« percer », définition dans le dictionnaire Littré

percer

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percer

(pèr-sé. Le c prend une cédille devant a et o : perçant, perçons) v. a.
  • 1Faire une ouverture, un trou. Percer une planche. Un gentilhomme qui crut que le parti janséniste ferait sa fortune s'il délivrait le chef, perça les murs et fit évader Quesnel, Voltaire, Louis XIV, 37. Cette habitude de percer les arbres n'est pas le seul trait de ressemblance qu'ils ont avec les pics, Buffon, Ois. t. V, p. 173.

    Terme de marine. Percer un navire, y faire des sabords.

    Percer un tonneau, etc. y faire une ouverture pour en tirer le vin.

    Par extension, percer du vin, percer un tonneau de vin. …Défenses [aux voituriers] de s'éloigner desdits grands chemins …de percer et beuveter lesdits vins, Arrêt du parlement, 19 juin 1610.

    Percer une porte, une croisée, faire l'ouverture nécessaire pour l'établissement d'une porte, d'une fenêtre.

    Percer à jour, voy. JOUR, n° 30.

  • 2Blesser, tuer avec un instrument tranchant ou piquant. L'autre jour, en entrant dans un bal, un gentilhomme breton fut poignardé par deux hommes habillés en femme ; l'un le tenait, l'autre lui perçait le cœur à loisir, Sévigné, 409. Par les traits de Jéhu je vis percer le père, Racine, Athal. I, 1. Tu seras bien surpris quand tu sauras que j'ai été percé d'autant de coups, au milieu du sénat, par mes meilleurs amis, Fénelon, Dial. des morts anc. Dial. 39 (César et Caton) Les bêtes qu'elles [les nymphes] avaient percées de leurs flèches, Fénelon, Tél. I. Cyrus courut un grand danger ; son cheval, qu'un soldat avait percé sous le ventre, s'étant abattu…, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. II, p. 217, dans POUGENS.

    Fig. Elle n'a pas souffert de ces cruelles pointes de douleur qui percent le corps, qui déchirent l'âme…, Fléchier, Mme de Mont.

    Se percer le cœur, percer à soi le cœur. Le premier… se perça le sein à ses pieds, La Bruyère, III.

    Par exagération. Les os lui percent la peau, se dit d'une personne très maigre.

  • 3Faire des ouvertures, des chemins à travers des constructions, à travers un terrain. Quelle main a percé ces longues avenues ? Dancourt, Céphale et Procris, I, 1. Le tout fut vendu en 1651 à différents particuliers, qui commencèrent à bâtir et à percer les rues que nous voyons, Saint-Foix, Ess. Paris, Œuvr. t. III, p. 72, dans POUGENS.

    Percer un pays, y faire des routes.

    On dit dans le même sens : percer une forêt, un bois.

  • 4Passer à travers. Un jour ou deux de pluie, mais non pas assez forte pour percer les tentes, ni les manteaux, Pellisson, Lett. hist. t. I, p. 64, dans POUGENS. Mes sueurs sont si extrêmes, que je perce jusqu'à mes matelas, Sévigné, 281.

    On dit dans le même sens : percer quelqu'un. Qui sont percés par les pluies des montagnes, et qui, se trouvant sans vêtements, se mettent à couvert sous les rochers, Sacy, Bible, Job, XXIV, 8.

    Le soleil perce le nuage, les rayons du soleil passent à travers le nuage.

    La lumière perce les ténèbres, se fait apercevoir malgré les ténèbres, les écarte, les dissipe. Ce bois formait une nuit que les rayons du soleil ne pouvaient percer, Fénelon, Tél. I. Un rayon de lumière perce l'horreur des cachots, Massillon, Or. fun. Villars. J'aime à revoir encor pour la dernière fois Ce soleil pâlissant dont la faible lumière Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois, Lamartine, Méd. l'Automne.

    Fig. La vérité a percé les ténèbres de l'idolâtrie, Dict. de l'Académie.

  • 5Passer au travers d'une troupe, en s'y ouvrant un passage. Il pousse dans nos rangs, il les perce, et fait voir Ce que peut la vertu qu'arme le désespoir, Corneille, Pomp. V, 3. Je n'ai percé qu'à peine Les flots toujours nouveaux d'un peuple adorateur, Racine, Bérén. I, 3. Trois jeunes Hébreux percent l'armée ennemie, Massillon, Carême, Prosp. Impuissant à percer une telle cohue, Boissy, Impatient, III, 4.

