« promener », définition dans le dictionnaire Littré

promener

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promener

(pro-me-né ; du temps de Chifflet, Gramm. p. 98, on disait également pourmener et promener. La syllabe me prend un accent grave quand la syllabe qui suit est muette : je promènerai) v. a.
  • 1Mener, faire aller en différents lieux. Thespis fut le premier qui, barbouillé de lie, Promena par les bourgs cette heureuse folie [la comédie naissante], Boileau, Art p. III. Le diable enfin qui toujours me promène Me fit partir ; le diable me ramène, Voltaire, Enf. prod. III, 3. Ne le promenez point dans les cercles, dans les brillantes assemblées, Rousseau, Ém. IV. Après avoir vécu familièrement avec le maréchal de Noailles, qui l'appelait son philosophe, il [Dumarsais] avait été longtemps promené sous ce titre dans plusieurs sociétés distinguées, Duclos, Œuv. t. x, p. 69.

    Fig. C'est promener la main d'une femme, et dire aux gens : la voulez-vous ? Marivaux, Sec. surpr. de l'am. II, 4.

  • 2Particulièrement, faire aller quelqu'un d'un endroit à un autre comme amusement ou comme exercice. Promener un enfant, un vieillard. Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille et lent, Promenaient dans Paris le monarque indolent, Boileau, Lutr. II.

    Promener des étrangers par la ville, dans la ville, la leur faire parcourir pour la satisfaction de leur curiosité.

  • 3Promener un cheval, le faire marcher doucement, soit en le tenant par la bride, soit en le montant. Il est au bout de la rue qui promène mon cheval, Hamilton, Gramm. 9.

    On dit de même : promener un chien.

    Promener un cheval en main, le promener sans être monté dessus.

    Promener un cheval dans la main et dans les talons, le gouverner avec la bride et l'éperon.

    Promener un cheval entre les deux talons, le mener au pas en le menant droit entre les deux talons.

  • 4 Fig. Faire aller çà et là. Promener ses pas, son regard, sa pensée. …Mes lieutenants ont encor depuis peu Promené dans son camp et le fer et le feu, Mairet, Soliman, I, 3. Ceux qui caressent également tout le monde, qui promènent leurs civilités à droite et à gauche, et courent à tous ceux qu'ils voient avec les mêmes embrassades et les mêmes protestations d'amitié, Molière, Impromptu, 3. Pour peu qu'un père de famille ait été absent de chez lui, il doit promener son esprit sur tous les fâcheux accidents que son retour peut rencontrer, Molière, Fourber. II, 8. Et promenait sur lui d'étincelants regards, Deshoulières, Poés. t. II, p. 38. Au milieu de Paris il promène sa vue, Boileau, Sat. VIII. Rions, chantons, dit cette troupe impie ; De fleurs en fleurs, de plaisirs en plaisirs, Promenons nos désirs, Racine, Ath. II, 9. Celui-ci [Caracalla] allait promener sa fureur dans tout l'univers, Montesquieu, Rom. 16. Qu'il est beau de le voir de dînés en dînés, Officieux lecteur de ses vers nouveau-nés, Promener chez les grands sa muse bien nourrie ! Gilbert, Le XVIIIe s. Je promène mes jours Du loisir au travail, du repos à l'étude, Delille, Dithyr. sur l'immort. de l'âme.
  • 5Faire aller çà et là l'idée d'un autre. Ce romancier promène ses lecteurs dans toutes les parties du monde, Dict. de l'Acad. Il me promène après de terrasse en terrasse, Boileau, Art p. I. Il promène l'attention sur de curieuses antiquités, Hamilton, Gramm. 1. Nouveau Mentor d'un nouveau Telémaque, Toi qui, le promenant par les siècles passés [lui enseignant l'histoire]…, Lamotte, dans DESFONTAINES.
  • 6Être cause d'une promenade, en parlant d'une chose. Faites-moi cette commission, cela vous promènera.
  • 7Il se dit des choses qui font aller çà et là d'autres choses. Insensible témoin des crimes de la terre, Dieu laisse au gré des vents promener son tonnerre, Bernis, Relig. veng. VI. Brûlez ces poupes et ces mâts Qui promènent vos maux de climats en climats, Delille, Énéide, v. L'Eurotas promenait son cours tortueux dans cette riante solitude, Chateaubriand, Mart. XI.

    Fig. Ma jalousie, à tout propos, Me promène sur ma disgrâce, Et plus mon esprit y repasse, Moins j'en puis débrouiller le funeste chaos, Molière, Amphit. III, 1. Chacun suit dans le monde une route incertaine, Selon que son erreur le joue et le promène, Boileau, Sat. IV.

