« mourir », définition dans le dictionnaire Littré

mourir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

mourir

(mou-rir), je meurs, tu meurs, il meurt, nous mourons, vous mourez, ils meurent ; je mourais ; je mourrai ; je mourrais ; je mourus ; meurs, qu'il meure, mourons, mourez, qu'ils meurent ; que je meure, que tu meures, qu'il meure, que nous mourions, que vous mouriez, qu'ils meurent ; que je mourusse ; mourant, mort (ou se change en eu, toutes les fois qu'il porte l'accent tonique) v. n.
  • 1Cesser de vivre. Mourir de vieillesse, de maladie, de mort violente. Son cheval vient de mourir. Il est mort de faim. Quiconque sait mourir, sait bien aussi se taire, Du Ryer, Scévole, IV, 6. Ma fille, il est toujours assez tôt de mourir, Corneille, Œdipe, III, 2. Mourir pour le pays est un si digne sort, Qu'on briguerait en foule une si belle mort, Corneille, Hor. II, 3. Voir le dernier Romain à son dernier soupir, Moi seule en être cause et mourir de plaisir ! Corneille, ib. IV, 5. Si mourir pour son prince est un illustre sort, Quand on meurt pour son Dieu, quelle sera la mort ! Corneille, Poly. IV, 3. Quoi ! vous causez sa perte, et n'avez point de pleurs ? - Non, je ne pleure point, madame, mais je meurs, Corneille, Suréna, V, 5. Les jeunes gens mourront par l'épée, leurs fils et leurs filles mourront de faim, Sacy, Bible, Jérémie, II, 22. Nous nous connaissons si peu, que plusieurs pensent aller mourir quand ils se portent bien, et plusieurs pensent se porter bien quand ils sont proche de mourir, Pascal, Pens. XXV, 8, éd. HAVET. Je ne suis la fin de personne, et n'ai pas de quoi le satisfaire : ne suis-je pas prêt à mourir ? Pascal, ib. XXIV, 39 ter. On mourra seul ; il faut donc faire comme si on était seul, Pascal, ib. XIV, 1. Ce qui me fâche, c'est qu'en ne faisant rien les jours se passent, et notre pauvre vie est composée de ces jours, et l'on vieillit, et l'on meurt, Sévigné, 6 août 1675. Si on m'avait demandé mon avis, j'aurais bien aimé à mourir entre les bras de ma nourrice ; cela m'aurait ôté bien des ennuis, et m'aurait donné le ciel bien sûrement et bien aisément, Sévigné, 16 mars 1672. Tant il est vrai que tout meurt en lui [l'homme], jusqu'aux termes funèbres par lesquels on exprimait ses malheureux restes, Bossuet, Duch. d'Orl. Nous mourons tous, a dit cette femme dont l'Écriture a loué la prudence, et nous allons sans cesse au tombeau ainsi que des eaux qui se perdent sans retour, Bossuet, ib. Cette admirable parole, qu'elle aimait mieux vivre et mourir sans consolation, que d'en chercher hors de Dieu, Bossuet, Anne de Gonz. Turenne meurt, tout se confond, la fortune chancelle, la victoire se lasse, la paix s'éloigne, Fléchier, Turenne. Je plains Mlles de Barneval, si elles perdent leur mère : je ne puis plaindre ceux qui meurent, Maintenon, Lett. à Mme de Caylus, t. VI, p. 172, dans POUGENS. En mourrai-je moins, me direz-vous ? vous mourrez plus tard : chaque instant de votre vie m'est précieux, Maintenon, Lettre à Mme de Glapion, 27 déc. 1716. M. de Barbezieux meurt à la fleur de son âge, dans une très grande fortune, et à la veille d'une fortune encore plus grande, Maintenon, Lett. au D. de Noailles, 7 janv. 1701. L'imbécile Ibrahim, sans craindre sa naissance, Traîne dans le sérail une éternelle enfance ; Indigne également de vivre et de mourir…, Racine, Baj. I, 1. Ne tardons plus, marchons ; et, s'il faut que je meure, Mourons, moi, cher Osmin, comme un vizir, et toi Comme le favori d'un homme tel que moi, Racine, Baj. IV, 7. Ariane, ma sœur, de quel amour blessée, Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée ! Racine, Phèdre, I, 3. Mourez donc, et gardez un silence inhumain, Racine, ib. I, 3. Virgile mourut à Brunduse l'année de Rome 735, âgé de cinquante-deux ans, Rollin, Hist. anc. t. XII, p. 93, dans POUGENS. M. Cassini mourut le 14 septembre 1712, âgé de 87 ans et demi, sans maladie, sans douleur, par la seule nécessité de mourir, Fontenelle, Cassini. Un peu avant qu'il [l'argent] finît, je tombai assez malade pour espérer de mourir : on ne meurt jamais à propos ; je fus trompée dans mon attente, Staal, Mém. t. I, p. 130. Quand il faut rendre son corps aux éléments, et ranimer la nature sous une autre forme, ce qui s'appelle mourir ; quand ce moment de métamorphose est venu, avoir vécu une éternité, ou avoir vécu un jour, c'est précisément la même chose, Voltaire, Micromégas, 2. On meurt en détail, ma chère amie ; puissiez-vous jouir d'une meilleure santé que la mienne ! Voltaire, Lett. Mme de Champbonin, 17 nov. 1764. On sait bien qu'il faut mourir ; mais, en conscience, il ne faudrait pas aller à la mort par de si vilains chemins, Voltaire, Lett. Vasselier, mai 1773. Mourir est un instant, vivre est un long supplice, Saurin, Beverlei, V, 5. Nous commençons de vivre par degrés, et nous finissons de mourir comme nous commençons de vivre, Buffon, Hist. nat. Hom. Œuv. t. IV, p. 368. Je meurs, et sur la tombe où lentement j'arrive, Nul ne viendra verser des pleurs, Gilbert, Ode imitée de plusieurs psaumes. Prends ton vol, Ô mon âme, et dépouille tes chaînes ; Déposer le fardeau des misères humaines, Est-ce donc là mourir ? Lamartine, Médit. I, 27.

