« reculer », définition dans le dictionnaire Littré

reculer

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reculer [1]

(re-ku-lé) v. a.
  • 1Porter en arrière. Reculez la table. Reculez cette chaise de la cheminée.
  • 2Reporter plus loin. Il faut reculer cette muraille.

    Reculer les bornes, les frontières d'un État, l'agrandir. Trajan, qui avait rétabli la gloire du nom romain chez les étrangers, et reculé les frontières de l'empire par des victoires signalées, Condillac, Étud. hist. III, 3. Et toujours créateur même alors qu'il imite, De son art étonné recule la limite, Millevoye, Invent. poét.

  • 3Écarter, éloigner. Mais il est des objets que l'art judicieux Doit offrir à l'oreille et reculer des yeux, Boileau, Art p. III. La lumière du jour …ne renaît que pour éclairer sa nudité, son impuissance [du voyageur perdu dans le désert], et pour lui présenter l'horreur de sa situation en reculant à ses yeux les barrières du vide, Buffon, Quadrup. t. V, p. 15.
  • 4Éloigner quelqu'un du but, une affaire de son issue. La disgrâce de son protecteur l'a bien reculé. Cette indiscrétion de ma part servirait plutôt à reculer vos affaires qu'à les avancer, Voltaire, Lett. d'Argence, 3 sept. 1770.
  • 5Ajourner, retarder. Tous mes soins, tous mes vœux hâtent cette vengeance, Ta perte la recule, et ton salut l'avance, Corneille, Pomp. IV, 4. N'eût-il [Horace] que d'un moment reculé sa défaite, Rome eût été du moins un peu plus tard sujette, Corneille, Hor. III, 6. C'est un accident qui a fait reculer son mariage, Molière, Méd. m. lui, II, 6. Je crois que la pension des menins n'a point été retranchée ni reculée, Sévigné, 23 avr. 1690. [Philopoemen] à voir agir les Romains dans la Macédoine, jugea bien que la liberté de la Grèce allait expirer, et qu'il ne qui restait plus qu'à reculer le moment de sa chute, Bossuet, Hist. III, 6. Sans reculer plus loin l'effet de ma parole, Je vous rends dans trois mois au pied du Capitole, Racine, Mithr. III, 1. Lorsque étendu sur le lit de votre douleur, la mort sera à la porte, vous la croirez encore loin ; vous reculerez encore l'affaire de votre salut et la proposition qu'on vous fera, d'appeler un ministre de Jésus-Christ, Massillon, Carême, Impén. fin.
  • 6Porter au loin dans le temps. Ces peuples [les Japonais] ont eu aussi la manie de reculer leur origine, Diderot, Opin. des anc. philos. [Japonais].
  • 7 V. n. Aller en arrière, exécuter la progression en sens inverse de la direction ordinaire et naturelle. La voiture recula. Ce cheval a de la peine à reculer. Reculez un peu pour la troisième [révérence], Molière, Bourg. gent. III, 19.

    Fig. Les femmes qui se sentent finir d'avance par la perte de leurs agréments, voudraient reculer vers la jeunesse, Montesquieu, Lett. pers. 52.

    Terme de marine. On dit que les vents reculent, lorsque, au lieu de tourner de gauche à droite, comme lorsqu'ils vont du sud au nord en passant par l'ouest, ils reviennent du nord au sud en passant de même par l'ouest.

    S. m. Terme de manége. Le reculer, action par laquelle le cheval se déplace dans un ordre inverse à celui des mouvements progressifs.

  • 8Il se dit des armes à feu que l'explosion fait aller en arrière. Un canon recule par l'effet de la réaction égale à l'action.
  • 9Se retirer en arrière. Pourrait-on reculer en combattant sous vous ? Corneille, Médée, IV, 3. Ah ! coquin ! ah ! canaille ! vous en voulez par là !… soutenez, marauds ; soutenez… comment, vous reculez ! Molière, Fourber. II, 9. Si je me défends, ce n'est qu'en reculant, Molière, F. sav. IV, 3. Hé quoi ! loin d'approcher, vous reculez tous deux ! Racine, Théb. IV, 3. Et toi, soleil… Toi qui n'osas du père éclairer le festin, Recule, ils t'ont appris ce funeste chemin, Racine, Iphig. V, 4. Le flot qui l'apporta recule épouvanté, Racine, Phèdre, V, 6.

