« séparer », définition dans le dictionnaire Littré

séparer

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

séparer

(sé-pa-ré) v. a.

Résumé

  • 1° Désunir ce qui était joint.
  • 2° Ôter les unes d'à côté des autres des choses qui étaient mal rangées.
  • 3° Mettre à part les uns des autres des objets de différentes espèces.
  • 4° Diviser un espace au moyen de quelque chose qu'on place entre les parties.
  • 5° Former, être une séparation entre deux choses.
  • 6° Il se dit des obstacles naturels qui sont interposés entre des pays.
  • 7° Mettre une certaine distance entre. Il se dit aussi de la distance dans le temps.
  • 8° Il signifie quelquefois simplement diviser.
  • 9° Couper les communications entre.
  • 10° Faire que des personnes, des animaux, des choses ne soient plus ensemble.
  • 11° Renvoyer des troupes militaires.
  • 12° Faire cesser un combat, une lutte.
  • 13° Fig. Entretenir l'inimitié.
  • 14° Séparer de biens, de corps un mari et une femme.
  • 15° Prononcer une sentence d'interdiction.
  • 16° Considérer à part, mettre à part.
  • 17° Rendre distinct.
  • 18° Dans la chasse, séparer les quêtes.
  • 19° V. réfl. Se séparer, être désuni, disjoint.
  • 20° S'éloigner l'un de l'autre, en parlant des personnes.
  • 21° Se séparer, en parlant du cerf.
  • 22° Cesser de se battre, d'être aux prises.
  • 23° Cesser de vivre en commun.
  • 24° Subir une séparation. Se quitter l'un l'autre. Quitter quelqu'un.
  • 25° Rompre des liens qui nous attachent à quelqu'un. Rompre des liens qui nous attachent à quelque chose. Se séparer de soi-même.
  • 1Désunir ce qui était joint, ce qui formait un tout ou était considéré comme tel. Séparer la tête du corps. Séparer les chairs d'avec les os. Elle [Rome] qui de la paix ne jette les amorces, Que par le seul besoin de séparer nos forces, Corneille, Sophon. I, 4. Il était juste de la haïr [la mort], quand elle séparait une âme sainte d'un corps saint ; mais il est juste de l'aimer, quand elle sépare une âme sainte d'un corps impur, Pascal, Lett. sur la mort de son père.

    Fig. Ainsi Rome n'a point séparé son estime ; Elle eût cru faire ailleurs [que dans la maison d'Horace] un choix illégitime, Corneille, Hor. II, 1.

  • 2Ôter les unes d'à côté des autres des choses qui étaient mal rangées. Voilà des livres qu'on a mis pêle-mêle ; il faut les séparer et les ranger par ordre de matières, Dict. de l'Acad.
  • 3Mettre à part les uns des autres des objets de différentes espèces. Séparer dans la cave le vin vieux du vin nouveau. Sépare tes présents, et ne m'offre aujourd'hui Que ton fils sans le sceptre, ou le sceptre sans lui, Corneille, Héracl. I, 2. Séparez le soldat d'avec le citoyen, Mairet, Sophon. III, 1. Quelquefois du bon or je sépare le faux, Boileau, Art p. IV. Quand Dieu viendra juger les vivants et les morts, Et des humbles agneaux, objet de sa tendresse, Séparera des boucs la troupe pécheresse, Boileau, Ép. XI. On mettait non-seulement la mauvaise Sophonisbe de Corneille, mais encore les impertinentes pièces d'Alcionée et de Marianne à côté de ces chefs-d'œuvre immortels [Andromaque et Britannicus] ; l'or est confondu avec la boue pendant la vie des artistes, et la mort les sépare, Voltaire, Louis XIV, Écrivains, Racine.

    Se séparer quelque chose, mettre quelque chose à part pour soi. Ce grand Dieu… au milieu de la corruption, commença à se séparer un peuple élu, Bossuet, Hist. I, 3.

  • 4Diviser un espace au moyen de quelque chose qu'on place entre ses parties. Séparer une cour en deux par un mur. Séparer une chambre en trois par des cloisons.
  • 5Former, être une séparation entre deux choses. Le mur qui sépare ces deux maisons. Un sentier sépare ces deux propriétés.

