« pis », définition dans le dictionnaire Littré

pis

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

pis [1]

(pî ; l's se lie : le pi-z est) adv.
  • 1Comparatif de l'adverbe mal : plus mal, d'une manière plus mauvaise. Ils sont pis que jamais ensemble. Il se portait mieux ; mais aujourd'hui il est pis que jamais. Il ne m'en sera jamais ni pis ni mieux, La Bruyère, VI.

    S. m. Pis aller, ce qui peut arriver de plus fâcheux. Hélas ! je suis perdu. -Pourquoi ? ton pis aller n'est que d'être pendu, Th. Corneille, Feint astrol. IV, 12.

    Au pis aller, loc. adv. En mettant les choses au pis. Au pis aller, on se justifie en accusant la fortune, Guez de Balzac, 5e disc. de la cour. Au pis aller, l'argent le fera taire, La Fontaine, Mandr.

    Ce qui sert à défaut de mieux. Cela posé, disent-ils, jouissons des créatures ; c'est le pis aller, Pascal, Caract. de la vr. relig. 7, édit. FAUGÈRE. La vertu n'est pas un pis aller, Massillon, Petit carême, Vices et vertus. Certains amis dont on peut faire son pis aller, Lesage, Turc. I, 1. Pour être un pis aller je ne fus jamais faite, Destouches, Phil. marié, IV, 8.

    Être le pis aller de quelqu'un, être la personne à qui il s'adresse pour quelque chose que ce soit, lorsqu'il n'a pas trouvé une autre personne de qui il pût l'obtenir. Mon jaloux après tout sera mon pis aller, Corneille, Ment. III, 3. Cette opinion le fit rechercher et fêter dans le grand monde, et par là l'éloigna de moi, qui jamais n'avais été pour lui qu'un pis aller, Rousseau, Confess. VIII.

  • 2Pis se prend quelquefois adjectivement (d'autant plus facilement que pejus n'est que le neutre de pejor) ; il signifie plus mauvais. Que m'offrirait de pis la fortune ennemie ? Corneille, Pomp. III, 2. Que pourrais-je avoir pis, si j'étais le parjure, Si j'avais violé les droits de la nature ? Rotrou, Antig II, 4. Je n'ai fait que penser à votre état, à transir pour l'avenir, à craindre qu'il ne devienne pis, Sévigné, 14 juin 1677. Il [Jurieu] avoue qu'on peut croire… non pas qu'il survient à Dieu des accidents comme à nous, et de nouvelles pensées ; mais, ce qui est beaucoup pis, qu'il change dans la substance…, Bossuet, 1er avert. 11. Ce qu'il y a de pis pour la sagesse est d'être savant à demi, Rousseau, Ém. IV. Cette aversion sourde pour les lumières, triste preuve de médiocrité ou de quelque chose de pis dans les monarques qui ouvrent leur âme à un sentiment si méprisable, D'Alembert, Éloges, Vaux de St-Cyr.
  • 3 S. m. Le pis (avec l'article défini), ce qu'il y a de plus mauvais. Quelque plume y périt, et le pis du destin Fut qu'un certain vautour à la serre cruelle Vit notre malheureux [pigeon]…, La Fontaine, Fabl. IX, 2. Ce fut là le pis de l'aventure, La Fontaine, Or.

    Tout le pis, tout ce qu'il y a de plus mauvais. Je suis du nombre des méchantes langues, et je crois tout le pis, Sévigné, 48. Il [Séguier] disait toujours tout le pis contre notre pauvre ami [Fouquet], Sévigné, 27 nov. 1664. Il fit tout du pis qu'il put…, Staal, Mém. t. I, p. 293.

    On dit dans le même sens : le pis du pis. Une députation, sur laquelle le pis du pis était de faire connaître une bonne intention sans effet, Retz, IV, 210.

    Faire du pis qu'on peut, faire le plus de mal qu'on peut. Et quoique jusqu'ici la fortune contraire Nous ait fait tout du pis qu'elle nous pouvait faire, Mairet, Sophon. I, 3. Pharasmanes faisait du pis qu'il pouvait aux Arméniens, Perrot D'Ablancourt, Tac. 412.

    Mettre quelqu'un au pis, se dit par manière de défi pour marquer à un homme qu'on ne le craint point, quelque mauvaise volonté qu'il ait. Et nous verrons bientôt, s'il me veut mettre au pis, Lequel l'emportera de la femme ou du fils, Tristan, M. de Chrispe, III, 6. Les mettre au pis et leur ôter tout prétexte, Bossuet, Lett. quiét. 230.

    Mettre les choses au pis, supposer tout ce qui peut arriver de plus fâcheux. À présent on met tout au pis, on s'attend à tout, on compte là-dessus, Dancourt, Fêtes du cours, SC. 19. En mettant tout au pis dans l'avenir, il se soulage et se tranquillise, Rousseau, 2e dialogue.

    Prendre les choses au pis, les envisager dans le pire état où elles puissent être. Pour prendre les choses au pis, quand même il serait véritable que Jansénius aurait tenu ces propositions, Pascal, Prov. XVIII.

  • 4Pis (sans article), chose plus mauvaise. Encore pis que cela ne nous rendrait pas l'affaire douteuse, Guez de Balzac, Disc. à la rég. C'est à qui pis fera, à qui pis dira, Sévigné, 597. Vous dites bien pis que tout ce qui m'a tant déplu, et qu'on avait la cruauté de me dire quand vous partîtes, Sévigné, 11 août 1677. Vous avez bien fait pis aux Français que de répandre leur sang ; vous avez corrompu le fond de leurs mœurs, Fénelon, Dial des morts mod. Richelieu, Mazarin Quitter l'armée par paresse ou par pis, Saint-Simon, 102, 89.

