comment avez-vous pu si bien contrefaire l'innocente, ayant autant d'esprit que vous en avez ? Destouches, Fausse Agn. III, 1. Oh ! pour cela, dit Babet, si jamais quelqu'un a eu la mine d'un innocent, c'est vous assurément, Marivaux, Pays. parvenu, 3e part. Je vous prie de lui dire, pour la décharge de ma conscience, que je suis innocent [d'un madrigal sur Dorat], et qu'il faudrait être un innocent pour me soupçonner, Voltaire, Lett. Mme Necker, 28 déc. 1767.

    Un innocent fourré de malice, se dit de celui qui, paraissant doux et simple au dehors, est malicieux dans l'âme.

  • 6 S. m. Un innocent, des innocents, se dit, dans le langage familier, des enfants au-dessous de l'âge de sept à huit ans. On a dépouillé ces pauvres innocents. Un pauvre petit innocent.
  • 7 S. m. pl. Les Innocents, les saints Innocents (avec un I majuscule), les petits enfants que le roi Hérode fit égorger. Le massacre des Innocents.

    La fête des Innocents, ou, simplement, les Innocents, le jour, le lendemain des Innocents.

    Bailler les Innocents à quelqu'un, se disait autrefois d'une plaisanterie qui consistait en ce que les plus diligents allaient, le jour des saints Innocents, surprendre les paresseux et les endormis et les fouetter dans leur lit.

  • 8 S. m. pl. Terme de cuisine. Pigeons nouveau-nés qu'on sert à table. Des poulets aux pistaches, des innocents aux truffes et aux olives, deux dindonneaux au coulis d'écrevisses, Voltaire, Taureau blanc, 6.
  • 9 S. f. Innocente, espèce de robe ample et sans ceinture que les femmes portaient à la fin du XVIIe siècle. Une robe de chambre étalée amplement, Qui n'a point de ceinture et va nonchalamment, Par certain air d'enfant qu'elle donne au visage Est nommée innocente, et c'est de bel usage, Boursault, Mots à la mode, sc. 15.

HISTORIQUE

XIe s. As innocenz vous en serez seant [en paradis], Ch. de Rol. CXIV.

XIIe s. Ot [avec] saint tu seras sainz, et ot hume innocent tu seras innocent, Lib. psalm. p. 20.

XIIIe s. Saint et martir, apostre et inocent Se plainderoient de vous au jugement, Romancero, p. 102. Pour nient soffri [je] ennui en cest siecle, et lavé mes mains entre les innocenz, Psautier, f° 86.

XIVe s. Il est tout cler que condempner l'innocent de certaine science est tele chose et est malvese de soy, supposé que elle ne fust pas deffendue, Oresme, Eth. 162. Et s'il [un enfant] aloit as pumes, enchois [avant] qu'à la monnoie, Je vous ai en convent [je vous affirme] qu'inocent le tenroie, Baud. de Seb. I, 1040.

XVe s. Aussy innocents que Judas de la mort Jesus, Coquillart, p. 171, dans LACURNE.

XVIe s. Tres chere sœur, si je sçavois où couche Vostre personne au jour des Innocens, De bon matin j'yrois à vostre couche…, Et si quelqu'un survenoit d'avanture, Semblant ferois de vous innocenter, Marot, III, 97. Je suis sur, dit Hircan, que je ne scandalise point l'innocent devant qui je parle, Marguerite de Navarre, Nouv. LIX. Les tuteurs ne se donnent seulement aux mineurs, mais aussy à ceux qui n'ont l'usage de leurs sens, comme à ceux qui sont naturellement muets et sourds, tous innocents, sots et autres, Nouv. coust. génér. t. I, p. 1260. Poursuyvre et tuer une beste innocente qui est sans desfence, Montaigne, II, 131.

ÉTYMOLOGIE

Bourg. ignôçan ; provenç. innocent, ignocen ; espagn. inocente ; ital. innocente ; du lat. innocentem, de in… 1, et nocens, qui nuit (voy. NUIRE).