« malgré », définition dans le dictionnaire Littré

malgré

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

malgré

(mal-gré) prép.
  • 1Contre le gré de. Nous vous devions, seigneur, servir malgré vous-même, Corneille, Pomp. III, 2. Princesse des oiseaux, il vous est fort facile D'enlever malgré moi ce pauvre malheureux, La Fontaine, Fabl. II, 8. Et sa perfide joie éclate malgré lui, Racine, Brit. V, 5. Les œuvres des hommes ont péri malgré l'enfer qui les soutenait ; l'œuvre de Dieu a subsisté, Bossuet, Hist. II, 12. Bon physicien [Perrault], grand architecte, il encouragea les arts sous la protection de Colbert, et eut de la réputation malgré Boileau, Voltaire, Louis XIV, écrivains, Perrault. On a remarqué que presque tous ceux qui se sont fait un nom dans les beaux-arts les ont cultivés malgré leurs parents, et que la nature a toujours été en eux plus forte que l'éducation, Voltaire, Vie de Molière.

    Malgré lui et malgré ses dents, ou malgré lui et ses dents, c'est-à-dire en dépit de tous ses efforts. Je veux qu'elle raisonne ; et, quand il me plaira, Malgré vous et vos dents, elle raisonnera, Th. Corneille, Comt. d'Org. V, 6. J'ai reçu le paquet que vous avez eu la bonté de m'envoyer ; je vous remercie tendrement, malgré vous et vos dents, de toutes les bontés que vous avez pour moi, Voltaire, Lett. Damilaville, 8 mars 1765.

  • 2Nonobstant, en parlant des choses qui s'opposent. Il est certain que j'aspirais au chef-d'œuvre de n'avoir aimé qu'un chien, malgré les maximes de M. de la Rochefoucauld, Sévigné, 236. … Un fragile bois [une idole] que, malgré mon secours, Les vers sur son autel consument tous les jours, Racine, Ath. III, 3.

    Il a souvent la force de quelque joint à un adjectif. Malgré leur insolence [quelque insolents qu'ils soient], Les mutins n'oseraient soutenir ma présence, Racine, Mithr. IV, 6. Thraséas au sénat, Corbulon dans l'armée, Sont encore innocents malgré leur renommée, Racine, Brit. I, 2.

    Malgré tout, quoi qu'on fasse, quoi qu'il arrive, Malgré tout, vous ne réussirez pas.

  • 3Malgré séparé du mot auquel il se rapporte. Malgré de vos rigueurs l'impérieuse loi…, Corneille, Andromède, V, 2. Malgré de nos destins la rigueur importune, Le ciel met en nos mains toute notre fortune, Corneille, Othon, IV, 2. Cette inversion n'est tolérée qu'en poésie.
  • 4Bon gré, mal gré, loc. adv. De gré ou de force (dans cette expression, on écrit toujours mal gré en deux mots). Bon gré, mal gré, vous payerez.

    J. J. Rousseau a dit : bon gré mal gré moi : Mais enfin puisque cette édition se faisait bon gré mal gré moi… Conf. XI, 2e part. Cette locution est inacceptable : du moins, bien qu'on dise malgré moi, on ne dit pas bon gré moi.

  • 5Malgré que, loc. conj. signifiant quoique et usitée seulement avec le verbe avoir, de cette façon : malgré que j'en aie, malgré qu'il en ait, etc. en dépit de moi, en dépit de lui. Quand, malgré que j'en aie, amour me le découvre, Régnier, Élég. II. Me voulez-vous toujours appeler de ce nom ? - Ah ! malgré que j'en aie, il me vient à la bouche, Molière, Éc. des f. I, 1. Madame… tourne les choses d'une manière si agréable qu'il faut être de son sentiment, malgré qu'on en ait, Molière, Crit. 3. Il faut se divertir, malgré qu'on en ait, Sévigné, 247. Malgré qu'ils en eussent, Bossuet, Hist. II, 12. Ô Richardson ! on prend, malgré qu'on en ait, un rôle dans tes ouvrages, Diderot, Éloge de Richardson.

REMARQUE

1. Malgré que, dans tout autre emploi que celui qui est indiqué ci-dessus, serait une faute ; et l'on ne peut dire : malgré qu'il ait agi ainsi, pour quoiqu'il ait agi ainsi. La raison en est que malgré que veut dire mauvais gré que, quelque mauvais gré que.

2. Dans malgré que, il faudrait mieux écrire en deux mots mal gré que ; car le sens est : mauvais gré que j'en aie.

3. Malgré moi s'interprète par : avec le mauvais gré de moi. C'est la syntaxe de l'ancienne langue où le génitif latin était représenté par le cas régime, sans de.

4. On a dit que malgré lui et ses dents est une corruption de malgré lui et ses aidants. C'est une erreur ; la locution se trouve dès le XIIIe siècle.

HISTORIQUE

XIIe s. Mais maugré eux [je] vous ai mon cuer [cœur] doné, Couci, XI.

XIIIe s. Maugré tous sains et maugré Dieu aussi Revient Quesnes, et mal soit il venans ! Hues D'Oisi, Romanc. p. 103. Que vous le me vueilliez à force [un anneau donné] Maugré mien fere retenir, Lai de l'ombre. Par maintes fois si avenoit, Quant jusqu'à l'eglise venoit, Ariers venoit maugré ses dens, Que ne pooit entrer dedens, Rutebeuf, II, 113.

XIVe s. Amours de ses vertus si bien le pourveoit, Qu'il li estoit avis, se cent i en avoit, Maugré leurs dens devant bien lor escaperoit, Baud. de Sebourg, III, v. 843. Se tu ne fais de gré, tu le feras maugré toy, Chron. de St Denis, t. II, f° 47, dans LACURNE. Je ne descenderai de mon destrier de pris, Se malgré moi n'en sui à la terre flatis, Guesclin, 18248.

XVe s. Souffrez au moins que je vous serve, Sans vostre malgré desservir, Chartier, , p. 508.

XVIe s. L'homme peche volontairement, et non pas maugré son cœur ne par contrainte, Calvin, Inst. 212. Ô Dieu, tire moy aucunement par force et maugré que j'en aye pour me faire volontaire, Calvin, ib. 221. Ce qui restoit fut pillé par les soudards, bon gré mal gré que l'on en eust, Amyot, Marcell. 28.

ÉTYMOLOGIE

Mal, et gré, c'est-à-dire mauvais gré ; pic. margré, maugré ; Berry, maugré ; bourguign. maugrait ; provenç. malgrat ; espagn. mal grado ; ital. mal grado.