« semer », définition dans le dictionnaire Littré

semer

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

semer

(se-mé. La syllabe se prend un accent grave quand la syllabe qui suit est muette : je sème, je sèmerai) v. a.
  • 1Mettre du grain dans une terre préparée. Semer du blé, de l'orge. Semer à la volée. Semer clair. Semer épais. Semez votre grain dès le matin ; et que le soir votre main ne cesse pas de semer, Sacy, Bible, Ecclésiaste, XI, 11. Il faut un homme alerte pour semer les avoines, et un homme lent pour semer l'orge, Cult. des grains, dans LEROUX DE LINCY, Prov. t. I, p. 85.

    Par extension. Et des dents d'un serpent ensemencer la terre Dont la stérilité, fertile pour la guerre, Produisait à l'instant des escadrons armés Contre la même main qui les avait semés, Corneille, Méd. II, 2.

    Fig. Il sema des malheurs, il en cueille le fruit, Mairet, Soliman, IV, 3. Et comme il n'a semé qu'épouvante et qu'horreur, Il n'en recueille enfin que trouble et que terreur, Corneille, Hér. I, 1.

    Semer un champ, semer des terres, semer une planche, une couche, y semer de la graine.

    Semer de l'oseille, du persil, de la laitue, des pavots, etc., semer de la graine d'oseille, de persil, de laitue, de pavots, etc. L'arbre qu'on a semé, croissant pour un autre âge, à nos derniers neveux réserve son ombrage, Delille, Géorg. II.

    Absolument. C'est la saison de semer. Qui sème dru récolte menu ; qui sème menu récolte dru, Cult. des grains, dans LEROUX DE LINCY, Prov. t. I, p. 85. Les Carthaginois, pour rendre les Sardes et les Corses plus dépendants, leur avaient défendu, sous peine de la vie, de planter, de semer, et de faire rien de semblable, Montesquieu, Esp. XXI, 21. Semer pour recueillir est une précaution qui demande de la prévoyance, Rousseau, Ess. sur l'orig. des langues, 9. Ah ! qui voudra semer s'il ne doit recueillir ? Chénier M. J. Gracques, II, 3.

    Fig. Nous craignons votre exemple, et doutons si dans Rome Il n'instruit pas le peuple à prendre loi d'un homme, Et si votre valeur, sous le pouvoir d'autrui, Ne sème point pour vous, lorsqu'elle agit pour lui, Corneille, Sertor. III, 2. Il a fallu des siècles pour rendre justice à l'humanité, pour sentir qu'il était horrible que le grand nombre semât, et que le petit recueillît, Voltaire, Dict. phil. Gouvern. anglais. Quand vous semez dans le vaste champ de la république, vous ne devez pas compter le prix de cette semence : après le pain, l'éducation est le premier besoin du peuple, Danton, Moniteur du 15 août 1793.

    Fig. Semer en terre ingrate, faire du bien à une personne qui n'en a pas de reconnaissance, ou donner des enseignements à quelqu'un qui n'a pas de dispositions pour en profiter.

    Semer en terre ingrate se dit encore pour faire un travail difficile ou pénible dont personne ne vous saura gré. Les traducteurs sèment en terre ingrate ; le sol le plus fertile s'appauvrit sous leurs mains, De Wailly, Mercure de France, vendémiaire an XI, p. 55.

  • 2Remplir de choses comparées aux graines jetées en semant. Je verrai les chemins encor tout parfumés Des fleurs dont sous ses pas on les avait semés, Racine, Iph. IV, 4. D'indignes assassins, Des piéges de la mort ont semé les chemins, Voltaire, Mérope, II, 5. Le jour venait de naître, et semait en riant Les calices des fleurs des perles d'Orient, Delille, Parad. perdu, X.

    Fig. L'on a beau faire bien et semer ses écrits De civette…, Régnier, Sat. IV. Elle met sa piété à semer sa journée de bonnes œuvres, Maintenon, Lett. à Mme de la Viefville, 9 avril 1713. Et le docteur en chaire en sema [de pointes] l'Évangile, Boileau, Art p. II. Il [le ciel] sème de chagrins ma pénible carrière, Voltaire, Temple du Goût.

