« tailler », définition dans le dictionnaire Littré

tailler

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tailler

(tâ-llé, ll mouillées, et non tâ-yé) v. a.
  • 1Retrancher aux arbres certaines branches pour leur donner une certaine forme ou pour les mettre à fruit (sens étymologique). Tailler un arbre.

    Absolument. On taille avec la serpette ou le sécateur. Une autre question partage les vignerons : faut-il tailler long ou court ? les uns se règlent sur la nature du plant ou du terrain ; d'autres, sur la moelle des sarments, Barthélemy, Anach. ch. 59.

    Tailler à mort, tailler les arbres en leur laissant très peu de branches à fruit et à bois.

    Dans la Haute-Garonne, tailler la vigne à mort, la tailler à quatre yeux.

  • 2Retrancher d'une matière, avec un instrument tranchant ou autre, ce qu'il y a de superflu, pour lui donner une forme, la rendre propre à un usage. Tailler une pierre. Tailler une grotte dans le roc. On employait autrefois les diamants bruts tels qu'ils sortaient de terre ; ce n'est que dans le XVe siècle qu'on a trouvé en Europe l'art de les tailler, Buffon, Min. t. VII, p. 384. Voir broyer tes couleurs et tailler tes crayons, Marmontel, Épît. à Voltaire. S'enfermer pour tailler des plumes, Beaumarchais, Mar. de Figaro, III, 5.

    Fig. Il faut tailler ces pierres spirituelles pour les faire entrer dans l'édifice sacré de l'Église, Massillon, Or. fun. Villeroy. Voyez seulement les endroits où Racine a taillé en diamants brillants les caillous bruts de Corneille, Voltaire, Comm. Corn. Rem. Perth. I, 1.

    Fig. Donner une certaine longueur à quelque chose. Taille-t-on vos avis à une certaine mesure ? Pascal, Prov. II.

  • 3Sculpter. Pour vous éterniser sous ces arcs glorieux Qu'une savante main taille aux victorieux, Tristan, M. de Chrispe, I, 3. Si le seul Lysippe Fut digne de mouler l'héritier de Philippe, Si nul autre sculpteur ne le tailla que lui, La Fontaine, Lett. XI. Dinocrate… avait dit que, de toutes les montagnes qu'il connaissait, le mont Athos dans la Thrace était le plus propre à être taillé en forme humaine, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VI, p. 579, dans POUGENS. Phidias sur le tien [le Jupiter d'Homère] tailla son Jupiter, Tel que tu peins ce dieu sur le trône de l'air, Bien loin des autres dieux qui devant lui s'abaissent, Delille, Imag. V. César t'eût confié sa cendre, Et c'est toi qu'eût pris Alexandre Pour lui tailler le mont Athos, Hugo, Feuilles d'automne, à David, statuaire.

    Sculpter pour soi. L'art se tailla des dieux d'or, d'argent et de cuivre, Boileau, Sat. XI.

  • 4Couper en plusieurs morceaux, en plusieurs pièces, soit avec le couteau, soit avec des ciseaux. Tailler des chemises, un manteau. Tailler du pain par morceaux. Les travaux de son sexe, comme tailler et coudre une robe, Rousseau, Ém. v.

    Fig. Se tailler, tailler à soi. Le beau Raoul, d'ordinaire, se taillait dans la conversation une part royale, Ch. de Bernard, la Peau du lion, VI. Ô géant [Charles-Quint] !… On vend ton sceptre au poids ! un tas de nains difformes Se taillent des pourpoints dans ton manteau de roi, Hugo, Ruy-Blas, III, 2.

    Fig. Tailler la robe selon le corps, mesurer ses entreprises à ses forces, sa dépense à ses ressources. Aussi selon le corps on doit tailler la robe, Régnier, Sat. VI.

    Absolument. Cet ouvrier taille bien.

