« raison », définition dans le dictionnaire Littré

raison

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raison

(rè-zon) s. f.
  • 1Faculté par laquelle l'homme connaît, juge et se conduit. Puisqu'il est certain que la raison des hommes ne s'étend pas si loin que la vérité des choses, Guez de Balzac, lett. 14, liv. I. Vous serez toujours… un esprit chaussé tout à rebours, Une raison malade et toujours en débauche, Molière, l'Ét. II, 14. Montaigne est incomparable… pour convaincre si bien la raison de son peu de lumière et de ses égarements, qu'il est difficile, quand on fait un bon usage de ses principes, d'être tenté de trouver des répugnances dans les mystères, Pascal, Entretien avec M. de Saci. Notre raison est toujours déçue par l'inconstance des apparences, Pascal, Pens. I, 1, édit. HAVET. Examinons donc ce point, et disons : Dieu est, ou il n'est pas ; mais de quel côté pencherons-nous ? la raison n'y peut rien déterminer ; il y a un chaos infini qui nous sépare, Pascal, ib. X, 1. Soumission et usage de la raison, en quoi consiste le vrai christianisme, Pascal, ib. XXV, 182. Instinct et raison, marques de deux natures, Pascal, XXV, 15. L'homme n'agit point par la raison qui fait son être, Pascal, ib. XXV, 27. Deux excès : exclure la raison, n'admettre que la raison, Pascal, ib. XIII, 7. L'âme, devenue captive du plaisir, devient ennemie de la raison, Bossuet, la Vallière. Ce serait à nous à condamner notre raison comme aveugle et téméraire, et non pas à notre raison de trouver à redire aux œuvres de Dieu, Bourdaloue, Dim. de la Quinquagés. Dominic. t. I, p. 448. Qui ne sait qu'elle fut admirée dans un âge où les autres ne sont pas encore connues ; qu'elle eut de la sagesse en un temps où l'on n'a presque pas encore de la raison ? Fléchier, Mme d'Aiguillon. Il est d'autres erreurs dont l'aimable poison D'un charme bien plus doux enivre la raison, Boileau, Sat. IV. Et quelle âme, dis-moi, ne serait éperdue Du coup dont ma raison vient d'être confondue ? Racine, Andr. III, 1. Cette fière raison dont on fait tant de bruit, Contre les passions n'est pas un sûr remède ; Un peu de vin la trouble, un enfant la séduit, Deshoulières, Poés. t. I, p. 34. Rien ne sied mieux à notre raison que des conclusions un peu timides, Fontenelle, Dodart. La raison nous propose un trop petit nombre de maximes certaines, et notre esprit est fait pour en croire davantage, Fontenelle, Dial. V, Morts anc. mod. On se sert de la raison comme d'un instrument pour acquérir les sciences ; et on se devrait servir au contraire des sciences comme d'un instrument pour perfectionner sa raison, Rollin, Traité des Ét. V, 2. La raison peut se définir une faculté de notre âme par laquelle nous découvrons la certitude des choses obscures ou douteuses en les comparant avec des choses qui nous sont évidemment connues, Dumarsais, Œuv. t. VI, p. 6. Le cœur ne manque guère de trahir la raison, quelque leçon qu'il en ait reçue, Staal, Mém. t. III, p. 123. La raison a un empire naturel ; elle a même un empire tyrannique : on lui résiste, mais cette résistance est son triomphe, Montesquieu, Espr. XXVIII, 38. M. Locke a développé à l'homme la raison humaine, comme un excellent anatomiste explique les ressorts du corps humain, Voltaire, Dict. phil. Locke. Le caractère de la raison le plus marqué, c'est le doute, c'est la délibération, c'est la comparaison, Buffon, Nature des anim. La raison des femmes est une raison pratique, qui leur fait trouver très habilement les moyens d'arriver à une fin connue, mais qui ne leur fait pas trouver cette fin, Rousseau, Ém. v. De toutes les facultés de l'homme, la raison, qui n'est, pour ainsi dire, qu'un composé de toutes les autres, est celle qui se développe le plus difficilement et le plus tard, Rousseau, ib. II. La froide raison n'a jamais rien fait d'illustre, et l'on ne triomphe des passions qu'en les opposant l'une à l'autre, Rousseau, Hél. IV, 12. On dit communément que les animaux sont bornés à l'instinct, et que la raison est le partage de l'homme ; ces deux mots instinct et raison, qu'on n'explique point, contentent tout le monde, et tiennent lieu d'un système raisonné, Condillac, Trait. anim. II, 5.

    Fig. Il n'est que les lumières de votre foi [ô Dieu] qui puissent redresser ses jugements [de l'homme], ouvrir les yeux de son âme, être la raison de son cœur, lui apprendre à se connaître, Massillon, Avent, Dispos.

    Avoir sa raison, toute sa raison, jouir de la plénitude de ses facultés intellectuelles.

    Âge de raison, âge où les enfants commencent à jouir de la raison. De petits enfants avant l'âge de raison, Bossuet, 3e avert. 12. Il était cher à toute la maison, N'étant encor dans l'âge de raison, Gresset, Ver-vert, I.

    Un être de raison, voy. ÊTRE 2, n° 3.

    Perdre la raison, devenir fou. Je pense mille fois le jour au chevalier de Grignan, et ne puis pas m'imaginer qu'il puisse soutenir cette perte [celle de Turenne] sans perdre la raison, Sévigné, 201. Il faut qu'il écoute mes détails cruels, qu'il entre dans mes colères, qu'il me dise que j'ai raison pour m'empêcher de la perdre tout à fait, Sévigné, à Moulceau, 1er mars 1684.

