« sentiment », définition dans le dictionnaire Littré

sentiment

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sentiment

(san-ti-man) s. m.
  • 1En général, faculté de sentir. Avoir le sentiment exquis, prompt, délicat. Il perd le sentiment, Racine, Andr. V, 5. En baignant son visage, Mes pleurs du sentiment lui rendirent l'usage, Racine, Athal. I, 2. Nous ne connaissons point de caractère qui distingue essentiellement la plante de l'animal, et nous ignorons profondément quel est le degré de l'échelle organique où le sentiment expire, Bonnet, Lett. div. Œuv. t. XII, p. 412, dans POUGENS.

    Terme de chasse. Se dit de l'odorat des chiens. Quand un chien ne peut suivre le gibier, on dit qu'il n'a point de sentiment. Au printemps, lorsque les feuilles naissantes commencent à parer les forêts, que la terre se couvre d'herbes nouvelles et s'émaille de fleurs, leur parfum rend moins sûr le sentiment des chiens, Buffon, Quadrup. t. II, p. 24.

  • 2Résultat de l'action de sentir. Sentiment douloureux. Sentiment agréable. Le mot de sentiment, pris dans le sens métaphysique, n'exprime que les résultats de l'impression des objets sur la machine et de la machine sur l'âme, en vertu des lois de l'union, Bonnet, Ess. anal. âme, 17.
  • 3 Particulièrement. Sensibilité physique. Il n'y a plus de sentiment dans son bras.

    Il se dit aussi de sensations internes, de modifications perceptibles de nos organes intérieurs. Le sentiment de la faim, de la douleur, de la fatigue.

  • 4 Fig. Intérêt pour quelqu'un ou quelque chose. Un homme [Boucard] de cette lenteur et de cette indifférence pour mes intérêts …je m'en vais tâcher de lui redonner quelque sentiment sur toutes ces choses, Sévigné, à Mme de Guitaut, 3 juin 1693.
  • 5Conscience que l'on a de la réalité d'une chose. J'ai un sentiment clair de ma liberté, Bossuet, Lib. arb. 2. On ne connaît son âme que par le sentiment intérieur qu'on en a, Malebranche, Rech. vér. VI, II, 6. Je distingue entre connaître par idée claire, et connaître par sentiment intérieur, Malebranche, Rech. vér. Rép. à Regis, ch. 2.
  • 6Faculté de comprendre, d'apprécier certaines choses. Il n'a pas le sentiment de la musique, des beaux-arts. Sentiment musical. À mesure que le souvenir de nos chutes s'éloigne, le sentiment de notre fragilité s'affaiblit, Massillon, Carême, Mélange. Uniquement conduits par le sentiment présent du bien et du mal, Montesquieu, Rom. V. Au sentiment de sa faiblesse l'homme joindrait le sentiment de ses besoins, Montesquieu, Esp. I, 1. Ému de compassion sur les faiblesses humaines par le profond sentiment des siennes, Rousseau, Ém. IV. Ce sentiment des convenances si juste, si délicat, si fin, qui semblait être en elle le pur instinct du goût, Marmontel, Mém. 1. Le sentiment du beau physique, soit en architecture, soit en harmonie, dépend essentiellement du rapport des objets avec nos organes, Marmontel, Œuv. t. VI, p. 240.

    Choses de sentiment, choses qui appartiennent à l'appréciation du sentiment, non à celle de la raison. Ceux qui sont accoutumés à raisonner par principes, ne comprennent rien aux choses de sentiment, y cherchant des principes, et ne pouvant voir d'une vue, Pascal, Pens. VII, 33, édit. HAVET.

    Juger par sentiment, juger par l'impression qu'on reçoit. Ceux qui sont accoutumés à juger par le sentiment ne comprennent rien aux choses de raisonnement ; car ils veulent d'abord pénétrer d'une vue, et ne sont point accoutumés à chercher les principes, Pascal, ib. Ils examinaient le Cid par l'exacte raison, et ils ne voyaient pas qu'au spectacle on juge par sentiment, Voltaire, Comm. Corn. Poly. Ép. dédic.