    Fig. Tailler et rogner, disposer des choses à sa fantaisie. Que chacun taille, rogne et glose sur mes vers, Régnier, Sat. XI. Coupez taillez en maître ; Vous pouvez tout, Th. Corneille, D. Cés. d'Av. I, 5. Coupez, taillez, rognez en pleine liberté, Destouches, Diss. IV, 4.

    Tailler la soupe, couper le pain en tranches minces pour les tremper avec le bouillon.

    Fig. et familièrement. Tailler des bavettes, se dit de ceux et surtout de celles qui s'amusent à causer, à babiller.

    Fig. Tailler une matière, parler d'une chose à tort et à travers. Voilà fort plaisamment tailler cette matière, Et donner à ta langue une libre carrière, Corneille, la Place roy. I, 1.

    Tailler de l'ouvrage, de la besogne, couper une étoffe de manière qu'il n'y ait plus qu'à coudre.

    Fig. Tailler de la besogne à quelqu'un, lui donner beaucoup de chose à faire, et aussi lui susciter beaucoup d'embarras. Il était indubitable que la furieuse révolte qui en même temps s'était faite en Espagne leur avait taillé de la besogne [aux Romains], Malherbe, Le XXXIIIe livre de Tite Live, ch. 19. On me taillait une besogne à laquelle je m'attendais peu, Retz, III, 72. J'attends les feuilles de Prault [un libraire] ; je lui taillerai de la besogne, Voltaire, Lett. d'Argental, déc. 1760. J'ai mis cela dans la tête de madame pour lui tailler de la besogne, Th. Leclercq, Prov. t. IV, p. 340, dans POUGENS.

    On dit de même : tailler de l'ouvrage.

    Tailler les morceaux, couper le pain, la viande par morceaux, de manière qu'il n'y ait plus qu'à manger.

    Fig. Tailler les morceaux à quelqu'un, lui prescrire ce qu'il doit faire, lui limiter ce qu'il doit dépenser. Mais dites-moi s'il n'est pas charmant de lui avoir taillé ses morceaux de la journée, de façon qu'il passe à rôder, à jurer après sa dame, le temps qu'il destinait à se complaire avec la nôtre ! Beaumarchais, Mar. de Figaro, II, 2.

    Tailler un habit en plein drap, couper un habit dans une pièce de drap entière.

    Fig. Il taille en plein drap, se dit d'un homme qui a toute liberté de s'étendre, de faire, de dépenser, etc. J'étais l'autre jour en un lieu où l'on taillait en plein drap : on ouvrait des prisons, on faisait revenir des exilés, on remettait plusieurs choses à leur place, Sévigné, à Bussy, 27 févr. 1679. On a beau faire, il faut prendre femme à Paris ; L'on y taille en plein drap, Regnard, le Bal, 8.

    Il a taillé en plein drap, il a été en pouvoir de faire tout ce qu'il a voulu.

  • 5 Fig. Tailler en pièces une armée, la défaire entièrement. Il commença à tailler en pièces ses ennemis, et à devenir célèbre par ses grandes actions, Sacy, Bible, Machab. I, IX, 66. Quelques régiments d'infanterie, particulièrement celui des gardes du prince d'Orange, se firent tailler en pièces, sans que pas un soldat quittât sa place et son rang, Pellisson, Lett. hist. t. III, p. 231. Deux régiments de ces paysans armés [milices suédoises] taillèrent en pièces le régiment des gardes du roi de Danemark, dont il ne resta que dix hommes, Voltaire, Charles XII, 5.

    Tailler des croupières à l'ennemi, le poursuivre vivement et de près, alors qu'il est en fuite. Les ennemis, pensant nous tailler des croupières, Firent trois pelotons de leurs gens à cheval, Molière, Amph. I, 1.

    Fig. Tailler des croupières à quelqu'un, lui susciter des embarras.

  • 6Tailler les mouches, tailler les ruches, enlever une partie des provisions que les abeilles y ont placées.
  • 7Tailler à mort, extraire totalement la résine des pins et des sapins.
  • 8 Terme de marine. Tailler un bâtiment, l'évider par devant, pour lui donner une marche supérieure.