    Fig. La ligne qui sépare le sublime du boursouflé.

  • 6Il se dit des obstacles naturels qui sont interposés entre des pays. Cette rivière sépare ces deux provinces. Les Pyrénées séparent l'Espagne de la France. J'ai couru les deux mers que sépare Corinthe, Racine, Phèdre, I, 1. Ne vous figurez pas que de cette contrée Par d'éternels remparts Rome soit séparée, Racine, Mithr. III, 1. Le mont Pindus au levant et le golfe d'Ambracie au midi séparent en quelque façon l'Épire du reste de la Grèce, Barthélemy, Anach. ch. 36.
  • 7Mettre une certaine distance entre. Un long chemin sépare et le camp et Byzance, Racine, Baj. I, 1. Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ? Racine, Bérén. IV, 5.

    Il se dit aussi de la distance dans le temps. Je parle des cent ans qui se sont écoulés depuis ce temps-là, à peu près comme je parlerais de deux mille ans qui nous séparent des Grecs, Fontenelle, Vie de Corn.

  • 8Il signifie quelquefois simplement diviser. Séparer les cheveux sur le front.

    Terme de manége. Séparer les rênes, en prendre une dans chaque main.

    Terme de vénerie. Séparer l'empaumure, se dit d'un cerf dont les andouillers commencent à paraître.

  • 9Couper les communications entre. Son industrie [d'Alexandre] fut de séparer les Perses des côtes de la mer, et de les réduire à abandonner eux-mêmes leur marine, dans laquelle ils étaient supérieurs, Montesquieu, Esp. X, 14.
  • 10Faire que des personnes, des animaux, des choses ne soient plus ensemble. Séparer des chevaux en différentes écuries. Ensemble nous cherchons l'honneur d'un beau trépas : Vous vouliez nous unir, ne nous séparez pas, Corneille, Cinna, V, 2. Joignez à ces raisons qu'un père un peu sur l'âge… Ne saurait se résoudre à séparer de lui De ses débiles ans l'espérance et l'appui, Corneille, Méd. II, 6. Le vent en a égaré et séparé cinq ou six [des vaisseaux du prince d'Orange], Sévigné, 20 oct. 1688. On croit que la récolte pourra séparer toute cette belle assemblée [les révoltés bretons] ; car enfin il faut bien qu'ils ramassent leurs blés, Sévigné, 24 juill. 1675. La mort ne la sépare de rien, parce que la foi l'avait déjà séparée de tout, Massillon, Avent, Mort du péch. Il me semble que la vertu, l'étude et la gaieté sont trois sœurs qu'il ne faut pas séparer, Voltaire, Lett. au pr. royal de Prusse, juillet 1737. Le sort pourra bien nous séparer, mais non pas nous désunir, Rousseau, Hél. I, 11. Oswald soupirait en admirant Corinne, comme si chacun de ses succès l'eût séparée de lui, Staël, Corinne, VI, 1.
  • 11Renvoyer des troupes militaires. On n'a point encore séparé ce régiment de noblesse, Sévigné, 24 juill. 1689. On va séparer la noblesse [appelée sous les armes en Bretagne] ; voilà un air un peu tranquille, Sévigné, 6 août 1689.
  • 12Séparer des hommes, des animaux qui se battent, faire cesser leur combat en les éloignant les uns des autres. La nuit sépara les combattants. De nouveau l'on s'efforce, on crie, on les sépare, Boileau, Sat. III. Ceux qui l'ont séparé d'avec son adversaire, Disent qu'il s'y prenait en brave cavalier, Piron, Métrom. IV, 1.
  • 13 Fig. Entretenir l'inimitié. Trop de haine sépare Andromaque et Pyrrhus, Racine, Andr. II, 5.

    Séparer deux amis, faire cesser leur amitié. Le sang les avait joints ; l'intérêt les sépare, La Fontaine, Fabl. IV, 18. Je n'ai pu encore savoir de Mme de Lesdiguières ce qui les a séparés [elle et M. Trouvé], Sévigné, 20 avr. 1683.