    Perdre la raison, se dit aussi d'un homme qui fait quelque chose de contraire à la raison, au bon sens. Il faut que vous ayez perdu la raison, pour avoir tenu ce langage.

    Terme de métaphysique. Raison pure ou intuitive, se dit par opposition à raison empirique ou connaissances expérimentales. Son traité [de Kant] sur la nature de l'entendement humain, intitulé Critique de la raison pure, parut il y a trente ans, et cet ouvrage fut longtemps inconnu ; mais, lorsqu'enfin on découvrit les trésors d'idées qu'il renferme, il produisit une telle sensation en Allemagne, que presque tout ce qui s'est fait depuis en littérature comme en philosophie, vient de l'impulsion donnée par cet ouvrage, Staël, Allem. III, 6.

    Culte de la Raison, culte célébré pour la première fois dans l'église métropolitaine de Paris, le 20 brumaire an II (10 nov. 1793), et bientôt imité dans toute la France.

  • 2Raison se dit de la somme de vérités que les hommes admettent uniformément ; cette raison est souvent nommée raison impersonnelle. À la vérité, une raison est en moi ; car il faut que je rentre sans cesse en moi-même pour la trouver ; mais la raison supérieure qui me corrige dans le besoin et que je consulte n'est point à moi, et elle ne fait point partie de moi-même ; cette règle est parfaite et immuable, je suis changeant et imparfait… nous recevons sans cesse et à tout moment une raison supérieure à nous… c'est elle par qui les hommes de tous les siècles et de tous les pays sont comme enchaînés autour d'un certain centre immobile, Fénelon, Exist. 55 et 56.
  • 3Raison se dit quelquefois absolument pour logos, Verbe. Au-dessus de notre faible raison, restreinte à certains objets, nous avons reconnu une raison première et universelle…, Bossuet, Conn. V, 2. Où est-elle cette raison suprême ? n'est-elle pas le Dieu que je cherche ? Fénelon, Exist. 60. Le philosophe [Lao-tseu], né dans une des provinces centrales de la Chine, à la fin du VIIe siècle avant notre ère, admet pour premier principe de toutes choses, comme les platoniciens et les stoïciens, la raison, être sublime, indéfinissable, qui n'a de type que lui-même, Abel Rémusat, Instit. Mém. inscr. et belles-lettr. t. VII, p. 51.
  • 4Le bon usage de la faculté de raison, bon sens, justesse d'esprit, sagesse. La raison règle enfin l'ardeur qui les emporte, Corneille, Cinna, I, 3. Ce discours, quoique même un peu hors de saison, Pourrait avoir du moins quelque ombre de raison, Corneille, Perthar. I, 4. La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l'on soit sage avec sobriété, Molière, Mis. I, 1. …Souffrez qu'enfin la raison vous éclaire, Boileau, Poés. div. XXVII. La raison, pour marcher, n'a souvent qu'une voie, Boileau, Art p. I. Il savait qu'il ne faut attaquer les passions des hommes, pour les réduire à la raison, que quand elles commencent à s'affaiblir par une espèce de lassitude, Fénelon, Tél. X. La raison tient de la vérité, elle est une ; l'on n'y arrive que par un chemin, et l'on s'en écarte par mille, La Bruyère, XI. Alzire au désespoir, mais pleine de raison, En invoquant la mort commente le Phédon, Gilbert, le Dix-huitième siècle.

    Raison écrite, se dit du droit romain dans les pays où on le consulte. Quand la compilation de Justinien parut, elle fut reçue dans les provinces du domaine des Goths et des Bourguignons comme loi écrite ; au lieu que dans l'ancien domaine des Francs, elle ne le fut que comme raison écrite, Montesquieu, Esp. XXVIII, 12.

    Parler raison, parler raisonnablement. Combien de gens qui, dans la vie, Se conduisent en fous, et qui parlent raison ! Imbert, Jaloux sans amour, I, 5.

    D'après Bouhours, cette locution était rejetée par quelques-uns ; aujourd'hui elle est reçue.

    Parler raison, signifie quelquefois devenir raisonnable, traitable. Voilà parler raison. C'est parler raison, cela.

    Mariage de raison, mariage où l'on consulte plus la convenance que l'inclination. Ils sont convenus de terminer à l'amiable par un mariage de raison, Al. Duval, le Prisonnier, SC. 14.

    Il n'y a ni rime ni raison, voy. RIME.

  • 5Dans un sens assez récent, raison se dit, absolument, pour exprimer la somme croissante d'idées bonnes et justes qui est dans une société. Le père eût poussé plus loin la sainte haine qu'il avait contre la raison, Saint-Évremond, Convers. du P. Canaye. Il a été plus facile aux Hérules, aux Vandales, aux Goths et aux Francs, d'empêcher la raison de naître, qu'il ne serait aujourd'hui de lui ôter sa force quand elle est née, Voltaire, Ode XII, note. La raison n'est-elle pas le préservatif de l'intolérance et du fanatisme ? Rousseau, Hél. II, 18. La raison finira par avoir raison, D'Alembert, Lett. à Voltaire, 23 janv. 1757. Vous aimez la raison et la liberté, mon cher et illustre confrère, et on ne peut guère aimer l'une sans l'autre, D'Alembert, ib. 19 janv 1769. La raison peut se comparer à une montre ; on ne voit point marcher l'aiguille, elle marche cependant ; et ce n'est qu'au bout de quelque temps qu'on s'aperçoit du chemin qu'elle a fait, D'Alembert, Dial. Christ. et Descart. … Une raison hardie, De ce vieil univers nouvelle maladie, Calcule ses devoirs, et discute vos droits, Sous la pourpre avilie interroge les rois, Delille, Pitié, IV. La raison contemporaine, la somme de vérités et de principes qui est propre à chaque époque.
  • 6Ce qui est de devoir, de droit, d'équité, de justice. Ah ! qu'avec peu d'effet on entend la raison, Quand le cœur est atteint d'un si charmant poison ! Corneille, Cid, II, 5. Philinte : Mais qui voulez-vous donc qui pour vous sollicite ? - Alceste : Qui je veux ? La raison, mon bon droit, l'équité, Molière, Mis. I, 1. Il ne sera pas hors de raison qu'il donne…, Pascal, Prov. v. C'est de Lopès de Véga que P. Corneille a emprunté le caractère du Menteur, dont il disait avec tant de modestie et si peu de raison, qu'il donnerait deux de ses meilleures pièces pour l'avoir imaginé, Marmontel, Œuv. t. VI, p. 157.

