« ruiner », définition dans le dictionnaire Littré

ruiner

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ruiner [1]

(ru-i-né) v. a.
  • 1Mettre en ruine, démolir, détruire. On se dispose à mettre une batterie sur l'ouvrage à corne, pour ruiner leurs remparts qui sont peu de chose, Pellisson, Lett. hist. t. I, p. 341. Scipion Aemilien rétablissait la discipline militaire ; et ce grand homme, qui avait détruit Carthage, ruina encore en Espagne Numance, la seconde terreur des Romains, Bossuet, Hist. I, 9. Il n'y eut point d'inventions et de stratagèmes dont les assiégés ne s'avisassent pour ruiner les travaux des ennemis, Rollin, Hist. anc. Œuvr. t. VI, p. 272, dans POUGENS. La ville de Catane, qui est au pied de la montagne [Etna], a été souvent ruinée par les torrents des laves qui sont sorties…, Buffon, Add. Théor. terr. Œuvr. t. XIII, p. 63. Il faut ruiner un palais pour en faire un objet d'intérêt, Diderot, Salon de 1767, Œuv. t. XIV, p. 421, dans POUGENS. La mer Baltique a gagné peu à peu une grande partie de la Poméranie ; elle a couvert et ruiné le fameux port de Vineta, Buffon, Hist. nat. preuv. théor. terr. Œuvr. t. II, p. 433. Le résultat de ce mémoire est que Cyrus bâtit le palais de Persépolis, qu'Alexandre n'en brûla qu'une partie, et que la ville de Persépolis, aujourd'hui Issthakar, ne fut ruinée que par les généraux d'Aly à l'époque où l'islamisme se répandit dans la Perse, Mongez, Instit. Mém. litt. et beaux-arts, t. III, p. 302.

    Absolument. Sans qu'on pense que pour cela cette liberté [le libre arbitre] soit détruite, puisqu'il n'y a rien qui convienne moins à celui qui fait, que de ruiner et de détruire, Bossuet, Lib. arb. 10.

  • 2Ravager. La grêle a ruiné toutes les vignes. Le sanglier de la forêt l'a toute ruinée, Sacy, Bible, Psaumes, LXXIX, 14. Il leur donna ordre d'aller dans le pays de Juda et de ruiner tout, selon que le roi l'avait commandé, Sacy, ib. Machab. I, III, 39. Les Russes ruinaient également amis et ennemis [en Pologne] ; on ne voyait que des villes en cendre, Voltaire, Charles XII, 3.
  • 3 Fig. Perdre, effacer, détruire, en parlant de choses que l'on compare à des édifices qu'on ruine. Je ne dis pas ceci pour ruiner la révérence que nous devons à ceux qui nous ont engendrés, Malherbe, le Traité des bienf. de Sénèque, III, 36. Plusieurs expériences ont ruiné toute la créance que j'avais ajoutée à mes sens, Descartes, Médit. VI, 6. Mais souvent un instant ruine une entreprise, Rotrou, Bélis. II, 8. La loi de Dieu est ruinée par cette décision, Pascal, Prov. XII. Vous tâchez de ruiner ma réputation, Pascal, ib. VII. Ah, fi ! comme vous dites, des mauvaises têtes, cela gâte tout, et ruine même la société, Sévigné, 29 janv. 1690. Ce redoutable parti [de Catilina] fut ruiné par l'éloquence de Cicéron, Bossuet, Hist. I, 9. En déplorant vainement les fautes qui ont ruiné nos affaires, Bossuet, Reine d'Anglet. Gratien avait entrepris de ruiner la religion des païens, que son père, par politique, avait toujours épargnés, Fléchier, Hist. de Théodose, III, 4. Une source de désordres qui ruinent presque inévitablement la charité et la justice parmi les hommes, Bourdaloue, 10e Dim. après la Pentec. Domin. t. III, p. 195. Toute l'assemblée émue lui demanda comment il osait dire qu'une action qui donnerait une victoire certaine à la ligue pourrait la ruiner, Fénelon, Tél. XX. On y avait mêlé [à l'Église] des traditions humaines qui en ruinaient l'esprit, Massillon, Panégyr. St Bernard. Après avoir détruit les armées d'un prince, ils [les Romains] ruinaient ses finances par des taxes excessives ou un tribut, Montesquieu, Rom. 6.
  • 4Infirmer, en parlant de raisonnements, d'arguments, d'hypothèses. Par ce mot seul je ruine tous vos raisonnements, Pascal, Juifs, 6, éd. FAUGÈRE. L'un [Épictète] établissant la certitude, l'autre [Montaigne] le doute, l'un la grandeur de l'homme, l'autre sa faiblesse, ils ruinent les vérités aussi bien que les faussetés l'un de l'autre, Pascal, Entret. avec M. de Saci. Toute expérience, comme tout raisonnement, ruine les tourbillons [de Descartes], Voltaire, Phil. Newt. III, 2. Il [saint Justin] exposa leur doctrine [des chrétiens] ; il ruina les calomnies dont on les noircissait…, Condillac, Hist. anc. XV, 6.