  • 7Il se dit des affections, des mouvements de l'âme, des passions. Ah ! mon père, prenez un plus doux sentiment, Corneille, Hor. IV, 1. Ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés, Pascal, Pens. VIII, 6. La raison agit avec lenteur… le sentiment n'agit pas ainsi, il agit en un instant, et toujours est prêt à agir, Pascal, ib. XXIV, 52. Madame confesse humblement avec tous les sentiments d'une profonde douleur que de ce jour seulement elle commence à connaître Dieu…, Bossuet, Duch d'Orl. Comme Dieu ne voulait plus exposer aux illusions du monde les sentiments d'une piété si sincère, il a fait ce que dit le Sage, il s'est hâté, Bossuet, ib. Il n'y a rien de suivi dans les conseils de ces nations sauvages et mal cultivées ; si la nature y commence souvent de beaux sentiments, elle ne les achève jamais, Bossuet, Hist. III, 3. Bientôt l'amour, fertile en tendres sentiments, S'empara du théâtre ainsi que des romans, Boileau, Art p. III. Et vous-même, étouffant tout sentiment humain…, Racine, Iph. IV, 6. Je n'ai plus de sentiment que pour la tristesse, Fénelon, Tél. XX. Quand ils virent qu'Idoménée prenait des sentiments d'humanité et qu'il voulait être leur père, Fénelon, ib. XII. Je vous conjure surtout de donner aux sentiments cette juste étendue, nécessaire pour les faire entrer dans l'âme du lecteur, Voltaire, Lett. Chabanon, 5 mai 1768. Sentiment n'est pas simple préjugé ; c'est quelque chose de bien plus fort : une mère n'aime pas son fils parce qu'on lui dit qu'il le faut aimer ; elle le chérit heureusement malgré elle, Voltaire, Dict. phil. Préjugés. Qui n'ont que des opinions et jamais des sentiments, Duclos, Consid. mœurs, 5. On cherche dans le ciel les mêmes sentiments qui ont occupé sur la terre, Staël, Corinne, XVIII, 5.
  • 8Particulièrement, les affections bonnes, bienveillantes, tendres. Les sentiments du cœur me paraissent seuls dignes de considération ; c'est en leur faveur que l'on pardonne tout ; c'est un fonds qui nous console, et qui nous paye de tout, Sévigné, 289.

    Absolument. Avoir des sentiments, avoir de l'honneur, de la probité, etc. L'éducation fortifie les sentiments.

    Sentiments naturels, certains mouvements qui sont inspirés par la nature.

    On dit dans le même sens : Cet homme a perdu tous les sentiments de la nature.

    Familièrement. Grands sentiments, sentiments exagérés de probité, d'honneur, etc. Il me fallait des romans à grands sentiments, Rousseau, Conf. IV.

  • 9 Absolument. Le sentiment, l'ensemble des affections tendres qui sont dans le cœur de l'homme. C'était [une dame] l'âme la plus sensible et l'esprit le plus réglé qui fût jamais ; tout était sentiment en elle, jusqu'à ses pensées, mais sentiment dans un accord parfait avec les lumières les plus pures, Staal, Mém. t. III, p. 135. Vous savez bien qu'on a du sentiment avant d'avoir de l'esprit, Marivaux, Marian. 9e part. Il ne nous reste plus pour achever l'homme que de faire un être aimant et sensible, c'est-à-dire de perfectionner la raison par le sentiment, Rousseau, Ém. III. Des hommes plus faits pour juger Despréaux ont mieux rencontré ce talon d'Achille dans la partie du sentiment dont il paraît avoir été privé ; c'était, qu'on nous permette cette expression, une espèce de sens qui manquait à cet illustre écrivain, D'Alembert, Éloges, Despréaux. Voulez-vous vous assurer d'avoir parlé le langage du sentiment, considérez si votre discours rend les accessoires qu'on devrait lire sur votre visage, dans vos yeux et dans tous vos mouvements, Condillac, Art d'écr. II, 12. N'y a-t-il pas dans le cœur de l'homme une pitié divine pour les erreurs que le sentiment ou du moins l'illusion du sentiment aurait fait commettre ? Staël, Corinne, V, 1.

    Être capable de sentiment, se piquer de sentiment, avoir l'âme sensible, délicate, se piquer de sensibilité, de délicatesse d'âme.

