« sage », définition dans le dictionnaire Littré

sage

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

sage

(sa-j' ; prononcé saige au XVIe siècle, Palsgrave, p. 8) adj.
  • 1Qui sait, entendu, habile (sens étymologique). Il était [Salomon] plus sage que tous les hommes, plus sage qu'Éthan Ezrahite, qu'Heman, Chacol et Dorda, enfants de Mahol, Sacy, Bible, Rois, III, IV, 31. N'affectez point de paraître sage devant le roi, Sacy, ib. Ecclésiaste, VII, 5. Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis, Fait le veau sur son âne et pense être bien sage, La Fontaine, Fabl. III, 1. Des curieux qui, pour paraître plus sages qu'il ne convient à des hommes, voudront tout entendre, tout mesurer à leur sens, Bossuet, 1er instr. past. 14. Jeune, j'étais trop sage, et voulais tout savoir, Fénelon, t. XXI, p. 298.
  • 2Qui a une habileté mêlée de prudence et de bonne conduite. Les plus sages le sont dans les choses indifférentes ; mais ils ne le sont presque jamais dans leurs plus sérieuses affaires, La Rochefoucauld, Prem. pens. n° 37. Tous les hommes me sont à tel point odieux, Que je serais fâché d'être sage à leurs yeux, Molière, Mis. I, 1. Il est vrai que les projets des hommes les plus sages sont bien peu de chose, quand il plaît à Dieu de les confondre ; et, quand il lui plaît aussi, les conduites folles ont d'heureux succès ; cependant il est toujours bon d'être sage ; car, outre qu'on n'a rien à se reprocher quand on n'a pas réussi, c'est que d'ordinaire Dieu se met du côté des prudents, Bussy-Rabutin, à Mme de Sév. 31 déc. 1678, dans SÉV. t. V, p. 511, édit. RÉGNIER. Le ton de voix impose aux plus sages, et change un discours et un poëme de face, Pascal, Pens. III, 3, édit. HAVET. Alors nous le vîmes s'oublier lui-même, et, comme un sage pilote, sans s'étonner ni des vagues, ni des orages, ni de son propre péril…, Bossuet, le Tellier. Ce qu'il avait vu arriver a tant de sages vieillards, qui semblaient n'être plus rien que leur ombre propre, le rendait continuellement attentif à lui-même, Bossuet, ib. L'histoire qu'on appelle avec raison la sage conseillère des princes, Bossuet, Duch. d'Orl. Ce n'est pas être sage D'être plus sage qu'il ne faut, Quinault, Arm. II, 4. D'où vient, cher le Vayer, que l'homme le moins sage Croit toujours seul avoir la sagesse en partage ? Boileau, Sat. IV. Je veux vous conter ce qui vient d'arriver dans la capitale d'une sage et puissante république, qui, toute sage qu'elle est, a le malheur d'avoir conservé quelques lois barbares de ces temps antiques et sauvages qu'on appelle le temps des bonnes mœurs, Voltaire, Dict. phil. Supplices, 3.

    Par extension. Quand les malheurs nous ouvrent les yeux, nous repassons avec amertume sur tous nos faux pas… nous voyons que Dieu seul est sage…, Bossuet, Reine d'Anglet.

  • 3Réglé dans ses mœurs et sa conduite, modéré dans ses passions. Il est sage avant le temps. Il [le Tasse] n'eût point de son livre illustré l'Italie, Si son sage héros, toujours en oraison, N'eût fait que mettre enfin Satan à la raison, Boileau, Art p. III. Celui qui n'a point senti sa faiblesse et la violence de ses passions, n'est point encore sage ; car il ne se connaît point encore, et ne sait point se défier de soi, Fénelon, Tél. VII. Légistes, docteurs, médecins, quelle chute pour vous, si nous pouvions tous nous donner le mot de devenir sages ! La Bruyère, XII.

