« ordonner », définition dans le dictionnaire Littré

ordonner

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ordonner

(or-do-né) v. a.
  • 1Mettre en un certain arrangement. Que prudemment les dieux savent tout ordonner ! Corneille, Médée, IV, 3. Là, dans un long tissu de belles actions, Il verra comme il faut dompter les nations, Attaquer une place, ordonner une armée, Corneille, Cid, I, 6. Nous ordonnons tous deux la fête de Cybèle, L'honneur est égal entre nous, Quinault, Atys, I, 6. Dieu, voyant que le monde avec la sagesse humaine ne l'avait point reconnu par les ouvrages de la sagesse, c'est-à-dire par les créatures qu'il avait si bien ordonnées, Bossuet, Hist. II, 11. Dieu a préparé, dans son conseil éternel, les premières familles qui sont la source des nations ; il a aussi ordonné, dans les nations, les familles particulières dont elles sont composées, Bossuet, Marie-Thér. La raison a besoin de temps pour ramasser ses forces, pour ordonner ses principes, pour appuyer ses conséquences, Bossuet, Serm. Véritable convers. 1. Et qui présentera ma fille à son époux ? Quelle autre ordonnera cette pompe sacrée ? Racine, Iphig. III, 1. Comme on était surpris de la belle ordonnance qui régnait à sa table, il disait agréablement que le même esprit qui servait à bien ranger une bataille servait aussi à bien ordonner un festin, Rollin, Hist. anc. Œuvr. t. IX, p. 159, dans POUGENS. Ordonnez le festin, apportez-moi la lyre, Rousseau J.-B. Cantate, Bacchus. Le plus sûr moyen de s'élever au-dessus des préjugés et d'ordonner ses jugements sur les vrais rapports des choses, est de se mettre à la place d'un homme isolé, Rousseau, Ém. III. Il y a peu d'hommes, même parmi les gens de lettres, qui sachent ordonner un tableau, Diderot, Salon de 1767, Œuvr. t. XIV, p. 126, dans POUGENS. Convenez que, lorsque je vous l'ordonnais ainsi [un tableau], vous aviez tort de m'objecter les limites de votre espace, Diderot, ib. p. 50.
  • 2 Terme d'algèbre. Ranger des termes suivant les puissances croissantes ou décroissantes d'une certaine lettre. Ordonner un dividende par rapport à la lettre a. Les approximations sont d'autant plus commodes et précises, que l'on développe moins de fonctions en séries, et que les séries sont ordonnées par rapport aux puissances de quantités très petites, Laplace, Instit. Mém. scienc. t. II, p. 127.
  • 3En matière ecclésiastique, conférer les ordres de l'Église. Le même empereur [Alexandre-Sévère] louait et proposait pour exemple les saintes précautions avec lesquelles les chrétiens ordonnaient les ministres des choses sacrées, Bossuet, Hist. II, 12. On l'avait ordonné fort jeune, sans avoir égard aux règles de l'âge, Fléchier, Hist. de Théodose, II, 9.

    Absolument. Un évêque ne peut ordonner dans le diocèse d'un autre sans sa permission.

    Administrer les derniers sacrements.

  • 4Prescrire, enjoindre. M'ordonner du repos, c'est croître mes malheurs, Corneille, Cid, II, 9. Si je commande ici, le sénat me l'ordonne, Corneille, Sertor. III, 2. Alexandre ordonna un deuil général à la mort d'Éphestion, Perrot D'Ablancourt, Arrien, VII, dans RICHELET. J'ordonne, poursuit le Seigneur, que tout lui soit soumis [à Nabuchodonosor], Bossuet, Reine d'Anglet. Les inventions par lesquelles ils [les enfants d'Adam] s'imaginent force la nature, et se rendre différents les uns des autres, malgré l'égalité qu'elle a ordonnée, Bossuet, Gornay. M. de Montausier avait appris dans la loi de Dieu ce qu'elle défend et ce qu'elle ordonne, Fléchier, Duc de Mont. L'amour me fait ici chercher une inhumaine ; Mais qui sait ce qu'il doit ordonner de mon sort ? Racine, Andr. I, 1. Mon père avec les Grecs m'ordonne de partir, Racine, ib. II, 1. Ma gloire, mon amour vous ordonnent de vivre, Racine, Iphig. V, 2. Quelle voix salutaire ordonne que je vive, Et rappelle en mon sein mon âme fugitive ? Racine, Esth. II, 7. J'ordonne à la victoire De préparer pour vous les chemins de la gloire, Voltaire, Henr. I. Ô nature, ô devoir, Qu'allez-vous ordonner d'un cœur au désespoir ? Voltaire, Mérope, IV, 5.

