« pire », définition dans le dictionnaire Littré

pire

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

pire

(pi-r') adj. comparatif
  • 1Plus mauvais, plus dommageable, plus nuisible, en parlant des personnes et des choses. Aristote a bien raison, quand il dit qu'une femme est pire qu'un démon ! Molière, Méd. m. lui, I, 1. Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire, Boileau, Art p. I. Pensez-vous que ces cœurs tremblants de leur défaite Cherchent avidement sous un ciel étranger La mort et le travail pire que le danger ? Racine, Mithr. III, 1. Ils [les hommes] seraient peut-être pires, s'ils venaient à manquer de censeurs ou de critiques, La Bruyère, Avant-propos. Et nos aïeux, plus méchants que leurs pères, Mirent au jour des fils plus méchants qu'eux, Bientôt suivis par de pires neveux, Rousseau J.-B. Ép. I, 2. Il y a de mauvais exemples qui sont pires que les crimes, et plus d'États ont péri parce qu'on a violé les mœurs que parce qu'on a violé les lois, Montesquieu, Rom. 8. Et la fausse pitié, pire que le mépris, Voltaire, Tancr. I, 4.

    Le remède est pire que le mal, se dit, au propre, d'un remède qui fait plus souffrir que le mal, et, au figuré, de tout ce qui empire une condition sous prétexte de l'amender.

    La dernière faute sera pire que la première, elle aura des suites, des conséquences plus fâcheuses. Sa piété s'y dissipa encore une fois [dans le monde] ; elle éprouva que Jésus-Christ n'a pas dit en vain : l'état de l'homme qui retombe devient pire que le premier, Bossuet, Anne de Gonz.

  • 2Qui est dans un moins bon état de santé (on dit aujourd'hui pis en cet emploi). Je ne suis pas pire que j'étais, Sévigné, 3 juil. 1680.

    Substantivement. Avoir du pire, avoir le dessous. Ô dieux ! le cœur me bat, Et m'annonce déjà que nous avons du pire, Mairet, Sophon. II, 3. Les Samiens ayant combattu, ils eurent du pire et se rembarquèrent, Courier, Traduct. d'Hérod.

  • 3Avec l'article défini ou un pronom possessif, il devient superlatif. Votre pire ennemi, c'est ce flatteur. Notre condition jamais ne nous contente ; La pire est toujours la présente, La Fontaine, Fabl. VI, 11. Les pires des ennemis, disait sagement cet ancien [Quinte-Curce], ce sont les flatteurs, et j'ajoute avec assurance que les pires de tous les flatteurs ce sont les plaisirs, Bossuet, Sermons, Am. des plaisirs, 1. Gardez-vous bien de prendre un mauvais poëte [à l'Académie française] ; c'est la pire espèce de toutes et la plus méprisable, Voltaire, Lett. d'Alembert, 19 oct. 1771.

    Il est encore superlatif avec de pris partitivement. Ils prennent de la cour ce qu'elle a de pire, il s'approprient la vanité, la mollesse, l'intempérance, le libertinage, comme si tous ces vices leur étaient dus, La Bruyère, VII.

  • 4 S. m. Le pire, ce qu'il y a de plus mauvais. J'ai trop longtemps vécu pour ne pas prendre le pire pour le certain, Maintenon, Lettre à Mme de Glapion, 11 sept. 1716. Mais dans l'art dangereux de rimer et d'écrire Il n'est point de degrés du médiocre au pire, Boileau, Art p. IV. À force de choisir on prend souvent le pire, Legrand, Roi de Cocagne, I, 3.

    Corneille a dit son pire, pour signifier ce qu'il y a de plus mauvais pour lui (inusité aujourd'hui). Ma colère l'épargne et n'en veut qu'à Cléandre ; Il verra que son pire était de se méprendre, Corneille, la Place roy. v, 5.

    PROVERBE

    Il n'y a pire eau que l'eau qui dort (voy. EAU).

REMARQUE

1. Ne confondez pas pire et pis dans les emplois comme substantifs. Pire est un adjectif qui ne s'emploie substantivement qu'avec l'article défini ; aussi dit-on : Cela va de mal en pis, et non en pire.

2. On entend souvent dire plus pire. C'est une grosse faute dont on doit se garder, pire étant par lui-même un comparatif.

HISTORIQUE

XIe s. Des mieux [meilleurs] et des pejurs, Ch. de Rol. CXXXV.

XIIe s. Saisne vont par ces rues faisant moult grant martire, N'i estoit esparnés li moindres ne li pire, Sax. x. À tut le pejur [à tout le pire], Th. le mart. 108.

XIIIe s. Il ne chaloit à ceus qui l'ost voloient depecier del meilleur ne del peieur, mais que li ost se departist, Villehardouin, LXXXIX. Fisicien [les médecins] me dient que la clarté m'empire Et le parler aussi ; nule rien ne m'est pire, Berte, LXXXVIII. Et fu sacrés à roi, et fu li pires rois qui onques feust, Chr. de Rains, 130. Il sont pieres que patarins [Albigeois], Marc Pol, p. 636.

XIVe s. Le mescheant ne sera onques fait beneuré pour bonne fortune, se elle lui vient, mes en usera et en sera pire, Oresme, Eth. 25.

Ve s. Si lui convenoit faire ce marché ou pieur, Froissart, II, II, 228. [Les Français et les Anglais se rencontrent et se battent] toutes voies les Anglois en eussent eu le pire…, Froissart, I, I, 260. Les capitaines des blancs chaperons parlementerent ensemble et manderent aucuns de leurs gens tous les plus outrageus et pieurs de leur compagnie, Froissart, II, II, 60.

XVIe s. L'un boit du bon, l'autre ne boit du pire, Marot, Épigr. de l'abbé et de son ralet. Ce senat, digne d'un pire maistre que Tibere, Montaigne, II, 91. Marcellus hors de propos et de raison voulut user d'une ruze de guerre qui luy feit avoir du pire, Amyot, Marcel. 41. S'estant endurci en son heresie, Luther avoit fait imprimer des livres beaucoup pires, Sleidan, f° 4.

ÉTYMOLOGIE

Wallon, pé ; bourguig. peire ; provenç. pieger, peger, pieier, peior, peire ; anc. catal. pejor ; espagn. peor ; portug. peior, peor ; ital. peggiore ; du latin pejorem, pire. L'ancien français avait pire et pejur ou peor ou pior ; de ces deux formes l'une est le nominatif, et vient de péjor, avec l'accent sur pé ; l'autre est le régime, et vient de pejórem, avec l'accent sur jó. C'est vers le XVe siècle que la distinction des deux formes se perd, et l'on voit Froissart employer au hasard pire et pieur. Finalement pire l'a emporté, contre l'ordinaire, la forme du régime étant celle qui, dans des mots de ce genre, a prévalu.