    Mourir roi, prince, etc. mourir avec la dignité de roi, de prince, etc. Traître, songe, en mourant, que tu meurs mon sujet, Racine, Théb. V, 3. Il a soixante et quatorze ans, C'est mourir pape et non pas l'être, Voltaire, Lett. en vers et en prose, 163.

    Il se dit dans un sens analogue avec un adjectif. Il est mort repentant. Quand tu sauras mon crime et le sort qui m'accable, Je n'en mourrai pas moins, j'en mourrai plus coupable, Racine, Phèdre, I, 3.

    Mourir dans une croyance, y persister jusqu'à la fin de sa vie. Le bon religieux conçut que le philosophe était résolu de mourir dans la religion de son pays, Diderot, Opin. des anciens philos. (hobbisme).

    En un sens analogue, mourir dans son péché, ne pas se corriger. Ce n'est pas parce que j'ai quatre-vingts ans que je pense ainsi ; car j'avais le même goût à quinze, et probablement je mourrai dans mon péché, Voltaire, Lett. Touraille, 5 juill. 1774.

    Il mourra en sa peau, ou en sa peau mourra le renard, c'est-à-dire on ne se corrige point.

    On dit de même : il mourra dans la peau d'un insolent. Le drôle est toujours le même, et, à moins qu'on ne l'écorche vif, je prédis qu'il mourra dans la peau du plus fier insolent !…, Beaumarchais, le Mariage de Figaro, I, 3.

    Mourir dans son lit, voy. LIT, n° 1.

    Mourir au champ d'honneur, au lit d'honneur, être tué à la guerre, en faisant son devoir, voy. HONNEUR, n° 1.

    Familièrement. Mourir de sa belle mort, mourir de sa mort naturelle.

    Ironiquement. Mourir dans les formes, mourir traité en règle par la médecine. Ce n'est pas qu'avec tout cela votre fille ne puisse mourir ; mais au moins vous aurez fait quelque chose, et vous aurez la consolation qu'elle sera morte dans les formes, Molière, Am. méd. II, 5.

    Mourir martyr, mourir en souffrant de grandes douleurs.

    Bien mourir, mourir chrétiennement, dans des sentiments de pénitence et de foi. C'est peu de reconnaître la nécessité de mourir, si l'on n'en tire des motifs et des conséquences pour bien vivre, Fléchier, Lamoignon.

    On dit dans un sens analogue, mais familièrement : mourir décemment. Louis XV… éloigna la du Barry, communia, mourut fort décemment, Michelet, Louis XV et Louis XVI.

    Populairement. Mourir comme un chien, mourir sans vouloir témoigner le moindre repentir de ses fautes.

    Mourir tout en vie, mourir d'une maladie vive et prompte, être emporté dans la pleine vigueur du corps et de l'esprit.

    Mourir tout entier, ne laisser aucun renom après sa mort. Ne laisser aucun nom et mourir tout entier, Racine, Iph. I, 2.