    Il se dit, dans un sens analogue, des intérêts. Pendant qu'à Rome la guerre réunissait d'abord tous les intérêts, elle les séparait encore plus à Carthage, Montesquieu, Rom. 4.

  • 14 Terme de jurisprudence. Séparer de biens un mari et une femme, ordonner en justice qu'il n'y aura plus entre eux communauté de biens.

    Les séparer de corps, ordonner en justice qu'ils n'habiteront plus ensemble. Je ne me suis fait séparer de corps et de biens d'avec mon pénultième mari, que parce qu'il m'étourdissait tous les jours de quelque barbarisme du palais, Dancourt, la Femme d'intrig. I, 7.

    Il se dit aussi d'une séparation non judiciaire. Je vous prie de me séparer d'un mari avec lequel je ne saurais plus vivre, Molière, G. Dand. III, 14.

  • 15Prononcer une sentence d'interdiction. Le conjurant au nom de Jésus-Christ de ne les point séparer des sacrements, sans leur expliquer le crime pour lequel on les en séparait, Racine, Hist. Port-Roy. 2e part.
  • 16 Fig. Considérer à part, mettre à part. M. Le Tellier s'appliqua à séparer les formalités nécessaires d'avec ces procédures obliques et ces malignes subtilités…, Fléchier, le Tellier. On dit mille fois à M. de Montausier qu'il y avait à la cour un art innocent de séparer les pensées d'avec les paroles, Fléchier, M. de Mont. Séparant Genseric de ce qui l'environne, Il ne s'est attaché qu'à ma seule personne, Deshoulières, Genseric, II, 3. En un mot, séparez ses vertus de mon crime, Racine, Baj. V, 4. Or, je vous demande, et je vous le demande frappé de terreur, ne séparant pas en ce point mon sort du vôtre, Massillon, Petit nomb. élus.

    Séparer à deux, partager entre deux. Cette duplicité d'action particulière ne rompt point l'unité de la principale ; mais elle gêne un peu l'attention de l'auditeur, qui ne sait à laquelle s'attacher, et qui se trouve obligé de séparer aux deux ce qu'il est accoutumé de donner à une, Corneille, Ex. du Ment.

  • 17Rendre distinct. La raison sépare l'homme de tous les animaux.
  • 18 Terme de chasse. Séparer les quêtes, distribuer aux valets de limier une forêt par cantons pour y aller détourner un cerf.
  • 19Se séparer, v. réfl. Être séparé, disjoint. L'écorce de cet arbre s'est séparée du bois. Au lieu de m'abandonner à un ennui, qui ne se peut pas séparer de la sueur [à Vichy], Sévigné, 28 mai 1676. M. le comte de Guiche a fait une action dont le succès le couvre de gloire… vous voyez bien que son bonheur et sa valeur ne se sont point séparés, Sévigné, 3 juill. 1672.

    Être partagé en, divisé en. À cet endroit le chemin se sépare en deux. La rivière se sépare en plusieurs bras.

  • 20En parlant des personnes, s'éloigner l'une de l'autre. Après avoir causé quelque temps, ils se séparèrent. Il est tard, il faut nous séparer.

    Il se dit d'une multitude qui se disperse. De ses parvis sacrés j'ai deux fois fait le tour : Tout a fui ; tous se sont séparés sans retour, Racine, Ath. III, 7.

    En parlant d'une compagnie régulière, cesser de tenir ses séances etc. L'assemblée s'est séparée en tumulte.

    L'armée se sépara, elle cessa de tenir la campagne, et les différents corps retournèrent à leurs cantonnements.

  • 21 Terme de vénerie. Le cerf cherche par des bonds à se séparer de sa voie, ou, simplement, à se séparer, à interrompre la trace, les émanations odorantes qui dirigent les chiens.

    On dit encore, lorsqu'un cerf quitte les bêtes dont il est accompagné, qu'il se sépare ; et, si alors les chiens abandonnent le change pour suivre sa voie, on dit qu'ils l'ont bien séparé.