    Il ne recule jamais, on ne l'a jamais vu reculer, se dit d'un homme très brave. C'est Merci avec ses braves Bavarois, enflés de tant de succès et de la prise de Fribourg ; Merci qu'on ne vit jamais reculer dans les combats, Bossuet, Louis de Bourbon.

    Cela se dit aussi de celui qui soutient son opinion avec fermeté.

    On dit dans le même sens : Il aimerait mieux se faire hacher en pièces, que de reculer.

  • 10 Fig. Renoncer, céder, en parlant des personnes. J'accepte la proposition, et ne suis point personne à reculer lorsqu'on m'attaque d'amitié, Molière, Fourber. III, 1. Vous reculez, lui dis-je en l'interrompant, vous reculez, mon père : vous abandonnez le principe général, Pascal, Prov. IV. Poursuis, Néron ; avec de tels ministres Par des faits glorieux tu te vas signaler ; Poursuis ; tu n'as pas fait ce pas pour reculer, Racine, Brit. V, 6. Il était dangereux pour vous de reculer, Racine, Bajaz. V, 4. C'est un mauvais orgueil de croire qu'on ne peut avoir tort ; c'est une faiblesse de n'oser reculer, quand on sent qu'on nous a fait faire une mauvaise démarche, Massillon, Pet. carême, Écueils piét. grands. Je crois qu'il ne peut plus reculer sur ce point, Destouches, Irrésolu, I, 2. Quand il devrait un peu m'en coûter [pour le Corneille avec les commentaires], je ne reculerai pas, Voltaire, Lett. d'Argental, 28 juill. 1761. Savoir reculer à propos pour gagner ensuite plus de terrain, D'Alembert, Éloges L. Verjus.

    Reculer pour mieux sauter, temporiser pour mieux prendre ses avantages. Si je recule, c'est pour mieux sauter, Cyrano de Bergerac, Pédant joué, IV, 2. On recule souvent, dit-on, pour mieux sauter, Th. Corneille, D. Cés. d'Avalos, II, 1.

    Il a reculé pour mieux sauter, il a sacrifié un petit avantage présent pour en obtenir plus tard un beaucoup plus grand.

    Cela se dit aussi quand, après un mauvais succès, on en obtient un signalé ; et, en sens inverse, quand on évite un petit inconvénient pour tomber dans un plus grand.

  • 11Il se dit des choses qui ne réussissent pas. Ses affaires reculent au lieu d'avancer.
  • 12Être ajourné. Le baptême de M. le duc de Chartres recule ; et je ne puis partir qu'il ne soit fait, Maintenon, Lett. à l'abbé Gobelin, 3 sept. 1675.
  • 13Perdre l'avance qu'on avait. La civilisation recula dans ce pays sous la domination des conquérants étrangers. Qui n'avance pas dans les voies de Dieu recule, Massillon, Profess. relig. 2. Les Espagnols avancent quand nous reculons ; ils ont fait plus de progrès en deux ans que nous n'en avons fait en vingt, Voltaire, Lett. d'Argental, 6 mai 1768.
  • 14Aller plus loin, s'écarter. L'homme a fait reculer peu à peu les bêtes féroces, il a purgé la terre de ces animaux gigantesques…, Buffon, Anim. domestiques.
  • 15Différer, éviter de faire. On le presse d'agir, il recule toujours. Il recula devant une proposition si hardie.

    Reculer à, ne pas se soumettre à, craindre de. Hé bien ! oui, puis qu'il veut te choisir pour juge, je n'y recule point, Molière, l'Av. IV, 4. Comme je l'avais sur moi, et qu'apparemment je reculais à l'ôter, n'y a-t-il plus rien à mettre, disais-je, est-ce là tout ? Marivaux, Marianne, 3e part.

    Il ne recule à rien, il n'est aucun travail qu'il n'accepte. Je ne recule à rien, tout tombe sur mon dos, Hauteroche, Deuil, SC. 9.

