« seul », définition dans le dictionnaire Littré

seul

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

seul, eule

(seul, seu-l' ; au pluriel, seuls précédant son substantif, l's se lie : les seul-z hommes) adj.
  • 1Qui n'est point avec d'autres, qui est sans compagnie. Il est seul dans sa chambre. Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi, La Fontaine, Fabl. VII, 10. Vraiment ! voilà qui m'étonne que nous ayons été seules l'une et l'autre tout aujourd'hui, Molière, Critique, 1. Nous sommes plaisants de nous reposer dans la société de nos semblables… on mourra seul ; il faut donc faire comme si on était seul, Pascal, Pens. XIV, 1, édit. HAVET. Je suis seule, comme une violette, aisée à cacher ; je ne tiens aucune place ni aucun rang sur terre que dans votre cœur, Sévigné, 606. Ô mon souverain roi, Me voici donc tremblante et seule devant toi, Racine, Esth. I, 4. Le commencement et le déclin de l'amour se font sentir par l'embarras où l'on est de se trouver seuls, La Bruyère, IV. Qu'est-ce, Dorante ? vous voilà bien seul aujourd'hui ; vous avez pourtant coutume de ne pas revenir sans compagnie, Dancourt, Maison de campagne, sc. 27. Je suis seul en ce lieu sans être solitaire, Et toujours occupé sans avoir rien à faire, Destouches, Phil. marié, I, 1. Je ne suis à moi que quand je suis seul ; hors de là, je suis le jouet de tous ceux qui m'entourent, Rousseau, 9e prom. Je suis convaincu qu'il n'est pas bon que l'homme soit seul, Rousseau, Hél. II, 13. Et, même dans nos plaisirs, nous serions trop seuls, trop misérables, si nous n'avions avec qui les partager, Rousseau, Ém. IV. Quand je suis avec mon ami, je ne suis pas seul, et nous ne sommes pas deux, Barthélemy, Anach. ch. 75. Après le rare bonheur de trouver une compagne qui nous soit bien assortie, l'état le moins malheureux de la vie est sans doute de vivre seul, Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virg.

    Seul à seul, en tête-à-tête. Hé bien ! nous nous verrons seul à seul chez Barbin, Molière, Fem. sav. III, 5. Il est doux, Madame, de me voir seul à seul avec vous…, Molière, Tart. III, 3. Je veux de cette affaire, Lui parlant seul à seul, pénétrer le mystère, Th. Corneille, D. César d'Aval. V, 1.

    Fig. Vivre seul dans le monde, être seul sur la terre, n'être uni à personne par les liens de l'affection, de l'amitié, vivre dans l'isolement. La pauvre Mme de la Fayette me mande l'état de son âme [au sujet de la mort de M. de la Rochefoucauld] …elle est seule dans le monde, Sévigné, 9 juin 1680. Britannicus est seul, Racine, Brit. II, 3. Me voici donc seul sur la terre, n'ayant plus de frère, de prochain, d'ami, de société que moi-même, Rousseau, 1re prom. Quelle émulation peut-on éprouver, quand on est seule sur la terre ? Staël, Cor. XVIII, 3.

    Dans le langage familier. Ils sont très seuls, ils voient très peu de monde, ils reçoivent très peu de visites.

  • 2 Terme de musique. Voix seule, voix qui chante pendant que les autres se taisent.
  • 3Unique. Un seul Dieu. Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du genre humain, et, dans une seule mort, faire voir la mort et le néant des grandeurs humaines, Bossuet, Duch. d'Orl. Ce parfait concert qui fait agir les armées comme un seul corps ou comme un seul homme, Bossuet, Louis de Bourbon. Celui qui règne dans les cieux, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l'indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois, Bossuet, Reine d'Anglet. Il fut seul en butte aux factieux ; lui seul, disait-on, savait dire et taire ce qu'il fallait, Bossuet, le Tellier. Elle n'a eu à se repentir que d'avoir une seule fois souhaité une mort plus douce, Bossuet, Anne de Gonz. Tout le royaume pleure la mort de son défenseur, et la perte d'un homme seul est une calamité publique, Fléchier, Tur. Vous verriez M. de Lamoignon, recevant une foule d'amis comme si chacun eût été le seul, Fléchier, Lamoignon. Y a-t-il un homme de bon sens qui daignât comparer tous les ouvrages d'Ion ensemble au seul Œdipe de Sophocle ? Boileau, Longin, Subl. ch. 27. Il fut des Juifs, il fut une insolente race… Un seul osa d'Aman attirer le courroux, Aussitôt de la terre ils disparurent tous, Racine, Esth. II, 1. Je suis, et je serai la seule infortunée, Racine, Iphig. IV, 1. Ce Mars, qui, étant blessé par Diomède, crie, dites-vous, comme neuf ou dix mille hommes et n'agit pas comme un seul, Fontenelle, Dial. 5, morts anc. Un seul mot m'accablait, un seul mot me rassure, Voltaire, Adél. du Guesclin. I, 4. De toutes les guerres, celle de Spartacus est la plus juste, et peut-être la seule juste, Voltaire, Dict. phil. Esclaves. Je lisais [dans Tacite] les crimes de Rome, Et l'empire à l'encan vendu, Et, pour élever un seul homme, L'univers si bas descendu, Lamartine, Médit. le Lézard (1846).

