« souvenir », définition dans le dictionnaire Littré

souvenir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

souvenir [1]

(sou-ve-nir ; d'après Palsgrave, p. 4, au XVIe siècle ; il lui souvient est prononcé il lui souviant) v. n. impersonnel.

Il se conjugue comme venir.

  • 1Venir à l'esprit (sens étymologique et primitif). Il m'est souvenu d'un passage qui confirme mon idée. Qu'il te souvienne De garder ta parole, et je tiendrai la mienne, Corneille, Cinna, V, 1. Il peut vous souvenir quelles furent mes larmes, Quand Tryphon me donna de si rudes alarmes, Corneille, Rodog. II, 3. Quoi qu'on m'ait fait d'outrage, il ne m'en souvient plus, Corneille, Sertor. III, 4. Sur ce propos, d'un conte il me souvient, La Fontaine, Fabl. III, 7. Je vous remercie de vous habiller ; vous souvient-il combien vous nous avez fatigués avec ce méchant manteau noir ? Sévigné, à Mme de Grignan, 21 juin 1671. Il vous souvient de plus que le roi votre père… - Jodelet : Ma foi, s'il m'en souvient, il ne m'en souvient guère, Th. Corneille, Geôlier de soi-même, II, 6. Ne vous souvient-il plus, seigneur, quel fut Hector ? Racine, Andr. I, 2. Mon père, il m'en souvient, m'assura de ton zèle, Racine, Brit. I, 4. J'ai pu voir Mme de Fontanges ; mais ou je ne l'ai pas vue, ou il ne m'en souvient pas, Mme de Caylus, Souvenirs, p. 39, dans POUGENS.

    Qu'il me souvienne, autant que je puis me le rappeler. De lui je n'ai, qu'il me souvienne, rien à vous dire, Imbert, Jaloux sans amour, II, 7. Il vous souvient de cette fête Où l'on voulut nous voir danser, Marmontel, la Fausse magie.

    Familièrement. C'est du plus loin qu'il me souvienne, se dit d'une chose dont le souvenir est presque effacé. Vous voir ! c'est du plus loin qu'il me souvienne, Regnard, Joueur, III, 7. Vous vous souvenez, quoique ce soit du plus loin qu'il vous souvienne, que c'est la religieuse qui parle, Marivaux, Marianne, 9e part.

  • 2Se souvenir, v. réfl. Avoir mémoire de quelque chose. Je ne me souviens pas s'il y était. Je ne me souviens pas quand cela est arrivé. Je ne me souviens point que vous soyez venue, Depuis le temps de Thrace, habiter parmi nous, La Fontaine, Fabl. III, 15. Nous nous souvenons encore très distinctement comme tout cela passe vite à Paris, Sévigné, 17 juin 1685. À la vue du saint viatique, le prince de Condé se souvient des irrévérences dont hélas ! on déshonore ce saint mystère, Bossuet, Louis de Bourbon. Hélas ! je m'en souviens : le jour que son courage Lui fit chercher Achille, ou plutôt le trépas, Il demanda son fils…, Racine, Andr. III, 8. Peu de gens se souviennent d'avoir été jeunes, et combien il leur était difficile d'être chastes et tempérants, La Bruyère, XI. Bonsoir, mon très cher confrère, souvenez-vous de moi avec ceux qui s'en souviennent, Voltaire, Lett. Marmontel, 21 juin 1771. Il [le P. Thomassin] oublia sur la fin de sa vie tout ce qu'il avait su, et ne se souvint plus d'avoir écrit, Voltaire, Louis XIV, Écriv. Thomassin. Qu'il [Pythagore] avait été, et qu'il s'en souvenait bien, jeune garçon, jeune fille, plante immobile, poisson phosphorique, oiseau léger, puis philosophe, Diderot, Op. des anc. philos. (Pythagorisme)

    Je me souvien, écrit sans s, par une licence poétique qui est un archaïsme. Je me souvien D'avoir eu pour ami, dans mon enfance, un chien, Lamartine, Joc. III, 120.

    Se souvenir de loin, se souvenir de choses arrivées il y a longtemps.

    Fig. Il n'est pas vieux, mais il se souvient de loin, se dit ironiquement d'un vieillard qui fait le jeune.

    Avec ellipse du pronom personnel. Tous les objets qui se présentent à moi me font souvenir d'elle [une dame], Voiture, Lett. 42. Le cocher de Mme de Caderousse fait assez souvenir de celui du cardinal de Retz, Sévigné, 26. Il [un jésuite portugais] me demanda de l'emploi dans ma maison ; cela me fit souvenir de l'aumônier Poussatin [des Mémoires de Grammont] ; je lui proposai d'être laquais, Voltaire, Lett. Chauvelin, 25 oct. 1761.

  • 3Garder la mémoire soit d'un bienfait, soit d'une injure. Seigneur, ne vous souvenez point de nos offenses. Que tarde la chrétienté à se souvenir et des secours de Candie et de la fameuse journée de Raab où Louis renouvela dans le cœur des infidèles l'ancienne opinion qu'ils ont des armes françaises ? Bossuet, Mar.-Thér. Ne vous souvenez plus qu'il vous ait offensée, Racine, Brit. IV, 1. Il faut que sur le trône un roi soit élevé, Qui se souvienne un jour qu'au rang de ses ancêtres Dieu l'a fait remonter par la main de ses prêtres, Racine, Ath. I, 2. Je sais ce qu'on vous doit… Et je m'en souviendrais, si vous n'en parliez pas, Voltaire, Sémir. II, 1.

    Par forme de menace. Je m'en souviendrai, je l'en ferai repentir.

    Il s'en souviendra, il s'en repentira.

    On dit de même. Souvenez-vous-en.