    Absolument. Comme il donnait des ordres particuliers et de la plus haute importance, puisqu'il y allait de sa conscience et de son salut éternel, averti qu'il fallait écrire et ordonner dans les formes…, Bossuet, Louis de Bourbon. Ils marchent droit au fleuve [le Rhin], où Louis en personne, Déjà prêt à passer, instruit, dispose, ordonne, Boileau, Ép. Passage du Rhin.

    Quelques auteurs ont dit ordonner que, avec le futur de l'indicatif. Nous ordonnons qu'elle [une ordonnance] sera envoyée à toutes les communautés, Bossuet, Ord. sur les ét. d'orais. Ce sera une très bonne loi que celle qui ordonnera qu'on emploiera des monnaies réelles, Montesquieu, Esp. XXII, 2.

    Familièrement. J'ordonne, sorte de substantif qui se dit de personnes toujours prêtes à commander. Voyez donc monsieur j'ordonne, voyez donc madame j'ordonne !

  • 5Il se dit des prescriptions des médecins. Le médecin ordonna la diète, une saignée.

    Absolument. Les médecins ne visitent point assez et ordonnent trop, Malebranche, Rech. vér. Éclairc. liv. III, t. IV, p. 241, dans POUGENS.

  • 6 En termes de finance, donner à un trésorier le mandement de payer une certaine somme. Quelle somme vous a-t-on ordonnée pour votre voyage ?

    Vieux en ce sens. On dit ordonnancer.

  • 7 V. n. Ordonner de, faire le règlement de. Le repas dont Montgobert avait ordonné, Sévigné, 6 août 1680. Ce sage législateur [Moïse] ordonne du commerce et de la police, des successions et des héritages, de la justice et de la guerre, enfin de toutes les choses qui peuvent maintenir un empire, Bossuet, Panég. de St Thomas de Canterb. 1.

    Particulièrement. Ordonner de quelque chose, en disposer. Le temps de chaque chose ordonne et fait le prix, Corneille, Pomp. I, 3. Remettez en ses mains trône, sceptre, couronne, Et, sans en murmurer, souffrez qu'il en ordonne, Corneille, ib. II, 4. Vous qui savez son crime, ordonnez de sa peine, Corneille, Nicom. V, 7. Attendrons-nous, seigneur… que, le front paré de votre diadème, Ce traître trop heureux ordonne de vous-même ? Corneille, Othon, V, 2. La Providence en ordonnera, Sévigné, 211. La Grèce a-t-elle encor quelque droit sur sa vie [du fils d'Hector] ? Et, seul de tous les Grecs, ne m'est-il pas permis D'ordonner des captifs que le sort m'a soumis ? Racine, Andr. I, 2. Et qu'il se garde bien D'ordonner de son sort sans être instruit du mien, Racine, Mithr. IV, 3. Il s'ingère de les meubler, et il ordonne de leur équipage, La Bruyère, III.

    On a dit : ordonner sur. Conservez votre tête pour bien ordonner sur tous mes intérêts, Sévigné, à Mme de Guitaut, 24 juill. 1693.

  • 8S'ordonner, V. réfl. Se soumettre à un certain arrangement. Qui ne s'ordonne pas à sa patrie, au genre humain et le genre humain à Dieu, n'a pas connu les lois de la politique, Bernardin de Saint-Pierre, Étude I.

    Être prescrit. Le sulfate de quinine s'ordonne en ces cas. Que jamais il [le café] ne s'est ordonné dans la disposition où vous êtes, et qu'on en peut juger par votre maigreur, qui augmente à mesure que vous en prenez, Sévigné, à Mme de Grignan, 8 nov. 1679.

