« libertin », définition dans le dictionnaire Littré

libertin

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

libertin, ine

(li-bèr-tin, ti-n') adj.
  • 1Qui ne s'assujettit ni aux croyances ni aux pratiques de la religion (vieilli en ce sens). C'est être libertin que d'avoir de bons yeux, Molière, Tart. I, 6. Je le soupçonne encor d'être un peu libertin, Je ne remarque point qu'il hante les églises, Molière, ib. II, 2. Pour débrouiller le chaos des consciences libertines, Fléchier, Panég. II, 418.

    Il se dit aussi des opinions, pensées, etc. Pourvu que le magistrat les laisse en repos [les indifférents en religion], ils jouiront tranquillement de la liberté qu'ils se donnent à eux-mêmes de penser tout ce qu'il leur plaît, qui est le charme par où ces esprits sont jetés dans les opinions libertines, Bossuet, 6e avertiss. III, 11. Un roi de Castille, grand mathématicien, mais apparemment peu dévot, disait que, si Dieu l'eût appelé à son conseil quand il fit le monde, il lui eût donné de bons avis ; la pensée est trop libertine ; mais cela même est assez plaisant que ce système fût alors une occasion de péché, parce qu'il était trop confus, Fontenelle, Mondes, 1er soir.

    S. m. Par le mot de libertin je n'entends ni un huguenot, ni un athée, ni un catholique, ni un hérétique, ni un politique, mais un certain composé de toutes ces qualités, Garasse, Rech. des rech. p. 681, dans LACURNE, au mot politique. Laissez aux libertins ces sottes conséquences, Molière, Tart. V, 1. Rien, pour l'ordinaire, de plus ignorant en matière de religion que ce qu'on appelle les libertins du siècle, Bourdaloue, Jugem. dern. 1er avent, p. 69. Un libertin [met l'honneur] à rompre et jeûnes et carême, Boileau, Sat. X. Sainte Geneviève a toujours protégé, dit-on, le royaume ; et, quoi que les libertins puissent penser, on en a vu autrefois des miracles, et le peuple a une grande confiance en elle, Maintenon, Lett. au card. de Noailles, 14 juillet 1707. Alcibiade : La sottise du peuple met en fureur quand il est question de toutes vos divinités. - Mercure : Voilà un langage de libertin, Fénelon, t. XIX, p. 214.

    Libertins de Genève, parti qui, au XVIe siècle, réclama la liberté civile contre la domination religieuse. Les bourgeois s'étaient primitivement divisés en Mamelus et en Eidguenots ; les Eidguenots, vainqueurs des Mamelus, étaient divisés en catholiques et en évangéliques ; les évangéliques, vainqueurs des catholiques, se divisèrent en libertins et en calvinistes ; les libertins formèrent dans Genève le parti conservateur des anciennes mœurs et de la liberté civile, Mignet, Établissement de la réforme à Genève, p. 331, éd. 1843.

  • 2Désireux d'indépendance. Il y a de quoi s'étonner qu'un homme aussi libertin que moi se hâte de quitter tout cela pour aller trouver un maître, Voiture, Lett. 39.

    Vieilli en ce sens.

    Terme de fauconnerie. Se dit de l'oiseau de proie qui s'écarte et ne revient pas.

    S. m. Membre d'une secte anabaptiste qui croit toute servitude contraire à l'esprit du christianisme.

  • 3Qui dépasse la mesure. C'était un tempérament que je croyais fort raisonnable entre la rigueur des vingt-quatre heures [pour le théâtre], et cette étendue libertine qui n'avait aucunes bornes, Corneille, Examen de la Veuve.

    Vieilli en ce sens.