    Dire à quelqu'un pis que son nom, l'injurier. Je pensai l'appeler guenon, Et lui dire pis que son nom, Scarron, Virg. II.

    Mettre à faire pis ou à pis faire, défier de faire plus de mal ou de faire plus mal. Je mets à faire pis, en l'état où nous sommes, Le sort et les démons, et les dieux et les hommes, Corneille, Hor. II, 3. Ils me feront plaisir : je les mets à pis faire, Racine, Plaid. II, 3.

    Qui pis est, ce qu'il y a de plus fâcheux et de plus désagréable. Qui pis est, il pleuvait d'une telle manière…, Régnier, Sat. x. Bacchus le déclare hérétique Et janséniste, qui pis est, Boileau, Poésies div. VI.

  • 5De mal en pis, de pis en pis, loc. adv. De plus mal en plus mal. …Les gens n'ont point de honte De faire aller le mal toujours de pis en pis, La Fontaine, Fabl. III, 8. Les affaires de ce roi, mon ancien disciple et mon ancien persécuteur, vont de mal en pis, Voltaire, Lett. d'Argental, 12 sept. 1757.
  • 6Tant pis, voy. TANT.

REMARQUE

1. On dit bien : il a fait pis, comme on dit : il a fait mieux que vous ; mais, si l'on prend un verbe qui ne reçoive pas de complément, comme agir, parler, etc. on dira bien : il a agi mieux que vous ; mais on ne dira pas : il a agi pis que vous, JULLIEN., En effet l'usage (l'usage seul, car il n'y a pas de raison pour ne pas employer pis comme mieux, ainsi qu'on faisait anciennement) ne prend pis adverbialement qu'avec le verbe être et dans la locution pis aller.

2. Molière a dit : La prose est pis encore que les vers, Impromptu, Molière, sc. 1. Cette phrase a un sens particulier, où pire ne conviendrait pas. Molière s'adresse à des comédiens, et leur dit que, s'ils ne savent pas tout à fait leurs rôles, ils pourront y suppléer, puisque c'est de la prose. À quoi l'un d'eux lui répond : " La prose est pis encore que les vers, " c'est-à-dire est chose plus difficile à apprendre, est, pour apprendre, quelque chose de pis que les vers. Si Molière eût écrit pire, il n'eût pas exprimé sa pensée, puisque cela voudrait dire que la prose est plus mauvaise que les vers, qu'elle est au-dessous, GIRAULT-DUVIV.

3. Pis, qui est un adjectif en certains emplois particuliers, ne se joint jamais avec un substantif ; l'on dit ; il n'est pire eau que l'eau qui dort ; et jamais : il n'est pis eau…

4. C'est une faute populaire de dire tant pire au lieu de tant pis.

HISTORIQUE

XIIe s. Li destriers Pinabel, ce jour, en ot le pis, Ronc. p. 194. Et se je sui de vostre amour espris, Douce dame, ne m'en doit estre pis, Couci, XVII.

XIIIe s. Li mundz s'en va de mal en pis, Edouard le confesseur, V. 3401. Se vos à lui tenés, vous ferés ce que vous devés ; ou se non, sachiés certainement que nous vos ferons du pis que nous porrons, Villehardouin, LXVIII. Ne sai [ce] que puissons faire, or va la chose au pis, Berte, LXXV. Maintenant lui [à la malade] est pis, je ne sai que cle a, ib. LXXVIII. Vous savez que le conte de Bretaingne a pis fait au roy que nul home qui vive, Joinville, 203.

XIVe s. Qui… font de pis en pis Pour aller en enfer avec les anemis [diables], Guesclin. 7660.

XVe s. Car Dangier l'a desrobé de plaisir, Et, que pis est, a de lui eslongnée Celle qui plus le povoit enrichir, Orléans, Ball. 23. Il fut crié sur peine de la hart, que nul ne nulle ne fust si ozé ne si hardy de leur dire pis de leur nom, Journ. de Paris sous Ch. VI et VII, p. 176, dans LACURNE. Ou à tout le moins et au pis aller une bien glorieuse fin, Commines, II, 12.

XVIe s. Et qui pis est, Montaigne, I, 404. Je prends toutes choses au pis, et ce pis là, je me resoulds à le porter, Montaigne, III, 46. Il les admonestoit qu'ilz ne se muassent point en pis, Amyot, Caton, 16. Le juge dit qu'ilz avoient tous respondu, l'un pis que l'autre, Amyot, Alex. 107. Ils pensent qu'on n'ose les irriter, ny les mettre à pis faire, Sat. Mén p. 188. Villes mal garnies de gens de guerre, et encores pis fortifiées, Du Bellay, M. 402. Celuy qui porte au menton Le plus crespelu coton… Je suis son pis et son mieux ; Il me courtize en tous lieux, Pasquier, Œuvres meslées, p. 485, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. pei ; provenç. piegz, pieitz, piets ; du lat. pejus ; comparez PIRE. Pis est un de ces rares noms qui ont conservé dans l'ancienne langue au nominatif l's des noms neutres latins, comme tems, de tempus, cors, de corpus, pis, de pectus.