    Fig. Semer de fleurs le bord du précipice, cacher les périls sous d'adroites flatteries. Je leur semai de fleurs les bords des précipices, Racine, Ath. III, 3.

    Semer de fleurs, louer. Qu'en ce jour la poésie Sème leurs tombeaux de fleurs, Béranger, Jour des morts.

  • 3Répandre çà et là, disséminer, parsemer. On a semé des libelles dans toute la ville. Il semait son argent le long des chemins sans s'en apercevoir. Semer des chausse-trapes dans les endroits où doit passer la cavalerie ennemie. Pour jeter un obstacle à l'ardente poursuite Dont mon père en fureur touchait déjà à ta fuite, Semai-je avec regret mon frère par morceaux ? Corneille, Méd. III, 3.

    Par extension. Je suis lasse d'écrire, et non pas de lire tous les endroits tendres et obligeants que vous avez semés dans votre lettre, Sévigné, à Bussy, 28 août 1668. Il [Xénophon] nous montrait ses chevaux, ses plantations, les détails de son ménage ; et nous vîmes presque partout, réduits en pratique, les préceptes qu'il avait semés dans ses différents ouvrages, Barthélemy, Anach. ch. 39.

    Fig. Pour toi, de qui la main sème ici les forfaits, Voltaire, le Fanat. II, 5.

    Fig. et poétiquement. Semer les funérailles, donner la mort à beaucoup de guerriers. Puis passant près des lieux où du haut des murailles Son bras armé pour nous semait les funérailles, Delavigne, Paria, V, 6.

    Fig. Semer des piéges sur les pas de quelqu'un, lui tendre des embûches secrètes.

    Fig. et familièrement. Semer des perles, des marguerites devant les pourceaux, parler devant des ignorants de choses qui sont au-dessus de leur portée, ou présenter à quelqu'un des choses dont il ne connaît pas le prix.

  • 4 Terme de vénerie. Un cerf sème ses fumées, lorsque en marchant il les jette les unes après les autres.
  • 5Distribuer. Que pour les aumônes que vous aurez semées en ce monde, il [le Sauveur] vous rende en la vie future la moisson abondante qu'il vous a promise, Bossuet, 2e sermon pour l'exalt. de la sainte croix, 2. La mère de M. de Lamoignon crut que ses aumônes ne seraient pas infructueuses, qu'elle recueillerait dans sa famille ce qu'elle semait dans les hôpitaux, Fléchier, Lamoign.

    Absolument. J'ai su qu'à deux mains il semait, Sans bruit faisant l'aumône, Béranger, Mon curé.

    Semer de l'argent, distribuer de l'argent à des personnes pour les gagner.

    Semer l'argent, être prodigue.

  • 6 Fig. Répandre, faire courir, en parlant de bruits, de nouvelles, de paroles. Cette fable que vous avez semée contre M. d'Ypres, Pascal, Prov. XVI. Ce bruit scandaleux que vous semez de tous côtés, Pascal, ib. XVII. De nouveau tu semas tes captieux mensonges, Boileau, Sat. XI. Tandis qu'on vous verra d'une voix suppliante Semer ici la plainte et non pas l'épouvante, Racine, Brit. I, 4. Toujours la renommée Avec le même éclat n'a pas semé mon nom, Racine, Bérén. II, 2. On sème de sa mort d'incroyables discours, Racine, Phèdre, II, 1. D'abord un bruit léger… pianissimo, murmure et file et sème en courant le trait empoisonné, Beaumarchais, Barb. de Sév. II, 8.
  • 7Il se dit, dans un sens analogue, d'impressions morales. Quand pour vous acquérir je gagnais des batailles… Que je semais partout la terreur et l'effroi, Corneille, Perth. I, 4. Les luthériens sèment ces erreurs ; les calvinistes marchent après pour les recueillir, Bossuet, 2e avert. 24. Rappelez en votre mémoire avec quelle tendre et sensible joie il recueillit ce qu'il avait semé dans l'âme de ce jeune vainqueur [le Dauphin], Fléchier, Duc de Montaus. Heureux, si les fâcheux, prompts à nous y chercher, N'y viennent point semer l'ennuyeuse tristesse ! Boileau, Épît. VI. Ainsi Mars commençait, par le bruit des armes et par l'appareil frémissant de la guerre, à semer la rage dans tous les cœurs, Fénelon, Tél. XX. Il [Charles V] sut d'abord semer la division entre ce prince [le prince Noir] souverain de Guienne et ses vassaux, Voltaire, Mœurs, 78.
  • 8Se semer, v. réfl. Être semé. Le seigle se sème en automne.