  • 4Qui va à l'aventure. Vous écrivez si bien, ma chère enfant, quand vous n'avez point de sujets, que je n'aime pas moins ces lettres-là toutes libertines que celles où vous faites réponse, Sévigné, 504. Je suis tellement libertine quand j'écris, que le premier tour que je prends règne tout du long de ma lettre, Sévigné, à Bussy, 20 juill. 1679. Quelle triste date [aux Rochers] auprès de la vôtre [à Rome], mon aimable cousin ! elle convient à une solitaire comme moi, et celle de Rome à celui dont l'étoile est errante et libertine, Sévigné, à Coulanges, 8 janv. 1690. C'est aujourd'hui notre style ordinaire, décousu et libertin, vagabond et inégal, sans nombre, sans mesure, sans liaison, sans proportion ni entre les choses ni entre les mots, P. André, Ess. sur le beau, ch. 3. C'est qu'ils s'abandonnent à toutes sortes de pensées, et leur esprit libertin, qui ne veut point se gêner, se laisse gagner à celles qui se présentent, quoiqu'elles l'éloignent de ce qu'il devrait considérer, Lamy, Entret. sur les sciences, Idée de la logique, II.

    Il a vieilli en cette signification, et aujourd'hui il ne se dit plus guère qu'avec imagination. Son imagination libertine l'écarte sans cesse de son sujet.

  • 5Dissipé, qui néglige ses devoirs pour le jeu, en parlant d'un écolier. Cet enfant est fort libertin. Soyez persuadés que c'est à cause que vous êtes si exactes à les veiller [les pensionnaires de Saint-Cyr] qu'elles sont si aisées à conduire, et qu'aussitôt que vous cesserez de les observer, elles deviendront libertines, Maintenon, Entret. sur l'éduc. juin 1704.

    Substantivement. C'est un petit libertin.

  • 6Déréglé par rapport à la moralité entre les deux sexes. Vous voyez, messieurs, combien la jeunesse est libertine, et le peu d'autorité que les pères ont sur leurs enfants, Furetière, le Roman bourg. I. On doit considérer que, dans la querelle des Troyens, il ne s'agissait que d'une vieille femme fort libertine qui s'était fait enlever deux fois, au lieu qu'ici il s'agissait de deux filles et d'un oiseau, Voltaire, Princ. de Babyl. 4. Je devins polisson, mais non libertin, Rousseau, Conf. II. Il est plutôt indiscret que confiant, et libertin que voluptueux, Raynal, Hist. phil. V, 16. À l'âge où l'on est libertin, Pour boire un toast en un festin, Un jour je soulevai mon verre, Musset, Poés. nouv. Nuit de décembre.

    Il se dit aussi des choses. Ton libertin. Et les jours libertins, Quand je voudrai donner des repas clandestins, Regnard, Ménechm. IV, 2. Les entretiens polissons préparent les mœurs libertines, Rousseau, Ém. IV.

    Substantivement. C'est un libertin, un grand, un franc libertin. C'est une libertine.

REMARQUE

1. Le latin libertinus signifiant : qui a le caractère d'un affranchi, on n'a pas historiquement l'explication des diverses significations françaises. La première fois qu'on trouve ce mot, au XVIe siècle, il a la signification de : indocile aux croyances religieuses. C'est ce fait qui a déterminé le classement des sens.

2. Le sens particulier qu'a pris libertin par rapport aux mœurs a, dans le langage moderne, mis en désuétude les autres sens qui étaient si vivants au XVIIe siècle.

HISTORIQUE

XVIe s. Nos libertins, qui ne discordent gueres en particulier, s'accordent très bien entr'eux en general à mespriser et rejetter la sainte profession de la vie chrestienne, Lanoue, 512. Tant d'epicuriens libertins et moqueurs, Charron, Sagesse, I, 8.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. libertin, affranchi ; du lat. libertinus, qui regarde les affranchis. Libertinus vient de libertus, esclave affranchi ; libertus est pour liberatus, délivré, de liberare (voy. LIBÉRER), comme sectus de secare.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

LIBERTIN. - HIST. XVIe s. Ajoutez : Aulcuns de la synagogue laquelle est appellée des libertins, Actes, VI, 9, Nouv. Test. éd. Lefebvre d'Étaples, Paris, 1525. (dans le grec λιϐερτίνων, dans le latin libertinorum. Ce semble avoir été une synagogue composée de fils d'affranchis, libertini ; cette synagogue était comptée parmi les synagogues formées d'étrangers. C'est probablement de ce passage du Nouveau Testament, mal interprété, que vient l'emploi de libertin au sens de : rebelle aux croyances).