    Mourir à la peine, mourir sans avoir aucun relâche d'occupations pénibles, sans prendre une retraite. Je sens bien qu'il faut mourir ; mais, pendant qu'on attend, tout change, et on meurt à la peine, Voltaire, Lett. d'Argental, 24 oct. 1774.

    Fig. Mourir à la peine, ne vouloir point démordre de ce qu'on a entrepris. Je viendrai à bout de mon dessein, ou je mourrai à la peine.

    Il ne mourra que de ma main, se dit par menace contre quelqu'un. Si c'était encore le même chevalier sur le même cheval, il ne mourrait que de ma main, Sévigné, 13 sept. 1671.

    Fig. Mourir d'une belle épée, succomber sous un ennemi à qui il est glorieux de céder, mourir honorablement. Quoi qu'il en soit, je me porte bien ; et, si je meurs de cette maladie, ce sera d'une belle épée [honorablement], et je vous laisse le soin de mon épitaphe, Sévigné, à Bussy, 5 sept. 1674.

    Fig. Mourir sur le coffre, mourir au service d'un roi, d'un grand ; locution prise des coffres sur lesquels on avait autrefois coutume dans les grandes maisons de coucher les domestiques. Ébloui de l'éclat de la splendeur mondaine, Je me flattais toujours d'une espérance vaine ; Faisant le chien couchant auprès d'un grand seigneur, Je me vis toujours pauvre, et tâchai de paraître ; Je vécus dans la peine, attendant le bonheur, Et mourus sur un coffre en attendant mon maître, Tristan, Son épitaphe (1655). Monsieur, je vous prie de croire [paroles de Turenne au cardinal de Retz] que, sans ces affaires-ci où peut-être on a besoin de moi, je me retirerais comme vous, et je vous donne ma parole que, si j'en reviens, je ne mourrai pas sur le coffre, et je mettrai, à votre exemple, quelque temps entre la vie et la mort, Sévigné, 2 août 1675.

  • 2 Impersonnellement. Il meurt, année moyenne, tant de personnes à Paris. Il est mort beaucoup de monde du choléra. Les mois dans lesquels il meurt le plus de monde sont mars, avril et mai, et ceux pendant lesquels il en meurt le moins sont août, juillet et septembre, Buffon, Prob. de la vie, Œuv. t. X, p. 513.
  • 3Il est mort, a quelquefois la force du futur il mourra. Si ma fille une fois met le pied dans l'Aulide, Elle est morte : Calchas, qui l'attend en ces lieux, Fera taire nos pleurs…, Racine, Iphig. I, 1. ar forme de serment, je veux mourir, que je meure à l'instant, ou je meure, sans que, si ce que je vous dis n'est pas vrai. Je meure, mon enfant, si tu n'es admirable, Corneille, Veuve, III, 4. Je meure, en vos discours si je puis rien comprendre, Corneille, le Ment. II, 3. Si pendant un quart d'heure Vous suivez ce dessein, c'est beaucoup ou je meure, Destouches, Irrésolu, IV, 1. M. de Forlis : Promets-moi… - Le baron : Que je meure Si j'y manque, monsieur, Boissy, Deh. tromp. IV, 2. Je veux mourir si je comprends un mot à tout ce galimatias, Genlis, Théât. d'éduc. le Méchant par air, I, 1.

    On dit aussi : Que je ne meure. Je n'ai, que je ne meure, point de joie si sensible, que lorsque je pense que la fortune nous donnera moyen quelque jour de passer le reste de notre vie l'un avec l'autre, Voiture, Lett. 126.

  • 4Faire mourir quelqu'un, le mettre à mort. Ce tyran [Néron] fait mourir saint Pierre, Bossuet, Hist. II, 7. Quelques esclaves qu'on avait fait mourir pour honorer ses funérailles, Fénelon, Tél. XVIII.

    Faire mourir, causer la mort. Le chagrin l'a fait mourir. La duchesse de Bouillon alla demander à la Voisin du poison pour faire mourir un vieux mari qu'elle avait qui la faisait mourir d'ennui, Sévigné, 31 janv. 1680. Ce n'est pas que je croie à votre ancienne prédiction, que le roi de Prusse me ferait mourir de chagrin ; je ne me sens pas d'humeur à mourir d'une si sotte mort, Voltaire, Lett. Mme Denis, 18 déc. 1752.

    Par exagération, faire mourir, mettre dans un état très voisin de la mort. Il tombe tout à coup dans ces ennuyeuses douleurs où l'on souffre sans secours et sans intervalle : la respiration, qui nous fait vivre, le fait mourir à tous moments, Fléchier, Duc de Mont.

