« obliger », définition dans le dictionnaire Littré

obliger

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

obliger

(o-bli-jé. Le g prend un e devant a et o : j'obligeais, obligeons) v. a.
  • 1Imposer comme chose dont on ne peut se dégager. …Garde que ce convoi, Quand je vais chez les dieux, ne t'oblige à des larmes, La Fontaine, Fabl. VIII, 14. Je crois que la charité oblige tout le monde à croire un prêtre et un docteur qui rend raison de ce qui est caché dans son esprit et qui n'est connu que de Dieu, Pascal, Lett. de Nicole au P. Annat. Les confesseurs n'auront plus le pouvoir de se rendre juges de la disposition de leurs pénitents, puisqu'ils sont obligés de les en croire sur leur parole, Pascal, Prov. X. Il assure que Vasquez n'oblige point les riches de donner ce qui est nécessaire à leur condition, Pascal, Réfut. de la réponse à la 12e lett. Si ces honneurs ont quelque chose de solide, c'est qu'ils obligent de donner au monde un grand exemple, Bossuet, la Vallière. La condition des princesses les oblige à se prêter quelquefois au monde, Fléchier, Dauphine. Ils prétendaient obliger le jeune César, qui ne leur était pas moins suspect, de licencier ses légions, Vertot, Rév. rom. XIV, 336. Les riches qu'elle [la foi] obligeait à la pauvreté et au dépouillement, Massillon, Carême, Vérité de la relig. La même loi qui nous oblige de croire de cœur, nous ordonne de confesser de bouche, Massillon, Carême, Culte. Les cœurs que son devoir l'oblige d'éclairer, Voltaire, Irène, V, 1.

    Absolument. Il faut subir la loi de qui peut obliger, Corneille, Toison d'or, IV, 4.

  • 2Porter à, exciter à, engager à. L'envie de parvenir l'a obligé d'étudier. Cela est trop peu de chose pour vous obliger à quelque ressentiment [reconnaissance], Voiture, Lett. 4. À quelques sentiments que son orgueil m'oblige, Corneille, Cid, II, 8. Et si je vous oblige à quelque repartie, Corneille, Sertor. V, 6. Mais enfin, je l'ai vu, vu de mes yeux, vous dis-je ; Et ne vois rien qui vous oblige D'en douter un moment après ce que je dis, La Fontaine, Fabl. IX, 1. La pitié qu'elle a faite [Mme de Monaco morte d'une maladie cruelle] n'a jamais pu obliger personne de faire son éloge, Sévigné, 20 juin 1678. Vous savez qu'une dame de vos amies vous obligea généreusement de le brûler [le portrait satirique de Mme de Sévigné], Sévigné, à Bussy, 26 juill. 1668. Demandez à Juvénal ce qui l'oblige de prendre la plume, c'est qu'il est las d'entendre et la Théséide de Codrus et…, Boileau, Disc. sur la satire.
  • 3Contraindre, forcer. La nécessité nous oblige à bien faire, Vaugelas, dans BOUHOURS, Nouv. rem. Ces pertes obligèrent Alexandre de séparer ses troupes, Vaugelas, ib. Dieu nous a caché le moment de notre mort pour nous obliger d'avoir attention à tous les moments de notre vie, La Rochefoucauld, Pensées, Mort, 8. L'esprit dit à ses hôtes : On m'oblige de vous quitter, La Fontaine, Fabl. VII, 6. Pour tuer une puce, il voulait obliger Les dieux à lui prêter leur foudre et leur massue, La Fontaine, ib. VIII, 5. Que ces castors ne soient qu'un corps vide d'esprit, Jamais on ne pourra m'obliger à le croire, La Fontaine, ib. X, 1. Et j'avais lieu d'attendre… Que du choix de Lélie où l'on veut m'obliger, Ton adresse et tes soins sauraient me dégager, Molière, l'Ét. I, 10. …le bon père, qui souffre toujours mes visites, et dont je souffre toujours les discours, quoique avec bien de la peine ; mais je suis obligé à me contraindre ; car il ne les continuerait pas, s'il s'apercevait que j'en fusse si choqué, Pascal, Prov. VIII.
  • 4Lier par un devoir, mettre dans une certaine dépendance morale… Qu'il [Quintius] faisait toutes choses de lui-même, et déjà cherchait de s'obliger Philippe en particulier, Malherbe, Tite Live, liv. XXXIII. Envers un ennemi qui peut nous obliger ? Corneille, Hor. I, 3. Mes plus ardents respects n'ont pu vous obliger ; Vous avez voulu rompre ; il n'y faut plus penser, Molière, le Dép. IV, 3.
  • 5Lier, engager par un acte qui donne recours en justice, si la chose convenue n'est pas exécutée. Il est obligé en son contrat à faire telle chose. Faire obliger le mari et la femme.