    Cet enfant est sage, est bien sage, il est posé, il n'est pas turbulent.

    Familièrement. Sage comme une image, se dit d'un enfant qui se tient bien tranquille, qui ne fait aucune sottise.

    Montrez-vous le plus sage, se dit à un homme qui a une querelle, pour l'engager à cesser le premier la dispute.

    Soyez sage, soyez plus sage à l'avenir, se dit, par forme d'avertissement, à une personne qui a commis quelque faute.

    C'est pour vous apprendre à être sage, se dit à une personne à qui l'on vient d'infliger une correction.

  • 4Qui a sa raison, qui a de la raison. Il se croit sage, et il est fou. Le temps et la raison pourront le rendre sage, Corneille, Nicom. II, 3. Tel homme se croit sage, tandis que sa folie sommeille, Diderot, Claude et Nér. II, 5.

    Se rendre sage, devenir raisonnable, obéissant. Elle se rendra sage ; allons, laissons-la faire, Molière, Femm. sav. III, 6.

  • 5En parlant des femmes, modeste, chaste, pudique. Il sied mal de vouloir être plus sage que celles qui sont sages ; l'affectation en cette matière est pire qu'en toute autre, Molière, Critique, 3. La fille qui m'enchante, Noble, sage, modeste…, Boileau, Sat. X.

    Il est sage comme une fille, se dit d'un jeune homme timide, modeste, d'une bonne conduite.

  • 6En parlant des animaux, qui a un naturel doux, obéissant. Ce cheval est sage, ne craignez rien.

    Ce chien est sage, il est obéissant, il ne s'emporte pas à la chasse.

  • 7Il se dit des paroles, des actions. De sages mesures. Une conduite sage. Notre religion est sage et folle : sage, parce qu'elle est la plus savante et la plus fondée en miracles et prophéties ; folle, parce que ce n'est point tout cela qui fait qu'on en est, Pascal, Pens. XXV, 50, édit. HAVET. Mes paroles sont sages, comme vous voyez ; mais très souvent mes pensées ne le sont pas ; il y a un point que vous devinez aisément, où je ne puis me servir de la résignation que je prêche aux autres, Sévigné, à Mme de Grignan, 24 juill. 1675. Je parle d'une hardiesse sage et réglée, qui s'anime à la vue des ennemis, qui dans le péril même pourvoit à tout…, Fléchier, Turenne. Il y a des choses sages à dire sur les fous, Voltaire, Lett. Panckoucke, 29 sept. 1769.

    Fig. Un remède si doux et si sage [un purgatif innocent], Sévigné, 16 oct. 1680.

    Terme de beaux-arts. Se dit d'une composition dans laquelle il règne beaucoup de convenance et de simplicité ; d'un artiste exempt de recherche et d'affectation. Mme Blinval : Je me sens inspirée. - Lucile : Et moi je perds courage. - Bernard : Moi, j'ai tous mes moyens, et mon jeu sera sage, Delavigne, les Com., IV, 7. Ensuite vient un paysage Très compliqué, Où l'on voit qu'un monsieur très sage S'est appliqué, Musset, le mie Prigioni.

