« jalousie », définition dans le dictionnaire Littré

jalousie

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jalousie

(ja-lou-zie) s. f.
  • 1Attachement pour, zèle pour. Un père [Philippe IV d'Espagne] qui sut conserver avec une grâce comme avec une jalousie particulière ce qu'on appelle en Espagne les coutumes de qualité et les bienséances du palais, Bossuet, Mar. Thér.
  • 2Mauvais sentiment qu'on éprouve quand on n'obtient pas ou ne possède pas les avantages obtenus ou possédés par un autre. Plus un pareil mérite aux grandeurs nous appelle, Et plus la jalousie aux grands est naturelle, Corneille, Pulch. II, 2. On voudrait, à quelque prix que ce soit, ternir la beauté de son action [la retraite du cardinal de Retz] ; mais j'en défie la plus fine jalousie, Sévigné, 21 août 1675. Là était l'idole de la jalousie ; ambition, c'est toi qui l'élèves ; autant que tu vois de concurrents, ce sont autant de victimes que tu voudrais immoler à cette idole, Bossuet, 3e sermon, Pâques, 3. Vous trouvez partout [à la cour] des intérêts cachés, des jalousies délicates qui causent une extrême sensibilité, Bossuet, Anne de Gonz. La jalousie se mit entre les deux ordres, Bossuet, Hist. III, 6. Le tranquille ministre, qui connaissait les dangereuses jalousies des cours et les sages tempéraments des conseils des rois, Bossuet, le Tellier. Et, dédaignant les trônes qui peuvent être usurpés, elle attacha son affection au royaume où l'on ne craint point d'avoir des égaux, et où l'on voit sans jalousie ses concurrents, Bossuet, Reine d'Anglet. Accommodant les différends que la discorde, la jalousie ou le mauvais conseil font naître parmi les habitants de la campagne, Fléchier, Lamoign. Il est très difficile de guérir la jalousie d'une communauté, Maintenon, Lett. à Mme de la Viefville, 23 fév. 1709. Fuyez surtout, fuyez ces basses jalousies, Des vulgaires esprits malignes frénésies, Boileau, Art p. IV. Le perfide intérêt, l'aveugle jalousie S'unissent contre toi pour l'affreuse hérésie, Racine, Esth. Prologue. La jalousie est comme un aveu contraint du mérite, La Bruyère, XI. Il comprit qu'il ne lui serait pas difficile de me mettre en défiance et en jalousie contre un homme qui…, Fénelon, Tél. XII. Les hommes sont si réels et si vrais dans leurs plaisirs… dans leurs animosités, dans leurs jalousies, Massillon, Carême, Véritable culte. Dans la jalousie, l'envie, la malice, les sourcils descendent et se froncent, les paupières s'élèvent et les prunelles s'abaissent, Buffon, Hist. nat. hom. Œuv. t. IV, p. 302. Jamais la jalousie du talent n'avait inspiré plus de haine qu'à la belle Gaussin pour la jeune Clairon, Marmontel, Mém. III.

    Faire la jalousie, exciter la jalousie, être envié. Ce Genlis gagna l'amitié de M. de Noailles jusqu'à faire la jalousie de toute sa petite armée, Saint-Simon, 25, 37. Aldobrandi fit [en Espagne] la jalousie des ministres étrangers par les distinctions qu'il y reçut, Saint-Simon, 489, 193.

    Une noble jalousie, synonyme d'émulation. Il est certain que ces deux prix mettent parmi nos jeunes écrivains une noble jalousie, qui sert infiniment à perfectionner leurs talents, D'Olivet, Hist. Acad. t. II, p. 15, dans POUGENS.

    Il se dit aussi des animaux. Ce chien témoigne de la jalousie quand il en voit caresser un autre.

  • 3Sentiment qui naît dans l'amour et qui est produit par la crainte que la personne aimée ne préfère quelque autre. Comme les bruits confus accompagnent le jour, Toujours la jalousie accompagne l'amour, Tristan, Panthée, IV, 1. La jalousie est le plus grand de tous les maux, et celui qui fait le moins de pitié aux personnes qui le causent, La Rochefoucauld, Réflex. mor. 503. Ô triste jalousie, ô passion amère, La Fontaine, Filles de Minée. Partout la jalousie est un monstre odieux, Molière, D. Garc. I, 1. La jalousie a des impressions Dont bien souvent la force nous entraîne, Molière, Amph. II, 6. Afin… que vous perdiez aujourd'hui toute la jalousie que vous pourriez avoir conçue de monsieur votre mari, Molière, Bourg. gent. V, 7. Tels deux fougueux taureaux, de jalousie épris, Auprès d'une génisse au front large et superbe…, Boileau, Art p. V. Le tempérament a beaucoup de part à la jalousie, La Bruyère, IV. La jalousie étouffe toutes les sages réflexions ; c'est une maladie que la raison seule ne guérit point, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VII, p. 562, dans POUGENS. [L'eunuque du harem] qui se vante de cinquante ans de vie dans ce poste indigne, où, chargé de la jalousie de son maître, il a exercé toute sa bassesse, Montesquieu, Lett. pers. 34. La jalousie a beau s'imputer à l'amour, c'est toujours un manque d'estime, Lachaussée, Retour imprévu, II, 8. Suzanne : Pourquoi tant de jalousie ? - La comtesse : Comme tous les maris, ma chère, uniquement par orgueil, Beaumarchais, Mar. de Figaro, II, 1. La jalousie, Éraste, est le sel de l'amour, Boissy, Sage étourdi, III, 6. Rien ne fatigue plus que la jalousie d'une ancienne maîtresse, Genlis, Mme de Maintenon, t. I, p 248, dans POUGENS. Qui peut avec excès aimer sans jalousie ? Delavigne, Vêp. sicil. I, 3.