    La Fontaine a dit dans ce sens : reculer de. Avant le coup demandez la cédule : De la donner je ne crois qu'il recule, La Fontaine, Sav.

    Il n'y a plus moyen de reculer, il n'y a plus à reculer, on ne peut plus échapper, différer. Mes révérends pères, il n'y a plus moyen de reculer : il faut passer pour des calomniateurs convaincus, et recourir à votre maxime, que cette sorte de calomnie n'est pas un crime, Pascal, Provinc. X. Comment lui déclarer votre mariage ? cependant il n'y a plus à reculer, D'Allainval, Éc. des bourg. I, 2.

    Reculer trop loin à, trop différer. Ayant rejeté les yeux sur votre lettre, j'ai vu qu'elle était datée du 7 courant, et que ce serait reculer trop loin à vous faire connaître que je l'ai reçue, Corneille, Lett. au P. Boulard, 30 mars 1652.

  • 16Se reculer, v. réfl. Aller en arrière, s'écarter. Et pour la décevoir, il use d'une feinte, Se recule en passant, et se laisse frapper, Mairet, M. d'Asdrub. V, 1. Les premiers jours, il fallait voir comme elle se reculait d'auprès de moi, et puis elle reculait plus doucement, et puis petit à petit elle ne reculait plus, Marivaux, Double inconst. I, 6.
  • 17Être différé. C'est toujours dans cette vue de vous plaire que je me conserve et que j'ai soin de moi, étant très persuadée que l'heure de ma mort ne se peut ni avancer, ni reculer, Sévigné, 318. Le retour du roi se recule toujours, Sévigné, 1er juillet 1676.

HISTORIQUE

XIIe s. Cuidiez vos ore qu'alasse reculant ? Je nel feroie por l'onor d'Abilant, Li coronemens Looys, V. 2438. Plus d'une archiée ont païen reculé, Bat. d'Aleschans, V. 5856.

XIIIe s. L'en doit bien reculer pour le plus loin saillir, Berte, XII. Et fist le flun escluser et reculer contre-mont, Chr. de Rains, 102. Chascuns Turs de bien faire moult forment se pena, Dusqu'au chief d'une rue nos François recula, Ch. d'Ant. VI, 919. Si brisa leur navie [contre une île], et perit grand multitude de l'ost, si que il n'en eschappa que environ XXX mille hommes, qui se reculerent [réfugièrent] sur ceste isle, Marc Pol, p. 545.

XIVe s. Et les etrusques legions n'ont mie reculé, Bercheure, f° 44, recto.

XVe s. Ils ressoignent et reculent, car ils ne sont pas gens pour combattre à nous, Froissart, I, I, 121. Ils se reculerent droit vers les seigneurs, Commines, I, 11. Il [Louis XI] reculla de luy toutes gens que il avoit acoustumé, Commines, VI, 7.

XVIe s. Ilz reculoient tousjours à mettre la main à l'œuvre, Amyot, Cam. 52. Les ennemis s'espouvanterent si fort qu'ilz reculerent arriere… il en fit fouir les uns jusques aux plus reculez quartiers de la ville, les autres de frayeur se rendirent, Amyot, Cor. 10. Ilz se retirerent en reculant pas à pas en arriere, Amyot, Pélop. 59. Il n'y avoit sorte de combat à laquelle il reculast, Amyot, Marcel. 2. Toutes choses estoient si prestes, qu'il ne pouvoit reculer à ce voyage, Amyot, Cimon, 34. À mesure que la mémoire leur fournit la chose entiere et presente, ils reculent si arriere que leur narration…, Montaigne, I, 34. Le reculer leur estant interdict par la foule, Montaigne, II, 38. Ny nostre hardiesse, ny nostre couardise ne la peuvent advancer ou reculer [la mort], Montaigne, III, 131. De cheval qui recule au plus tost te delivre, Cotgrave Pour neant recule qui malheur attend, Cotgrave Qui contre esguillon recule deux fois se poind, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Re…, et culer ; wallon, reskoulé ; bourguig. requeulai ; provenç. et espagn. recular ; ital. rinculare.