  • 10Spécialement. La passion de l'amour. Témoignes-tu pour moi les moindres sentiments ? Corneille, Poly. IV, 3. Son sentiment était si profond, que rien au monde ne pouvait la distraire des objets qui servaient à le nourrir, La Fayette, Princ. de Clèves. J'apprends que les Anglais se sont élevés contre quelques-uns de nos poëtes, qui, à propos et hors de propos, ont voulu faire les héros galants, et leur font pousser à toute outrance les sentiments tendres, Bossuet, Comédie, 15. Le danger, le malheur ajoute au sentiment, Voltaire, Orphel. II, 7. Je suis à peine en mon printemps, Et j'ai déjà des sentiments. - Vous êtes un petit fripon, Voltaire, Poés. mêl. 172. Tendres amis, époux fidèles, sans brûler de ce feu dévorant qui consume l'âme, vous vous aimez d'un sentiment pur et doux qui la nourrit, que la sagesse autorise, que la raison dirige, Rousseau, Hél. III, 18.

    Par plaisanterie. Pousser les beaux sentiments, affecter de dire des choses recherchées et passionnées en matière de galanterie. Héroïnes du temps, mesdames les savantes, Pousseuses de tendresse et de beaux sentiments, Molière, Éc. des femmes, I, 5.

  • 11Disposition à être facilement touché, attendri. Le théâtre met à profit le sentiment. Feindre, jouer le sentiment.

    Mouvement affectueux. Le roi y envoya [chez Luxembourg mourant] quelquefois, par honneur plus que par sentiment, Saint-Simon, 26, 43.

  • 12Dans la littérature, la peinture, la sculpture, expression vive, animée, douce. Ce tableau est plein de sentiment. Un morceau rempli de sentiment. Dans les vers de Virgile, tout pense, tout a du sentiment, tout vous en donne, Fénelon, t. XXI, p. 207. Il faut s'interdire ce ton didactique ; on doit le plus qu'on peut mettre les maximes en sentiment, Voltaire, Comm. Corn. Rem. Pompée, I, 1. Il y a de la naïveté [dans cette romance]… du sentiment même, Beaumarchais, M. de Figaro, II, 4.

    Trait de sentiment, vers de sentiment, trait, vers qui exprime un mouvement du cœur. Combien d'excellents vers on peut citer où il n'y pas l'ombre d'images ! combien même y en a-t-il, comme les vers de sentiment, que toute espèce d'image affaiblirait, qui n'ont que l'expression la plus simple et qui n'en valent que mieux ! D'Alembert, Œuvr. t. IV, p. 164.

  • 13Manière de percevoir les impressions morales. Comme on se gâte l'esprit, on se gâte aussi le sentiment ; on se forme l'esprit et le sentiment par les conversations ; on se gâte l'esprit et le sentiment par les conversations, Pascal, Pens. VII, 16. Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment ; mais la fantaisie est semblable et contraire au sentiment, de sorte qu'on ne peut distinguer entre ces contraires ; l'un dit que mon sentiment est fantaisie, l'autre que sa fantaisie est sentiment, Pascal, ib. VII, 4. Elles [les lettres de Balzac et de Voiture] sont vides de sentiments qui n'ont régné que depuis leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance, La Bruyère, I.
  • 14Avis, opinion qu'on a sur quelque chose, jugement qu'on en porte… Le mien [intérêt] ne m'est pas si cher que je ne l'oublie volontiers en cette occasion, et ne sorte de mes sentiments pour entrer dans le dessein de la Providence, Guez de Balzac, lett. II, liv. VI. Cet avis, qui tombait dans le sentiment de tous les autres académiciens, fut généralement suivi, Pellisson, Hist. acad. I. Parlez-moi franchement, je serai fort aise de savoir votre sentiment là-dessus, Hauteroche, Crisp. méd. II, 9. Et je crois, à parler à sentiments ouverts, Que nous ne nous en devons guère, Molière, Amph. Prolog. Heurter de front ses sentiments, c'est le moyen de tout gâter, Molière, l'Av. I, 8. Je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre Le fond de notre cœur dans nos discours se montre, Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments Ne se masquent jamais sous de vains compliments, Molière, Mis. I, 1. Tout cela… Madame, fut blâmé d'un commun sentiment, Molière, ib. III, 5. Il était lui-même dans ce sentiment, Pascal, Prov. I. Je vous pardonne d'avoir cru qu'Aristote ait été de ce sentiment, Pascal, ib. IV. Elle [Mme de Grignan] a le même sentiment que nous des jolis vers que nous lui avons montrés, Sévigné, à Bussy, 4 mai 1686. L'Angleterre trop libre dans sa croyance, trop licencieuse dans ses sentiments, Bossuet, Reine d'Anglet. Pour entrer dans les sentiments de ces sages historiens, Bossuet, Hist. III, 6. Ne soyons pas de ceux qui pensent diminuer la gloire de Dieu et de Jésus-Christ, quand ils prennent de hauts sentiments de la sainte Vierge et des saints, Bossuet, Sermon. Dévotion à la Ste Vierge, 2. Quoiqu'il ait eu sur la pénitence des sentiments outrés, Bourdaloue, Avent, Sur la pénit. 201. Voilà l'homme en effet : il va du blanc au noir, Il condamne au matin ses sentiments du soir, Boileau, Sat. VIII. Le courtisan n'eut plus de sentiments à soi, Boileau, Épît. IX. Avec mes volontés ton sentiment conspire, Racine, Esth. II, 5. Puis-je, laissant la feinte et les déguisements, Vous découvrir ici mes secrets sentiments ? Racine, Mithr. I, 3. Le sentiment de ceux qui croient les comètes des corps éternels, aussi bien que les planètes, Fontenelle, Guglielmini. Souvenez-vous toujours que je n'enseigne point mon sentiment, je l'expose, Rousseau, Ém. IV.