    Ce qui est raisonnable. Il en est comme avec ceux qui nous ouvrent leur bourse, et nous disent : prenez ; nous en usons honnêtement et nous nous contentons de la raison, Molière, G. Dand. II, 1.

    Avoir raison, être fondé dans ce qu'on dit ou fait. Les Juifs, contraints enfin d'avouer que le Messie n'était pas venu dans le temps qu'ils avaient raison de l'attendre selon leurs anciennes prophéties, tombèrent dans un autre abîme, Bossuet, Hist. II, 10. Tite-Live a raison de dire qu'il n'y eut jamais de peuple où la frugalité, où l'épargne, où la pauvreté aient été plus longtemps en honneur [qu'à Rome], Bossuet, ib. III, 6. Ce fut depuis le retour de ses bonnes grâces qu'elle [la duchesse de la Ferté] me dit un jour : Tiens, mon enfant, je ne vois que moi qui aie toujours raison, Staal, Mém. t. I, p. 269. Celui qui vous amusera le plus en quelque genre que ce soit, aura toujours raison avec vous, Voltaire, Lett. à Mme du Deffant, 2 sept. 1770.

    Familièrement, la bête a raison, se dit quand on se rend au sentiment d'une personne qu'on témoigne estimer peu.

    Donner raison à quelqu'un, prononcer en sa faveur. Nous ne sommes pas ici en France, où l'on donne toujours raison aux femmes, Beaumarchais, Barb. de Sév. II, 15.

    Donner toute raison, donner complétement raison. Maurin extravaguait, et Albert lui a donné toute raison, et avec une sécheresse extrême pour Léocadie, Genlis, Mères riv. t. III, p. 123, dans POUGENS.

    Entendre raison, acquiescer à ce qui est juste et raisonnable. Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison, Molière, Festin, II, 5. Elle n'entend ni pleurs, ni conseil, ni raison, Racine, Bérén. IV, 7.

    Il n'entend pas raison là-dessus, se dit d'un homme qui se montre sévère, opiniâtre sur quelque point.

    Entendre raison, écouter raison, se dit quelquefois d'une femme qui se rend aux sollicitations d'un amant. Caliste enfin l'inexpugnable Commença d'écouter raison, La Fontaine, Coupe. Une vertu qui ne voulait pas entendre raison, Hamilton, Gramm. 9.

    Se faire une raison, se soumettre à ce qui ne peut être changé. La duchesse de Berry était incapable de se faire une raison, que ce qui venait d'arriver [la mort de Monseigneur] devait arriver tôt ou tard, Saint-Simon, 296, 42. Hé ! mon frère, ne faut-il pas se faire une raison ? Legrand, Triomphe du temps futur, III, 2.

    Mettre quelqu'un à la raison, l'y soumettre. Quand le malheur ne serait bon Qu'à mettre un sot à la raison, La Fontaine, Fabl. VI, 7. Les années m'ont tellement mise à la raison, Mme de Coulanges, Lett. à Mme de Sévigné, p. 132, dans POUGENS.

    Se mettre à la raison, s'y soumettre. Pour éviter la contrainte, Il s'est mis à la raison, Malherbe, II, 2. Votre fils n'est pas si étrange que vous le dites, et il se met à la raison, Molière, l'Av. IV, 4. Voyez si on peut mieux se mettre à la raison, Sévigné, 187.

    Mettre à la raison, signifie quelquefois triompher de quelqu'un, réduire par la force, par l'autorité. Il mit ces furieux à la raison. Nous savons, Dieu merci, mettre une femme à la raison, Hauteroche, Crisp. méd. I, 2. Si son sage héros [du Tasse], toujours en oraison, N'eût fait que mettre enfin Satan à la raison, Boileau, Art p. III. C'est un chicaneur ; je le mettrai à la raison, Picard, M. Musard, sc. 1.

    C'est raison, ce n'est pas raison, il est raisonnable, il n'est pas raisonnable. C'est la raison de le défendre contre l'injustice et le sort qu'on lui fait, Bussy-Rabutin, Hist. amour. des Gaules, Préf. C'est bien raison que la divine Émilie l'emporte sur ces faquins qui…, Voltaire, Lett. Cideville, 6 mai 1735. C'était raison, car le fripon pour être Moins bon garçon, n'en était pas moins beau, Gresset, Ver-vert, IV.