    Vous me faites mourir, vous m'affligez beaucoup, ou bien, vous m'impatientez beaucoup. Tu veux que je t'écoute, et tu me fais mourir ! Corneille, Cid, III, 4. La crainte de sa mort me fait déjà mourir, Corneille, Cinna, I, 2. Il [le cardinal de Bouillon] m'a conté mille choses de M. de Turenne, qui font mourir, Sévigné, 12 août 1675. Le moyen de se représenter que vous êtes au lit, affligé de toutes les parties et les jointures de votre petit corps… c'est pour nous faire mourir, Sévigné, à Coulanges, 24 juill. 1691.

    Faire mourir quelqu'un à petit feu, lui causer des peines continuelles qui le rongent.

  • 5Se laisser mourir, ne rien faire pour soutenir sa vie. Elle prit une poignée de terre qu'elle répandit en croix sur le corps de son fils qu'elle avait étendu à ses pieds ; son mari comprit le signe et se laissa mourir de faim, Diderot, Lettre sur les sourds et muets.
  • 6Éprouver une mortelle affliction. Je mourrai plus que vous du coup qui vous tuera, Rotrou, Vencesl. V, 4. Je meurs si je vous perds ; mais je meurs si j'attends, Racine, Andr. III, 7. Du coup qui vous attend vous mourrez moins que moi, Racine, Iphig. IV, 4.

    Familièrement. Pour mourir, c'est-à-dire au point d'éprouver un très vif sentiment déterminé par le sens de la phrase, ou bien une peine, une fatigue. Je vous loue fort que vous ne reconduisiez point, c'était pour mourir, Sévigné, 44.

    À mourir, au point de souffrir beaucoup. Une toux me tourmente à mourir, Molière, le Dép. V, 2. Je suis lasse à mourir de la fadeur des nouvelles, Sévigné, 236. J'avais grande envie de me jeter dans le Bourdaloue [aller à un sermon] ; mais… la presse était à mourir, Sévigné, 24 mars 1671. Je ne suis presque plus en colère contre vous ; mais je suis triste à mourir, Genlis, Adèle et Th. t. I. p. 13, dans POUGENS.

  • 7Mourir sur, se fatiguer excessivement sur. Ô chétifs, qui, mourant sur un livre, Pensez, seconds phénix, en vos cendres revivre, Régnier, Sat. I.
  • 8 Par exagération, supporter les dernières extrémités. Je pensais qu'il fallait mourir plutôt que d'en ouvrir la bouche ; mais, voyant mon fils si sincère, je le suis aussi, Sévigné, 9 oct. 1680.
  • 9Mourir se dit, par exagération, de quelque sensation, de quelque passion ou sentiment qui s'empare de nous. Mourir de chaud, de froid. Mourir de faim, de soif. Laissons-le discourir, Dire cent et cent fois : il en faudrait mourir ! Régnier, Sat. VIII. Tous ceux qui les voient meurent d'envie de les trouver belles, Molière, Impr. 3. Ah ! que voilà un air qui est passionné ! est-ce qu'on n'en meurt point ? Molière, Préc. 10. M. le chevalier lui fit voir ce que vous lui écriviez ; cela fait mourir de tendresse et de reconnaissance, Sévigné, 21 janv. 1689. Vous avez peur que je ne meure de joie ; mais ne craignez-vous point aussi que je ne meure du déplaisir de croire voir le contraire ? Sévigné, 19. Quel moyen de revoir ces allées, ces devises, ce petit cabinet, ces livres, cette chambre sans mourir de tristesse ? Sévigné, 57. Le comte d'Estrées meurt de peur que ce ne soit une grossesse, Maintenon, Lett. au D. de Noailles, 11 déc. 1700. Mlle d'Aumale meurt d'ennui de tout ce qu'elle voit ici ; toute la maison est en larmes, Maintenon, Lett. à Mme de Caylus, 28 nov. 1716. Un bon repas l'attendait ; il mourait de faim, Hamilton, Gramm. 4. Pour mourir à ses pieds d'amour et de fureur, Voltaire, Scythes, II, 5.

    Corneille a dit mourir, absolument, pour mourir d'envie. Lui, quand il a promis, il meurt qu'il n'effectue, Corneille, la Veuve, III, 2. Voulez-vous me servir ? - Si je le veux, j'y cours, Madame, et meurs déjà d'y consacrer mes jours, Corneille, Sert. II, 4. Et l'on ne voit que trop quel droit j'ai de haïr Un empereur sans foi qui meurt de me trahir, Corneille, Tite et Bérén. IV, 3.