    Fig. Quelle foule de concurrents faut-il percer pour en venir là ! Massillon, Pet. carême, Drap.

    Passer à travers un pays, un espace. D'où vient donc que son influence [d'une planète] Agit différemment sur ces deux hommes-ci ? Puis comment pénétrer jusques à notre monde ? Comment percer des airs la campagne profonde ? Percer Mars, le soleil, et des vides sans fin ? La Fontaine, Fabl. VIII, 16. Le comte d'Harcourt se dérobe de l'armée, perce le royaume nuit et jour, et arrive aux portes de Brisach, Saint-Simon, 9, 110. Quel est cet inconnu dont la vue indiscrète Ose troubler la reine, et percer sa retraite ? Voltaire, Mérope, III, 2.

    Percer les buissons, les halliers, les forêts, passer au travers des buissons, des halliers, etc.

  • 6Percer l'air, le ciel de cris, pousser des cris qui se font entendre au loin. Elle perçait le ciel de ses plaintes, Voltaire, Zadig, 1. Qui perçaient l'air de leurs cris, Rousseau, Ém. II. Les femmes, perçant l'air d'horribles hurlements, Dans l'enceinte royale errent désespérées, Delille, Énéide, II.

    Ses cris percent l'air, percent la nue, se font entendre au loin.

    Fig. Ils auront beau faire : je me ris des machines qu'ils entassent sans cesse autour de moi… le cri de la vérité percera le ciel tôt ou tard, Rousseau, Lett. à M. de Tonnerre, Corresp. t. VII, p. 95, dans POUGENS.

    Crier à percer les oreilles, pousser des cris aigus. Des cris pitoyables percèrent ses oreilles, Scarron, Rom. com. II, 14. Un cri qui perce les oreilles, Bossuet, Sermons, Tristesse, 2.

  • 7Percer les nuits, les passer sans dormir, en parlant d'une occupation quelconque. Une femme… qui, n'ayant pas, à l'entendre parler, assez de force pour soutenir quelques moments de réflexion sur les vérités du salut, trouve néanmoins assez de santé pour percer les nuits, dès qu'il est question de son jeu, Bourdaloue, Dimanches, 3e dim. après Pâq. Divert. du monde.
  • 8 Fig. Faire éprouver une vive affliction. Et vous, madame, Retenez des soupirs dont vous me percez l'âme, Corneille, Nicom. IV, 1. Je viens percer un cœur que j'adore, qui m'aime ; Et pourquoi le percer ? qui l'ordonne ? moi-même, Racine, Bérén. IV, 4. Ces paroles percèrent Télémaque jusqu'au fond du cœur, Fénelon, Tél. VII. La fable des deux pigeons lui perça le cœur ; il était bien loin de pouvoir revenir à son colombier, Voltaire, Ingénu, 12.
  • 9 Fig. Découvrir, apercevoir par les yeux de l'esprit. N'est-ce pas l'homme… Dont la vaste science, embrassant toutes choses, A fouillé la nature, en a percé les causes ? Boileau, Sat. VIII. Perce la sainte horreur de ce livre divin [la Bible], Boileau, ib. Déjà de sa naissance et de votre dessein On commence, seigneur, à percer le mystère, Racine, Athal. III, 6.

    Percer les motifs, les pénétrer. Ce grand juge des cœurs perce d'un œil sévère Les plus secrets motifs de nos intentions, Corneille, Imit. I, 15,

    Percer l'avenir, le prévoir. Protée, à qui je dois le jour, Du plus sombre avenir perce la nuit obscure, Quinault, Phaét. I, 3.

  • 10 V. n. Se faire ouverture. L'abcès a percé de lui-même. M. le Dauphin a été enrhumé ; mais on croit que c'est une de ses dernières dents qui ont percé, Maintenon, Lett. à la reine d'Angleterre, 18 juin 1715.

    En ce sens, percer se construit avec l'auxiliaire avoir quand on veut exprimer l'action : la dent a percé ce matin ; avec l'auxiliaire être, quand on veut exprimer l'état : la dent est percée depuis ce matin.

