« opposer », définition dans le dictionnaire Littré

opposer

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

opposer

(o-pô-zé) v. a.
  • 1Mettre une chose vis-à-vis d'une autre, de manière qu'elles soient en face. Opposer une glace à une fenêtre.

    Placer des choses en contraste. Opposer, dans un tableau, des bruns aux clairs.

  • 2Placer une chose de manière qu'elle fasse obstacle. Opposer une digue à un torrent.

    Fig. Et comme un saint rocher opposant ton courage, Régnier, Épître I. N'oppose aucun obstacle à cet ordre sacré, Voltaire, Orphel. I, 6.

    Faire qu'une chose serve d'obstacle. Ils vous opposeront de vastes solitudes, Racine, Alex. V, 1.

  • 3Faire que quelqu'un tienne tête à d'autres. L'opposer seul à tous serait trop d'injustice, Corneille, Cid, IV, 5. L'archiduc… par un soudain mouvement du prince, qui lui oppose des troupes fraîches à la place des troupes fatiguées, est contraint à prendre la fuite, Bossuet, Louis de Bourbon. Il fallait opposer à tant d'ennemis un homme d'un courage ferme et assuré, d'une capacité étendue…, Fléchier, Turenne. Qui donc opposez-vous contre ces satellites ? Racine, Athal. I, 2. Thémistocle mourut dans ces circonstances, lorsque le roi de Perse songeait à l'opposer à Cimon, Condillac, Hist. anc. II, 3. Comme il a de l'éloquence et de l'audace, on le fit venir de son exil pour l'opposer à Platon, Barthélemy, Anach. ch. 33.

    Mettre en lutte. C'est toi qui, me flattant d'une vengeance aisée, M'as vingt fois en un jour à moi-même opposée, Racine, Athal. V, 6. Opposant sans relâche avec trop de prudence Les Guises aux Condés, et la France à la France, Voltaire, Henr. II. Quel sujet toutefois a pu vous diviser ? Quels méchants l'un à l'autre ont su vous opposer ? Chénier M. J. Tibère, I, 1.

  • 4 Fig. Mettre en obstacle quelque chose de moral comme on y met quelque chose de physique. Opposons la constance aux périls…, Corneille, Héracl. I, 4. Et [il] n'oppose à mes vœux que son propre mérite, Corneille, Nicom. III, 8. À quoi sert d'opposer leur innocence à votre calomnie ? Pascal, Prov. XVI. Achille, à qui tout cède, Achille à cet orage Voudrait lui-même en vain opposer son courage, Racine, Iph. V, 3. J'oppose à ses raisons un courage inutile, Racine, Brit. IV, 4. Il oppose à l'amour un cœur inaccessible, Racine, Phèdre, III, 1. Les philosophes ne peuvent opposer la force à la force ; leurs armes sont le silence, la patience, l'amitié entre les frères, Voltaire, Lett. Damilaville, 16 avr. 1764. Et n'opposa plus à ses ennemis que le travail, le succès et le silence, D'Alembert, Éloges, Crébillon. Le prélat français sut opposer la prudence à la finesse, la modération aux vains éclats du zèle, l'activité à la lenteur, et la vigueur à l'opiniâtreté, D'Alembert, Éloges, Card. d'Estr.
  • 5Objecter, présenter comme une difficulté. Si nous savons nous connaître, nous confesserons, chrétiens, que les vérités de l'éternité sont assez bien établies ; nous n'avons rien que de faible à leur opposer, Bossuet, Duch. d'Orl. Que si M. Jurieu refusait à des livres si anciens la vénération qui leur est due, il n'y aurait qu'à lui demander d'où il a donc pris l'histoire des Machabées, qu'il nous oppose, Bossuet, 5e avert. 24. Ce qu'on oppose le plus ordinairement dans le monde à ce devoir, Massillon, Carême, Prière 1. L'usage, voilà tout ce que vous avez à nous opposer, Massillon, Carême, Élus. Quel indigne artifice ose-t-on m'opposer ? Voltaire, Orphel. III, 2.

    Opposer que. Je me suis accusé de trop de violence, Et ta beauté sans doute emportait la balance, Si je n'eusse opposé contre tous tes appas Qu'un homme sans honneur ne te méritait pas, Corneille, Cid, III, 4.

  • 6 Fig. Se servir de personnes ou de choses pour résister à d'autres ou pour les combattre. Opposer une puissante recommandation à une autre. Opposer l'autorité d'Aristote à celle de Platon. Opposer Aristote à Platon.
  • 7Mettre en contraste. J'oppose quelquefois, par une double image, Le vice à la vertu, la sottise au bon sens, Les agneaux aux loups ravissants, La Fontaine, Fabl. V, 1. Après avoir opposé de la sorte péché à péché, vous opposerez pénitence à pénitence, Bourdaloue, Exhort. char. env. les pauvres, t. I, p. 21. Ma rivale, accablant mon amant de bienfaits, Opposait un empire à mes faibles attraits, Racine, Bajaz. I, 4. Je craignais beaucoup que Guillaume Tell ne fût précisément mon Indatire ; il était si naturel d'opposer les mœurs champêtres aux mœurs de la cour, que je ne conçois pas comment l'auteur de Guillaume a pu manquer cette idée, Voltaire, Lett. d'Argental, 19 déc. 1766. La seule chose que j'oserais blâmer dans le rôle du Misanthrope, c'est qu'Alceste n'a pas toujours tort d'être en colère contre l'ami raisonnable et philosophe que Molière a voulu lui opposer comme un modèle de la conduite qu'on doit tenir avec les hommes, D'Alembert, Lett. à J. J. Rouss. Discerner la vérité au milieu de l'erreur générale, c'est le caractère du génie ; opposer son sentiment à celui de tout un peuple, c'est l'indice d'une âme forte, Diderot, Claude et Nér. II, 40.

