« joug », définition dans le dictionnaire Littré

joug

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joug

(jough' ; dans la campagne on prononce jou ; c'était la prononciation du XVIIe siècle, CHIFFLET, Gramm. p. 213, remarquant que le g ne se prononce jamais ; au pluriel, l's ne se lie pas ; des jough insupportables) s. m.
  • 1Pièce de bois servant presque exclusivement à l'attelage des bœufs et des vaches. Il fallait mettre au joug deux taureaux furieux, Corneille, Médée, II, 2.
  • 2Dans l'ancienne Italie, pique placée horizontalement sur deux autres fichées en terre et sous laquelle on faisait passer les ennemis vaincus. L'armée romaine passa sous le joug aux Fourches Caudines. Ils furent tous passés sous le joug et renvoyés chacun avec un habit seulement, Rollin, Hist. anc. Œuvr. t. I, p. 521, dans POUGENS.
  • 3 Fig. Sujétion qu'impose un vainqueur ou une autorité oppressive. Si le joug qui l'accable [Rome] est brisé par nos mains, Corneille, Cinna, I, 3. Il vous fera porter un joug de fer, jusqu'à ce que vous en soyez écrasés, Sacy, Bible, Deutér. XXVIII, 48. Les Ioniens qui avaient secoué le joug des Perses, Bossuet, Hist. I, 8. J'ai brisé le joug du roi de Babylone, Bossuet, ib. II, 8. Au joug depuis longtemps ils se sont façonnés, Racine, Brit. IV, 4. Ennemi des Romains et de la tyrannie, Je n'ai point de leur joug subi l'ignominie, Racine, Mithr. V, 5. Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis ? Racine, Esth. III, 4. On peut dire que ce fut la bataille de Chéronée qui mit la Grèce sous le joug, Rollin, Hist. anc. Œuvr. t. VI, p. 132. Ah ! vous ferez aimer votre joug aux vaincus, Voltaire, Orphel. V, 6.
  • 4Il se dit de l'empire de l'amour. L'amour n'a-t-il encor triomphé que de vous ?… Mortelle, subissez le sort d'une mortelle ; Vous vous plaignez d'un joug imposé dès longtemps, Racine, Phèdre, IV, 6. Partons, la voile est prête, et Byzance m'appelle ; Je suis vaincu, je suis au joug d'une cruelle ; Le temps, les longues mers peuvent seuls m'arracher Ses traits que malgré moi je vais toujours chercher, Chénier, Élégies, Fragments.

    Il se dit aussi du lien du mariage. Il faut que M. de la Garde ait de bonnes raisons pour se porter à l'extrémité de s'attacher avec quelqu'un [se marier] ; je le croyais libre, et sautant, et courant dans un pré ; mais enfin il faut venir au timon, et se mettre sous le joug comme les autres, Sévigné, 17 mai 1676. Oui, déjà le notaire a, d'un style énergique, Griffonné de ton joug l'instrument authentique, Boileau, Sat. X. L'hyménée est un joug, et c'est ce qui m'en plaît, Boileau, ib. Au joug d'un autre hymen sans amour destinée, Racine, Mithr. I, 2.

  • 5Contrainte morale, sujétion. Mon âme a secoué le joug de cent remords, Corneille, Sertor. I, 1. Déçue par la liberté dont elle a fait un mauvais usage… elle [l'âme] se met de tous côtés sous le joug, Bossuet, la Vallière. Quand on regarde la facilité incroyable avec laquelle la religion a été ou renversée ou rétablie par Henri, par Édouard, par Marie, par Élisabeth… on est obligé de reprocher à ces peuples d'avoir été trop soumis, puisqu'ils ont mis sous le joug leur foi même et leur conscience, Bossuet, Reine d'Angl. Heureux qui, satisfait de son humble fortune, Libre du joug superbe où je suis attaché, Vit dans l'état obscur où les dieux l'ont caché ! Racine, Iph. I, 1. J'espère Qu'indocile à ton joug [le joug de Dieu], fatigué de ta loi…, Racine, Athal. V, 6. Le point fixe de nos lumières, c'est la foi ; on retrouve, en secouant le joug, les mêmes abîmes et les mêmes incertitudes que dans la soumission, Massillon, Or. fun. Conli. Vous vous êtes engagé sous un joug différent, Massillon, Carême. Vocation. Il est terrible de porter un joug auquel on ne s'est pas soi-même condamné, Massillon, Prof. rel. Serm. 1. Qui sent le joug le porte avec murmure, Voltaire, Nan. I, 1.

    Il se dit aussi, en bonne part, d'une contrainte salutaire. Un joug que m'imposait cette faveur publique, Corneille, D. Sanche, V, 1. Cette sage mère plia le jeune de Sainte-Maure avec une extrême douceur sous le joug de l'autorité maternelle, Fléchier, Duc de Mont. [La rime] Au joug de la raison sans peine elle fléchit, Et, loin de la gêner, la sert et l'enrichit, Boileau, Art p. I. Tu voudras t'affranchir du joug de mes bienfaits, Racine, Brit. V, 6. Vous vivrez sans joug et sans règle, Massillon, Carême, Rechute, 1.

    Le joug du Seigneur, l'obéissance aux lois de la religion. Il n'eut pas moins de soin d'examiner la vocation de ses deux vertueuses filles, qui portent le joug du Seigneur dans un des plus saints ordres de l'Église, Fléchier, Lamoignon. Point de joug plus doux que celui du Seigneur ; ceux qui sont à lui sont toujours contents, Maintenon, Lett. à Mme de Vantadour, 18 mars 1700.

    Faire joug, se soumettre (locution qui a vieilli). Il faut que mon humeur fasse joug à ta loi, Régnier, Sat. X. Les ministres poussèrent l'inégalité de la suscription avec tout ce qui n'est point titré, et même avec les évêques, archevêques, et tout leur a fait joug, Saint-Simon, 65, 88.

  • 6Bâton ou fléau d'une balance.
  • 7 Terme de marine. Bâton pour tordre les cordages de moyenne grosseur et pour serrer une ligature.

    Ancien terme de marine. Forte pièce de bois qui, dans une galère, à la proue et à la poupe, traversait le navire et supportait par ses extrémités tout l'appareil des rames.

    On disait aussi par corruption joup, JAL.

HISTORIQUE

XIIe s. Dejetums de nus [nous] le juh de els [eux], Liber psalm. p. 2.

XIIIe s. Quant li hom use sa vie en vices, il li semble trop grief le joug de vertu, Latini, Trésor, p. 343. Li home gardassent volentiers la franchise que nature leur avoit donée, et n'eussent miz lor col au jou des seignories, se ne fust ce que les males oevres multeplioient perilleusement, Latini, ib. p. 403. Jamais buef sa teste cornue Ne metroit à jou de charrue, la Rose, 18006.

XIVe s. Que le consulat estoit mis souz le jouc de la puissance tribunicienne, Bercheure, f° 84.

XVIe s. Les plus mutins et revesches excitoient les autres à faire joug [à se soumettre] à ceste ordonnance, Cabloix, VI, 2. Mais je veux bien au vray vous advertir, Que, longtemps a, il fut mis sous le jou De mariage au bas pays d'Anjou, Marot, II, 72.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. jo ; catal. jou ; espagn. jugo ; portug. jugo ; ital. giogo ; du lat. jugum ; grec, ζύγος ; allem. Joch ; persan, iough ; sanscr. yuga ; du verbe yuj, joindre, au sens d'attacher, atteler ; latin, jungere.