« neutre », définition dans le dictionnaire Littré

neutre

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

neutre

(neu-tr') adj. qui signifie littéralement ni l'un ni l'autre, et qui prend selon les cas les significations particulières qui suivent.
  • 1 Terme de grammaire. Qui n'est ni masculin, ni féminin. Le genre neutre. Un mot neutre. Ce est souvent substantif, c'est le hoc des Latins ; alors, quoi qu'en disent nos grammairiens, ce est du genre neutre, Dumarsais, Œuv. t. IV, p. 296.

    S. m. Le neutre, le genre neutre. Un adjectif au neutre. Le mot latin seculum est du neutre. Le neutre existe en grec et en latin, il n'existe ni en français, ni en italien, ni en espagnol.

  • 2Verbes neutres, en grammaire latine, ceux qui n'étaient ni actifs, ni passifs. Neutre, transporté dans notre grammaire, s'applique aux verbes qui expriment une action en elle-même, sans aucun régime, comme marcher, mourir, et auxquels il est impossible de donner un régime direct (on dit mieux aujourd'hui verbe intransitif). Il y a des mots qui marquent de simples propriétés ou manières d'être, de simples situations, et même des actions, mais qui n'ont point de patient ou d'objet qui en soit le terme ; c'est ce qu'on appelle le sens neutre ; neutre veut dire ni l'un ni l'autre, c'est-à-dire ni actif, ni passif, Dumarsais, Œuv. t. III, p. 202.

    Verbe neutre passif, nom donné en grammaire latine aux verbes tels que audeo, soleo, qui au parfait et aux temps dérivés du parfait prennent la forme passive, ausus sum, solitus eram ; chez nous, ancien nom des verbes neutres qui se conjuguent avec le verbe être ou avec le pronom personnel. Un verbe neutre passif n'est autre chose qu'un verbe neutre qui, pour former ses prétérits, se sert de l'auxiliaire être, Opusc. lang. franç. p. 329, dans POUGENS. De ces verbes neutres passifs il y en a qui sont toujours joints avec le pronom personnel me, te, se, comme se repentir, se souvenir, ib. p. 328.

  • 3 Fig. Qui ne prend point parti entre des contendants, soit États, soit particuliers. On demande que, neutre en ces dissensions, Je laisse aller le sort de vos deux nations, Corneille, Sophon. I, 4. Ils [les pyrrhoniens] ne sont pas pour eux-mêmes ; ils sont neutres, indifférents, suspendus à tout, sans s'excepter, Pascal, Pens. VIII, 1, éd. HAVET. Un de ceux qui furent neutres dans la première question, Pascal, Prov. V. Les colonies grecques sont résolues à demeurer neutres [entre Idoménée et les Manduriens], Fénelon, Tél. V. Heureux les hommes qui sont sincèrement neutres entre leur pensée et celle d'autrui ! Fénelon, t. II, p. 176. Dans le mouvement général de la Grèce armée en faveur des Phocéens ou des Thébains, Philippe avait cru devoir demeurer neutre, Rollin, Hist. anc. Œuvr. t. VI, p. 37, dans POUGENS. Annibal voulait qu'on renouvelât la guerre en Italie, et qu'on gagnât Philippe, ou qu'on le rendît neutre, Montesquieu, Rom. V. Quand il s'agit d'attaquer la France, rarement les Anglais ont été neutres, Voltaire, Mœurs, 101. Les puissances neutres qui, sans changer d'état, se fortifient, par rapport à nous, de tout notre affaiblissement, Rousseau, Paix perpétuelle. Bernadotte, déjà fait au trône, répondit [à Napoléon] en prince indépendant ; ostensiblement, il se déclarait neutre, ouvrait ses portes à toutes les nations…, Ségur, Hist. de Nap. I, 4.

    S. m. pl. Les neutres, les États qui ne prennent point parti dans une guerre entre deux ou plusieurs puissances. La navigation des neutres.

    Droit des neutres, droit reconnu par les puissances belligérantes aux États qui ne prennent point de part à la guerre. Le cabinet russe… se montra disposé à terminer la querelle maritime par une transaction qui assurât jusqu'à un certain point les droits des neutres, Thiers, Hist. du Consul. liv. IX.