    Un seul… ne…, pas un. Mille logis y sont, un seul ne s'ouvre aux Dieux, La Fontaine, Phil. et Bauc.

  • 4Seul, en parlant d'un privilége affecté particulièrement à certaines personnes. L'enceinte sacrée ouverte aux seuls lévites, Racine, Athal. II, 2. L'honneur… D'être seuls employés aux autels du Seigneur, Racine, Ath. IV, 3.
  • 5Qui n'a pas d'aide, de concours, d'appui. Et qu'il vaut mieux souffrir d'être au nombre des fous, Que du sage parti se voir seul contre tous, Molière, Éc. des mar. I, 1. [Toi, Louis XIV] Et qui seul, sans ministre, à l'exemple des dieux, Soutiens tout par toi-même, et vois tout par tes yeux, Boileau, Disc. au roi. J'ai moi seul autrefois plaidé tout un chapitre, Boileau, Lutr. III. Peuvent-ils de leurs rois venger seuls la querelle ? Racine, Athal. I, 2.

    Tout seul se dit dans le même sens. C'est une grande folie de vouloir être sage tout seul, La Rochefoucauld, Réfl. mor. n° 231. Et ses écrits tout seuls doivent parler pour lui [un auteur], Boileau, Sat. IX. Il faudrait avoir vu naître des hommes et des animaux du sein de la terre et des blés sans germe, pour oser affirmer que la matière toute seule se donne de telles formes, Voltaire, Dial. 7. Vous devez être assez grand pour aller tout seul ; et mon bras malade est un pauvre appui, Mirabeau, Lett. orig. t. IV, p. 34.

    Aller tout seul, se dit des choses qui procèdent d'elles-mêmes, se font sans difficulté. Que n'avez-vous un peu de ma grande santé ? je ne vous en dis rien, parce qu'elle va toute seule, Sévigné, 25 déc. 1679. Que les hommes ne pensent plus que le monde va tout seul, et que ce qui a été sera toujours comme de lui-même, Bossuet, Hist. II, 1. Je gâterais peut-être tout, si je m'en mêlais : cela va tout seul, Marivaux, Sec. surpr. de l'am. I, 11.

  • 6Simple, sans rien autre. À cette seule pensée tous mes sens sont glacés. Je tremble au seul récit de la tempête qui…, Bossuet, Reine d'Anglet. Votre seule bonté n'est point ce qui me nuit, Racine, Mithr. IV, 2. Renvoyé dans Paris sur ma seule parole, Voltaire, Zaïre, II, 1.
  • 7Le seul… qui… avec l'indicatif, quand celui qui parle veut rendre l'idée positive. Il [Dieu] a continué par là à montrer qu'il en était le maître absolu [de l'univers], et que sa volonté était le seul lien qui entretient l'ordre du monde, Bossuet, Hist. II, 1. Ils [les Égyptiens] se vantaient d'être les seuls qui avaient fait, comme les dieux, des ouvrages immortels, Bossuet, ib. III, 3. L'homme est le seul de tous les animaux qui est droit sur ses pieds, Fénelon, Exist. I, 42. Le jeune comte de Noailles mourut de la petite vérole à Perpignan ; de beaucoup de frères qu'avait eus le duc de Noailles, c'était le seul qui restait, Saint-Simon, 284, 105.

    Le seul… qui avec le conditionnel. C'est le seul danger qu'on pourrait craindre, Dict. de l'Acad.

    Le seul. .. qui… avec le subjonctif, quand l'idée n'est pas positive. La seule chose qui dépende de nous c'est de rendre nos souffrances méritoires, Massillon, Avent, Afflict. Les Marattes, dans ces vastes pays, sont presque les seuls qui soient libres, Voltaire, Louis XV, 29.

  • 8Où il y a peu de monde, solitaire, en parlant d'un lieu. Je suis en peine de savoir où vous irez après votre assemblée …Grignan est bien froid ; Salon est bien seul, Sévigné, 25 déc. 1672.
  • 9N'avoir pas pour un seul ennemi, logis, etc. avoir plus d'un ennemi, d'un logis, etc. (locution que beaucoup rendraient aujourd'hui par la tournure barbare : n'avoir pas qu'un ennemi, qu'un logis, et qui s'interprète par : n'avoir pas ennemi qui soit unique). Moins d'ennemis attaquent leur pudeur [des femmes du monde] ; Les autres [les cloîtrées] n'ont pour un seul adversaire : Tentation, fille d'oisiveté…, La Fontaine, Mazet.
  • 10De bons auteurs ont employé, par pléonasme, seul avec ne… que. Ce n'est qu'après moi seul que son âme respire, Molière, Éc. des mar. II, 14. Notre sort ne dépend que de sa seule tête, Molière, Éc. des f. III, 3. Le roi son mari lui a donné jusqu'à la mort ce bel éloge, qu'il n'y avait que le seul point de la religion où leurs cœurs fussent désunis, Bossuet, Reine d'Anglet.
  • 11 S. m. Le gouvernement d'un seul, la monarchie absolue. Le gouvernement d'un seul est celui que l'usage aura introduit le premier ; et ce gouvernement se sera conservé, tant que les familles réunies auront eu à se défendre contre des ennemis inconnus, Condillac, Hist. anc. liv. I, ch. 7.