  • 8Familièrement et fig. Promener quelqu'un, l'abuser, le lasser par des promesses vaines. Il m'a promené deux ans avant de me payer.
  • 9Se promener, v. réfl. Marcher, aller à pied ou à cheval, etc. pour faire de l'exercice ou pour se distraire. Je mande à mon fils que je n'ai que faire de lui, que je me promène, et qu'avec cela je l'envoie promener, Sévigné, 25 février 1685. Les sauvages ne savent ce que c'est que de se promener ; et rien ne les étonne plus dans nos manières que de nous voir aller en droite ligne, et revenir ensuite sur nos pas plusieurs fois de suite, Buffon, Hist. nat. Œuvr. t. IV, p. 332.

    Avec le verbe laisser et ellipse du pronom personnel. Qu'on me laisse ici promener toute seule, Molière, Am. magn. I, 6.

    Terme de dépit et d'humeur. Allez vous promener, se dit à une personne dont on est mécontent, dont on veut se débarrasser. Allez vous promener, madame la comtesse, de me venir proposer de ne vous point écrire ; apprenez que c'est ma joie et le plus grand plaisir que j'aie ici, Sévigné, 281. Là [à la cour] on se trouve toujours placé entre les grand merci et les va te promener, Al. Duval, Princ. des Ursins, III, 7.

    On dit de même : qu'il aille se promener, qu'il se promène. Va, va, je fais état de lui comme de toi, Dis-lui qu'il se promène, Molière, le Dép. IV, 2. Lui dire, sans tenir d'inutiles propos, Qu'il s'aille promener, et vous laisse en repos, Destouches, Phil. marié, III, 9.

    Envoyer promener, phrase peu polie par laquelle on dit qu'on s'est débarrassé de quelqu'un. Si j'avais été en votre place, je l'aurais envoyé promener, Molière, Festin, IV, 7. On dit qu'il a permission d'aller se promener dans ses abbayes ; on aurait dû l'envoyer promener quatre ans plutôt, D'Alembert, Lett. à Volt. 18 oct. 1760. Furia se fâcha, je m'emportai, et l'envoyai promener en termes qui ne se peuvent écrire, Courier, Lett. Renouard.

    Fig. Va te promener, la honte ! je veux rire et pleurer en même temps ; on ne sent pas deux fois ce que j'éprouve, Beaumarchais, Mar. de Fig. III, 18.

  • 10 Fig. Il se dit des choses qui errent, cheminent. J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène, Dans un pré plein de fleurs lentement se promène Qu'un torrent…, Boileau, Art p. I. Notre raison se promène par tous les ouvrages de Dieu, Bossuet, Conn. de Dieu, V, 6. Dans le vague avenir ma raison se promène, Ducis, Oscar, IV, 1.

REMARQUE

Dans le sens de marcher, c'est un verbe réfléchi, et l'on doit dire : allons nous promener et non pas : allons promener. C'est maintenant l'usage, et parler autrement est une faute commise par J. J. Rousseau, dans cette phrase : J'ai toutes les peines du monde à obtenir cinq ou six fois l'année qu'elle [Thérèse] veuille bien venir promener avec moi, Lett. à Mme de Créqui, sept. 1770. Mais Vaugelas considérait encore promener comme un verbe neutre, ainsi qu'avait fait le XVIe siècle.

HISTORIQUE

XVe s. [Les Romains] prirent le prudom qui bien avoit cent ans, et le menerent et le pourmenerent parmi Rome, Froissart, II, II, 20. Et qu'il y avoit largement gens qui se pourmenoient par les rues, Commines, I, 5.

XVIe s. Madame est en parfaite santé, ayant du tout recouvert le manger, dormir et proumener, Marguerite de Navarre, Lett. XXX. Si ne veux je pas pour ceste heure debatre ceste question tant pourmenée, assçavoir si…, La Boétie, VIII. Ceux qui abondent en ceste passion [la haine], trouveront assez de champs spacieux pour la promener, voire pour la lasser, Lanoue, 75. Dès la poincte du jour il se levoit, et, en se promenant devant son logis ou se tenant debout, recueilloit gracieusement tous ceulx qui le venoient saluer et visiter, Amyot, Cicéron, 45. Il sortit de son logis, et s'en alla sur la place promener avec ses amis, Amyot, Aratus, 7. Si des montaignes on a la veue longue, les yeux s'y promenans à l'aise, leur difficile accès donne beaucoup de peine aux pieds, De Serres, 17.

ÉTYMOLOGIE

Berry, pourmener ; wallon, porminé ; du lat. prominare, de pro, et minare (voy. MENER).