« méchant », définition dans le dictionnaire Littré

méchant

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

méchant, ante

(mé-chan, chan-t') adj.
  • 1Qui ne vaut rien dans son genre (méchant étant le participe présent de l'ancien verbe méchoir). Ce sont de méchants vers, Régnier, Sat. VIII. Je vous donne Médée [tragédie], toute méchante qu'elle est, et ne vous dirai rien pour sa justification, Corneille, Médée, à monsieur P. T. N. G. Voyez si c'est vous rendre un fort méchant office, Corneille, Sophon. II, 3. Mon fils, dit Joab, pourquoi voulez-vous courir ? vous serez le porteur d'une méchante nouvelle, Sacy, Bible, Rois, I, XVIII, 22. Voilà, dit-il [Xanthus], la pâtisserie la plus méchante que j'ai jamais mangée ; il faut brûler l'ouvrière, car elle ne fera de sa vie rien qui vaille, La Fontaine, Vie d'Ésope. Et vous, qui dédiez à messieurs les gens de finance De méchants livres bien payés, La Fontaine, Fabl. VIII, 19. Je les trouve méchants [les vers], Molière, Mis. II, 7. Mais peut-être, madame, que leur danse sera méchante. - Méchante ou non, il la faut voir, Molière, Am. magn. I, 6. Je n'ai pas si méchant goût que vous avez pensé, Molière, ib. II, 1. Il me donna les plus méchantes raisons du monde, que je pris pour bonnes, Sévigné, 235. Mme de Mekelbourg avait trop méchante réputation, pour la laisser auprès de Madame, La Fayette, Hist. d'H. d'Angl. Œuv. compl. t. III, p. 153, dans POUGENS. Vous lisez tout, bon ou mauvais, et vous pensez que, dans les plus méchants livres, il y a toujours quelque chose dont on peut faire son profit, Voltaire, Lett. d'Argental, 2 déc. 1761. C'est une très méchante manière de raisonner, que de rejeter ce qu'on ne peut comprendre, Chateaubriand, Génie, I, I, 3. Aigles et cygnes, quoi qu'on fasse, Sont toujours de méchants ragoûts, Béranger, Miss. de Montrouge.

    Dans ce sens, méchant se met avant son substantif.

    Il se dit des personnes dans la même acception et se met aussi avant son substantif. Suppléez aux fautes qu'aura peut-être faites le méchant copiste, Scarron, Lett. Œuv. t. I, p. 194. Quand je vous mande de certaines choses… je les apprends ou de M. le Premier… ou de M. le grand maître, ou du fils de M. de la Rochefoucauld : ces auteurs-là ne sont pas méchants, Sévigné, 21 août 1675. Que je vous plains d'avoir eu un méchant prédicateur ! Sévigné, 27 mars 1671. Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain, Boileau, Art p. I. Laissant de Galien la science suspecte, De méchant médecin devint bon architecte, Boileau, ib. IV.

    Il se dit aussi des animaux en ce sens. Un méchant cheval. Une méchante monture.

  • 2Chétif, insuffisant, qui a peu de valeur, qui mérite peu de considération. Pour un méchant soupir que tu m'as dérobé, Corneille, Place Roy. IV, 5. Flaminius y demeure en assez méchante posture, voyant réunir toute la famille royale, malgré les soins qu'il avait pris de la diviser, Corneille, Ex. de Nicom. N'ayant qu'un méchant caleçon, Il avait méchante façon, Scarron, Virg. VI. Vous voilà bien malade d'avoir un méchant rôle à jouer ! Molière, Impromptu, 1. Elle a toujours une très méchante santé, Sévigné, 482. Ce philosophe [Maxime de Madaure] était le favori de l'empereur Julien, et c'est ce qui lui fit une si méchante réputation parmi nous, Voltaire, Dial. 23. Il fuyait dans une méchante calèche, Voltaire, Charles XII, 4. Ma pauvreté est fière ; je n'ai qu'un méchant pourpoint, mais je n'y veux point de taches, Ducis, Lett. du 11 octobre 1813.

    Avoir méchante mine, avoir l'air bas, ignoble.

    Être de méchante humeur, être d'humeur chagrine.

  • 3Qui n'est pas sans danger, qui cause du mal. Le ciel eut pour ces vœux une bonté cruelle ; Souvent sa complaisance a de méchants effets, La Fontaine, Fabl. VII, 17.

    Une méchante affaire, une affaire qui peut causer de graves embarras, et même une affaire qui peut mener devant la justice. Méchante affaire pour monsieur Guillaume, Brueys, Avoc. Pat. III, 7. Je vous l'avais bien dit, mon mari, que vous vous attireriez quelque méchante affaire, Voltaire, Socrate, III, 10. Susciter une méchante affaire, à la bonne heure, Beaumarchais, Barb. de Sév. II, 8.

