« nuire », définition dans le dictionnaire Littré

nuire

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

nuire

(nui-r'), je nuis, tu nuis, il nuit, nous nuisons, vous nuisez, ils nuisent ; je nuisais ; je nuisis (qui n'est pas indiqué par l'Académie, mais qui est dans l'usage) ; je nuirai ; je nuirais ; nuis, nuisons ; que je nuise, que nous nuisions, que je nuisisse ; nuisant, nui v. n.
  • 1Causer un tort, un dommage. Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire ; Faites, si vous pouvez, votre cour sans vous nuire, La Fontaine, Fabl. VIII, 3. Une chose nuisit pourtant à ces cheveux, Ce fut la beauté du visage, La Fontaine, Pysché, I, p. 84. Ils ne sauraient servir, mais ils peuvent vous nuire, Molière, Mis. II, 3. L'erreur de saint Cyprien, qui rejetait ce baptême donné par les hérétiques, ne nuisit ni à lui ni à l'Église, Bossuet, Hist. I, 10. J'abats ce qui me nuit partout où je le trouve, Boileau, Lutr. IV. Ceux qui nuisent à la réputation ou à la fortune des autres, plutôt que de perdre un bon mot, méritent une peine infamante, La Bruyère, VIII. Je n'ai point fait mettre Law en prison, parce que vous m'en avez dissuadé ; et je l'ai laissé partir, parce que je craignais que sa présence ne nuisît au crédit public, Duclos, Œuvr. t. VI, p. 65. Aussi faible qu'honnête, il nuit quelquefois aux gens pour lesquels il s'intéresse, à force de les vouloir préserver, Rousseau, Confess. X. Ce qui nous nuit, on le fuit ; mais ce qui nous veut nuire, on le hait, Rousseau, Ém. IV. On nuit plus aux progrès de l'esprit en plaçant mal les récompenses qu'en les supprimant, D'Alembert, Disc. prélim. Encycl. Œuvr. t. I, p. 295, dans POUGENS.

    Absolument. Parlez-moi d'élever et non pas de détruire ; Je n'ai pas de pouvoir quand il s'agit de nuire, Boursault, Ésope à la cour, IV, 2. Il eût voulu pouvoir attaquer sans nuire, se défendre sans offenser, et réduire au droit et à la justice ceux à qui il était obligé par devoir de faire violence, Fléchier, Turenne. L'on désirerait de ceux qui ont un bon cœur, qu'ils fussent toujours pliants, faciles, complaisants, et qu'il fût moins vrai quelquefois que ce sont les méchants qui nuisent, et les bons qui font souffrir, La Bruyère, XI. Ce qui m'étonne, c'est qu'on fasse de ces horreurs sans aucun intérêt que celui de nuire, et sans y pouvoir rien gagner, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 20 sept. 1769. Il ne suffit pas de nuire, il faut surtout amuser ; sans quoi, le discours le plus méchant retombe plus sur son auteur que sur celui qui en est le sujet, Duclos, Consid. mœurs, ch. 8. Il n'est point de sujet où l'intention de nuire trouve plus de prétextes à s'exercer qu'en matière de religion, D'Alembert, Abus de la crit. Œuvr. t. VI, p. 253. Allons, plats écoliers, maîtres dans l'art de nuire, Divisant pour régner, isolant pour détruire, Chénier M. J. la Calomnie.

    Impersonnellement. Si je vous avais déjà dit tout ceci, il ne vous nuira de rien de l'entendre encore une fois, Sévigné, 19 mai 1677.

  • 2Se nuire, faire du mal à soi, ou s'en faire l'un à l'autre. Il s'est nui à lui-même. Ils se sont nui l'un à l'autre. Ces arbres se nuisent. Ce commerce continuel de mensonges ingénieux pour se tromper, injurieux pour se nuire, officieux pour se corrompre, Fléchier, Duc de Mont. L'expérience ne permet pas aux hommes d'ignorer combien ils se nuiraient, si chacun, voulant s'occuper de son bonheur aux dépens de celui des autres, pensait que toute action est suffisamment bonne dès qu'elle procure un bien physique à celui qui agit, Condillac, Trait. anim. part. 2e, ch. 7.
  • 3Ne pas nuire, signifie quelquefois aider, servir, être utile. Vos bons offices n'ont pas nui à mon succès. Je n'ai point nui à vous faire recevoir ce cordon, Sévigné, 515. Le joli portrait ! j'aime fort la bonne peinture, mais je vous avoue que votre ressemblance ne nuit pas à me le faire aimer, Sévigné, 20 sept. 1675. J'ai une robe de chambre ouatée, j'allume du feu tous les soirs… cela ne nuit pas à me faire trouver les jours aussi longs que ceux du mois de mai, Sévigné, 19 juin 1680. Nous venons de faire un empereur, et pour ma part je n'y ai pas nui, Courier, Correspond. mai 1804.

PROVERBES

Abondance de bien ou de biens ne nuit pas.

Surabondance de droit ne nuit pas.

Ce qui nuit à l'un, nuit à l'autre.

Tel nuit qui ne peut aider.

Trop gratter cuit, trop parler nuit.

HISTORIQUE

XIIe s. Peu ai-je eü En la chambre [de ma dame] de joie ; Trop m'a neü L'aube qui me guerroie, Romanc. p. 68. Quant nous lui voulons nuire, je ne voi nulle part Que il demeurt en France ne la corone gart, Sax. XXIX. Grans fu l'ocise, graindor [plus grande] fust Se li presse ne lor neüst, Wace, Brut, 13529. Que l'endemain matin, quant devra Deu servir, Qu'il chant de saint Estiefne le primerain martyr ; Ja puis ne li purrunt si enemi nuisir, Th. le mart. 35.

XIIIe s. Qui voit le peril ains qu'il nuise, C'est cil qui mieux prend garde en lui, Jubinal, t. II, p. 273. J'ai bien sentu et cogneü Qu'el m'a aidié et m'a neü, la Rose, 1886.

XIVe s. Il sot [sut] bien au besoing le sien ami aider, Nuire à son anemi, quant ne l'a mie chier [cher], Baud. de Seb. x, 142.

XVe s. Par Escosse c'estoit le pays par où on pouvoit mieux nuire aux Anglois, Froissart, II, II, 45.

XVIe s. Qu'il soit homme de bon jugement, pour sçavoir discerner ce qui nuiroit plus à declarer, qu'il ne profiteroit à reprendre et à condamner, Amyot, Préf. XII, 39. Il ne nuira de rien de donner quelques petits advertissements sur ce poinct, Lanoue, 61.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. nozer ; anc. espagn. nocir ; ital. nuocere ; du lat. nocere. Au moment de la formation, il y avait pour nocere deux accentuations, l'une bonne, nocēre, qui a donné le français nuisir, le provenç. nozer et l'anc. espagn. nocir ; l'autre fautive, nocĕre, qui a donné le français nuire, et l'ital. nuocere.