« ouïr », définition dans le dictionnaire Littré

ouïr

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

ouïr

(ou-ir. Des grammaires disent que ce mot a une demi-aspiration ; cela est contre l'usage qui élide l'é devant ouïr : l'ouïr), j'ois, tu ois, il oit, nous oyons, vous oyez, ils oient ; j'oyais, nous oyions ; j'ouïs, nous ouïmes ; j'oirai, nous oirons, ou j'orrai, nous orrons ; j'oirais ou j'orrais ; oyons, oyez ; que j'oye, que nous oyions, qu'ils oient ; que j'ouïsse ; oyant ; ouï v. a.

Cette conjugaison, très régulière, est inusitée, excepté à l'infinitif présent et au participe passé, selon l'Académie ; mais il faut ajouter comme usités encore le parfait défini et l'imparfait du subjonctif ; les autres temps ne s'emploient que dans le style marotique ; pourtant il serait bien utile de remettre en usage oyant, et de dire en oyant, au lieu de en entendant, qui est si désagréable à l'oreille.

  • 1Recevoir les sons par l'oreille, entendre. Il m'est avis que je l'ois qui tient ce langage à la fortune, Malherbe, Traité des bienf. de Sénèque, I, 9. Et le peuple, qui tremble aux frayeurs de la guerre, Si ce n'est pour danser n'orra plus de tambours, Malherbe, II, 1. C'est un miracle que je n'entends point ; et, quand j'ai ouï les religieuses de Loudun parler latin et grec, je n'ai pas été si étonné, Voiture, Lett. 45. Si j'ois maintenant quelque bruit, si je vois ce soleil, Descartes, Méd. III, 7. Aussitôt on ouït d'une commune voix Se plaindre de leur destinée Les citoyennes des étangs, La Fontaine, Fabl. VI, 12. Quel charme de s'ouïr louer par une bouche Qui, même sans s'ouvrir, nous enchante et nous touche ? La Fontaine, Filles de Minée. Et nous n'oyions jamais passer devant chez nous Cheval, âne ou mulet…, Molière, Éc. des f. I, 3. Hé, je vous en conjure de toute la dévotion de mon cœur, que nous oyions quelque chose qu'on ait fait pour nous, Molière, Préc. 12. Et voilà de quoi j'ouïs l'autre jour se plaindre Molière, Molière, Impromptu, 3. Oyez-vous la friponne ? elle parle pour soi, Th. Corneille, le Charme de la voix, II, 2. J'ai ouï dire à notre grand prince qu'à la journée de Nordlingue, ce qui l'assurait du succès, c'est qu'il connaissait M. de Turenne dont l'habileté consommée…, Bossuet, Louis de Bourbon. Et vous, sainte compagnie, qui avez désiré d'ouïr de ma bouche le panégyrique de votre père, Bossuet, Bourgoing. Quelle partie du monde habitable n'a pas ouï les victoires du prince de Condé et les merveilles de sa vie ? Bossuet, Louis de Bourbon. On vit souffrir Mme d'Aiguillon, mais on ne l'ouït pas se plaindre, Fléchier, Mme d'Aiguillon. De son triomphe affreux je le verrai jouir, Et conter votre honte à qui voudra l'ouïr, Racine, Phèdre, III, 3. A-t-on jamais ouï parler d'aventures si merveilleuses ? Fénelon, Tél. VII. Des terres presque inconnues ouïrent la parole de vie, Massillon, Or. fun. Villars. Prêt à verser son sang, qu'ai-je ouï ? qu'ai-je vu ? Voltaire, Fanat. III, 8. Oyez n'est plus usité qu'au barreau ; on a conservé ce mot en Angleterre ; les huissiers disent ois, sans savoir ce qu'ils disent, Voltaire, Comment. Corn. Poly. III, 2. (les Anglais écrivent non ois, mais oyes, qu'ils prononcent ôièce, et qui est le français oyez). J'avais toujours ouï dire qu'il est difficile de mourir ; je touche à ce dernier moment, et je ne trouve pas cette résolution si pénible, Duclos, Règne de Louis XIV, Œuv. t. V, p. 148. On n'oyait dans ce gouffre de vapeurs [du haut du Vésuve] que le sifflement du vent et le bruit lointain de la mer, sur les côtes d'Herculanum, Chateaubriand, Italie, le Vésuve.

    Ouïr la messe, assister à la messe. J'oyais un de ces jours la messe à deux genoux, Régnier, Sat. VIII.

  • 2Écouter, prêter attention, donner audience. Un juge doit ouïr les deux parties. Oyons : - Dorante : Sa courtoisie est extrême et m'étonne, Corneille, Suite du Menteur, I, 2. Quoi ! mon père étant mort et presque entre mes bras, Son sang criera vengeance et je ne l'orrai pas, Corneille, Cid, III, 3. Oyez ce que les dieux vous font savoir par moi, Corneille, Cinna, V, 3. Il ne faut jamais dire aux gens : Écoutez un bon mot, oyez une merveille, La Fontaine, Fabl. XI, 9. Je condamnai les dieux, et, sans plus rien ouïr, Fis vœu, sur leurs autels, de leur désobéir, Racine, Iphig. I, 1. Le parlement de Provence commença par condamner dix-neuf habitants de Mérindol, leurs femmes et leurs enfants, à être brûlés, sans ouïr aucun d'eux, Voltaire, Hist. parl. ch. 19. La nuit revient son ombre [du ménétrier] : Oyez ces sons lointains, Béranger, Ménétr. de Meud.
  • 3Écouter favorablement, exaucer. Daignez ouïr nos vœux.
  • 4Recevoir une déposition. Nous venons d'ouïr un martyr qui fait gloire d'avoir bien servi les empereurs à la guerre, Bossuet, 5e avertiss. § 12.