  • 4S'occuper de, avoir soin de. Souvenez-vous de mon affaire. Souvenez-vous surtout de répondre de lui, Voltaire, Triumv. III, 5.

    Considérer, faire attention. Souviens-toi que tu n'es que poussière. Elle console le roi, qui lui écrit de la prison même qu'il ne faut craindre de lui aucune bassesse, parce que sans cesse il se souvient qu'il est à elle, Bossuet, Reine d'Angleterre. Souvenez-vous bien Qu'un dîner réchauffé ne valut jamais rien, Boileau, Lutr. I.

REMARQUE

1. Souvenir suivi de que, dans une phrase affirmative ou interrogative, veut l'indicatif ; dans une phrase négative, veut le subjonctif : Je me souviens que vous avez dit cela ; je ne me souviens pas que vous ayez dit cela.

2. Faire souvenir quelqu'un d'une chose ou faire souvenir à quelqu'un d'une chose : les deux se disent ; cependant la première façon est plus usitée, se rapportant à se souvenir, verbe réfléchi ; la seconde plus correcte, se rapportant à il souvient, verbe impersonnel. Achior tout seul ose parler sans artifice, et faire souvenir à ce chef orgueilleux [Holopherne] que toutes ses forces viendront échouer contre cette ville [Béthulie], Massillon, Carême, Mélange. Vaugelas admettait ces deux constructions, tout en disant que la première est plus usitée à la cour. L'Académie, dans ses Remarques sur Vaugelas, condamne absolument la seconde ; mais elle se trompe, ne distinguant pas dans souvenir le verbe impersonnel et le verbe réfléchi.

3. Latin subvenire, venir par-dessous ; de là la locution il me souvient, la seule dont nos anciens se soient servis. Ce n'est qu'au XVIe siècle que je me souviens s'est introduit, par un barbarisme égal à un verbe tel que je m'importe, pour il m'importe. Mais ce barbarisme est désormais consacré ; et il n'y a pas à revenir contre l'usage.

4. Des grammairiens ont essayé d'établir une nuance entre il me souvient et je me souviens, disant que le premier marque une chose qui se présente d'elle-même à la mémoire, et le second une chose que l'on se rappelle à dessein. Cette distinction n'est pas réelle.

SYNONYME

SE SOUVENIR, SE RESSOUVENIR. Se souvenir, c'est garder le souvenir d'une chose. Se ressouvenir, c'est se rappeler le souvenir d'une chose que l'on avait oubliée : J'avais oublié cette conversation, vous m'en faites ressouvenir. Ressouvenir suppose une interruption dans le souvenir.

HISTORIQUE

XIe s. De grant dolur li poüst suvenir, Ch. de Rol. CCLV.

XIIe s. Ne lor sovenoit pas de jeu ne de chançon, Sax. XXII. Et li douz chans des menus oisillons Fait as pluseurs de joie suvenir, Couci, XII.

XIIIe s. Mais un espoir m'a tant reconforté, Que il lui doit de mes maus souvenir, le COMTE D'ANJOU, Romancero, p. 124. Quant [il] me souvient de Berte, à poi que [je] ne m'occi, Berte, CVIII. De si lonc tans comme il pot sovenir à homme, Beaumanoir, XXII, 7. Et bien doit nommer et especifier en son testament toutes les detes et toz les torfès dont il pot estre souvenans, Beaumanoir, XII, 58.

XIVe s. Sire, dist Bauduins, voeilliez à Dieu penser ; Ne vous doit souvenir fors de Dieu aourer, Baud. de Seb. VIII, 530. Sire, sovaignes vos de Caton en romant, Qui disoit à son fils…, Girart de Ross. v, 1255.

XVe s. Je vous envoie ce dont promptement m'est souvenu, Commines, Prol. Plusieurs fois avoit esté crié par aucuns des nostres, en combattant : Souvienne vous de Guinegate, Commines, VIII, 6.

XVIe s. Soubvenir assez vous peut de la mansuetude dont ilz usarent, Rabelais, Garg. I, 50. Le seigneur Dieu de nous souvenira, Plus que jamais Israel benira, Marot, IV, 326. Nous plorions melancoliques, Nous souvenans des malheurs de Sion, Marot, IV, 334. Souvienne-toi que chacun d'eux disoit : à sac, à sac, qu'elle soit embrasée, Marot, IV, 334. Souvienne-nous qu'on ne doit oster de sa gloire [de Dieu] tant peu que ce soit, Calvin, Instit. 68. Vous avés eu beaucoup d'amys ; mais souvegnés vous que vous n'avés eu que une mere, Marguerite de Navarre, Lett. 154. Il ne s'est point souvenu de dire, ou faire, ou taire cela, Montaigne, I, 34. Il m'est souvenu de mon homme, Montaigne, I, 182. Il me feit souvenir du conte que…, Montaigne, II, 72. L'ame, par sa faculté, ratiocine, se souvient, juge…, Montaigne, I, 295. Je l'ay bien ouy nommer, dit l'estranger, mais il ne m'en souvient pas, Amyot, Sol. 9. Il se prit à plorer par compassion en se souvenant de la fortune de son ayeul, Amyot, ib. 77. Quand on vous demandera là où vous avez abandonné votre capitaine, souvenez de rezpondre que ce a esté à Orchomene, Amyot, Sylla, 46. Il fault qu'ilz se souviennent que je n'ai pas pris à escrire des histoires, ains des vies seulement, Amyot, Alex. I.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. sovenir ; ital. sovvenire ; du latin subvenire, subvenir, de sub, sous, et venire, venir. Ce sont les langues romanes qui ont donné à ce verbe le sens de venir en mémoire, en le détournant légèrement : subvenit mihi, il me subvient, il subvient en ma mémoire.