  • 8 S. m. Celui qui est sage. La mort ne surprend point le sage ; Il est toujours prêt à partir, La Fontaine, Fabl. VIII, 1. Le sage est ménager du temps et des paroles, La Fontaine, ib. VIII, 26. [Il] vit en certains lieux Un sage assez semblable au vieillard de Virgile, Homme égalant les rois, homme approchant des dieux, Et, comme ces derniers, satisfait et tranquille, La Fontaine, ib. XII, 20. À tous événements le sage est préparé, Molière, F. sav. V, 1. Tout ce qu'il y a de grand sur la terre s'unit [contre le christianisme], les savants, les sages, les rois, Pascal, Pens. XVIII, 12, édit. HAVET. Les sages qui ont dit qu'il y a un Dieu ont été persécutés, les Juifs haïs, les chrétiens encore plus, Pascal, ib. XXIV, 19 bis. Lorsque le roi Henri VIII… commença d'ébranler l'autorité de l'Église, les sages lui dénoncèrent qu'en remuant ce seul point, il mettait tout en péril, et qu'il donnait, contre son dessein, une licence effrénée aux âges suivants, Bossuet, Reine d'Anglet. Laissons-lui [à l'Ecclésiaste] mépriser tous les états de cette vie… laissons-lui égaler le fol et le sage, Bossuet, Duch. d'Orl. Les conseils des sages sont partagés sur l'obligation où je suis de répondre à M. l'archevêque de Cambrai, Bossuet, Rem. rép. avant-propos. Il est des contre-temps qu'il faut qu'un sage essuie, Racine, Esth. III, 1. C'est un bonheur rare pour un sage moderne qu'une occasion d'être législateur de barbares, Fontenelle, Leibnitz. Les Francs étant sortis de leur pays, ils firent rédiger par les sages de leur nation les lois saliques, Montesquieu, Esp. XXVIII, 1. Il plaint ces faux sages enchaînés à leur vaine réputation, Rousseau, Ém. IV. La condition de sage est bien dangereuse : il n'y a presque pas une nation qui ne soit souillée du sang de quelques-uns de ceux qui l'ont professée, Diderot, Opin. des anc. phil. (Pythagorisme). Qu'était la France il y a peu de mois ? les sages y invoquaient la liberté ; et la liberté était sourde à la voix des sages, Mirabeau, Collect. t. V, p. 302. Un roi, je dirai plus, un sage, Écrit que tout est vanité, Chénier M. J. la Retraite. Ami, vous revenez d'un de ces longs voyages Qui nous font vieillir vite et nous changent en sages, Au sortir du berceau, Hugo, Feuilles d'automne, 6.

    Les sages du monde, les hommes qui consultent les intérêts, la politique. Les sages du monde représentèrent en vain à saint Louis que l'habileté n'était pas d'unir ses voisins…, Fléchier, Panég. St Louis.

    Les sages de la terre, les philosophes, les hommes qui consultent leur raison, et non la foi. Qu'un autre vous réponde, ô sages de la terre ! Laissez-moi mon erreur : j'aime, il faut que j'espère, Lamartine, Méd. V.

    Au XVIIIe siècle, les sages, le groupe des philosophes libres penseurs. Les sages ne sont pas assez sages, ils ne sont pas assez unis, ils ne sont ni assez adroits, ni assez zélés, ni assez amis, Voltaire, Lett. Damilaville, 11 déc. 1767.

  • 9 Absolument. Le Sage, Salomon, regardé comme l'auteur des Proverbes, dans la Bible (on met une majuscule). Madame m'a fait connaître la vérité de cette parole du Sage : Le patient vaut mieux que le fort, Bossuet, Duch. d'Orl.
  • 10Les sages de la Grèce, les hommes qui se distinguaient le plus par leurs connaissances et leurs principes de morale, vers le VIIe siècle avant l'ère chrétienne. Solon, l'un de ces sept sages, donnait des lois aux Athéniens, et établissait la liberté sur la justice, Bossuet, Hist. I, 7. La Grèce eut sept sages ; on entendait alors par un sage, un homme capable d'en conduire d'autres, Diderot, Opin. des anc. philos. (Grecs).
  • 11Titre de plusieurs dignitaires de l'ancienne république de Venise.

    Sages de la mer, nom donné à des magistrats qui présidaient à la marine.

    PROVERBE

    Un fou avise bien un sage.

HISTORIQUE

XIe s. Laissum les fois, as sages nus tenuns, Ch. de Rol. X. Rolans est proz e Oliviers est sage, ib. LXXXV. E de sa lei mult par [il] est saives hom, ib. CCXXVIII.

