« rappeler », définition dans le dictionnaire Littré

rappeler

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

rappeler

(ra-pe-lé. La syllabe pel prend ll quand la syllabe qui suit est muette : je rappelle) v. a.
  • 1Appeler de nouveau. Je l'ai appelé et rappelé sans qu'il m'ait répondu.

    Il a quelquefois le sens d'appeler fréquemment. Au printemps, le mâle a un chant ou cri d'amour qu'il répète souvent ; c'est ainsi qu'il rappelle sa femelle, Buffon, Ois. t. X, p. 200.

  • 2Faire revenir en appelant. Faites venir le roi, rappelez votre Attale, Corneille, Nicom. V, 7. La force l'abandonne ; et sa bouche, trois fois Voulant le rappeler, ne trouve plus de voix, Boileau, Lutr. II. Il veut les rappeler [ses chevaux emportés], et sa voix les effraie, Racine, Phèdre, V 6. Il sortit, le désespoir dans l'âme, et ne fut point rappelé, Marmontel, Cont. mor. Scrup. Plusieurs ne purent soutenir cette épreuve [la discussion de l'état de leur âme, par Socrate] ; et, rougissant de leur état, sans avoir la force d'en sortir, ils abandonnèrent Socrate, qui ne s'empressa pas de les rappeler, Barthélemy, Anach. ch. 67.
  • 3Faire revenir de quelque lieu. Il [Dieu] voulut rappeler la princesse palatine des extrémités de la terre, Bossuet, Anne de Gonz. Il faut que ce qui est capable de s'unir à Dieu y soit aussi rappelé, Bossuet, Duch. d'Orl. Du tombeau, quand tu veux, tu sais nous rappeler, Racine, Athal. III, 7.

    Rappeler vers soi, faire revenir vers soi. Elle veut, il est vrai, vous rappeler vers elle, Corneille, Perthar. IV, 1. Ce n'est pas par des menaces qu'il [Dieu] veut vous rappeler à lui, Massillon, Carême, Mot. de conv.

    En style religieux, Dieu l'a rappelé à lui ou à soi, il est mort.

    Particulièrement. Faire revenir quelqu'un d'un lieu où il exerçait une fonction. Rappeler un ambassadeur. On l'a rappelé de son ambassade. Il fut rappelé de ses emplois pour entrer dans la charge de secrétaire d'État, Fléchier, le Tellier.

    Il se dit aussi quand on fait revenir pour quelque mécontentement. Les malversations de ce commissaire sont cause qu'on l'a rappelé. Les ministres de Léopold, écrivait-il, ont l'esprit fait comme les cornes des chèvres de mon pays, petit, dur et tortu ; cette lettre devint publique, l'évêque de Lérida fut rappelé, Voltaire, Louis XIV, 17.

    Faire revenir ceux qui ont été disgraciés, exilés, chassés. Si ses sujets le chassèrent [Childéric], un fidèle ami qui lui resta le fit rappeler, Bossuet, Hist. I, 11. Les Athéniens firent un décret qui rappelait tous les bannis, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. III, p. 208, dans POUGENS. En 1660, la tyrannie fut accablée, le repos rendu à l'Angleterre, Charles rappelé au trône, Diderot, Opin. des anc. phil. (hobbisme).

    Fig. Il [saint Grégoire de Nazianze] n'a jamais employé dans les siennes [poésies] aucune des divinités profanes ; et ce n'est que plusieurs siècles après qu'elles ont été rappelées dans les poëmes, Rollin, Hist. anc. liv. XXV, ch. I, I, 1.

  • 4Être cause qu'on revient, avec un nom de chose pour sujet. Que si quelquefois, las de forcer des murailles, Le soin de tes sujets te rappelle à Versailles, Boileau, Ép. VIII. Madame, enfin le ciel près de vous me rappelle, Racine, Mithr. II, 4. La vertu vous rappelle dans votre patrie pour revoir Ulysse et Pénélope, Fénelon, Tél. VII. Il ne songea qu'à retourner servir avec M. de Vauban, vers qui un charme particulier le rappelait, Fontenelle, Renau.