    Mourir de rire, se livrer à un rire excessif. Il nous a lu aussi des chapitres de Rabelais à mourir de rire, Sévigné, 5 juillet 1671. Il mourait de rire toutes les fois qu'il voyait sa mine, Hamilton, Gramm. 8.

    Mourir de, avec un verbe à l'infinitif, éprouver un mortel ennui à. Je mourrais de faire longtemps la vie de Rennes, Sévigné, 22 avr. 1689.

    Mourir de faim, n'avoir pas les moyens d'exister. Non que je croie qu'il faut laisser mourir de faim le vice, mais parce qu'il est juste de ne le nourrir qu'après avoir bien engraissé la vertu, Maintenon, Lett. au duc de Noailles. t. V, p. 62, dans POUGENS.

    Substantivement. Un meurt-de-faim, un homme qui n'a pas ou qui ne gagne pas de quoi vivre. Des meurt-de-faim.

  • 10 Fig. Mourir, être passionnément amoureux. Je meurs pour Isabelle, Racine, Plaid. I, 5.
  • 11Être mort civilement, se dit des religieux et des religieuses, qui, en cette qualité, renoncent pour toujours à certains droits, à certains avantages de la société.

    En termes de jurisprudence, être mort civilement, être privé à jamais, par un jugement, des droits et des avantages de la société.

  • 12Dans le langage de la dévotion, avoir fait le complet sacrifice de tout ce qui est nature dans l'homme. Un chrétien toujours attentif à combattre ses passions meurt tous les jours avec l'apôtre ; un chrétien n'est jamais vivant sur la terre…, Bossuet, Mar.-Thér.

    Être mort tout vif, être en état de péché mortel. La veuve qui passe sa vie dans les plaisirs est morte toute vive, Bossuet, Anne de Gonz.

  • 13Mourir à, renoncer pour jamais à. Comme Jésus-Christ a souffert durant la vie mortelle, est mort à cette vie mortelle…, Pascal, Lett. sur la mort de son père. L'âme souffre et meurt au péché dans la pénitence et le baptême, Pascal, ib. Elle mourut longuement à ses passions, avant que de perdre la vie du corps, Fléchier, Aiguillon. Saint Bernard résolut de porter le joug du Seigneur et de mourir à l'affection et au souvenir de tous les hommes, Fléchier, II, 61. Qu'elles vivent comme des anges ! qu'elles ne songent qu'à mourir à elles-mêmes ! Maintenon, Lett. à Mme de Fontaines, t. III, p. 140, dans POUGENS. Mourez au monde : ne le reprenez pas au parloir après l'avoir renoncé à la grille, Maintenon, Lett. à Mlle de Champlebon, 4 mars 1706. Le monde meurt pour lui ; mais lui-même en mourant ne meurt pas encore au monde, Massillon, Avent, Mort du péch. Heureuse de mourir à tout, avant que tout meure pour vous, Massillon, Prof. relig. 1. Elle a vécu… Je meurs au reste des humains, Voltaire, Olymp. V, 2.

    Être mort pour quelqu'un, ne pouvoir plus lui être d'aucune utilité, ne conserver aucune relation avec lui. Pour accabler César d'un éternel ennui, Madame, sans mourir, elle [Junie] est morte pour lui, Racine, Brit. V, 8.

    Dans un sens analogue, être mort pour quelque chose, ne pouvoir plus y être sensible, en être privé pour toujours. J'étais mort pour la gloire, et je n'ai pas vécu, Rotrou, Vencesl. II, 2.

  • 14Mourir, en parlant des arbres, des plantes. Ce pêcher est mort d'un coup de soleil.
  • 15 Fig. Cesser d'exister, en parlant des institutions, des établissements, des États. Le sort des empires est entre les mains de Dieu ; ils meurent en leur temps comme le reste des choses humaines, Bossuet, Médit. sur l'Évangile, Dern. sem. du Sauveur, 81e jour. Si les hommes apprennent à se modérer en voyant mourir les rois, combien plus seront-ils frappés en voyant mourir les royaumes mêmes ! Bossuet, Hist. III, 1. Notre religion réelle, le déisme, a vu naître et mourir mille cultes fantastiques, ceux de Zoroastre, d'Osiris, de Zalmoxis, d'Orphée, de Numa, d'Odin et de tant d'autres, Voltaire, Facéties, Épît. aux frères.

    Ne pas mourir, continuer à exister comme corps, en parlant des compagnies, des communautés. Les communautés ne meurent point.