  • 4Contraire à la probité, à la justice. Une méchante action. Plus de trente archevêques et évêques, quelques-uns même de ceux que les jésuites croyaient le plus dans leur dépendance, foudroyèrent à l'envi et l'apologie et la méchante morale des casuistes, Racine, Hist. Port-Royal. Un de ces malheurs qui peuvent arriver à tous les hommes, et dont un méchant mouvement peut nous rendre capables, Massillon, Carême, Injust. Mais à l'esprit méchant je ne vois point de gloire ; Si vous saviez combien cet esprit est aisé ! Combien il en faut peu, comme il est méprisé ! Gresset, Méch. IV, 4.
  • 5Qui est porté à faire du mal, en parlant des personnes. Et le surnom de bon me va-t-on reprochant, D'autant que je n'ai pas l'esprit d'être méchant, Régnier, Sat. III. Et n'autorisez pas De plus méchants que vous à la [l'autorité] mettre plus bas, Corneille, Nicom. II, 2. Et je ne pense pas que Satan en personne Puisse être si méchant qu'une telle friponne, Molière, Éc. des mar. III, 10. Non, rien de plus méchant n'est sorti de l'enfer, Molière, Tart. IV, 6. Sa femme [de Ch. de Sévigné] entre dans ses sentiments [de dévotion] ; je suis la plus méchante, mais pas assez pour être de contre-bande, Sévigné, 27 déc. 1684. Aussi disait-il qu'il y avait peu de différence entre un juge méchant et un juge ignorant, Fléchier, Lamoign. Dans un méchant homme il n'y a pas de quoi faire un grand homme, La Bruyère, XII. Le cardinal de Richelieu, tyran quand on lui résistait, et méchant parce qu'il avait des méchants à combattre, Voltaire, Suppl. au siècle de Louis XIV, 3e part. Vous m'allez dire que je deviens bien hardi et un peu méchant sur mes vieux jours ; méchant ! non, je deviens Minos, je juge les pervers, Voltaire, Lett. Mme d'Argental, 14 janv. 1761. Cette prodigieuse multitude de maisons de charité prouve évidemment une vérité à laquelle on ne fait pas assez d'attention, c'est que l'homme n'est pas si méchant qu'on le dit, Voltaire, Dict. phil. Charité. Une infinité de sots par nature se font méchants par air, Saurin, Mœurs du temps, sc. 1.

    Méchante langue, homme ou femme qui se plaît à médire.

    De méchantes mains, c'est-à-dire une personne méchante, ou des personnes méchantes. Mon propre exemple et celui de tant de bourgeois qui se sont mal trouvés de pareilles alliances me faisaient craindre que ma nièce ne tombât en de méchantes mains, D'Allainval, École des bourg. III, 1.

    Avoir méchante physionomie, méchante mine, ou bien une physionomie méchante, la mine méchante, un caractère de physionomie méchant, avoir la physionomie, la mine d'un méchant homme.

  • 6Qui a fait quelque petite malice, ou qui est coupable de quelque petite négligence. Vous êtes bien méchant de m'avoir laissé si longtemps en peine, de m'avoir fait attendre si longtemps.

    Qui lance des traits de raillerie. Vous êtes toujours bien méchante quand vous parlez de Mme de la Fayette ; je lui ferai quelques légères amitiés de votre part, Sévigné, 230. Vous ne le disiez pas, vous êtes méchant, Collin D'Harleville, Chât. en Esp. I, 2.

  • 7Enfant méchant, enfant opiniâtre, désobéissant, difficile à régir.
  • 8Méchant garçon, homme menaçant, bravache. Enfonce ton bonnet en méchant garçon, Molière, Scap. I, 7.

    Familièrement. Trouver plus méchant que soi, trouver plus fort, plus fier, plus puissant que soi.

    Il ne sera pas si méchant qu'il l'a promis à son capitaine, c'est-à-dire il menace beaucoup, mais il n'osera mettre à exécution ses menaces.

    Familièrement. Faire le méchant, s'emporter en menaces. Si les Espagnols font les méchants, Sévigné, 128. …Merlin parlait à des marchands Qui, pour être payés, font un peu les méchants, Dancourt, Mme Artus, II, 4.