    Ce vin rappelle son buveur, se dit d'un vin excellent et qui excite à boire. J'aimerais beaucoup mieux une bouteille de vin de Champagne ; cela rappelle mieux son buveur, Gherardi, Théât. ital. t. III, Fausse coquette, I, 9.

  • 5Redemander. Le peuple vous rappelle au rang de vos aïeux, Voltaire, Mérope, II, 4.
  • 6Rappeler quelqu'un à la vie, le faire revenir à la vie, l'empêcher de mourir. On vous nomme, et ce nom la rappelle à la vie, Racine, Bérén. IV, 7. Ismène tout en pleurs La rappelle à la vie, ou plutôt aux douleurs, Racine, Phèdre, V, 6.

    Rappeler à, faire rentrer sous une certaine règle. Au milieu de ces châtiments, Dieu faisait des prodiges inouïs, même en faveur des Israélites qu'il voulait rappeler à la pénitence, Bossuet, Hist. I, 6. Accoutumés… à tout rappeler au jugement d'une vaine raison, Massillon, Avent, Épiph. M. Vallisnieri… a rappelé cette observation de M. Littre et celles de M. Duverney à un examen sévère qu'elles n'étaient pas en état de subir, Buffon, Hist. anim. ch. 5. S'il est quelque rebelle, Que votre seul aspect au devoir le rappelle, Delavigne, Vêpr. sicil. III, 5.

    Dans les assemblées politiques, rappeler quelqu'un à l'ordre, le réprimander pour s'être écarté du bon ordre, des bienséances.

    Rappeler à la question, inviter un orateur à rentrer dans la question, à ne pas s'en écarter.

    Rappeler au règlement, réclamer contre une violation de règlement, et rappeler ce qu'il prescrit.

    Rappeler à, signifie aussi faire converger vers. Il rappelle à soi toute l'autorité de la table, La Bruyère, V. M. l'abbé Batteux rappelle tous les principes des beaux-arts à l'imitation de la belle nature, Diderot, Rech. philos. sur le beau, Œuv. t. II, p. 429, dans POUGENS.

  • 7 Fig. Faire revenir, en parlant de choses morales qu'on suppose obéir à un rappel. Rappelez, rappelez cette vertu sublime, Corneille, Cinna, IV, 6. L'esprit religieux ne se retire point si absolument d'une âme, qu'on ne puisse le rappeler, Bourdaloue, Pensées, t. II, p. 390. Mais enfin rappelant son audace première, Boileau, Lutr. II. Enfin, j'ai ce matin rappelé ma constance, Racine, Bérén. II, 2. Dieu de Sion, rappelle, Rappelle en sa faveur tes antiques bontés, Racine, Athal. III, 7. Je viens de rappeler ma raison tout entière, Racine, Bérén. V, 7. Vous-même, rappelant votre force première, Vous vouliez vous montrer et revoir la lumière, Racine, Phèdre, I, 3. Pour jouir de soi-même, pour rappeler dans l'âme… ces sentiments intimes mille fois plus précieux que les idées de la grandeur, Buffon, Quadrup. t. II, p. 15.

    Rappeler ses sens, ses esprits, son courage, reprendre ses sens, etc. Rappelle tous tes sens, rentre bien dans ton âme, Molière, Amph. II, 1. Rappelez tout votre courage, Fénelon, Tél. VII.

    On a dit dans un sens analogue : rappeler son âme. Certes je ne puis faire, en ce ravissement, Que rappeler mon âme, Malherbe, I, 1.

