« misérable », définition dans le dictionnaire Littré

misérable

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misérable

(mi-zé-ra-bl') adj.
  • 1Qui est dans la misère, ou dans le malheur. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir, La Fontaine, Fabl. VII, 1. La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable, Pascal, Pens. I, 3, éd. HAVET. Il [l'homme] veut être heureux, et il se voit misérable, Pascal, ib. I, 8. C'est être d'autant plus misérable qu'on est tombé de plus haut, Pascal, ib. VIII, 13. On n'est pas misérable sans sentiment : une maison ruinée ne l'est pas ; il n'y a que l'homme de misérable, Pascal, ib. XXV, 82. Nous sommes plaisants de nous reposer dans la société de nos semblables : misérables comme nous, impuissants comme nous, Pascal, ib. XIV, 1. Nous voici donc, hélas ! À ce jour détestable Dont la seule frayeur me rendait misérable, Racine, Théb. I, 1. Et ce héros aimable Est aussi malheureux que je suis misérable, Racine, Mithr. II, 1. Haï, craint, envié, souvent plus misérable Que tous les malheureux que mon pouvoir accable, Racine, Esth. II, 1. Mais dans l'ennui qui m'accable, Si mes amis sont heureux, Je serai moins misérable, Voltaire, Usage de la vie. Le plus heureux est celui qui souffre le moins de peines ; le plus misérable est celui qui sent le moins de plaisirs, Rousseau, Ém. II.

    Par exagération. Ce misérable M. d'Auxerre n'a pas même un bon carrosse ? Maintenon, Lett. à Mme de Caylus, 24 nov. 1716.

    Il se dit des choses. Une misérable condition. Son sort est misérable. La plupart des hommes emploient la première partie de leur vie à rendre l'autre misérable, La Bruyère, XI.

    Faire une fin misérable, mourir dans la misère, et aussi mourir d'une mort funeste.

  • 2Digne de pitié. Misérable, je puis adoucir des taureaux, Et je ne puis toucher les volontés d'un homme, Corneille, Médée, III, 3. Misérable vengeur d'une juste querelle, Et malheureux objet d'une injuste rigueur, Corneille, Cid, I, 9. Misérables humains, ceci s'adresse à vous, La Fontaine, Fabl. X, 13.

    Il se dit aussi des choses. C'est une misérable suite de la nature humaine, Pascal, dans COUSIN. On traîne, on va donner en spectacle funeste De son corps tout sanglant le misérable reste, Racine, Esth. III, 8.

  • 3Digne de mépris et de haine. Il faut être bien misérable pour faire une telle action. Le croyez-vous vous-mêmes, misérables que vous êtes ? Pascal, Prov. XVI. Misérable, tu cours à ta perte infaillible, Racine, Phèdre, IV, 3. Misérable ! et je vis ! et je soutiens la vue De ce sacré soleil dont je suis descendue, Racine, ib. IV, 6. Misérable Zaïre ! Tu ne jouiras pas…, Voltaire, Zaïre, V, 7.
  • 4Qui est sans valeur, sans mérite. Un auteur misérable. N'avez-vous point de honte de me mettre en état d'appréhender auprès de vous un misérable bourgeois ? Bussy-Rabutin, dans RICHELET. Un misérable faiseur de vers, Patru, Oraison pour Archias, dans RICHELET. Lucrèce était un misérable physicien, et il avait cela de commun avec toute l'antiquité, Voltaire, Dict. phil. Poëtes.