    Mettre en comparaison, en parallèle. Un homme que notre siècle oppose à toute l'antiquité, Guez de Balzac, liv. I, lett. 2. Jérôme Bignon, cet illustre magistrat que les derniers siècles peuvent hardiment opposer aux plus grands personnages de l'antiquité, Mairan, Éloges, l'abbé Bignon. Osons opposer Socrate même à Caton : l'un était plus philosophe, l'autre plus citoyen, Rousseau, Écon. polit.

  • 8S'opposer, v. réfl. Être placé en obstacle. Hermione, seigneur, arrêtera vos coups ; Ses yeux s'opposeront entre son père et vous, Racine, Andr. I, 2. Les périls menacent, les obstacles s'opposent, Voltaire, Comm. Corn. Rem. Hérac. I, 4.
  • 9 Terme de danse. S'opposer, effectuer un mouvement contraire, opposé. Dans la marche, le bras gauche s'oppose naturellement au pied droit, Dict. de danse, 1787.
  • 10Se faire contre-poids. Des forces qui se balancent, qui s'opposent sans pouvoir s'anéantir, Buffon, Morc. choisis, p. 15.
  • 11Faire tête à des personnes. Mon esprit en désordre à soi-même s'oppose, Corneille, Cinna, I, 2. Il est tard de vouloir s'opposer au vainqueur, Racine, Bajaz. IV, 3. Si les jésuites sont fessés, les jansénistes ne sont-ils pas trop fiers ? gens de bien, opposez-vous aux uns et aux autres ; soyez hardis et fermes, Voltaire, Lett. Damilaville, 6 déc. 1761.

    Faire tête, résister à quelque chose, empêcher quelque chose. L'homme s'oppose en vain contre la destinée, Régnier, Élégie V. Je ne m'oppose point à la commune joie, Corneille, Héracl. V, 8. Et insultant contre le premier qui s'opposait à son avis, il forma le dessein de le perdre, Pascal, Prov. II. Ne sait-on pas qu'il fallait souvent s'opposer aux inclinations du cardinal son bienfaiteur [Mazarin] ? Bossuet, le Tellier. Comme un fleuve majestueux et bienfaisant, qui …ne s'élève et ne s'enfle que lorsqu'avec violence on s'oppose à la douce pente qui le porte à continuer son tranquille cours, Bossuet, Louis de Bourbon. Il faut le dire, toujours il [Mazarin] y voulait revenir trop tôt [à la cour] ; le Tellier s'opposait à ses impatiences jusqu'à se rendre suspect, Bossuet, le Tellier. La puissance et l'autorité s'opposèrent à son dessein [de se faire religieuse], Fléchier, Mme d'Aiguillon. M. de Turenne s'oppose à la jonction de tant de secours ramassés, Fléchier, Turenne. À l'erreur de Roxane ai-je dû m'opposer, Et perdre mon amant pour la désabuser ? Racine, Baj. I, 4. On lui sut gré ici [à Lauzun] d'avoir contribué à une fuite [de Jacques II] à laquelle le prince d'Orange n'aurait eu garde de s'opposer, Mme de Caylus, Souvenirs, p. 232, dans POUGENS.

  • 12 Terme de jurisprudence. Mettre un empêchement judiciaire à l'exécution d'un acte. S'opposer à un payement, à un mariage.

HISTORIQUE

XIIIe s. Rois Avenir en sa couronne Se delite molt et opose, Car il cuide que nule chose Ne li puist nuire ne retraire Nes [même] un voloir de son affaire, Gui de Cambrai, Barl. et Jos. p. 3. Li uns pensers vers l'autre opose, Gui de Cambrai, ib. p. 15. De mainte chose i fut Berte mout araisnie, Et souvent oposée [contredite] et souvent assaillie, Berte, CXIX. Resons, qui d'autre part l'oppose Qu'ele se gart de fere chose Dont ele se repente au loing, Lai de l'ombre. Car riens qu'il voil, el ne refuse ; S'il opose, el se cent concluse ; S'ele commande, il obeist, la Rose, 21442.

XVIe s. À ses legions mutines Cesar opposoit seulement la fierté de ses paroles, Montaigne, I, 351. Ses argumens sont aussi solides que nuls autres qu'on leur puisse opposer, Montaigne, II, 149. Et peut on opposer à la prise de Samos, que Periclès prit à force, le recouvrement de Tarente, Amyot, Péric. et Fab. comp. 5. Ses malvueillans s'opposerent à ce que l'honneur du triumphe ne luy fut point decerné, Amyot, Marcel. 35. Si tous les autres d'un accord avoient arresté une chose ensemble, et qu'il y en eust un seul qui s'y opposast, le seul opposant l'emportoit par dessus tous les autres, Amyot, C. d'Utiq. 32.

ÉTYMOLOGIE

Verbe fait sur le modèle d'opposition (voy. ce mot).