  • 8 Fig. Faire revenir dans la mémoire. Quand je rappelle en ma mémoire les occupations de ma plus tendre jeunesse, Patru, Oraison pour Archias. Quelle puissance fallait-il pour rappeler dans la mémoire des hommes le vrai Dieu si profondément oublié, et retirer le genre humain d'un si prodigieux assoupissement ? Bossuet, Hist. II, 12. Elle rappelait, dans l'amertume de son âme, les années qu'elle avait passées dans les honneurs et dans la gloire, Fléchier, Aiguillon. Ne me rappelez point une trop chère idée, Racine, Bérén. V, 5. Je connais mes fureurs, je les rappelle toutes, Racine, Phèdre, III, 3. Je ne veux point ici rappeler le passé, Ni vous rendre raison du sang que j'ai versé, Racine, Ath. II, 5. Un cœur vertueux s'afflige en rappelant le souvenir de ses passions déréglées, Fénelon, Exist. de Dieu, 48. Tel qu'un homme qui s'éveille le matin, et qui rappelle peu à peu de loin le songe fugitif qui a disparu à son réveil, Fénelon, Tél. VIII. Il rappelle en lui-même avec confusion les sages conseils de Mentor, Fénelon, ib. XVI. On rappelle avec complaisance les joies des premières années, on fait revivre par l'erreur de l'imagination tout ce que l'âge et les temps nous ont ôté, Massillon, Avent, Délai. Le bruit du tocsin, rappelant une idée de secours, frappait l'âme de pitié et de terreur, Chateaubriand, Génie, IV, I, 1.

    Avec l'infinitif. Rappelez-lui d'aller à la campagne.

    Rappeler la mémoire, le souvenir de quelque chose, en faire souvenir. Rappeler le souvenir des noms, Sévigné, 29 janv. 1685. Aussi rappelait-elle souvent ce précieux souvenir [de la présence perpétuelle de Dieu] par l'oraison et par la lecture du livre de l'Imitation de Jésus, Bossuet, Reine d'Anglet. Du sang dont vous sortez rappelez la mémoire, Racine, Brit. II, 3. Tu parlais à leurs yeux par la voix des miracles ; Et, lorsqu'ils t'oubliaient, tes anges descendus Rappelaient ta mémoire à leurs cœurs éperdus, Lamartine, Médit. I, 28.

    Rappeler sa mémoire, faire des efforts pour se ressouvenir.

    Rappelez-moi à son souvenir, formule de politesse dont on se sert soit en parlant, soit en chargeant quelqu'un de transmettre ce témoignage.

    Se rappeler quelque chose dans la mémoire, ou, simplement, se rappeler quelque chose, s'en ressouvenir. Je me rappelle qu'il m'a conté cette histoire, Dict. de l'Acad. Je vous ai vu, je vous reconnais, mais je ne puis me rappeler si c'est en Égypte ou à Tyr, Fénelon, Tél. VIII. Ah ! madame, quand vous voudrez avoir du plaisir, faites-vous relire Racine par quelqu'un qui soit digne de le lire ; mais, pour le bien goûter, rappelez-vous vos belles années, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 1er juill. 1764.

    Il se dit avec de et l'infinitif. Je me rappelle d'avoir vu, d'avoir dit telle chose, Dict. de l'Acad. Il s'est rappelé de vous avoir vu plusieurs fois, Rousseau, Hél. I, 22. Je crois tout ce morceau absolument neuf ; du moins ne me rappelé-je pas d'en avoir vu nulle part un semblable, La Harpe, Cours de littér.

    On le dit aussi sans de. Je me rappelle avoir vu, je me rappelle être venu.

  • 9Revenir sur. Pourquoi le mondain revenu du monde, en reprenant la voie du salut, quoique dans une vieillesse déjà avancée, ne pourrait-il rappeler tout le chemin qu'il n'a pas fait ? Bourdaloue, Pens. t. I, p. 144.

    Terme de droit. Le testateur a rappelé un de ses parents à sa succession, c'est-à-dire par son testament il a ordonné que ce parent aurait part à la succession, bien qu'exclu par la loi ou la coutume.