  • 22Cesser de se battre, d'être aux prises. Messieurs, messieurs, si vous ne vous séparez, je frapperai sur l'un et sur l'autre, et je vous séparerai à bons coups de canne, Dancourt, Déroute du pharaon, sc. 25.
  • 23Cesser de vivre en commun. Faute de cela [un gouvernement qui les réglât], Abraham et Loth ne peuvent compatir et sont contraints de se séparer, Bossuet, Polit. I, III, 1. Alcippe, tu crois donc qu'on se sépare ainsi ? Pour sortir de chez toi, sur cette offre offensante, As-tu donc oublié qu'il faut qu'elle [ta femme] y consente ? Boileau, Sat. X.

    Terme de jurisprudence. Se séparer de corps ou de biens, se dit d'époux qui obtiennent en justice la séparation de corps ou de biens.

  • 24Subir une séparation. Le moment où l'on se retrouve et celui où l'on se sépare sont les deux plus grandes époques de la vie, comme dit le grand livre du Zend, Voltaire, Zadig, 18.

    Se quitter l'un l'autre. Nous séparer ! qui ? moi ? Titus de Bérénice ! Racine, Bér. III, 3.

    Quitter quelqu'un. Je pense être aux enfers et souffrir leurs supplices, Lorsque je m'en sépare [d'une dame] une heure seulement, Malherbe, V, 6. Jésus-Christ : je m'en suis séparé, je l'ai fui, renoncé, crucifié, Pascal, Amulette. Partez, séparez-vous de la triste Aricie, Racine, Phèdre, V, 1.

  • 25Rompre des liens qui nous attachent à quelqu'un. La conduite réciproque de tous les trois, quand notre commerce eut cessé, peut servir d'exemple de la manière dont les honnêtes gens se séparent, quand il ne leur convient plus de se voir, Rousseau, Confess. X. Sois-moi fidèle, ô pauvre habit que j'aime !… Mon vieil ami, ne nous séparons pas, Béranger, Mon habit.

    Rompre les liens qui nous attachent à quelque chose. Ils ne se peuvent séparer des affaires, pour les regarder avec quelque liberté de jugement, Guez de Balzac, De la cour, 5e disc. Malheur à la créature qui ne se voit point en Dieu, et qui, se fixant en elle-même, se sépare de la source de son être, qui l'est aussi par conséquent de sa perfection et de son bonheur ! Bossuet, Concupisc. 24. Séparons-nous du monde, avant que le monde se sépare de nous, Bourdaloue, Serm. 17e dim. après la Pentecôte, Dominic. t. IV, p. 73.

    Se séparer de soi-même, cesser d'être soi, d'être homme. Lorsque mon premier maître eut formé le cruel projet de me confier ses femmes, et m'eut obligé, par des séductions soutenues de mille menaces, de me séparer pour jamais de moi-même, Montesquieu, Lett. pers. 9.

HISTORIQUE

XIVe s. [L'office de chirurgie est] separer les choses conjointes, rejoindre les choses separées, H. de Mondeville, f° 34, verso. Incision est œuvre particulere de cyrurgie qui devise et separe les choses continues o [avec] instrument tranchant, H. de Mondeville, f° 105. Ydée separée [abstraite]. - Substances separées [spirituelles]. - Vertu incorporel ou separée, Oresme, Thèse de MEUNIER.

XVIe s. Mustapha, après avoir fait reposer ses soldats un jour entier, redonna un grand assaut que la nuit separa, D'Aubigné, Hist. I, 344. Une partie de l'os se separe, corrodé et rongé, Paré, VI, 31. À la fin le combat ayant duré toute la journée, la nuict survint qui les separa, Amyot, Pyrrh. 66. Les testes toutes couppées et separées des corps, Amyot, ib. 72. Il ordonna des sieges separez pour les chevaliers romains, de là où ilz verroient des lors en avant jouer les jeux, Amyot, Cicéron, 16.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. sebrar, separar ; espagn. separar ; ital. separare, du lat. separare, de se indiquant séparation, et parare, disposer, arranger (voy. PARER). Séparer a été refait sur le latin au XIVe siècle ; la forme ancienne et française était sevrer (voy. ce mot).