REMARQUE

1. Dans le sens de prescrire, ordonner régit de avec l'infinitif, lorsqu'il a un régime indirect : On a ordonné à votre frère de partir ; et que avec le subjonctif quand il n'a point de nom en régime : Votre père a ordonné que vous le fissiez.

2. Ordonner une armée (Attaquer une place, ordonner une armée, Cid, I, 6), ce n'est pas bien parler français, quelque sens qu'on lui veuille donner, et ne signifie point, ni mettre une armée en bataille, ni établir dans une armée l'ordre qui y est nécessaire, Acad. Rem. sur le Cid. Voltaire, avec raison, défend l'expression de Corneille.

SYNONYME

ORDONNER, COMMANDER. Étymologiquement, ordonner, c'est mettre par arrangement ; commander, c'est transmettre un mandement. Mais l'usage a singulièrement rapproché le sens de ces deux verbes. Toutefois on apercevra les traces de la signification dans cet emploi : le médecin ordonne les remèdes, il ne les commande pas au malade ; le médecin ordonna au malade de prendre un purgatif, et non lui commanda. Réciproquement, on commande un ouvrage à un artisan, mais on ne le lui ordonne pas.

HISTORIQUE

XIIe s. Et ces batailles rengier et ordener, Ronc. p. 47. En nul liu ne deit estre evesques ordenez, Tant n'i aura evesques venuz ne asemblez, Senz conseil del primat, Th. le mart. 127. Pur ço voleit li reis, e il e si barun, Que, se nul ordenez fust pris à mesprisun, Cumme de larrecin u murtre u traïsun, Dunc fust desordenez par itele raisun, E puis livré à mort et à desfactiun, ib. 26.

XIIIe s. Et, s'il vous plaist, biau sire, [je] ferai les ordener [faire prêtres], Berte, XCVIII. La tor si fu toute reonde, Il n'ot si riche en tout le monde, Ne par dedens miex ordenée, la Rose, 3857.

XIVe s. Entre ces vertuz intellectuelles il en y a une qui est architettonique et principal et qui ordene de tout, Oresme, Eth. 180. Ceulx qui regulent et gouvernent la policie et ordenent les loys, Oresme, ib. 47. La femme, après avoir esté confessée, commeniée et ordenée [ayant reçu les derniers sacrements], mourut environ une heure après son accouchement, Du Cange, ordinare. Pour eulx faire ordener [panser] et appareiller de leurs plaies, Du Cange, ib.

XVe s. Si que, tout consideré, le sejourner là ne lui estoit point profitable ; si ordonna à departir et desloger, Froissart, I, I, 319. [On conseille à Édouard d'envoyer des secours en Gascogne] assez tost après ordonna ledit roi son cousin le comte Derby, et le fit capitaine et souverain de tous ceux qui iroient avec lui, Froissart, I, I, 215. Pourquoi le duc son fils fust toudis chef et souverain de cette entreprise, mais il s'ordonnoit par le conseil du roi son pere, Froissart, I, I, 117. Au lieu qui avait esté ordonné pour la bataille, Commines, I, 3. Dieu qui ordonne de tel mystere, Commines, I, 3. Les ordonnez à ceste entreprinse estoient jà sur la riviere, Commines, I, 9. Après que le roi eut ordonné de son affaire comme il entendoit, Commines, VIII, 2.

XVIe s. Tout ce qui se fait est ordonné de Dieu, Calvin, Instit. 143. Il ordonna que de dix ans on ne parlast…, Montaigne, I, 22. On luy ordonna dix mines attiques, pour avoir retiré de la mort le pere commun des Siciliens, Montaigne, I, 255. Un style equable, uny et ordonné, Montaigne, III, 38. En son vivre ordinaire il fut homme reglé et bien ordonné, Amyot, Crassus, 11.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. et espagn. ordenar ; ital. ordinare ; du lat. ordinare, de ordo, ordinis. La forme ancienne et régulière est ordener ; ordonner n'apparaît qu'ensuite.