    Absolument. Tailler de l'avant, avoir de la vitesse.

  • 9 Terme de chirurgie. Faire l'opération de la taille. Il fit mourir cet enfant par le moyen des médecins, sous prétexte de le faire tailler de la pierre qu'il n'avait pas, et se rendit maître d'une partie du royaume, Bossuet, Hist. I, 10. J'appris la mort de l'abbé de Machault, qui s'était fait tailler deux jours après la première douleur qu'il eût jamais ressentie de la pierre, Dangeau, I, 58, 4 oct. 1684. Je voyais que c'était un homme charitable qui me taillerait gratis dans l'occasion, Voltaire, Oreilles, 1.
  • 10 Terme de vétérinaire. Tailler un cheval, le châtrer.
  • 11 Terme de monnaie. Diviser un marc d'or ou d'argent en une certaine quantité de pièces égales de monnaie.
  • 12Mettre à la taille, imposer. Un bruit sourd continue que le Mazarin a la pierre dans la vessie ; ainsi la taille sera nécessaire à celui qui a si bien taillé le peuple, Patin, Lett. t. II, p. 136.
  • 13 V. n. Couper en taillant. L'épée gauloise n'avait pas de pointe, et par conséquent on ne pouvait s'en servir que pour tailler, Mongez, Instit. Mém. litt. et beaux-arts, t. v, p. 527.
  • 14Fig. Terme de jeu. Être banquier, tenir les cartes et jouer seul contre tous les autres joueurs, par exemple, au pharaon, au vingt-et-un, etc. ; ainsi dit de ce que le banquier fait la taille, c'est-à-dire distribue les cartes qu'il a dans la main jusqu'à ce qu'il les ait toutes retournées. On dit que cet abbé, que je ne connais point du tout… est un homme de fort peu de capacité, qui passa sa vie à tailler à la bassette, Bossuet, Lett. quiét. 250. On chassa de Paris plusieurs hommes et femmes qui taillaient au pharaon, Saint-Simon, 319, 17. C'est un si honnête homme, qui taille si honorablement, Dancourt, Dér. du pharaon, sc. 22. Paris a toujours été à peu près ce qu'il est, le centre du luxe et de la misère ; c'est un grand jeu de pharaon, où ceux qui taillent remboursent l'argent des pontes, Voltaire, Lett. Mme de Florian, 1er mars 1769.
  • 15Se tailler, v. réfl. Être taillé. Cette pierre se taille facilement. Les arbres se taillent au printemps, C'est ainsi que doit être l'âme chrétienne, ni oisive, ni empressée, mais tranquille aux pieds de Jésus… oh ! qu'elle s'est utilement taillée [par allusion à la taille de la vigne], qu'elle a fait une salutaire blessure à son trop d'activité ! Bossuet, Méd. sur l'Év. 2e partie, 4e jour.

    Se tailler en pièces, se dit d'une troupe qui tourne ses armes contre elle-même. À peine eut-elle [l'armée des Israélites] commencé ce divin chant que les ennemis, qui étaient en embuscade, se tournèrent l'un contre l'autre, et se taillèrent eux-mêmes en pièces, Bossuet, Polit. IX, IV, 1.

HISTORIQUE

XIe s. [Il] Tint Durandal, ki ben trenchet et taillet, Ch. de Rol. CIII.

XIIe s. Si bel lor a li cuens [le comte] la parole taillie, N'a baron en la court qui de rien l'en desdie, Sax. XXXII.