    Fig. Après les trois ans il se sema un esprit de division entre lui [Abimelech] et les habitants de Sichem, qui commencèrent à le haïr, Bossuet, Polit. IX, 6, 7.

PROVERBES

Il faut semer pour recueillir, il faut travailler pour avoir droit à un salaire, à une récompense.

La crainte des pigeons n'empêche pas de semer, il ne faut pas laisser d'entreprendre une affaire, bien qu'elle présente des difficultés, des inconvénients.

HISTORIQUE

XIIe s. Qui petit seme petit keult [colligit, recueille], Chrestien de Troyes, dans LEROUX DE LINCY, Prov. t. I, p. 85. Cil chi sement en lermes, en esledecement [réjouissance] cuillent, Liber psalm. p. 203.

XIIIe s. Cil Fedris destruit la cité de Melans [Milan], et la fist arer et semer de sel, Latini, Trésor, p. 89. Car cil rekeut qui plus semme, Roman de Mahomet, p. 75. Or devrions panre [prendre] tel porpens, Chascuns de nos selon son sens, Que nos tel chose i semissiens…, Ren. 19813. Renart est cil qui toz max seme, ib. 8283. Es blés somés el printans, poent les gens aler por querre les erbes et les porées, Beaumanoir, LII, 4. Baisers] Qui furent de lermes semé, Et de dolçor anbaussemé [embaumés], Chev. au lyon, V. 2627.

XIVe s. Et la grasce [il] ot de toute gent, Car il semoit l'or et l'argent, Ensi c'on seme bles as cans [champs], Jean de Condé, t. II, p. 292. Quant li ennemi sont aus portes de Rome, il sement civiles discordes, Bercheure, f° 64, recto. Chevaliers d'Engleterre, vous faites grant peschié De travailler les poures, ceulz qui siement le blé, Combat des Trente, p. 15.

XVe s. [à l'entrée de la reine Isabelle] le grand pont de Paris estoit couvert d'un ciel estoillé de verd, et de vermeil semé, Froissart, liv. IV, p. 4, dans LACURNE. Non promovoir gens ignorans les sciences, car ilz sement trop d'erreurs et grevent tout le bien publique, Bibl. des ch. 6e série, t. II, p. 135. Et fut semée une assez mauvaise raison, c'estoit que…, Commines, II, 7. Touteffois il faisoit semer en ost tout le contraire, Commines, III, 3.

XVIe s. Ô desirs qui teniez ma je unesse asservie, Semant devant le temps des rides sur mon front, Desportes, Œuvres chrestiennes, sonnets, 14. Il leur commanda qu'ilz semassent un bruit tout au contraire de ce qu'ilz luy avoient dit, Amyot, Agés. 26. On peult dire, d'un costé, que de lascher la bride aux parts [aux partis religieux], d'entretenir leur opinion, c'est espandre et semer la division, Montaigne, III, 84. Ils avoient semé des chausses trapes soubs l'eau, Montaigne, II, 195. Qui seme espine n'aille deschaux, Leroux de Lincy, Prov. t. I, p. 86. Teste de cerf bien semée, Cotgrave Semer un grain d'orge pour attraper un pigeon, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Norm. sumer ; Berry, seumer et sumer, dans l'Est, sener ; provenç. semenar, semnar ; esp. sembrar ; portug. semear ; ital. seminare ; du lat. seminare, de semen, graine, que les étymologistes rattachent à serere : se et le suffixe men. Serere, sevi, satum, est le grec σάω, cribler.