    En France, le roi ne meurt pas, un roi de France qui meurt a immédiatement pour successeur son héritier présomptif.

  • 16 Fig. Cesser, finir peu à peu, en parlant de l'activité, du mouvement de certaines choses. Ce feu mourra si l'on n'y met du bois. Ne laissez pas mourir le feu. Le sabot va mourir, si tu ne lui donnes un coup de fouet. Le boulet de canon vint mourir là. Approchez-vous de ce banc de terre glaise où le flot va mourir, Bonnet, Contempl. nat. XII, 20. Les vagues … battaient la grève, venaient mourir à mes pieds, Chateaubriand, Itin. 1re part. Vois-tu comme le flot paisible Sur le rivage vient mourir ? Lamartine, Médit. Baïa. Cesser, s'éteindre, en parlant des choses morales, des passions. Si l'étrange accident que vous allez entendre N'eût ranimé mon feu qui mourait sous la cendre, Mairet, Sophon. IV, 1. Ma haine va mourir que j'ai crue immortelle ; Elle est morte, et ce cœur devient sujet fidèle, Corneille, Cinna, V, 3. Je vois… Que la vertu du fils soutient celle du père, Qu'elle ranime en lui la raison qui mourait, Corneille, Théod. III, 3. Que toute sa vertu meure en un grand forfait, Corneille, Perthar. III, 3. Ne nous obstinons point à des vœux superflus, Laissons mourir l'amour où l'espoir ne vit plus, Rotrou, Vencesl. II, 2. Le chantre désolé, lamentant son malheur, Fait mourir l'appétit et naître la douleur, Boileau, Lutrin, IV.

    Il se dit aussi des souvenirs, de la gloire, des productions de l'esprit, des ouvrages de l'art. Un souvenir qui ne meurt point. Vos bienfaits ne mourront point dans mon cœur. Les œuvres de ce poëte, de ce peintre, ne mourront pas. Mais, soutenu du tien, mon nom ne mourra plus, Voltaire, Brutus, IV, 6.

  • 17Ne pas s'achever. À ces mots, la parole meurt dans sa bouche, Fénelon, Tél. IX.

    Les paroles lui meurent dans la bouche, il laisse tomber sa voix et traîne ses paroles.

  • 18Il se dit d'un son qui s'éteint peu à peu, et de la dégradation des couleurs. Les tintements de la cloche allaient mourir au loin. Dans ce tableau, les couleurs se perdent en mourant les unes dans les autres. Tremble qu'une pensée, une maxime, un mot N'aille mourir dans l'oreille d'un sot ! Delille, Convers. II.

    Terme de peinture. Faire mourir les couleurs, en adoucir l'éclat, la vivacité, ménager avec art le passage des clairs aux bruns.

  • 19Exprimer la défaillance, la mort prochaine. Ses yeux [de Jésus] déjà éteints vont mourir sur elle [Marie], Massillon, Carême, Passion.

    Exprimer la langueur. Mademoiselle de Retz avait les plus beaux yeux du monde, mais ils n'étaient jamais si beaux que quand ils mouraient, Retz, I, 7.

  • 20Scier ou couper un morceau de bois en mourant, le scier ou le couper de sorte que l'épaisseur diminue insensiblement et vienne à rien.
  • 21Se dit à la poule, au billard et à plusieurs autres jeux, pour être mis hors du jeu comme perdant. On meurt en tant de points.
  • 22Se mourir, v. réfl. Être sur le point de mourir. Ici l'enfant se meurt d'une mort triste et lente, Du Ryer, Scévole, I, 3. Ô nuit désastreuse, ô nuit effroyable, où retentit tout à coup comme un coup de tonnerre cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte, Bossuet, Duch. d'Orl. Mes filles, soutenez votre reine éperdue ; Je me meurs, Racine, Esth. III, 7. Il y avait à Orléans un vieux chanoine janséniste qui se mourait et à qui ses confrères refusaient la communion, Voltaire, Louis XV, 36.

    Par exagération. Il se meurt d'amour, de peur, d'impatience, d'envie de dormir, etc. Le pauvre enfant se meurt de douleur, Sévigné, 204. Qui, toujours se signant, et disant ses rosaires, Leur prêchait la constance, et se mourait de peur, Voltaire, Éduc. d'un prince.

    Fig. Finir, cesser. En ses propos mourants ses complaintes se meurent, Malherbe, I, 4.

    S'éteindre. Votre feu se mourait. Votre lampe se meurt.

    Il ne se dit qu'au présent et à l'imparfait de l'indicatif et à l'infinitif.