    En termes de procédure, ouïr des témoins, recevoir leurs dépositions. Les témoins sont ouïs, son procès est tout fait, Th. Corneille, Comte d'Ess. II, 2. Le demandeur faisait ouïr ses témoins pour établir sa demande ; le défendeur faisait ouïr les siens pour se justifier, Montesquieu, Esp. XXVIII, 13.

    Ancien terme de procédure criminelle. Être assigné pour être ouï, être assigné pour répondre en personne devant le juge. Décret d'assigné pour être ouï, ordonnance judiciaire qui assignait un prévenu à comparaître en personne.

  • 5Substantivement, l'oyant compte (voy. OYANT).

HISTORIQUE

XIe s. Signor, dist Guenes, vous en orrez nouveles, Ch. de Rol. XX. Respont Rolans : orguel oi et folage, ib. X. De cels de France odum [nous oyons] les grailes [trompettes] clers, ib. CLVIII.

XIIe s. Pour la [l'espée] Charlon, dont il oï parler, Ronc. 125. Jà de cruel au desseure [dans le triomphe] [vous] N'orrez dire bon recort, Couci, IV. Et qu'il vous plaist à oïr ma priere, ID. XVIII. Liquels parlera les poances [puissances] del Segnor ? oïdes ferad tutes les loenges de lui ? Liber psalm. p. 158. Il parla hautement, oyant tout le barnage, Sax. XXVI.

XIIIe s. Cil Alexis… se fist empereour par tel traïson come vous oez, Villehardouin, XLII. Et avoit grant ire de ce qu'il audoit que Acomat fust escanpés, Marc Pol, p. 748. Mais je n'os [ose] por [à cause de] ces bestes qu'en ces bois glatir o [j'entends], Berte, XXXII. [Ils] Ne purent une messe entierement oïr, ib. LXIII. Bien avez oÿ dire et mainte fois retraire…, ib. LXIX. La ooit Symons messe et toute sa maisnie, ib. CIX. Car il n'est fame tant soi bonne, Vieille ou jone, mondaine ou nonne… Se l'en va sa biauté loant, Qui ne se delite en oant, la Rose, 9982. Fai, se tu pues, chose qui plaise As dames et as demoiselles, Si qu'el oient bones noveles Dire de toi et raconter, ib. 2132. Il est contraires à li meismes quant il dist : je sai de certain, ce qu'il ne set que par oïr dire, Beaumanoir, XL, 12. Seez vous ci bien près de moy, pour ce que en ne nous oie, Joinville, 196. N'est si mal sourt com cil qui ne vuelt oïr goute, J. de Meung, Test. 1595.

XIVe s. Il semble que ire n'oe aucunement raison, Oresme, Eth. 205.

XVe s. Ceux qui le liront [ce livre], verront et orront …, Froissart, Prol.

XVIe s. Lors ouyssiez, par ung ardant desir, France cryer : brief, c'estoit un plaisir…, Marot, J. V, 227. Dieu guarde de mal qui veoid bien, et ne oyt goutte, Rabelais, III, 15. Ceste année, les aveugles ne verront que bien peu, les sourds oyront assez mal, les muetz ne parleront gueres, Rabelais, Pantagrueline pronostication, ch. 3. Qui a aureilles pour ouir, qu'il oye, Calvin, Instit. 769. J'ouy aultrefois tenir à un prince que…, Montaigne, I, 54. Ils ont voulu les instruire non par ouïr-dire, mais par l'essay de l'action, Montaigne, I, 152. C'est une chose non encore ouye, et du tout ridicule, d'estre lieutenant de soy-mesme, Carloix, II, 8. Ouïr dire va par ville ; et en un muid de cuider, n'y a point plein poing de sçavoir, Loysel, 771. Oy, voy, et te tais, si tu veux vivre en paix, Cotgrave Qui demande ce qu'il ne devroit, Il oit ce qu'il ne voudroit, Cotgrave Tout ouir, tout voir, et rien dire, Merite en tout temps qu'on l'admire, Cotgrave Qui bien oyt bien parle, et qui mal oyt mal parle, Charron, Sagesse, I, 12.

ÉTYMOLOGIE

Picard, aouir, auir, aoir ; wallon, oiî ; j'aus ben, j'entends bien ; provenç. ausir ; esp. oir ; port. ouvir ; ital. udire ; du lat. audire ; comparez OREILLE. Audire paraît être un dénominatif de auris, oreille, qui est pour ausis. Voltaire (Comm. Corn. Poly. III, 2) prétend qu'à l'infinitif nous disions autrefois oyer, et que les sessions de l'échiquier de Normandie s'appelaient oyer et terminer. C'est une erreur ; oyer à l'infinitif serait un barbarisme dont il n'y a pas de trace dans notre historique ; oyer et terminer est non pas du normand, mais de l'anglo-normand ; enfin oyer, terminer sont non des infinitifs mais des substantifs.