« muet », définition dans le dictionnaire Littré

muet

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

muet, ette

(mu-è, è-t') adj.
  • 1Privé de l'usage de la parole. Sourd et muet de naissance. Il est muet comme un poisson. On lui présenta un homme muet possédé du démon ; le démon ayant été chassé, le muet parla, Sacy, Bible, Évang. St Math. IX, 32. Qu'est-ce que notre être ! dites-le-nous, Ô mort ; car les hommes trop superbes ne m'en croiraient pas ; mais, ô mort, vous êtes muette, et vous ne parlez qu'aux yeux, Bossuet, Sermons, Mort, 1.

    Familièrement. N'être pas muet, parler hardiment, ou parler beaucoup.

    Fig. Carte muette, carte géographique où il n'y a rien d'écrit.

    Personnages muets, se dit des figures qui, dans des dessins, des cartes à jouer, etc. ne portent pas d'inscription.

  • 2Que des causes morales ou autres empêchent momentanément de parler. Je demeure à vos yeux muet d'étonnement, Corneille, Héracl. II, 6. Ils furent quelque temps saisis, muets, immobiles, Fléchier, Turenne. Le vin au plus muet fournissant des paroles, Boileau, Sat. III. Et le triste orateur Demeure enfin muet aux yeux du spectateur, Boileau, Lutr. VI. Vous demeurez muette ; et, loin de me parler, Je vois, malgré vos soins, vos pleurs prêts à couler, Racine, Mithrid. II, 4. Les oracles ont duré plus de quatre cents ans après Jésus-Christ, et ils ne sont devenus tout à fait muets que lors de l'entière destruction du paganisme, Voltaire, Dict. phil. Oracles.

    On dit dans le même sens : bouche muette. Ma bouche et mes regards, muets depuis huit jours, L'auront pu préparer à ce triste discours, Racine, Bérén. III, 1. Vos bouches sont muettes, Voltaire, Oreste, III, 4.

    Demeurer muet, n'avoir rien à répondre. Interpellés d'en produire [des originaux différents des Évangiles], ils sont demeurés muets, Bossuet, Hist. II, 13.

    Muet à, qui garde le silence en voyant ou entendant… Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes, Semblait-il seulement qu'il eût part à mes larmes ? Racine, Andr. V, 1.

    Terme de vénerie. Chien muet, chien qui guette et suit la bête sans aboyer.

  • 3 Fig. Il se dit des choses morales que l'on compare à un être humain qui se tait. Mon honneur est muet, mon devoir impuissant ! Corneille, Cid, IV, 1. La nature est aveugle et la vertu muette, Corneille, Nicom. II, 1. J'entendrai des regards que vous croirez muets, Racine, Brit. II, 3. L'amour est-il muet, ou n'a-t-il qu'un langage ? Racine, ib. III, 7. Il ne pouvait ignorer qu'une assiduité muette mène à la fortune, mais il ne voulait pas de fortune à ce prix-là, Fontenelle, Lahire. Ils ont rendu muette la vaine philosophie des sages, Massillon, Carême, Doutes. Mais le dessus écrit suffit pour te confondre ; à ce témoin muet que pourras-tu répondre ? Regnard, Distr. V, 7. Vous affectez sur elle un odieux silence, Interprète muet de votre intelligence, Voltaire, Adél. du Guesclin. II, 7. Ma passion muette, étonnée et timide, Lemercier, Agamemn. III, 7.
  • 4Il se dit semblablement des choses inanimées. …n'osant vous écrire la présente, ainsi mal polie et rude comme elle est ; mais, à la fin, j'ai pensé que ce n'est pas ce que vous attendez de moi, qui fais profession de choses muettes, Poussin, Lett. 20 févr. 1639. Il me rend tout à vous par ce muet refus, Corneille, Sertor. III, 4. La terre à son pouvoir rend un muet hommage, Rotrou, St-Genest, III, 2. Voyant sur un tombeau ces muettes reliques, Rotrou, Herc. mour. IV, 3. En voyant l'aveuglement et la misère de l'homme, en regardant tout l'univers muet et l'homme sans lumière…, Pascal, Pens. XI, 8, éd. HAVET. L'arche sainte est muette et ne rend plus d'oracles, Racine, Athal. I, 1. Jésus ! qu'est-il devenu ? je le demande à toute la nature, et toute la nature est muette, Fénelon, t. XVIII, p. 148. Et je ne pense point Que le ciel de mon sort à ce point s'inquiète, Qu'il anime pour moi la nature muette, Voltaire, M. de César, III, 5. Oui, dans ces noirs cachots, dans ces muets abîmes, Où Venise engloutit le coupable et ses crimes, Ducis, Othello, V, 4. Voyez là-haut les bois dont la muette horreur Aujourd'hui même encore inspire la terreur, Delille, Én. VIII. Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure ! Lamartine, Médit. le Lac. Pour eux [les poëtes] rien n'est muet, rien n'est froid, rien n'est mort, Hugo, Voix intérieures, 19.
  • 5Se dit des choses qui ne font pas le bruit qui leur est ordinaire.

    Fontaines muettes, fontaines qui n'ont pas d'eau. Le comte de Vaux, qui avait su mon arrivée, et qui me donna un très bon souper ; et toutes les fontaines muettes, et sans une goutte d'eau, parce qu'on les raccommodait, ce petit mécompte me fit rire, Sévigné, 291.