  • 11Pénétrer. Le coup perce dans les chairs.
  • 12Percer, se laisser traverser par l'eau, par un liquide. Cette étoffe, ce cuir ne perce point. L'impôt sur les papiers a tellement dénaturé leur fabrication, que je n'en puis plus trouver pour noter qui ne perce pas, Rousseau, Lett. à M. de M***, sur la bot. Mél. t. VII, p. 182, dans POUGENS.
  • 13Cette maison perce dans deux rues, perce d'une rue à l'autre, elle a issue dans deux rues différentes.
  • 14Percer, se faire un chemin au travers de. Battre toujours les Perses en plaine, en défilé, prendre leurs villes, percer jusqu'aux Indes, Fénelon, Dial. des morts anc. Dial. XXIX. Quand on eut perce en Amérique jusque sous la ligne, Voltaire, Mœurs, 145. Condé, suivi de deux mille chevaux, perça à travers l'armée des assiégeants, Voltaire, Louis XIV, 6.

    Percer au delà des cieux, s'élever plus haut que les cieux. La foi, dont l'humble vol perce au delà des cieux, Pour cette vérité trouve seule des yeux, Corneille, Œuv. div. Louanges de la Vierge.

  • 15Il se dit de la lumière, des rayons qui pénètrent. Le soleil perce à travers les nuages. Un rayon de lumière commence à percer dans l'horreur de ces ténèbres, Massillon, Carême, Prière 2.

    Il se dit de nuances qui se font voir à travers d'autres. Cette même couleur olive perce dans le brun noirâtre des pennes des ailes, Buffon, Ois. t. IX, p. 464.

  • 16En vénerie, le cerf perce, il tire de long.

    Il se dit aussi du loup. On peut chasser le loup avec des chiens courants ; mais, comme il perce toujours droit en avant, et qu'il court tout un jour sans être rendu…, Buffon, Quadrup. t. II, p. 100.

    Percer au fort, piquer au fort, passer à travers les endroits les plus fourrés.

    Perce, perce ! se dit aux chiens lorsqu'ils traversent une route.

  • 17 Fig. Percer dans, percer jusqu'à, apercevoir au loin des yeux de l'esprit. Oh ! que cela me plaît ! lui répondis-je, que j'en vois de belles conséquences ! je perce déjà dans les suites ; que de mystères s'offrent à moi ! Pascal, Prov. IV. Il perçait dans tous les secrets et démêlait toutes les intrigues, découvrait les entreprises les plus cachées et les plus sourdes machinations, Bossuet, le Tellier. Combien de fois, perçant jusqu'au fond de vos consciences…, Fléchier, I, 159. Soit qu'il rappelle le passé, soit qu'il considère tout ce qui se passe à ses yeux, soit enfin qu'il perce dans cet avenir formidable auquel il touche, Massillon, Avent, Mort du péch. Percez jusque dans les motifs des actions les plus éclatantes et des plus grands événements, Massillon, Petit carême, Fauss. de la gloire.
  • 18 Fig. Percer, se déceler, se manifester. Cependant le vrai avait percé à la longue, Fontenelle, Geoffroy. Il fallait bien que mon histoire eût percé, Marivaux, Marianne, 7e part. Le naturel et les grâces de la nation perçaient encore à travers tant de calamités et de fureurs, Voltaire, Mœurs, 173. Tout le premier, lui-même, il en raille [de critiques], il en rit ; Grimace ! l'auteur perce, il les lit, les relit, Piron, Métr. I, 3. Dans Marivaux, l'impatience de faire preuve de finesse et de sagacité perçait visiblement, Marmontel, Mém. IV. Va, va, le caractère enfin perce toujours, Collin D'Harleville, Chât. en Espagne, II, 5. L'amour du plaisir perçait au milieu de tant d'excellentes qualités, mais il n'en troublait pas l'exercice, Barthélemy, Anach. ch. 5. Le vrai système du monde, qui perçait de toutes parts dans les phénomènes, Laplace, Expos. V, Préface. Ce siècle avait deux ans, Rome remplaçait Sparte, Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, Hugo, F. d'aut. 1.

    Percer, arriver jusqu'à, se faire jour. Que de belles nouvelles envoyées de canaille à canaille, et perçant chez les oisifs honnêtes gens du beau monde de Paris ! Voltaire, Lett. d'Argental, 15 mars 1751.