  • 23 S. m. Le mourir. …Ce mal qui m'afflige au mourir, Régnier, Sat. X. Ô douce volupté, sans qui dès notre enfance Le vivre et le mourir nous deviendraient égaux, La Fontaine, Psyché, II, p. 215.

PROVERBES

Un lièvre, un bon lièvre vient toujours mourir au gîte, c'est-à-dire après avoir beaucoup voyagé, on est bien aise de retourner en son pays. Les envieux mourront, mais non jamais l'envie, Molière, Tart. V, 3.

Nous mourons tous les jours, c'est-à-dire il n'y a pas de jour que nous ne fassions un pas vers la mort.

On ne sait qui meurt ni qui vit, l'heure de la mort est incertaine, il faut prendre des assurances par écrit.

Autant meurt veau que vache, les jeunes meurent comme les vieux.

Il faut vieillir ou jeune mourir.

Il n'en mourra que les plus malades, c'est-à-dire le danger n'est pas si grand qu'on le croit.

Mourir se conjugue avec l'auxiliaire être.

REMARQUE

1. Faire mourir n'a point de passif. On ne dit pas : Ce criminel fut fait mourir.

2. Faire mourir n'a pas non plus de mode réfléchi ; et l'on ne dit pas se faire mourir ; cela se disait autrefois : Ma main l'a fait périr En lui donnant le fer dont il s'est fait mourir, Desmarets, Mirame, IV, 1. Toutefois, dans le langage familier, on s'en sert souvent quand il n'est pas question d'une mort violente : Vous vous faites mourir à force de pleurer ; il travaille trop, il s'en fera mourir.

3. Voltaire a employé ayant été mort dans un cas où il serait difficile de se servir d'une autre tournure. Théophile d'Antioche prouve que, le Lazare ayant été mort pendant quatre jours, on ne pouvait admettre…, Voltaire, Philos. Exam. Bolingbr. XI.

4. Dans ces vers de Racine : Mes soins, en apparence épargnant ses douleurs [de Claude], De son fils, en mourant, lui cachèrent les pleurs, Racine, Brit. IV, 2. en mourant est construit irrégulièrement, se rapportant non au sujet, mais à un régime direct. Cependant, quand le sens n'en souffre pas, cette construction n'est pas à rejeter.

5. Racine a dit : Et du même poignard dont est morte la reine, Racine, Théb. V, 5. Sur quoi Racine le fils observe qu'on ne dit pas mourir d'un poignard. Mais pourquoi ? Ne dit-on pas, dans une locution, proverbiale il est vrai, mourir d'une belle épée ?

6. Mourir, bien que neutre, peut devenir verbe réfléchi, mais seulement au présent et à l'imparfait ; on ne pourrait dire : il s'est mort (voy. le pronom SE, pour l'explication de cette tournure).

7. L'expression je meure si, etc. doit être conservée telle qu'elle est, avec le verbe au subjonctif. Lanoue dans la Coquette corrigée (II, 9) a dit par l'indicatif : Je meurs si j'entends rien à tout ce jargon-là. C'est une faute grossière. Il est absurde de dire qu'on meurt si on entend ; tandis qu'il est très raisonnable de dire je veux mourir ou que je meure si je vous comprends.

HISTORIQUE

Xe s. Por o s' furet morte [elle serait morte pour cela] à grant honestet, Eulalie.

XIe s. Si home mort [meurt] sans devise [testament], si departent les enfans l'erité [l'héritage], Lois de Guill. 36. Ne lui chaut, sire, de quel mort nous murions, Ch. de Rol. X. Mielx est sul moerge [que je meure seul] que tant bon chevalier, ib. XXVI. Là murrez vous à honte et à viltet, ib. XXXII. [Il] Mort [tué] m'a mes homes, ma terre degastée, ib. CXCIV.

XIIe s. Là fu morz Oliviers et ses compainz Rolanz, Sax. V. Car cil qui pert honor vaurroit mieux mors que vis [vif, vivant], ib. XXVI. Et mi desconfort greignor [plus grands], Dont je morrai sans retor, Couci, I. …Car à trop grant dolor Muir [je meurs] et languis ; vostre pitié le sache, ib. XI. Se nuls morist [mourut] pour avoir cuer dolent, ib. XXII. Ce est la mort dont mieux morir devroie, ib. 126. Et je, qui sui au morir, Ne sai qu'un mot, tant [je] le desir : Merci, ib. IV. …Et jà de sa prison [je] Ne quier issir se mors ou aimés non, ib. XIX. Nus ne vus demandums ne or ne argent ; ne ne volum pas que huem de Israel i murged, Rois, p. 201.