XIIe s. Dont parleront et li fol et li sage, Ronc. p. 182. Sainz Thomas fu mult sages, sainz espriz en li fu, Th. le mart. 58. El mont [au monde] ne truis [je ne trouve] tant bele ne si sage [que ma dame], Couci, XI. Dites, amanz, qui vaut mieuz par raison, Loial folie ou sage traïson ? ib. X. David se seeit en sa chaere cume prince, e fud très saives entre les treis forz, Rois, p. 211.

XIIIe s. Quesnes de Bethune, qui plus estoit sages et bien emparlés, Villehardouin, XCIII. Sachiés, se ge fusse ausinc sage [instruit], Quant g'estoie de vostre aage, Des geus d'amors, cum ge sui ores, la Rose, 12965. Du sien garder est chascuns sages, Rutebeuf, I, 3. Celsus qui fut sage hom de lois, Du Cange, sapientes.

XIVe s. Solon fut un des sept sages qui firent des lois à ceulx de Athenes, Oresme, Eth. 22.

XVe s. Si mirent leurs vaisseaux en bon estat, car ils estoient sages de mer et bons combattans [les Normands], Froissart, I, I, 121. Les ducs de Berry et de Bretaigne, qui avoient en leur compaignie de sages et notables chevaliers, Commines, I, 3. Et sachez que les Troyens anciennement qui arriverent au pays y trouverent une miniere d'estain ; car il y avoit entre eulx ung maistre qui estoit merveilleusement sage en tous metaulx, Perceforest, t. I, f° 151. Certes plus grant bien n'est au monde que de ancien homme sage, Christine de Pisan, Charles V, I, 13.

XVIe s. En une estroite couche Le sage au milieu se couche, Leroux de Lincy, Prov. t. I, p. 274. Le plus sage se taist, Leroux de Lincy, ib. t. II, p. 331. On est plus saige par mal avoir Qu'on n'est par joie et bien avoir, Génin, Récréat t. II, p. 246. Quel sera le succès, le temps nous fera sages [nous en instruira], Pasquier, Lettres, t. II, p. 70. Me plaist, en ce bas estre, la sentence du sage mondain Aristote : jouir de la vertu en affluence de biens, Pasquier, ib. t. I, p. 97. Bien dirai je que dedans sa religion il y avoit beaucoup du sage mondain et de l'homme d'estat, Pasquier, Rech. V, 1. Noble homme et sage maistre Robert Thiboust, en son vivant conseiller du roy nostre sire en sa cour de parlement, Coust. gén. t. I, p. 248. Chascun est sage après le coup, Cotgrave En defaut de sage monte fol en chaire, Cotgrave Fols sont sages quand ils se taisent, Cotgrave Quant seront heureuses provinces, Royaumes, villes et villages ? Quant l'on fera sages les princes, Ou, qu'est plus court, princes les sages, Bonivard, Noblesse, p. 294.

ÉTYMOLOGIE

Berry, temps saige, temps calme ; bourguig. seige ; provenç. sage, savi, sabi ; espagn. et portug. sabio ; ital. savio, sagio ; du lat. sapius, qui ne se trouve pas dans les auteurs ; mais on trouve nesapius dans Pétrone, Satyr. 50. Sapius vient de sapere, goûter, apprécier (voy. SAVOIR). Il a donné en français ou saive, ou, comme rage de rabies, sage. Sage, à la rigueur, pourrait venir de sapiens, au nominatif ; mais les formes sabio, savio, saggio n'en peuvent pas venir, les autres langues romanes ne faisant pas de dérivation du nominatif.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

SAGE. Ajoutez : - REM. On a reproché au Dictionnaire de n'avoir pas enregistré la locution faire que sage, et le vers de La Fontaine qui la contient, Fables, V, 2. Mais la locution n'est pas particulière à sage, et on dit également faire que fou. La place en est donc non pas à sage, mais à que 1, n° 4.