    Il se dit aussi des valeurs, des biens que l'on engage. Tibère ordonna que ceux qui voudraient de l'argent en auraient du trésor, en obligeant des fonds pour le double, Montesquieu, Esp. XXII, 2. Solon ordonna à Athènes qu'on n'obligerait plus le corps pour dettes civiles ; il tira cette loi d'Égypte, Montesquieu, ib. XX, 15.

    Obliger un apprenti, l'engager chez un maître pour y apprendre pendant un certain temps le métier de ce maître.

  • 6Rendre service, faire plaisir. Le chasser [Pompée] c'est vous faire un puissant ennemi, Sans obliger par là le vainqueur qu'à demi, Corneille, Pomp. I, 1. Si tu veux m'obliger par un dernier service…, Corneille, Rodog. V, 4. Les hommes ne sont pas seulement sujets à perdre le souvenir des bienfaits et des injures ; ils haïssent même ceux qui les ont obligés, La Rochefoucauld, Max. 14. Il faut autant qu'on peut obliger tout le monde ; On a souvent besoin d'un plus petit que soi, La Fontaine, Fabl. II, 11.

    Vous n'obligerez pas un ingrat, se dit quand on demande quelque chose à quelqu'un.

    Absolument. Et comme il y a certains maladroits qui choquent les visages qu'ils veulent baiser, eux de même ne sauraient obliger qu'en désobligeant, Guez de Balzac, De la cour, 6e disc. J'aime et je suis haï, j'oblige et l'on m'offense, Mairet, Mort d'Asdrubal, III, 3. Vous avez doublé le bienfait de M. de Trudaine, en nous prouvant par les faits que qui oblige vite oblige deux fois, Voltaire, Lett. Morellet, 31 août 1775. Il n'y a que l'intention qui oblige, et celui qui profite d'un bien que je ne veux faire qu'à moi ne me doit aucune reconnaissance, Rousseau, Hél. IV, 10. L'on oblige par l'intention, par un sourire, par des conseils, par des démarches, par des sollicitations, par la condescendance, par la conformité des sentiments, par des bienfaits, par des largesses, par la délicatesse d'ignorer que l'on oblige, Comte de Caylus, Acad. de ces dames et de ces messieurs, Œuv. t. XII, p. 243, dans POUGENS.

    Obliger de, avec un substantif. La vaine faveur dont il fut obligé, Malherbe, VI, 16. Alcidon, cet adieu me prend au dépourvu, Tu ne fais que d'entrer, à peine t'ai-je vu ; C'est m'envier trop tôt le bien de ta présence ; De grâce, oblige-moi d'un peu de complaisance, Corneille, la Veuve, II, 6.

    Obliger de, avec un verbe à l'infinitif. Je ferai mon possible pour vous en tirer au plus tôt ; cependant obligez-moi de vous servir de ces cent pistoles que je vous envoie, Corneille, Suite du Ment. I, 2. Vous m'obligerez fort d'en prendre le souci, Corneille, Théod. II, 1. Sortez d'inquiétude, et m'obligez de croire Que la gloire où j'aspire est tout une autre gloire, Corneille, Théod. II, 4. Obligez-moi de n'en rien dire, La Fontaine, Fabl. III, 6.

  • 7S'obliger, v. réfl. Contracter un engagement authentique. S'obliger par-devant notaire. Il s'obligea en son nom à des négociants pour les affaires publiques, et les soutint tant qu'il eut du bien et du crédit, Fontenelle, Renau.