    Armes muettes, armes incapables de faire feu. On voit, d'un côté, quatre-vingt-mille hommes… ; de l'autre côté, cinq mille soldats, une colonne traînante, morcelée, une marche incertaine, languissante, des armes incomplètes, sales, la plupart muettes et chancelantes dans des mains affaiblies, Ségur, Hist. de Nap. X, 8.

    Vin muet, moût préparé de manière à ne pas fermenter.

  • 6Au théâtre, jeu muet, la partie du jeu d'un acteur, par laquelle il exprime, sans parler, les sentiments dont il doit paraître affecté, ou par laquelle il feint certaines choses.

    Scène muette, action d'un ou plusieurs personnages qui, sans parler, expriment leurs sentiments par les gestes, par les regards, ou feignent certaines actions.

    Par extension. De sorte qu'il se passa alors entre nous deux une petite scène muette qui fut la plus plaisante chose du monde, Marivaux, Pays. parv. 1re part.

    Personnages muets, personnages qui dans une pièce ne disent rien, et ne sont là que pour figurer ; tels sont les gardes dans une tragédie.

    Fig. Ce qui le fâchait, c'est que je ne lui donnais aucun rôle à jouer dans cette comédie ; il s'en plaignit à moi, et me demanda s'il n'y ferait qu'un personnage muet, Lesage, Guzm. d'Alf. V, 1.

    Un muet langage, manière de se faire comprendre d'une manière expressive, mais sans parler. Le muet langage des yeux.

  • 7 Terme de grammaire. Lettre muette, toute lettre qui ne se prononce pas. La lettre p est muette dans compter, dompter.

    H muette, celle qui n'est point aspirée, comme dans le mot honneur.

    E muet, l'e féminin, tel qu'il se prononce dans les mots boire, flamme, etc. ; on donne aussi le nom d'e muet à l'e sans accent qui se prononce eu dans les monosyllabes je, me, que.

    S. f. Une muette, une lettre muette.

    Terme de grammaire grecque, les muettes, nom donné à neuf consonnes (β, γ, δ, π, ϰ, τ, φ, χ, θ), qui ne peuvent être articulées sans voyelle ; aujourd'hui, dans la grammaire comparée, ces lettres se nomment plutôt explosives.

  • 8Semaine muette, la semaine sainte, ainsi dite parce qu'on ne sonne pas les cloches.
  • 9 S. m. et f. Un muet, une muette. L'institution des sourds et muets. Les poissons… forment un peuple de muets chez qui le langage des signes est peu abondant, Bonnet, Contempl. nat. X, 30.

    Par antiphrase. Une muette des halles, une harengère, une femme qui n'épargne pas les injures. Les femmes de la halle, qui sont les muettes de Paris, mais qui ne laissent pas de babiller plus que le reste du monde, Patin, Lettres, t. II, p. 601.

  • 10 Au plur. Muets, gens attachés au service des sultans, et qui, sans être privés de l'usage de la parole, ne s'expriment jamais que par signes. Le sultan lui envoya les muets, qui l'étranglèrent. Cette foule de chefs, d'esclaves, de muets, Peuple que dans ses murs renferme ce palais, Racine, Bajaz. II, 1. Que la main des muets s'arme pour son supplice, Racine, ib. IV, 5. Les muets bigarrés armés du noir cordon, Hugo, Orientales, la Douleur du pacha.
  • 11Le muet, espèce de serpent à sonnettes.
  • 12À la muette, loc. adv. Sans faire de bruit. Celui-ci [l'épeiche] arrive toujours à la muette, c'est-à-dire, sans faire du bruit, et jamais d'un seul vol, Buffon, Ois. t. XIII, p. 90.

REMARQUE

Appliqué aux personnes, muet suit toujours le substantif : un homme muet, une femme muette. Appliqué aux choses, il peut le précéder : une muette horreur.

HISTORIQUE

XIIe s. Tant puet [peut] et tant set et tant vaut Mes sire Kex en totes corz [cours], Qu'il n'i est ja muez ne sorz, Chrestien de Troyes, Chev. au Lyon, V. 630.

XIIIe s. Mais l'en ne puet muet servir, Qui pert sovent par soi trop taire, Roman de la poire. Quant li bourgois oïrent çou, si furent tout esbahi, et li rois les regarda, si les vit tous mues, Chr. de Rains, p. 229.

XVe s. Aveugle fault estre, muet et sourt ; Trop de perilz sont à suir [suivre] la court, Deschamps, Douleur advenant à ceux qui suivent la cour.

XVIe s. Et n'est si grand douleur, qu'une douleur muette, Du Bellay, J. VI, 16, recto. Ne monstre que tu sois trop ennemi du vice, Et sois souvent encor muet, aveugle et sourd, Du Bellay, J. VI, 36, verso. Muet comme un francolin pris, Cotgrave Ô supplice muet [taire son amour], que ta force est terrible ! Desportes, Amours d'Hippolyte, 1.

ÉTYMOLOGIE

Diminutif de l'anc. franç. mu (voy. MUE 2) ; wallon, mouwai ; namur. moia ; Hainaut, muau ; ces formes sont parallèles à l'anc. français muel, muiaux, autre diminutif de mu, qui, à beaucoup près, était le plus usité.