  • 19 Fig. Percer, sortir de la foule, se faire connaître. On a bien de la peine à percer. Le génie de Shakspeare perça au milieu de la barbarie, Voltaire, Mœurs, 121. Aujourd'hui on est très disposé à permettre que ce livre [un livre sur la tolérance] perce dans le public avec quelque discrétion, Voltaire, Lett. d'Alembert, 1er mars 1764. Votre mérite a déjà percé, Poinsinet, Cercle, sc. 5.
  • 20Se percer, v. réfl. Être percé. Ces sortes de bois se percent facilement.
  • 21Se traverser le corps avec une arme. Je me perçai moi-même à Utique après la bataille de Thapse, pour ne point survivre à la liberté, Fénelon, Dial. des morts anc. Dial. XXXIX (César et Caton).

    Fig. Il s'est percé de ses propres traits, c'est-à-dire en voulant nuire à autrui, il s'est nui à lui-même.

    Se percer l'un l'autre, se dit de personnes qui se blessent ou tuent réciproquement avec des armes tranchantes.

  • 22 Fig. Être touché, ému. J'en verse [des larmes], et plût à Dieu qu'à force d'en verser Ce cœur trop endurci se pût enfin percer ! Corneille, Poly. IV, 3.

REMARQUE

Cet enfant a percé ses premières dents ; dites : les premières dents ont percé à cet enfant.

HISTORIQUE

XIe s. Ma hanste est fraite, et percet mon escut, Ch. de Rol. CL.

XIIe s. Que l'aive [eau] seut [a coutume de] percier la pierre bise, Couci, X.

XIIIe s. Maint hiaume decoupé, mainte targe percie, Berte, CXLIV. Et les autres gens deivent aveir persiées les paumes d'un fer chaut, Ass. de J. 112.

XIVe s. Et toutes autres monoies contrefaittes… dès maintenant chiessent [tombent] et soient percées et du tout abbatues, et n'aient point de cours, fors que au marc pour billon, Ordonn. 5 janv. 1315.

XVe s. Je sens ces mots mon cuer percer Si doulcement, que ne sauroye Le confort au vray vous mander, Que votre messaige m'envoye, Orléans, Bal. 36. Lorsqu'on perce chez mon voisin Un tonneau de bon cidre plein…, Basselin, XXXIII. Bas percé [réduit], Vigiles de Charles VII, p. 11, dans LACURNE. Il fit trop grande pluie, dont elle eut bien sa part, car elle fut percée et baignée jusques à la peau, Louis XI, Nouv. XL.

XVIe s. D'ung sault persoyt [franchissait] ung fossé, volloyt sus une haye, Rabelais, Garg. I, 23. J'auray saulté trenchées, et percé oultre tout leur camp, d'avant que ilz m'ayent apperceu, Rabelais, Pant. II, 24. Cela perçoit le cueur à Agesilaus, Amyot, Agésil. 50. S'il y a quelque esperance qui luy rie, incontinent soing et sollicitude perce, qui comme une nuée vient à brouiller et troubler toute la serenité du beau temps, Amyot, Du vice et de la vertu, 5. Maison mal aërée, mal percée, obscure, froide, et mal saine, Amyot, De la curios. 1. La nuit d'après, la garnison perce et s'en va, D'Aubigné, Hist. II, 92. Par la sueur, la peste s'en ira sans percer, De Serres, 949.

ÉTYMOLOGIE

Picard, percher et puter ; bourg. parcé ; sicilien, pirciari ; angl. to pierce. Ménage, et, à sa suite, Diez et Burguy tirent percer de pertuiser (voy. PERTUIS) ; provenç. pertusar, ital. pertugiare ; mais c'est là une contraction excessive qu'on ne peut admettre sans des intermédiaires, qui manquent ici. On trouve dans du Cange persicior, signifiant très aigu, en un texte très ancien puisqu'il est de Hincmar : persiciorem romphaeam, non obtusiorem ; dans Festus, la glose persicus, expliquée par peracutus ; y aurait-il là quelque rapport à percer ? Percidere, qui signifie percer, aurait donné percire, comme occidere, occire. Scheler est tenté d'y voir un verbe formé de la préposition par, comme avancer de abante ; cette conjecture est digne d'attention ; l'exemple de Rabelais : percer un fossé, le franchir, la favorise.