    S'obliger pour quelqu'un, lui servir de caution. Condamné de payer pour un autre pour qui il s'est obligé, La Bruyère, Théophr. XI.

    Se lier par une simple promesse. Je t'épouserai lors et m'y viens d'obliger, Corneille, Perthar. III, 3. Vous obligerez-vous à faire tous les frais de ces deux mariages ? Molière, l'Avare, V, 6. Il s'obligera, si vous voulez, que son père mourra avant qu'il soit huit mois, Molière, ib. II, 2. Un fort honnête médecin veut s'obliger de me faire vivre encore trente années…, Molière, 3e placet au roi. Je ne lui demandais pas tant, et je serais satisfait de lui, pourvu qu'il s'obligeât de ne me point tuer, Molière, ib. Dieu s'oblige de le protéger, Bossuet, Hist. II, 4.

  • 8S'obliger, se rendre service à soi-même. Je m'oblige encor plus que je ne vous oblige, Corneille, Pulchér. V, 3. Obliger ceux qu'on aime, Qu'on estime surtout, c'est s'obliger soi-même, Collin D'Harleville, Chât. en Espagne, IV, 5.

    PROVERBE

    Noblesse oblige, voy. NOBLESSE.

REMARQUE

1. Des grammairiens ont voulu distinguer entre obliger à et obliger de suivis d'un infinitif. L'usage n'établit aucune distinction : obliger de faire ou obliger à faire ; l'oreille seule en décide.

2. On a dit que s'obliger prenait de préférence à : s'obliger à. On trouve dans les bons auteurs s'obliger de faire.

3. Au passif on préfère de : Ils furent obligés de finir la campagne.

4. Obliger signifiant faire plaisir veut toujours de avec l'infinitif : Obligez-moi de croire.

5. S'obliger peut se dire avec que : Il s'obligera que je payerai cette somme.

SYNONYME

OBLIGER, CONTRAINDRE, FORCER. L'obligation lie, engage. La contrainte serre et ne permet pas qu'on s'échappe. La force nous surmonte et triomphe de nous. De plus dans contraindre et forcer, il y a une idée de nécessité physique qui n'est pas dans obliger.

HISTORIQUE

XIIIe s. Je en oblige à ladite abbaesse e au couvent moi e mes heirs, Bibl. des chartes, 4e série, t. IV, p. 80. Mes ne pot obligier ce qu'il tient en bail, en damace de l'oir ne de celi à qui li bax [le bail] pot venir, Beaumanoir, xv, 28. Le [la] premiere [dette] si est quant on s'est obligiés par letres, Beaumanoir, XXIV, 23. …Voirs est [il est vrai] par coustume que mes heritages est obligiés à mes hoirs, Beaumanoir, XXXIV, 23. Dons donnent loz as donneors, Et empirent les preneors, Quant il lor naturel franchise Obligent à autrui servise, la Rose, 8282.

XVe s. Si en fit le roi sa dette envers monseigneur Jean de Hainaut, et ledit messire Jean s'en obligea envers tous les compagnons [de l'indemnité pour les frais de la guerre], Froissart, I, I, 44. Se ainsi le faites, vous m'obligerez à toujours mais en votre service, Louis XI, Nouv. XLIV. Il voulut recevoir mort pour nous affranchir et rachapter du servage où Adam nostre premier pere nous avoit obligez, Perceforest, t. VI, f° 125.

XVIe s. Ces deux freres qui avoient tant obligé de personnes par leurs bienfaits et prevoyances, Castelnau, 3. Les assiegez furent obligez de porter les clefs, Montaigne, I, 14. Robert mourant obligea son fils, par serment, à ce qu'il feist…, Montaigne, I, 15. Voir un peuple obligé à suivre des loix qu'il n'entendit oncques, Montaigne, I, 118. Le devoir de conscience obligeoit toute personne de servir, à son entier pouvoir, au bien public de son pays, Amyot, Épit. Les hommes sont autant ou plus obligez aux historiens qu'ilz ne sont à nulle autre maniere de lettres, Amyot, Préf. I, 26. Qui bien veut payer, bien se doit obliger, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Provenç. et esp. obligar ; port. obrigar ; ital. obbligare ; du lat. obligare, de ob, et ligare, lier.