    C'est bien la raison que, il est bien raisonnable, il est bien juste que. Et c'est bien la raison que pour tant de puissance Nous vous rendions du moins un peu d'obéissance, Corneille, Rodog. II, 3. Que pour se faire honneur d'un cœur comme le mien, Ce n'est pas la raison qu'il ne leur coûte rien [aux belles], Molière, Mis. III, 1.

    Fig. Contre toute raison, d'une façon excessive. Il fait un froid et une pluie contre toute raison, Sévigné, 19 juin 1680.

    Il y a raison partout, pour tout, la raison doit mettre une borne, c'est un excès qu'il faut empêcher. Adieu, ma très aimable enfant, je ne veux pas vous fatiguer, il y a raison partout, Sévigné, 3 avr. 1671.

    Fig. Il n'y a point de raison, la chose est excessive, déraisonnable. Elle [Mme de la Fayette] est trop malade, il n'y a point de raison, Sévigné, 4 janv. 1690. Il n'y a pas de raison à toutes les louanges que vous me donnez, il n'y en a point aussi à la longueur de cette lettre, Sévigné, 1er avr. 1671.

    Comme de raison, comme il est juste. Votre peine sera payée comme de raison.

    Plus que de raison, plus qu'il n'est raisonnable. Son vaisseau a péri, il a bu de l'eau salée un peu plus que de raison ; cela lui a tourné la cervelle, Regnard, Ret. imprévu, 18.

    En style de palais. Pour valoir ce que de raison, pour valoir ce qui sera équitable.

  • 7Compte, explication. Le philosophe ennuyé des équivoques et des méprises du poëte, et ne voulant plus entrer en raison avec lui, Guez de Balzac, Déf. de la poés. [La dame] Fut un longtemps si dure et si cruelle, Que Minutol n'en sut tirer raison, La Fontaine, Rich. S'il arrivait des années malheureuses, je me fais bien fort que ma mère entrerait en raison pour prendre du temps et des commodités qui vous faciliteraient le payement de votre ferme, Ch. Sévigné, à d'Herigoyen, dans SÉV. t. VIII, p. 70, édit. RÉGNIER. Saint Ignace rendait cette raison de son choix que dans le parti qu'il prenait…, Bossuet, 5e écrit, 13. Il crut qu'il en aurait quelque raison en la mettant sur l'amour, Hamilton, Gramm. 4. Tout fut confisqué, sans que jamais j'aie eu raison ni nouvelle de ma pauvre pacotille, Rousseau, Conf. v.

    Faire raison, expliquer. Faites-moi raison de ce que Selim tua son père, ses frères et ses neveux, Guez de Balzac, liv. I, lett. 9. Ronsard, fais m'en raison, et vous, autres esprits…, Régnier, Sat. II. Morbleu, fais-moi raison de ce coup effroyable, Molière, les Fâch. II, 2.

    Familièrement. Faites-moi raison d'un tel, expliquez-moi les motifs pour lesquels il en use comme il fait.

    Demander à quelqu'un raison de quelque chose, lui demander qu'il explique une chose qu'il a dite ou faite. Demander à quelqu'un raison de sa vie entière. D'où vient qu'un fils, vers moi noirci de trahison, Ose de mes faveurs me demander raison ? Corneille, Rodog. IV, 6.

    Rendre raison de quelque chose, en expliquer les motifs. Prêt à rendre raison de tout ce qu'il a fait, Corneille, Sertor. V, 2. Qui blâmera les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison ? Pascal, Pens. X, 1, éd. HAVET.

    Point de raison, point d'explication. [le maréchal d'Hocquincourt qui disait croire à la religion sans s'en rendre raison] Tant mieux, monseigneur, reprit le Père, d'un ton de nez fort dévot, tant mieux ; ce ne sont point mouvements humains, cela vient de Dieu ; point de raison ! Saint-Évremond, Conversation du P. Canaye. Je ne veux point ici rappeler le passé, Ni vous rendre raison du sang que j'ai versé, Saint-Évremond, Athal. II, 5.

    Se rendre raison d'une chose, se l'expliquer.

  • 8Satisfaction, contentement sur quelque chose qu'on demande. Je vous ferai avoir raison de vos prétentions. Faites-moi raison de la part que j'ai dans cette succession.
  • 9Réparation d'un outrage, d'un affront. Sans cela je vous demanderais raison de ce que vous m'accusez de l'extrême envie de sortir de ce lieu, Voiture, Lett. 35. Pour se venger, par l'avanie qu'il nous suscita, du peu de raison qu'on lui avait fait du valet dont il s'était plaint avec justice, Tavernier, Voyage de Perse, I, 7. Et, sur les bords du Tibre, une pique à la main, Lui demander raison [à Sylla] pour le peuple romain, Corneille, Sertor. III, 2. Au fils de Jupiter on dit qu'ils se plaignirent, Et n'en eurent point de raison, La Fontaine, Fabl. IV, 12.

    Tirer raison d'une offense, s'en venger. Demain je suis Médée, et je tire raison De mon bannissement et de votre prison, Corneille, Médée, IV, 6. Les lois du monde défendent de souffrir les injures sans en tirer raison, Pascal, Prov. VII.

    Autrefois on disait aussi (ce qui ne se dit plus) tirer la raison, tirer sa raison. Contre le firmament j'ai planté l'escalade Pour tirer la raison de la mort d'Encélade, Racan, Épig. pour un capitan. Il fut toujours permis de tirer sa raison D'une infidélité par une trahison, Corneille, Mél. II, 3. Mourir sans tirer ma raison, Corneille, Cid, I, 9.