  • 10 Terme de peinture. Rappeler la lumière, voy. RAPPEL, n° 6.
  • 11 Fig. Avoir une certaine ressemblance avec. Morosini… leur prenait [aux Turcs] le Péloponnèse ; et cette conquête lui mérita le surnom de Péloponnésiaque, honneur qui rappelait le temps de la république romaine, Voltaire, Russie, I, 8. Il me rappelle Égisthe ; Égisthe est de son âge, Voltaire, Mérope, II, 2. Les fourmiliers, par leur espèce de bec ou de trompe sans dents et par leur longue langue, nous rappellent les oiseaux, Buffon, Quadrup. t. VI, p. 269. Jean Jacques, qui nous rappelle Sénèque en cent endroits, et qui ne doit pas une ligne à Cicéron, Diderot, Claude et Nér. II, 17. Cet œil si bleu dont la nuance M'a rappelé la fleur qui dans nos blés balance La forme d'une étoile et la couleur du ciel ! P. Lebrun, Voy. de Grèce, X, 4.
  • 12 V. n. Terme d'art militaire. Battre le rappel. Le feu fut très violent de toute part et dura jusqu'à quatre heures après midi, que les ennemis firent rappeler, Saint-Simon, 368, 112.
  • 13Se rappeler à, v. réfl. Faire souvenir de soi. Les injures mêmes dites à une nation ne sont quelquefois qu'un moyen plus piquant de se rappeler à son souvenir, D'Alembert, Lett. à J. J. Rouss. Œuv. t. V, p. 318, dans POUGENS.
  • 14Être ramené, réduit à. Toutes les lois de la syntaxe, tous les rapports des mots peuvent se rappeler à deux : le rapport d'identité et le rapport de détermination, Duclos, Œuv. t. IX, p. 207.

REMARQUE

1. Des grammairiens condamnent se rappeler de avec un infinitif ; mais il est donné par l'usage, par les auteurs et par l'Académie.

2. On ne dit pas : je me rappelle d'une chose ; je m'en rappelle ; mais je me rappelle une chose, je me rappelle cela. La construction est : je rappelle à moi une chose, cela.

3. On dit appeler et non rappeler pour signifier : recourir à un tribunal supérieur, afin de réformer un jugement.

HISTORIQUE

XIe s. Qui ques rapelt [qui que ce soit qui les rappelle], ja nen retorneront, ch. de Rol. CXL.

XIIe s. Remembrance d'amor qui me rapele, Couci, VIII. Mais fai me tost cha ens [ici dedans] tuz mes clers rapeler, Th. le mart. 140. Rapele à ta memore ton anemi, et ne toi semblerat pas dure chose ce ke tu soffres, Job, p. 490. Quant Deus par cele demandise le rapeloit à penitence, ib. 462.

XIIIe s. Jou [je] en retieng le pooir de muer, de cangier et de rapieler tous ou lesquels dons que jou volrai [voudrai], Tailliar, Recueil, p. 9. De trop convoitier pecune nos rapelent [nous défendent, interdisent] plusors causes, Latini, Trésor, p. 444. Or est à savoir se li premiers testamens tenra en cest cas, ou s'il sera rapelés par le deerain testament, Beaumanoir, XII, 41. Par toutes ces causes se pot il deffendre, et requerre au bailli qu'il rapiaut son commandement, Beaumanoir, V, 19.

XIVe s. Lesdiz abbé et couvent rappellarent ledit Jehan, qui estoit baniz du dit bourc, Bibl. des chartes, 4e série, t. II, p. 59.

XVe s. En proposant en outre lui rien savoir contre le bien et honneur de monseigneur d'Orleans defunt, et qu'il rappelle [dément] toutes choses qu'il a dites, Monstrelet, I, 8.

XVIe s. Le temps perdu ne se peut r'appeler, Ronsard, 597. Luy mesmes [un fugitif] les r'appella [ceux qui le cherchaient] et leur trahit sa cachette, Montaigne, I, 138.

ÉTYMOLOGIE

Re…, et appeler.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

RAPPELER. Ajoutez :
15 Terme de législation. Rappeler une loi, en prononcer l'abrogation expresse (c'est l'anglais to repeal).