  • 4Lieu, territoire neutre, lieu, territoire appartenant à un État neutre, ou dans lequel on convient d'établir la neutralité. Sans vouloir de lieu neutre à cette conférence, Corneille, Sert. I, 2. Après la paix de 1689, il était naturel que les deux nations convinssent d'un lieu neutre où les marchandises seraient portées, Voltaire, Russie, II, 12.

    Pavillon neutre, pavillon d'une puissance qui ne prend point part à la guerre.

  • 5 Terme de botanique. Fleur neutre, fleur chez laquelle les organes sexuels avortent constamment.

    Terme de zoologie. Il se dit d'insectes (les abeilles ouvrières, par exemple) qui n'ont pas de sexe, qui ne peuvent s'accoupler, ni se reproduire ; ce sont des femelles dont les organes sexuels n'ont reçu aucun développement, en raison du mode particulier de nourriture auquel elles ont été soumises à l'état de larves. Swammerdam, ce grand anatomiste qui avait disséqué avec tant de dextérité et de patience les trois sortes d'abeilles, regardait les ouvrières comme de vrais neutres, parce qu'elles lui avaient toujours paru totalement privées des organes relatifs à la génération, Bonnet, Contempl. nat. XI, 27.

  • 6 Terme de physique. Corps neutres, ceux qui ne présentent aucun signe d'électricité. Les quantités égales des deux fluides [électriques] qui sont contenues dans chaque corps à l'état neutre, sont pour nous illimitées, Poisson, Instit. Mém. scienc. 1821 et 1822, t. V, p. 253.

    Ligne neutre, la partie d'un aimant ou d'un conducteur isolé qui ne manifeste pas le magnétisme ou l'électricité.

  • 7 Terme de chimie. Sel neutre, sel dont les deux principes immédiats, l'acide et l'alcali, qui, à l'état de liberté, agissent chacun d'une manière différente sur un corps coloré appelé réactif, n'agissent plus, après leur union mutuelle, sur ce réactif, du moins pour en changer la couleur. Tous les acides sont susceptibles de se combiner avec l'ammoniaque, et presque tous forment avec elle des sels neutres, c'est-à-dire des sels qui n'altèrent ni la couleur de la violette ni celle du tournesol, Thenard, Traité de chimie, t. II, p. 158, dans POUGENS.

    Aujourd'hui, sels neutres, ceux, quelle qu'en soit d'ailleurs l'action sur les couleurs végétales, dans lesquels le rapport entre l'oxygène de la base et celui de l'acide est le même que le rapport qu'on observe dans les sels du même genre, qui, formés d'acide et de base énergiques, sont neutres aux papiers colorés ; par exemple, les sels à base de potasse et de soude. On appelle, en effet, sulfate neutre celui, quel qu'il soit, dans lequel la quantité d'oxygène de l'acide est triple de celle de la base, quelle que soit d'ailleurs sa réaction sur les couleurs végétales. Pour le dire des sulfites et des carbonates, il suffit que la quantité soit double ; pour le dire des azotates, il faut qu'elle soit quintuple, et ainsi des autres.

HISTORIQUE

XIVe s. Se l'une ou l'autre [action] estoit neutre, c'est à dire ne bonne ne male, Oresme, Eth. 297.

XVe s. Ceuz de Hainaut, les Eglises et le sire conjoints avecques eux, demeurerent neutres, Froissart, II, II, 48.

XVIe s. Qu'ilz n'avoient que veoir sur la ville d'Argos, et qu'ilz la laissassent neutre et amie de tous les deux, Amyot, Pyrrh. 71.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. neutri ; cat. neutre ; esp. et ital. neutro ; du lat. neuter, ni l'un ni l'autre, formé de ne, ni, et uter, l'un des deux.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

NEUTRE. Ajoutez :
8Qui n'est ni bon ni mauvais. C'est l'affection qui… donne du prix à ce qui n'en a point ; les choses que les hommes désirent sont d'une nature neutre ; l'esprit de celui qui les possède… leur donne la forme qu'il lui plaît, Malherbe, Lexique, éd. L. Lalanne.