    Faire raison, faire réparation. Il [Flaminius] doit savoir qu'un jour il me fera raison D'avoir réduit mon maître [Annibal] au secours du poison, Corneille, Nicom. II, 3. Il me fera raison de cette indignité, Rotrou, Vencesl. I, 1. Vous ne daignâtes me faire aucune raison sur les plaintes que je vous avais faites des manières injurieuses dont vous m'aviez traité dans votre réponse à mon livre des Idées, Arnauld, 4e lett. au P. Malebr. Je m'engage à vous faire faire raison par lui, Molière, Festin, III, 4. Une bonne potence, pendard effronté, me fera raison de ton audace, Molière, l'Avare, V, 4.

    On disait autrefois aussi (ce qui ne se dit plus) faire la raison. Sus, sus, brisons la porte, enfonçons la maison ; Que des bourreaux soudain m'en fassent la raison, Corneille, Médée, V, 7. Faire raison de quelqu'un, s'en venger. Destin avait eu besoin de toute sa sagesse, pour ne pas faire raison d'un homme qui l'avait outragé si cruellement, Scarron, Rom. com. II, 15.

    Avoir raison de quelqu'un, triompher de lui, en venir à bout.

    Fig. L'adversité n'aura pas raison de lui.

    Faire raison, a quelquefois un sens analogue. Sans doute, à le prendre à la rigueur, une petite fosse suffit à tous, et six pieds de terre, comme le disait Mathieu Molé, feront toujours raison du plus grand homme du monde, Chateaubriand, Itin. 6e part.

    Demander raison à quelqu'un, l'appeler en duel. Cette plaisanterie est fort peu de saison, Et sur l'heure, monsieur, j'en demande raison, Collin D'Harleville, Malice pour malice, III, 5. Ils lui demandaient raison. Je vois bien, dit-il, que c'est ce qui vous manque, Courier, Lettres particulières, I.

    Rendre raison à quelqu'un, se battre en duel avec lui.

    Se faire raison soi-même, à soi-même, se faire justice par force, de sa propre autorité. Il [le peuple] commence lui-même à se faire raison, Et vient de déchirer Métrobate et Zénon, Corneille, Nicom. V, 4.

    Faire raison, rendre justice. L'armée à son mérite enfin a fait raison, Corneille, Othon, V, 6.

    Se faire raison, se rendre justice. Qui ne vous craindra point, si les reines vous craignent ? - Elles se font raison lorsqu'elles me dédaignent, Corneille, D. Sanche, IV, 4.

    Faire raison à quelqu'un d'une santé qu'il a portée, boire avec lui à la santé de la personne qu'il a désignée ; la santé qu'il propose étant considérée comme une provocation. On fit raison, le vin ne dura guère, La Fontaine, Rém. À votre santé. - Sénantes en fit raison, Hamilton, Gramm. 4. Il but la santé de chacune des personnes de la compagnie, et fit ensuite raison à tous les vingt l'un après l'autre, Rollin, Hist. anc Œuv. t. VI, p. 589. En même temps il versait du vin dans mon verre, et m'excitait à lui faire raison, Lesage, Gil Bl. I, 2.

    Fig. Jusqu'au col il se plonge, Lui [âne], le conducteur et l'éponge. Tous trois burent d'autant : l'ânier et le grison Firent à l'éponge raison [burent autant que l'éponge, se noyèrent], La Fontaine, Fabl. II, 10.

  • 10Preuve par discours, par argument. La raison du plus fort est toujours la meilleure, La Fontaine, Fabl. I, 10. Une jeune souris, de peu d'expérience, Crut fléchir un vieux chat, implorant sa clémence, Et payant de raisons le Raminagrobis…, La Fontaine, Fabl. XII, 5. Ce sont des gens qui n'entendent point de raison, Molière, Fourber. II, 11. M. de Roannez disait : les raisons me viennent après ; mais d'abord la chose m'agrée ou me choque sans en savoir la raison, et cependant cela me choque par cette raison que je ne trouve qu'ensuite, Pascal, Pens. XXV, 56, éd. HAVET. Il donne pour raison celle-ci de saint Thomas, Pascal, Prov. XVIII. J'ai trouvé… la lettre que vous écrit M. de Chaulnes, fort jolie ; il vous paye de raison ; vous voyez qu'il a fait ce qu'il a pu, Sévigné, 596. Il m'embrassa mille fois, et me donna les plus méchantes raisons du monde, que je pris pour bonnes, Sévigné, 235. Quand on n'a point de bonnes raisons, il n'en faut dire aucune, Sévigné, à Bussy, 20 juin, 1678. Je hais les raisons quand je veux quelque chose, Th. Corneille, l'Inconnu, II, 5. Vous qui dans les détours de vos raisons subtiles…, Boileau, Épître VII. Seigneur, je le vois bien, votre âme prévenue… Toujours dans mes raisons cherche quelque détour, Racine, Andr. II, 2. Tu n'as plus d'autres armes à employer que de bonnes raisons, Fénelon, Dial. des morts anc. dial. IV. La France et l'Espagne combattirent d'abord par des écrits où l'on étala des calculs de banquier et des raisons d'avocat, Voltaire, Louis XIV, 8. Je m'ennuie moi-même de répondre toujours par des raisons à des accusations sans raison, Rousseau, Lett. de la Montagne, 3. Le sage Fontenelle, qui estimait Boindin à beaucoup d'égards et qui en était respecté, lui ayant demandé pourquoi il se livrait si fort à la contradiction : c'est, dit Boindin, que je vois des raisons contre tout, Duclos, Œuv. t. X, p. 59.

    Familièrement. Point tant de raisons ! manière d'imposer silence, et de montrer à quelqu'un que ses objections déplaisent.