XIIIe s. Et après quant il vit ce, si l'estrangla et fist dire partout qu'il estoit mort de sa mort, Villehardouin, XCVIII. Se bien ne vous prouvez [si vous ne vous comportez pas bien], de la douleur morrai, Berte, VII. Et oïrent que cil qui morut dist : il m'a mort, Beaumanoir, XXXIX, 12. Encore se li lai [laïques] ne les ozoient penre [prendre] ou mors ou vis…, Beaumanoir, XI, 45. Ici desus Se mori le biaus Narcissus, la Rose, 1446.

XIVe s. Tarquin mourit à Cumes, Bercheure, f° 35, recto. … On scet proprement C'une fois fault morir, se ne scet-on comment, Guesclin. V. 15897.

XVe s. Monseigneur, sauve soit votre grace ; nous ne voulons pas que Gaston muire ; c'est vostre heritier, et plus n'en avez, Froissart, II, III, 13. La riviere qui queurt parmi la ville de Caen, qui porte grosse navire, estoit si basse et si morte qu'ils la passoient et repassoient à leur aise, sans danger du pont, Froissart, I, I, 272. Son neveu, le duc de Milan, se mouroit, Commines, VII, 6. Si fut tant esbahi qu'il devint mort comme terre, Perceforest, t. III, f° 145. Seigneurs, dit le roy, j'ay ouy dire communement : va où tu veulx, meurs où tu doys, ib. t. I, f° 31. Le quel AEeas tant aymoit Dido, qu'il en mouroit, J. de Saintré, ch. 2. À bien mourir chascun doit tendre ; à la fin faut devenir cendre, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 225. La punition et la peine devoit estre bien grande contre la dite dame, qui avoit esté cause de la faire ainsi mourir avant sa mort, Aresta amorum, p. 211, dans LACURNE.

XVIe s. Courtine bien remparée par le dedans de grosse terre, où les boulets alloyent mourir, Beaugué, Guerre d'Escosse, I, 10. Mais celuy qui premier, s'opposant à l'effort Des vaillans ennemis, meurt d'une belle mort, Ronsard, 933. Jamais des masles cœurs les louanges ne meurent, Ronsard, 933. Le ruisseau duquel nous avons parlé estoit renforcé de la cheutte de deux estangs, entre lesquels venoit mourir en bas une petite pleine triangulaire, D'Aubigné, Hist. I, 323. Cet obstacle fut levé par l'authorité des grands, disans que la royne ne mouroit point, et partant fut ouverte la premiere seance, D'Aubigné, ib. I, 105. C'est pour en mourir [locution à la mode parmi les courtisans, au temps d'Henri IV], il faut dire cela en demenant les bras, branlant la teste, changeant de pied, peignant d'une main la moustache et d'aucunes fois les cheveux, D'Aubigné, Faeneste, I, 2. Nous en avons veu plusieurs qui endurent estre fouettez jusques au mourir sur l'autel de Diane, Amyot, Lyc. 37. Meurs toy maintenant, Diagoras, car ja ne monteras plus au ciel, Amyot, Pélop. 63. J'en feus si mal que j'en cuiday mourir, Montaigne, II, 58. La fleur d'aage se meurt et passe quand la vieillesse survient ; le premier aage meurt en l'enfance, Montaigne, II, 378. Mourant, il se feit porter où le besoing l'appeloit, Montaigne, III, 94. Les ungs mouroient sans parler, les aultres parloient sans mourir ; les uns se mouroyent en parlant, les aultres parloient en mourant, Rabelais, Garg. I, 27. Et un bon mourir vaut mieux qu'un mal vivre, Charron, Sagesse, I, 36. On ne peut mourir que d'une mort, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 362. Il n'en tastoit point, tellement qu'il mouroit tout en vie auprès d'elle, Despériers, Contes, t. II, p. 47, dans LACURNE. C'est trop aimer, quand on en meurt, Cotgrave Le loup mourra en sa peau, qui ne l'escorchera, Cotgrave Envieux meurent, mais envie ne mourra jamais, Cotgrave Il commence bien à mourir qui abandonne son desir, Cotgrave Qui bien veut mourir, bien vive, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. meuri ; wallon, morî, je moûr, je meurs, moron, mourant ; Berry, mourer, mouzir ; picard, morir ; provenç. morir, murir ; espagn. morir ; portug. morrer ; ital. morire ; du latin fictif moriri, tiré du latin mori, mourir.