  • 9 S. m. et f. Un méchant, une méchante, une personne de mauvais caractère, vicieuse. Et que, juste une fois, il [Auguste] s'est privé d'appui, Perdant, pour régner seul, deux méchants [Lépide et Antoine] comme lui, Corneille, Cinna, I, 3. Allez, seigneur, allez Venger sur ces méchants tant de droits violés, Corneille, M. de Pomp. IV, 5. La méchante l'abuse aussi bien que Phocas, Corneille, Héracl. IV, 4. Il y a des méchants qui seraient moins dangereux s'ils n'avaient aucune bonté, La Rochefoucauld, Max. 284. Ce qu'on donne aux méchants toujours on le regrette, La Fontaine, Fabl. II, 7. Il faut faire aux méchants guerre continuelle, La Fontaine, ib. III, 13. Tenez entre eux divisés les méchants ; La sûreté du reste de la terre Dépend de là ; semez entre eux la guerre, Ou vous n'aurez avec eux nulle paix, La Fontaine, ib. VII, 8. L'or s'épure dans le même feu où la paille est consumée ; et sous les mêmes châtiments par lesquels les méchants sont exterminés, les fidèles se purifient, Bossuet, Hist. II, 9. Il faisait connaître aux bons qu'il eût voulu les satisfaire sans leur donner la peine de solliciter, et aux méchants, qu'il eût voulu les corriger sans avoir le déplaisir de les punir, Fléchier, Lamoignon. Au bonheur du méchant qu'une autre porte envie, Racine, Esth. II, 9. La gloire des méchants en un moment s'éteint ; L'affreux tombeau pour jamais les dévore, Racine, ib. II, 9. …Songez, méchants, songez, Que mes armes encor vous tiennent assiégés, Racine, Athalie, V, 5. Les méchants sont hardis, trompeurs, empressés à s'insinuer et à plaire, adroits à dissimuler, prêts à tout faire contre l'honneur et la conscience pour contenter les passions de celui qui règne, Fénelon, Tél. II. Sachez que les méchants ne sont point des hommes incapables de faire le bien ; ils le font indifféremment de même que le mal, quand il peut servir à leur ambition, Fénelon, ib. XII. Le plus grand ennemi du méchant, c'est celui qui lui ressemble, Marivaux, Pays. parv. 1re part. La terre portera toujours des méchants détestables, les livres en exagéreront toujours le nombre, qui, bien que trop grand, est moindre qu'on ne l'a dit, Voltaire, Dict. phil. Homme. Malgré tous les succès de l'esprit des méchants, Je sens qu'on en revient toujours aux bonnes gens, Gresset, Méchant, V, 10. Sa définition du méchant me paraît sublime : le méchant de Hobbes est un enfant robuste, Diderot, Opinion des anc. philos. (hobbisme). Les méchants par air sont aussi communs aujourd'hui que l'étaient autrefois les faux dévots, Genlis, Théât. d'éduc. le Méchant par air, II, 6.

REMARQUE

Le sens de méchant varie quelquefois, selon qu'il précède ou suit son substantif. Une méchante épigramme, de méchants vers, c'est une épigramme, des vers mal tournés ; une épigramme méchante, des vers méchants, c'est une épigramme, des vers où il y a de la malignité. Un méchant homme, c'est un homme pervers ; un homme méchant, un homme dont la langue est médisante. Avoir une méchante mine, c'est avoir l'air misérable et bas ; avoir une mine méchante, c'est avoir l'air méchant.

HISTORIQUE

XIVe s. Il seroit aucune foiz beneüré, et après autre foix maleureuz et mescheant, Oresme, Eth. 23. Estre disposé en ceste maniere sans amiableté à soy meisme est une chose très mescheante et très nuisable, Oresme, ib. 268. Cils chevaliers l'a pris ens ces prez là devant, Et le tient en prison en guise de meschant, Guesclin. 2266. Quant la meschant personne a bien beu et mengié et plus qu'elle ne doit, Ménagier, I, 3.

XVe s. Adonc y seras-tu plus meschant de ce que tu cuideras y estre plus heureux, Chartier, Curial. 394. Meschante parolle gettée va partout à la vollée, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 346. Se ce meschant [son médecin] j'eusse cru ; Las ! je seroy mort tout roide ; Se seulement j'eusse beu Sa tisanne et son eau froide, Basselin, XLVIII. En fin on trouva que ce n'estoit que tout abus [dans de prétendus miracles], et qu'elle estoit une meschante folle, J. de Troyes, Chron. 1460. Et affin qu'il n'eust cause de faire un meschant appoinctement pour peu d'argent, Commines, IV, 9.

XVIe s. Ils renvoyerent aux Phalisques leur meschant maistre d'eschole [qui avait livré aux Romains les enfants], Montaigne, I, 24. Puys estudioyt quelque meschante demye heure, Rabelais, Garg. I, 21. Ilz luy baillarent, pour soy couvrir, une meschante sequenye, Rabelais, ib. I, 49. Ilz avoient de meschans petits chevaux, les premiers qu'ilz pouvoient trouver, Amyot, Philop. 11. Il devint le plus desloyal et le plus meschant des meschants, Amyot, Dion, 68. En bien faisant l'on guerroye le meschant, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 292. De meschant homme bon roy, Cotgrave De meschant hoste, bon reconduiseur, Cotgrave Bon bastard, c'est aventure ; meschant, c'est de nature, Cotgrave Sans estre poursuivi, le meschant prend la fuite, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Picard, mécant ; wall. mèchant ; Berry, michant. L'ancienne forme est mescheant, du préfixe mes, et cheant, participe présent du verbe choir (voy. CHANCE). Meschant signifie proprement celui qui a mauvaise chance ; de là vient le sens de ne valant rien, chétif, insuffisant ; un pas de plus en s'éloignant du sens primitif conduit à l'acception de contraire à la probité en parlant des choses, et d'enclin à mal faire en parlant des personnes.