  • 11Cause, sujet, motif. Il semble que sa flamme, en cette amour nouvelle, Ne cherche autre raison que de m'être infidèle, Racan, Berg. I, 2, Lycidas. Ainsi votre raison n'est pas raison pour moi, Corneille, Cid, II, 7. C'est donc avec raison que je commence à craindre, Corneille, Héracl. I, 4. Cette raison au moins en mon mal me conforte, Que, s'il n'est supportable, il faudra qu'il m'emporte, Rotrou, Antig. III, 4. S'il a manqué à la parole qu'il m'avait donnée, il a ses raisons pour cela, Molière, Pourc. III, 9. Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point ; on le sait en mille choses, Pascal, Pens. XXIV, 5, éd. HAVET. Il me semble qu'il ne faut point faire changer de place aux vieilles amours, non plus qu'aux vieilles gens ; la routine fait quelquefois la plus forte raison de leur attachement, Sévigné, 30 juill. 1677. Les raisons de mon repos ont besoin d'être soutenues de celles de mon devoir, La Fayette, Princ. de Clèves, Œuv. compl. t. II, p. 253, dans POUGENS. Sans raison il [l'homme] est gai, sans raison il s'afflige, Boileau, Sat. VIII. Il faisait deux pas, et revenait incontinent pour alléguer à Mentor quelque nouvelle raison de différer, Fénelon, Tél. XXIII. On se fait à soi-même des raisons spécieuses pour ne pas s'en éloigner [des occasions mauvaises], Massillon, Carême, Pâques. J'entrai dans les raisons de Sayavedra, et nous convînmes qu'il ne se montrerait point dans les rues de Bologne, Lesage, Guzm. d'Alf. IV, 7. Je ne justifie pas les usages, mais j'en rends les raisons, Montesquieu, Esp. XVI, IV. Rollin prétend qu'Alexandre ne prit la fameuse ville de Tyr qu'en faveur des Juifs, qui n'aimaient pas les Tyriens ; il est pourtant vraisemblable qu'Alexandre eut encore d'autres raisons, Voltaire, Dict. phil. Alexandre. Ceux qui exigent qu'on leur donne la raison d'un effet général, ne connaissent ni l'étendue de la nature ni les limites de l'esprit humain, Buffon, Hist. min. introd. 1re part. Œuv. t. VI, p. 7. Pour découvrir la raison de ce qui est mal, le moyen le plus simple et le plus sûr, c'est de chercher la raison de ce qui est bien, Condillac, Art. d'écr. I, 4. Parmi les préjugés, tout ridicules qu'ils peuvent être, il n'en est point qui n'ait sa raison, ou, pour parler plus exactement, son origine, D'Alembert, Disc. prélim. Encycl. Œuv. t. I, p. 224, dans POUGENS. Suzanne : Elle me déplaît. - Figaro : On dit une raison. - Suzanne : Si je n'en veux pas dire ? Beaumarchais, Mar. de Figaro, I, 1. Raison de plus, monsieur, je reste en mon pays, Collin D'Harleville, Optimiste, V, 2.

    Terme de philosophie. Raison suffisante, se dit, dans le leibnitzianisme, de la cause sans laquelle nous jugeons qu'un fait ne peut avoir lieu.

    Dans le langage général, ce qui suffit à opérer, à expliquer. La mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infestaient la surface ; la baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes, Voltaire, Candide, 3. Il n'y a rien sans une raison suffisante : par conséquent l'ordre dans lequel nos perceptions nous représentent les êtres, a sa raison dans l'ordre qui est entre les êtres mêmes, Condillac, Traité des syst. ch. 8. Il [Descartes] trouvait dans l'extinction des corps lumineux la raison suffisante de l'existence des corps obscurs, Bailly, Hist. de l'astr. mod. t. II, p. 718.

    À plus forte raison, par un motif d'autant plus fort. Une infinité de larcins que les juges puniraient, et que vous [prêtres] devriez réprimer à bien plus forte raison, Pascal, Prov. VIII. À plus forte raison vous saviez parfaitement tout ce qui regarde l'homme, Fontenelle, Paracelse, Molière.

    Pour raison à moi connue, pour un motif que je ne veux pas faire connaître.

    Pour raison à vous connue, pour un motif qu'il n'est pas nécessaire que je vous explique, que vous connaissez comme moi.

    Familièrement. Conter ses raisons à quelqu'un, l'entretenir de ses affaires, de ses motifs d'agir.

    Populairement. Avoir des raisons avec quelqu'un, contester avec lui.

  • 12Raison d'État, voy. ÉTAT, n° 8.

    On a dit (Biogr. univ. de MICHAUD, art. le P. Joseph) que le mot de raison d'État fut prononcé pour la première fois dans un conseil tenu par Richelieu. Cela est inexact, puisque Régnier l'a employé, comme on voit au mot ÉTAT.

    Raison de famille, considérations d'intérêt qui déterminent la conduite dans une famille. C'est pourtant grand' pitié, qu'on oblige une fille D'épouser un couvent par raison de famille, Hauteroche, Appar. tromp. I, 2.

  • 13 Terme de mathématique. Rapport d'une quantité à une autre quantité. Progression qui marche par raison arithmétique, par raison géométrique. La raison de l'attraction est directe quand on considère les masses, inverse et comme le carré quand on considère les distances. Lorsqu'on augmente dans une raison donnée toutes les températures initiales, on augmente dans la même raison toutes les températures successives, Fourier, Instit. Mém. scienc. 1819 et 1820, t. IV, p. 202.