    Ruiner quelqu'un, lui ôter son crédit, sa réputation. Certes c'est mériter le mal qu'on nous destine, Que de laisser debout celui qui nous ruine, Du Ryer, Scévole, V, 5. Ce n'est qu'un péché véniel de calomnier et d'imposer de faux crimes pour ruiner de créance ceux qui parlent mal de nous, Pascal, Prov. X.

    Ruiner quelqu'un auprès d'un autre, le discréditer auprès de cet autre. Pour le vidame de Chartres, il fut ruiné auprès d'elle, La Fayette, Princ. de Clèves, Œuvr. t. II, p. 152, dans POUGENS. On ne doutait pas qu'il [Mazarin] n'eût ruiné la reine mère dans l'esprit du roi aussi bien que beaucoup d'autres personnes ; mais on ignorait celles qu'il y avait établies, La Fayette, Hist. Henr. d'Angl.

  • 5Faire perdre la fortune. Tu es assez furieux pour te prendre à Dieu, à sa providence, de toutes les bizarreries d'un jeu excessif qui te ruine, Bossuet, Sermons, Nécess. de la pénit. 1. Abréger les mauvais jours que le procès donne à des misérables, qui ne sont pas moins ruinés par la longueur des procédures que par l'erreur des jugements, Fléchier, le Tellier. Pour obtenir les priviléges des jurisconsultes, il suffisait d'avoir de quoi les acheter… les fortunes des particuliers tombaient entre les mains de ces ignorants volontaires à qui le pouvoir de les défendre était un titre pour les ruiner, Fléchier, ib.

    Absolument. Vous souvenez-vous quand nous disions quelquefois : il n'y a rien qui ruine comme de n'avoir point d'argent, nous nous entendions bien ? Sévigné, 601.

  • 6User, détériorer, en parlant du corps, de la santé. Jusqu'à passer les nuits entières dans la contemplation des choses divines, jusqu'à s'exténuer et se ruiner le corps par leurs fréquentes et sanglantes austérités, Bourdaloue, Pensées, t. I, p. 371. J'en ferais bien autant, si je voulais ruiner ma santé et un libraire, Montesquieu, Lettr. pers. 108. Cette méthode ruine le tempérament, Rousseau, Ém. IV.

    Par extension. L'attachement à une même pensée fatigue et ruine l'esprit de l'homme, Pascal, Pass. de l'amour.

  • 7Il se dit des chevaux en un sens analogue. La chasse a ruiné ce cheval. Le pavé ruine les pieds des chevaux.
  • 8Se ruiner, v. réfl. Tomber en ruines. Ces murailles à demi élevées, qui se ruinent parce qu'on néglige de les achever, Bossuet, Panég. de sainte Cather. 1.

    Fig. C'est par là que se ruinèrent les affaires de l'Assyrie et d'un si grand roi, Bossuet, Polit. X, III, 4.

  • 9Perdre sa fortune, sa santé, etc. Le corps se ruine par les grandes fatigues. Ceux qui se ruinent me font pitié ; c'est la seule affliction dans la vie, qui se fasse toujours sentir également, et que le temps augmente, au lieu de la diminuer, Sévigné, 62. Je me suis un peu ruiné, mon cher ami, en bâtiments et en châteaux, Voltaire, Lett. Thiriot, 5 déc. 1759. Perdant son argent en dupe, il s'est ruiné sans éclat et comme un sot, Genlis, Veillées du château t. I, p. 349, dans POUGENS.

    On dit de même : La santé se ruine par les débauches.

  • 10Être l'un pour l'autre cause de ruine. Depuis que la justice gémit sous un amas de lois et de formalités embarrassées, et qu'on s'est fait un art de se ruiner les uns les autres par la chicane, Fléchier, Lamoignon.

    Fig. Elles [les passions de l'ambition et de l'amour] s'affaiblissent l'une l'autre réciproquement, pour ne pas dire qu'elles se ruinent, Pascal, Pass. de l'amour.

HISTORIQUE

XIVe s. Nul ne ruine ou abat son mur pour se nuire, ne nul ne emble à soy meisme ce qui est sien, Oresme, Eth. 168.

XVe s. Mais cuer et corps et finance ruiner M'a fait du tout femme artificieuse, Deschamps, Femme et enf.

XVIe s. Si ta maison debvoyt ruiner, falloit il…, Rabelais, Garg. I, 31. À grandz coups abattit et tours et forteresses ; et ruyna tout par terre, Rabelais, ib. I, 34. Il avoit preservé la ville de Rome, et gardé de ruiner l'empire romain, Amyot, Cicér. 27. Peu après il s'apperceut bien qu'il s'estoit ruiné luy mesme, et avoit quant et quant perdu la liberté de son païs, Amyot, ib. 58. Des machines d'artillerie pour ruiner et demollir les villes, Amyot, Démétr. 59. S'appuyer sur un fondement ruiné, Lanoue, 549. Une amitié molle et indiscrette, en laquelle il advient ce qui se veoid au lierre, qu'il corrompt et ruyne la paroy qu'il accole, Montaigne, IV, 151.

ÉTYMOLOGIE

Ruine ; Berry (Ouest), rouiner ; prov. reunar ; espagn. et port. ruinar ; ital. rovinare, ruinare.