XIIIe s. Mere, de quoi me chastoiez ? Est-ce de coudre ou de taillier ? Ou de filer ou de broissier ? Romancero, p. 54. Et si taillierent entre els une pais telle que…, H. de Valenciennes, XXXII. Del lard il tailla un morsel, Lai del desiré. Et quant la messe fu dite, si fist li rois aporter pain et vin, et fist tailler des soupes et en mangea une, Chr. de Rains, 147. Et à son diner, le siervi li rois Henri d'Engleterre à genous, et tailla devant lui, ib. p. 10. Et le virent biel enfant et bien tailliet, et bien sembloit gentius hom, ib. 84. Et si dois ta robe bailler à tel qui sache bien tailler, Et face bien seans les pointes Et les manches joignans et cointes [jolies], la Rose, 2156. Comment Virginius plaida Devant Apius, qui jugea Que sa fille, à tout bien taillée, Fust tost à Claudius baillée, ib. 5612. Et por ce que noz avons veu aucuns gentix homes qui disoient qu'il ne devoient pas estre taillié avec les homes de poesté…, Beaumanoir, XLIX, 5. Il sunt tex viles où les bestes poent aler es vingnes du tans qu'eles sunt vendengies dusqu'à tant qu'on les taille au printans, Beaumanoir, LII, 3. Et maintes foiz vi que il leur tailloit leur pain et leur donnoit à boivre, Joinville, 293.

XIVe s. Le cuir est matiere de celui qui le taille, Oresme, Éth. 25. Bien taillé à courir, Oresme, ib. 27.

XVe s. Le roi Charles de Navarre n'estoit mie digne ne taillé de tenir heritage au royaume de France, Froissart, II, II, 19. Les choses se taillerent autrement si comme je vous dirai, Froissart, II, II, 225. Et se taillerent [cotisèrent], chacun selon son aisement, de gens d'armes à pié et à cheval, d'archers, d'arbalestiers…, Froissart, I, p. 214, dans LACURNE. Gobert, le souverain escripvain, qui composa l'art d'escripre et de taillier plumes, Guillebert de Metz, Descript. de Paris. p. 84. Espée à haut tailler [sorte de sabre], Du Cange, taillada. Et moult reputoient ses belles manieres sages et gracieuses et toutes telles que noble enfant taillé à venir à grand bien doit avoir, Bouciq. I, 3. Selon qu'il leur sembloit, ce vent n'estoit mie taillé de cesser d'un grand temps, ib. II, 18. La bonté du prince, lequel tailloit peu ses subjectz, Commines, I, 2.

XVIe s. L'art de peindre et tailler [sculpter] sont dons de Dieu, Calvin, Instit. 62. Il se fit chastrer (qu'on dit plus honnestement tailler), Despériers, Contes, CXIII. Ceux qui ont esté taillés et circoncis par commandement de la loy en leur enfance, Paré, XV, 32. Les veines des bras qu'il s'estoit faictes tailler à son medecin pour mourir, Montaigne, II, 91. L'homme taille les parts aux animaux ses confreres et leur distribue…, Montaigne, II, 156. Ces belles regles que nous avons taillées et prescrites à nature, Montaigne, II, 263. Je ne sceus jamais tailler plume, Montaigne, III, 44. Un gentilhomme feut taillé par l'ordonnance des medecins, auquel on ne trouva de pierre, Montaigne, III, 318. Les coulomnes furent taillées en la quarriere du marbre Pentelique, Amyot, Publ. 29. Il leur remonstra que les arbres taillez et couppés revenoient en peu de temps, Amyot, Péric. 62. Il fut taillé en pieces bien quinze mille hommes, Amyot, Fab. 6. Il s'en alla avec les despouilles de celle province, laquelle il avoit pillée et taillée à son aise l'espace de quatre ans durant, Amyot, Sylla, 51. …Le nombre effrené des financiers, qui font leur propre des tailles du peuple, s'accommodent du plus net et plus clair denier, et du reste taillent et cousent à leur volonté, Sat. Ménippée, Disc. de d'Aubray.

ÉTYMOLOGIE

Wallon, tey ; namur. tèï ; provenç. talar, talhar, taillar ; catal. tallar ; espagn. tajar, talar, tallar ; portug. talhar ; ital. tagliare ; du latin talea, branche coupée, qui, dans la langue rustique, avait donné intertaleare ou intertaliare, tailler les arbres, et taliatura, taille des arbres.