    Fig. La pensée, qui est la raison commune en laquelle les actes intellectuels conviennent, diffère totalement de l'extension, qui est la raison commune des actes corporels, Descartes, Rép. aux troisièmes object. X.

    Moyenne et extrême raison, proportion dans laquelle un tout est à une de ses deux parties comme celle-ci est à la seconde.

    Premières et dernières raisons, nom d'une théorie célèbre de Newton.

  • 14 Terme de banque et de commerce. Noms des associés rangés et énoncés de la manière déterminée par la société. Cette maison est sous la raison Laffitte et compagnie.

    Raison sociale, nom sous lequel une société est connue à la bourse et dans le commerce. Manufacture des glaces et verreries de Montluçon ; société française en commandite, raison sociale : F. Berlioz et compagnie.

    Part d'un associé dans le fonds d'une société de commerce (vieilli en ce sens ; on dit : son intérêt, sa mise de fonds est de tant). Sa raison est d'un tiers.

    Livre de raison, registre où un négociant porte ses comptes par doit et avoir (vieilli ; on dit grand-livre). Tous banquiers… et marchands en gros… seront obligés de tenir livres de raison en bonne et due forme ; et tous marchands, boutiquiers et vendants en détail, des livres journaux, Règlements des 2 juin et 7 juillet 1667. Le grand-livre ou livre de raison doit contenir tous les comptes généraux et particuliers, auxquels les articles qui sont sur le journal doivent être rapportés, soit en débit, soit en crédit, P. Giraudeau, la Banque rendue facile, p. v.

  • 15 En termes de charpenterie, mettre les pièces de bois en leur raison, les mettre à leurs places respectives.
  • 16 Terme de pratique. Raisons, au pluriel, se dit des titres et prétentions qu'une personne peut avoir. Céder ses droits, noms et raisons.
  • 17S'est dit, dans la marine, pour ration. Raison ou ration est la mesure de biscuit, pitance et boisson qui se distribue à chacun dans le bord, Ms. du XVIIe siècle, dans JAL.
  • 18À telle fin que de raison, locut. adverb. signifiant, en style d'affaires, par précaution, dans la pensée que la chose pourra servir. Il fit faire un état des lieux à telle fin que de raison.

    L'ellipse remplie donne : pour telle fin qu'il sera de raison.

    Dans le langage familier. À tout événement.

  • 19À raison de, loc. prépos. Au taux de, sur le pied de. Sur ce vaisseau la disette de l'eau obligea de ne la distribuer qu'à raison d'un demi-litre par tête. On paya cet ouvrier à raison de l'ouvrage qu'il avait fait. Il fallait que l'homme libre préparât des gens qui fissent ce service, à raison d'un homme pour quatre manoirs, Montesquieu, Esp. XXXI, 25.

    Fig. À raison de, s'emploie comme moyen d'expliquer, de motiver, et est l'équivalent de : à cause de. Il put circuler librement, à raison de son passe-port. Les passions, à raison de l'aveuglement qu'elles causent, sont dangereuses. Cet employé, à raison de ses bons services, vient de recevoir une gratification.

  • 20En raison de, loc. prép. En proportion de. Les corps s'attirent en raison directe de leurs masses, et en raison inverse du carré de leurs distances.

    En raison directe, en augmentant ou diminuant dans le rapport qu'une autre quantité augmente ou diminue. La vitesse d'un corps qui tombe est en raison directe du temps ; l'espace parcouru varie en raison directe du carré du temps.

    En raison inverse, en augmentant ou diminuant dans le rapport qu'une autre quantité diminue ou augmente. Les corps s'attirent en raison inverse du carré des distances. Il y a une estime publique attachée aux différents arts, en raison inverse de leur utilité réelle, Rousseau, Ém. III.

    En raison composée, suivant un rapport dont les termes se multiplient l'un par l'autre.

    Fig. En considérant le luxe des divers peuples les uns à l'égard des autres, il est dans chaque État en raison composée de l'inégalité des fortunes qui est entre les citoyens, et de l'inégalité des richesses des divers États, Montesquieu, Esp. VII, 1. Mon inquiétude est en raison composée des intervalles du temps et du lieu, Rousseau, Hél. I, 13. Le budget… a continuellement augmenté en raison composée, disent les géomètres, de l'avidité des gens de cour et de la patience du peuple, Courier, Lett. X.

    Fig. En raison de, vu, en considération de. L'ambition s'accroît en raison des succès que l'on obtient.

  • 21En style d'affaires, pour raison de quoi, à cause de quoi.

PROVERBES

Où force domine, raison n'a point de lieu.

Selon Dieu et raison, comme cela est légitime.

REMARQUE

D'Alembert a dit : Vous avez toute raison ; mais ces messieurs ne l'entendent pas, Lett. à Volt. 26 oct. 1762. Cette phrase pèche contre la règle d'un nom sans article représenté par le pronom le, la. On peut, il est vrai, ne pas la suivre quand le sens est clair ; mais ici la tournure n'est pas bonne.

HISTORIQUE

XIe s. Si est raisun que il dunge [donne] diz solz, Lois de Guill. 5. Bien [il] sait parler et dreite raison rendre, Ch. de Rol. CCLXXXV.

