« ressentir », définition dans le dictionnaire Littré

ressentir

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ressentir

(re-san-tir) v. a.

Il se conjugue comme sentir.

  • 1Sentir, éprouver. Il a ressenti des douleurs dans les articulations. Ressentir du bien-être, du malaise. Quelqu'un dira peut-être qu'elle n'a pas ressenti de ces douleurs aiguës qui font qu'on regarde la mort comme une consolation, Fléchier, Duch. de Mont. Quel peuple ennemi de la France n'a pas ressenti les effets de sa valeur ? Fléchier, Turenne. Le peuple lève sans cesse les mains vers lui [Dieu], et vous doutez même s'il existe, vous qui seuls ressentez les effets de sa libéralité et de sa puissance, Massillon, Pet. carême, Vices et vert. des Gr.

    Fig. Avec un nom de chose pour sujet. Tout ressent de ses yeux les charmes innocents, Racine, Esth. III, 9.

    Il s'emploie d'une manière analogue au sens moral. L'ayant cherché longtemps afin de divertir L'ennui que de sa perte il pouvait ressentir, Corneille, Rod. V, 4. Mes sens par son excès [de ma douleur] sont demeurés perclus ; Pour la trop ressentir je ne la ressens plus, Rotrou, Antig. III, 2. Revenue d'une si longue et si étrange défaillance, elle se vit replongée dans un plus grand mal [le regret de ses péchés], et, après les affres de la mort, elle ressentit toutes les horreurs de l'enfer, Bossuet, Anne de Gonz. Je ressens tous les maux que je puis ressentir, Racine, Bér. V, 6.

  • 2Il se dit de l'âme saisie par un sentiment. Ressentir de l'amitié pour quelqu'un. C'est déjà ressentir l'amour Que de commencer à le craindre, Quinault, Proserp. I, 3. Tout ce que la reconnaissance, l'amitié, l'amour peuvent inspirer de plus tendre, de plus passionné, je le ressens, je l'éprouve pour vous, Genlis, Théât. d'éduc. l'Amant anonyme, V, 2.
  • 3Témoigner ressentiment, sympathie. Si votre affliction est une affliction publique, et si elle touche généralement tout ce qu'il y a d'honnêtes gens en France, je pense que vous ne doutez pas que je ne la ressente extrêmement, moi que vos bontés…, Voiture, Lett. 156. Le roi-prophète, qui ressentait le bien d'autrui comme le sien propre, Fléchier, Sermons, Envie. Il ressent mes douleurs beaucoup plus que moi-même, Racine, Iphig. II, 5. Je reconnais l'erreur qui nous avait séduits, Et ressens votre joie autant que je le puis, Racine, Iphig. III, 1.

    Témoigner ressentiment, désir de vengeance. Plus on doit ressentir les coups de cette offense, Molière, D. Garc. I, 1. Plus l'offenseur m'est cher, plus je ressens l'injure, Racine, Théb. I, 5. Jupiter près de vous m'envoie en diligence Vous annoncer le pardon d'une offense Qu'il ressentit avec trop de chaleur, Dancourt, Métemps. III, 11. Le roi [Charles VI] voulait empêcher ses chevaliers de relever le gant, et de ressentir ces insultes particulières, Chateaubriand, Génie, IV, V, 4.

    Témoigner ressentiment, reconnaissance. Je ne suis pas moins généreux à ressentir cette faveur, que vous l'avez été à me la faire, Voiture, Lett. 45. Ressentez donc aussi cette félicité, Racine, Esth. III, 1.