    Il se dit aussi des choses. Un livre misérable. Si vous ne m'aimiez, il faudrait brûler mes misérables lettres avant que de les ouvrir, Sévigné, 425. Il n'y a rien de plus éclatant [que la gloire], ni qui fasse plus de bruit parmi les hommes, et tout ensemble il n'y a rien de plus misérable ni de plus pauvre, Bossuet, la Vallière. Rien n'est si petit et si misérable que de se donner pour ce qu'on n'est pas et se faire honneur du personnage d'un autre, Massillon, Carême, Doutes sur la relig. Telle est la misérable faiblesse des hommes, qu'ils regardent avec admiration ceux qui ont fait du mal d'une manière brillante, et qu'ils parleront souvent plus volontiers du destructeur d'un empire que de celui qui l'a fondé, Voltaire, Charles XII, discours. C'est une misérable consolation d'apprendre que des monstres sont abhorrés, mais c'est la seule qui reste à notre faiblesse, Voltaire, Lett. d'Alemb. 18 juill. 1766. Je l'ai lu, sans pouvoir y glaner une misérable ligne qui me servît, Diderot, Salon de 1767, Œuv. t. XIV, p. 391, dans POUGENS. Quelques-uns, tels que les fourmiliers, les paresseux, etc. sont d'une nature si misérable, qu'ils ont à peine les facultés de se mouvoir et de manger, Buffon, Quadrup. t. V, p. 168. Tous ces êtres sont misérables sans être malheureux, et, dans ses productions les plus négligées, la nature paraît toujours plus en mère qu'en marâtre, Buffon, ib. t. VI, p. 88. Ah ! monsieur, me dit-il, ma santé est bien misérable, et il entra dans le détail de ses maux de nerfs…, Marmontel, Mém. VIII.

  • 5 Substantivement. Un misérable, une misérable, celui, celle qui est dans la misère ou dans le malheur. Comme les joies des misérables ne durent guère, Voiture, Lett. 25. Puis la peur de la mort sied mal aux misérables, Rotrou, Bélis. I, 2. Il ne se faut jamais moquer des misérables ; Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux ? La Fontaine, Fabl. V, 17. En un mot il languit, le pauvre misérable, Molière, Éc. des f. II, 6. J'aime les biens, parce qu'ils donnent le moyen d'en assister les misérables, Pascal, Pens. XXIV, 69. Et pour nous rendre heureux, perdons les misérables, Racine, Brit. II, 8.

    Il se dit aussi de ceux qui sont dans une condition inférieure, ou de gens sans ressources. Quand nous faisons besoin, nous autres misérables, Nous sommes les chéris et les incomparables, Molière, l'Ét. I, 2. Moi qui sens de la pitié pour ce qui s'appelle des misérables, Maintenon, Lett. à Mme des Ursins, 4 juill. 1706. Lorsqu'en 1763 la Floride fut cédée par la cour de Madrid à celle de Londres, les cinq ou six cents misérables qui végétaient dans cette région se réfugièrent à Cuba, Raynal, Hist. phil. XII, 11.

  • 6Celui, celle qui est digne de haine ou de mépris. On distingue les hommes en deux classes : la première, des hommes divins qui sacrifient leur amour-propre au bien public ; la seconde, des misérables qui n'aiment qu'eux-mêmes, Voltaire, Trait. métaph. ch. 8.

    C'est un misérable, ce n'est qu'un misérable, c'est un homme de néant, ou c'est un très malhonnête homme.

    Dans ce dernier sens, on dit quelquefois : c'est un grand misérable.

    C'est un petit misérable, se dit d'un enfant vicieux, et aussi d'une personne sans consistance. Comment ! petit misérable, vous faites entendre qu'il n'y a que de mauvais catholiques qui aient justifié Jean Calas, rétabli sa mémoire, et déclaré sa famille innocente ! Voltaire, Facéties, Quest. sur les mir. 17e lettre.

    C'est une misérable ; la misérable, en parlant d'une femme que l'on méprise. Quoi ! cette misérable à mon fils destinée Déclare maintenant sa haine contre moi ! Rotrou, Antig. IV, 2.

HISTORIQUE

XVIe s. On dit que la consolation des miserables est d'avoir des pareils, l'Amant ressuscité, p. 502, dans LACURNE. Au dernier coin se sied la miserable crainte, D'Aubigné, Tragiques, la Chambre dorée.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. et esp. miserable ; ital. miserabile ; du lat. miserabilis, de miserari, avoir pitié (voy. MISÈRE).