    Au sentiment de, selon l'opinion de. J'ai un certain valet, nommé Mascarille, qui passe, au sentiment de beaucoup de gens, pour une manière de bel esprit, Molière, Préc. I.

    PROVERBE

    Autant de têtes, autant de sentiments, sur une chose il y a autant d'avis qu'il y a de personnes.

HISTORIQUE

XIIe s. Et ke li amors de la devantriene [intérieure] compassion sormontat en luy lo sentement del corporiien torment, Saint Bernard, p. 143.

XIIIe s. Là je choisi [vis] un papegaut [perroquet], Qui prioit amoreusement Et dousement De sentement Une mauvis par douz assaut, Lay d'amours, Jubinal, t. II, p. 190.

XIVe s. Il [le nerf] a la nativité du cervel ou de la nuche, portant le sentiment et le mouvement d'iceus à chacun membre, H. de Mondeville, f° 9. Bauduins de Sebourc chante joïeusement Une chanson d'amours, faite par sentement, Que Blance li avoit apris noviellement, Baud. de Seb. VI, 393.

XVe s. Et là [Philippe d'Artevelle aux Gantois] de grand sentement parla, Froissart, II, II, 155. Prince, selon mon sentement, Il faut s'acquiter loyaument, Orléans, Ball. 144. Si print à faire balades, rondeaux, virelais, lais et complainctes d'amoureux sentiment, Bouciq. I, 8. Le roy, qui avoit en grant joye ces nouvelles… combien que desja paravant en povoit bien avoir eu quelque sentement, mais non pas si ample, Commines, IV, 6.

XVIe s. Si je vous disois que… le sentement que vous avez du contraire me dementiroit, Marguerite de Navarre, Lett. XXXIII. Elle l'enterra le plus profond en terre qu'il lui fut possible ; si est-ce que les bestes en eurent incontinent le sentiment, qui vinrent manger la charogne, Marguerite de Navarre, Nouv. LVII. Le sentiment [connaissance] de ce qui est, Montaigne, I, 12. Sans respiration et sans sentiment, Montaigne, I, 93. Ces discours [sur l'amitié] me semblent lasches au prix du sentiment que j'en ay, Montaigne, I, 218. La sagesse doibt alleger le sentiment des maulx, Montaigne, I, 228. Le peuple, qui reçoit oppression des soldats, ne les excusera pas tant, pour ce qu'ils le defendent, comme il les maudira pour ce qu'ils le devorent, ensevelissant le souvenir du bien dans le sentiment des maux, Lanoue, 190. Il avoit fait cette escapade contre le sentiment de ses amis, D'Aubigné, Vie, LVI. Il avoit deux filz et une fille, qui n'avoient pas grand sentiment ny gueres de cognoissance de leur calamité, pour le bas aage auquel ilz estoient, Amyot, P. Aem. 56. L'ouye est celui de tous les sentimens, qui plus promptement et plus vivement emeut l'ame et les passions d'icelle, Amyot, Crassus, 44. Au corps sont les sentementz interieurz, que sont entiereté, parité, vigueur, puissance, santé, fermeté de corps et le playsir epanché par tout ledit corps, Bonivard, Amartigenée, p. 150.

ÉTYMOLOGIE

Sentir, et le suffixe ment (voy. …MENT, n° 2) ; provenç. sentiment ; espagn. sentimiento ; ital. sentimento.