  • 4Reconnaître, apercevoir. On ressentait dans ses paroles [de Condé] un regret sincère d'avoir été poussé si loin [à la révolte] par ses malheurs, Bossuet, Louis de Bourbon.
  • 5Porter le caractère de. Tout ce qu'ils [les auteurs des Sacramentaires] composaient était fait sur le modèle de ce qu'avaient fait leurs prédécesseurs ; le style même ressent l'antiquité, et les choses la ressentent encore plus, Bossuet, Explic. de la messe, 19. Quoique tout ce qu'il [Jacob] dit des frères de Juda soit exprimé avec une magnificence extraordinaire, et ressente un homme transporté hors de lui-même par l'esprit de Dieu…, Bossuet, Hist. II, 2. Il en usa de la sorte par une prudence qui ne fut ni humaine ni lâche, et qui ne ressentit point le courtisan, mais le prophète, Bourdaloue, 8e dim. après la Pentec. Dominic. t. III, p. 128. Avec quelle sévérité sainte Thérèse défendit-elle qu'il y eût rien dans les bâtiments de son ordre qui ressentît la vanité ! Fléchier, Panég. Ste Thérèse. Vous voyez en quels lieux vous l'avez amenée [votre fille] ; Tout y ressent la guerre et non pas l'hyménée, Racine, Iphig. III, 1. Cette opinion [l'émission de la lumière] est démontrée de plus d'une façon, et, loin de ressentir la vieille philosophie, elle y est directement contraire, Voltaire, Phil. Newt. II, 2.
  • 6Se ressentir, v. réfl. Sentir un reste d'un mal qu'on a eu. Il a eu la fièvre chaude, il s'en ressent encore. Il s'est ressenti de sa goutte ces jours derniers.
  • 7Porter le caractère de. Ce n'est point une nécessité qu'il y ait du sang et des morts dans une tragédie ; il suffit que l'action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s'y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie, Racine, Bérén. Préf. La statue du dieu, haute d'environ trente coudées, est d'un travail grossier, et se ressent du goût des Égyptiens, Barthélemy, Anach. ch. 41.
  • 8Éprouver une influence fâcheuse. Son ouvrage se ressent de la précipitation avec laquelle il l'a composé. Sa maison a été brûlée, et les maisons voisines s'en sont ressenties. Tu te ressentiras des maux qu'on nous prépare, Mairet, Mort d'Asdrub. IV, 4. Peut-on raisonnablement espérer que, dans un air tout corrompu, vous ne vous ressentiez jamais de sa corruption ? Bourdaloue, 5e dim. après l'Épiphan. Dominic. t. I, p. 242. Il ne fut pas le seul qui se ressentit de cette bizarrerie, Hamilton, Gramm. 11.

    Il m'a fait un tour, mais il s'en ressentira, il en portera la peine.

  • 9En sens contraire, éprouver une influence favorable. Si je fais une grande fortune, mes amis s'en ressentiront. La grâce n'est donnée dans l'oraison qu'afin que toute la vie s'en ressente, Bossuet, Ét. d'Orais. VIII, 16. Dans une république, tout se ressent de la liberté publique, Montesquieu, Esp. XVI, 9.
  • 10Se souvenir, avec amertume et avec désir de se venger, d'un tort, d'une offense, etc. Ils se ressentirent des outrages qu'ils avaient reçus, Vaugelas, Q. C. IV, 8. Je ne suis pas incapable de me venger, si l'on m'avait offensé et qu'il y allât de mon honneur à me ressentir de l'injure, La Rochefoucauld, Portrait. Ils se sont ressentis du traitement que vous leur avez fait, Molière, les Préc. XVIII. Un homme qui a reçu un soufflet sans s'en ressentir est accablé d'injures, Pascal, Pens. V, 14, éd. HAVET. Le célèbre vizir Achmet Couprougli avait traité le fils d'un ambassadeur de France avec outrage, et, ayant poussé la brutalité jusqu'à le frapper, l'avait envoyé en prison, sans que Louis XIV, tout fier qu'il était, s'en fût autrement ressenti qu'en envoyant un autre ministre à la Porte, Voltaire, Russie, II, 1.

    Absolument. Les dieux, qui tôt ou tard savent se ressentir, Dédaignent de répondre à qui les fait mentir, Corneille, Œd. I, 5.

  • 11Être senti, aperçu. Vous le voyez : cette nouvelle vivacité qui animait ses actions se ressent encore dans ses paroles, Bossuet, Anne de Gonz.

HISTORIQUE

XVIe s. Parquoy si tu as cueur de te ressentir jamais des dommages que t'ont fait tes ennemis, sers toy maintenant de mes calamitez…, Amyot, Cor. 35. Combien qu'à sa poursuitte et par ses menées il eust esté banny d'Athenes, neantmoins il ne s'en voulut point ressentir lorsqu'il en eut l'occasion et le moyen, Amyot, Arist. 64. Les collations qui s'en ensuivent sont censées illicites et de nulle valeur, comme resentant simonie, P. Pithou, 56. La terre, ce semble, s'en ressentira d'avantage, si elle est remuée en ceste saison, La Boétie, 229. Nous avons poursuyvl avecques resolue volonté la vengeance d'une injure, et ressenti un singulier contentement de la victoire, Montaigne, I, 271.

ÉTYMOLOGIE

Re…, et sentir ; provenç. et espagn. resentir ; catal. ressentir ; ital. risentire.