    Par extension. L'âme, se souvenant des tristes jalousies du monde, s'abandonne sans réserve aux douces jalousies d'un Dieu bienfaisant qui ne veut avoir les cœurs que pour les remplir des douceurs célestes, Bossuet, la Vallière.

    Lunettes de jalousie, lunettes qui consistent à avoir un miroir exposé obliquement dans une boîte percée à jour qui tient par des vis à l'extrémité de l'objectif ; par son moyen on voit directement les objets que l'on semble regarder de côté.

    Terme d'antiquité judaïque. Eau de jalousie, eau consacrée, dans laquelle on avait laissé infuser certaines herbes, et qu'on faisait boire, en prononçant des paroles de malédiction, à une femme soupçonnée d'infidélité envers son mari. L'eau de jalousie devait causer la mort de l'infidèle.

  • 4Ombrage qu'un État, un prince donne à d'autres par sa puissance, par ses forces. Par lui, j'ai jeté Rome en haute jalousie, Corneille, Nicom. I, 5. Que même votre Rome en a pris jalousie, Corneille, Nicom. IV, 2. Ils entrèrent en jalousie contre les Carthaginois, Bossuet, Hist. I, 8. Les progrès d'Annibal leur donnèrent de la jalousie, Bossuet, Hist I, 8. La chute de Charles et son absence réveillèrent les intérêts et les jalousies de tous ces princes, assoupies longtemps par des traités et par l'impuissance de les rompre, Voltaire, Charles XII, 5. On sait que la jalousie de commerce n'est qu'une jalousie de puissance, Raynal, Hist phil. XIX, 6. L'empire lent mais irrésistible de la raison l'emporte à la longue sur les jalousies nationales et sur tous les obstacles qui s'opposent au bien d'une utilité généralement sentie, Laplace, Exp. I, 14.
  • 5 Terme militaire. Inquiétudes que l'on fait naître chez l'ennemi, en menaçant certains points. J'envoyai ordre qu'on masquât le passage d'Aschaffenbourg, et que l'on s'en rendît maître, dans l'instant que les ennemis l'auraient évacué, afin d'être en état de leur donner de la jalousie pour leurs derrières (1743), Corresp. de Louis XV et de Noailles, t. I, p. 110. Le prince Charles, en donnant de la jalousie en plusieurs endroits, et faisant à la fois plus d'une tentative, avait enfin réussi du côté où était posté le comte de Seckendorf, Voltaire, Louis XV, 11.

    Tenir un pays en jalousie, l'environner de sujétions et d'alarmes.

  • 6Treillis de bois et de fer qui permet de voir à travers, sans que l'on soit vu. Anne ne craignait rien, des saules la couvraient, Comme eût fait une jalousie, La Fontaine, Cas de consc. Un amant ne s'expliquait pas autrement sous les fenêtres de sa maîtresse, qui ouvrait en ce moment-là ces petites grilles de bois nommées jalousies, tenant lieu de vitres, pour lui répondre dans la même langue, Voltaire, Mœurs, 177. Ceci doit vous apprendre à ne jamais ouvrir de jalousies sur la rue, Beaumarchais, Barb. de Sév. I, 4. Nous avons la clef de la jalousie, et nous serons ici à minuit, Beaumarchais, ib. III, 12.

    Espèce de contrevent formé de planchettes minces assemblées parallèlement, de manière qu'on peut les remonter et les baisser à volonté au moyen d'un cordon.

    Petits treillis de bois pour boucher des ouvertures dans une porte de confessionnal et autres.

  • 7Fleur de jalousie, ou, simplement, jalousie, fleur que l'on cultive dans les jardins, dite aussi amarante tricolore.

    Jalousie désigne aussi l'œillet barbu, dit encore bouquet parfait, et œillet de poëte.

    Excellente poire d'automne.

  • 8Ancienne espèce de contredanse.

HISTORIQUE

XIIe s. E [il] defist l'autier [l'autel], e out gelosie [zèle] de sa loi, Machab. I, 2.

XIIIe s. Ains se doit on bien garder D'enquerre par jalousie Ce qu'on n'y voudroit trover, Romanc. p. 126. Li rois entra en jalousie, Crient qu'aucuns gise o s'amie, Fl. et Bl. 2605. De jalousie trestous art [il brûle], Car por voir [pour vrai] il ne cuidoit mie Que nus [nul] osast amer s'amie, ib. 2614.

XIVe s. Trop est crueux li maulz de jalousie, Et trop greveux qui en est entrepris, Machaut, p. 58.

XVe s. De grant jalousie de sçavoir qui estoient les chevaliers incongneuz, ils endurerent trop chault et trop froid…, Perceforest, t. VI, f° 96.

XVIe s. Telles amours sont licites, et jamais ces belles vierges [les vertus] n'entrent en jalousie, Lanoue, 198. L'Espagnol ayant tourné diverses testes aux villes frontieres, pour donner jalousie à toutes, prit parti d'assieger Saint-Quentin, D'Aubigné, Hist. I, 25. La mesme jalousie que nos femmes ont pour nous empecher de l'amitié d'aultres femmes, Montaigne, I, 245. Elle [la guerre] n'a aultre fondement parmy eulx que la seule jalousie de la vertu, Montaigne, I, 241. Siffler toute la nuit par une jalousie, Du Bellay, J. VI, 27.

ÉTYMOLOGIE

Jaloux ; provenç. gelosia, gilosia ; portug. et ital. gelosia.