XIIe s. Se je vous aim, j'i assez ai reson, Couci, II. S'amors ne vaint raison, j'i doi faillir, ib. VIII. Car je n'i voi raison [moyen] de l'eschiver, ib. X. À vous, amans, plus qu'à nule autre gent Est bien raison que ma dolor [je] complaigne, ib. XXII. Raisons dit qu'il me souffise…, ib. p. 119. Guiteclins de Sassoigne a sa raison [discours] fenie, Sax. VII. Dunc ad fait devant sei venir li reis Henris Les evesques ; sis [ainsi les] ad forment à raisun mis, E volt que il li tiengnent ço qu'il li unt promis, Th. le mart. 40. Dame, esgardés i raison ; Par le fil sainte Marie, Je n'aim [n'aime] feme, se vos non, Chrestien de Troyes, dans Ms. de poés. franç. avant 1300, t. III, p. 1264, dans LACURNE.

XIIIe s. Lors revenront toutes gens en char et en os, et leur esconvendra rendre reison de leur uevres, Psautier, f° 196. Mais la raison est si ariere mise, Que ce qu'on doit loer, blasme la gent, Quesnes, Romanc. p. 90. Et la raison pourquoi il l'a laissée là, Berte, CXXII. Il nous samble que vous dites voir, et nous en avés monstré boine raison, Chr. de Rains, p. 3. Et fismes ceste enqueste par les livres des raisons reaulx [comptes royaux], où la valleur devant dicte estoit escrite de long temps, Du Cange, ratiocinium. Il ne pot puis metre reson avant, por quoi il ne soit tenus à repondre, Beaumanoir, IX, 3. Et cil à qui li fruit devoient estre pour reson du testament, Beaumanoir, XII, 12. Ce ne seroit pas resons que li executeur feissent soier [scier] les blés ou vendengier les vignes au coust de l'execussion, Beaumanoir, XIII, 22. Et que vous donrriés au soudanc pour vostre delivrance ? Ce que nous pourrions faire et souffrir par reson, fist le conte, Joinville, 242.

XIVe s. Honneur, prudence et delectations sont de diverses raisons et especes quant à lour bonté, Oresme, Éth. VIII, 12. Mais laissiez-moi aler, s'il vous vient à talent ; Car vous m'avez tenu prisonnier longuement à tort et sans raison…, Guesclin. 13538. C'estoit signe d'aucune grant merveille qui advenir devoit, quant les oiseaux parloient raison humaine, Chr. de St-Denis, t. I, f° 129, dans LACURNE.

XVe s. Monseigneur Jean de Hainaut qui bien est ramentu, et de raison, en ce livre…, Froissart, Prol. Devant le dieu d'amours puissant, Qui me fera de vous raison, Orléans, Ball. 43. Pardonnez au poure chetif, Et par plus fort raison aux bestes, Qui n'ont nul sens acquis es testes, Deschamps, Poésies mss. f° 479. Il y en a eu un qui tant luy a offert de raison [qui tant lui a fait de propositions], qu'elle ne luy a peu refuser, Les 15 joyes du mariage, p. 147, dans LACURNE. Une femme qui est bonne galoise, qui ne refuseroit jamais raison qui la luy offriroit, ib. p. 103. Un prince qui pretendist raison au royaume de Naples, Commines, VIII, 15.

XVIe s. Renger à raison [réduire à la raison], Montaigne, I, 23. C'est un mal duquel j'ay tiré la raison [moyen] de corriger un mal pire, Montaigne, I, 34. Ce n'est pas sans raison qu'on dict que…, Montaigne, I, 35. Demander raison [d'un fait offensant], Montaigne, I, 38. De vray, ou la raison se mocque, ou elle ne doibt viser qu'à…, Montaigne, I, 69. S'addresser aux lois pour avoir raison d'une offense, Montaigne, I, 119. … à plus forte raison…, Montaigne, II, 23. Le chemin par terre estoit bien dangereux, à raison des brigands et voleurs qu'il y avoit par tout, Amyot, Thés. 6. Mais quand et quand en leur disant ces raisons il prit son pavois dessus son bras, et se meit à marcher devant, Amyot, Timol. 16. Et si envoyerent des ambassadeurs vers les Syracusains, pour leur remonstrer qu'ils eussent à leur faire la raison, Amyot, Dion, 51. Ils condamnerent ses adversaires à lui demander pardon, et à lui faire raison de son bien, D'Aubigné, Vie, XXII. Si on eust poursuivy la conqueste de Milan, l'on en eust eu sans doute la raison, Carloix, I, 42. Afin donques que nostre pere de famille tire la raison [rapport] de ses bleds, il s'estudiera à recercher le vrai poinct de leur vente, De Serres, 137. Entre bride et esperon, de toute chose gist la raison, Génin, Récréat. t. II, p. 238. Affection aveugle raison, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 234. Raison fait maison, Leroux de Lincy, ib. p. 411. Quand celuy auquel on avoit beu ne vouloit faire raison à l'autre, tel est le terme dont usent les bons biberons, Pasquier, Recherches, liv. VIII, p. 752, dans LACURNE. Mets raison en toy, ou elle s'y mettra, Cotgrave Necessité est la moitié de raison, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. roison ; provenç. razo, raxio ; catal. rahó ; espagn. razon ; ital. ragione ; du lat. rationem, de ratus, compté, déterminé ; comparez le sanscrit rita, vrai.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

RAISON.
12Raison d'État. Ajoutez :

Au sens général de raison politique. Pour Sersale, il n'y a pas d'apparence qu'il soit jamais pape ; en outre de l'éloignement d'une grande partie du sacré collége pour sa personne, il a quantité de neveux, qui sont tous pauvres ; c'est une raison d'État à laquelle on fait la plus grande attention, Lettre de d'Aubeterre au duc de Choiseul, du 17 mai 1769, dans THEINER, Histoire du pontificat de Clément IV, t. I, p. 286.