    On dit de même : le pouvoir, l'autorité d'un seul. Le principe d'une monarchie ou d'une république n'est ni l'honneur ni la vertu ; une monarchie est fondée sur le pouvoir d'un seul ; une république est fondée sur le pouvoir que plusieurs ont d'empêcher le pouvoir d'un seul, Voltaire, Louis XIV, 21.

    PROVERBE

    Un malheur ne vient jamais seul.

    En sens inverse. Un bonheur n'arrive jamais seul, Sévigné, 330.

REMARQUE

1. Seul suivi du pronom relatif qui, que, où, etc. se met avant son substantif.

2. Placé avant son substantif, seul a un sens différent de seul placé après. Dans le premier cas, il signifie qu'entre toutes la chose que l'on considère est celle qui… etc. ; dans le second cas, que la chose toute seule, sans rien autre, est celle qui… etc. Un seul mot convient ici, c'est-à-dire il n'y a qu'un mot entre tous les mots qui convienne ici. Un mot seul convient ici, c'est-à-dire qu'ici il n'est besoin que d'un mot sans rien autre. Ces deux sens sont bien marqués dans ces vers de Boileau : Concluons qu'ici bas le seul honneur solide, C'est de prendre toujours la vérité pour guide… D'accomplir tout le bien que le ciel nous inspire, Et d'être juste enfin ; ce mot seul veut tout dire, Sat. XI. Dans l'édit. de 1701, il y a : Ce seul mot veut tout dire ; ce qui signifiait : ce mot est le seul qui veuille tout dire ; sens bien différent de la pensée du poëte. Ainsi il ne faudrait pas dire : Le seul honneur est son guide, mais l'honneur seul est son guide ; il n'y a qu'en poésie que cela est admis.

HISTORIQUE

XIe s. N'i ad paien ki un sul mot respundet, Ch. de Rol. II. Rolans s'en turnet, par le camp [champ] vait tut suls, ib. CLX. Ne [des nègres] n'unt de blanc ne mais que sul les denz, ib. CXLII.

XIIe s. Il [le tribut] ne lor fut requis nes [même] une sole fois, Sax. XVIII.

XIIIe s. N'en i a un tout seul [qui] n'ait la table guerpie, Berte, II. Dont venez vous si seule parmi ce gaut feuillu ? ib. LI. Ennuit me sui el bois toute seule geüe, ib. LII. En une chambre l'enmenrés Tot seul à seul privéement, Que il n'ait honte de la gent, Lai de Melion. M'en alai tout seus esbatant, Et les oiselés escoutant, la Rose, 99. Et s'il le requiert, si pot il aler toz seus es besognes de l'execussion acomplir, Beaumanoir, XII, 28. Ce ne les escuse pas, quant il sont trové seul à seul en lieu privé, Beaumanoir, XXX, 103. Et au cief de cinq ans, en un sol jor et en une sole hore, toutes les viles de Lombardie coururent sus à cis qui estoient à l'empereor, Beaumanoir, XXX, 63.

XVe s. Le seul parler de saint Augustin [les Soliloques de saint Augustin], Invent. des livres de Charles V, dans LACURNE. Se j'y allois, vous demeureriez ici toute seule de femme, Louis XI, Nouv. XXXIX.

XVIe s. Il n'en est pas eschappé un seul, H. Estienne, Conformité, p. 18. Il se trouva roide mort, du seul coup de son imagination, Montaigne, I, 91. Gaignons sur nous de pouvoir vivre seuls, Montaigne, I, 277. … de telle façon que l'un ny l'autre ne puisse discerner ne recognoistre ce qui luy appartient en seul, ne ce qui est à l'autre, La Boétie, 288. La puissance d'un seul, dès-lors qu'il prend ce tiltre de maistre, est dure et desraisonnable, La Boétie, Servit. volont. Son fils combatit seul à seul contre Brutus, Amyot, Publ. 30. Ils tenoient les barbares loing de la Grece, sans qu'eulx contribuassent pour ce faire un seul homme, un seul cheval, ny un seul vaisseau, ains seulement de l'argent, Amyot, Péric. 24. Caton avoit dit ces paroles à Munatius de seul à seul, Amyot, Cat. d'Utiq. 50.

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. sô, sôle au féminin ; Berry et normand, au pluriel, seuls prononcé seû ; wallon, seu ; provenç. sol ; espagn. solo ; portug. , ital. solo ; du lat. solus, anc. lat. sollus ; osque, sollo, comparez le grec ὄλος, lat. salvus, entier, sain, et sansc. sarva, tout.