« tendre », définition dans le dictionnaire Littré

tendre

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

tendre [1]

(tan-dr') adj.
  • 1Qui peut être facilement coupé, divisé. Du bois tendre. Une pierre tendre. Le plomb et l'étain sont des métaux tendres. Une certaine plante [d'Irlande] dont la tige est tendre, et presque aussi douce, dit-on, que celle de la canne à sucre, Buffon, Ois. t. XV, p. 400.
  • 2Viande tendre, viande qui se divise facilement avec les dents. On me demanda si j'étais pour le mouton noir ou pour le mouton blanc ; je répondis que cela m'était fort indifférent, pourvu qu'il fût tendre, Voltaire, Scarmentado. On le chasse [le faisan] à l'oiseau de proie ; et l'on prétend que ceux qui sont pris de cette manière sont plus tendres, et de meilleur goût, Buffon, Ois. t. IV, p. 92.

    Familièrement. Cette viande est tendre comme rosée, elle est très tendre.

    Tendre se dit aussi des légumes et des herbes.

  • 3Pain tendre, pain nouvellement cuit, et qui cède sous la pression des doigts. Rincy ne s'en émut point ; il protesta que personne ne mangerait qu'il n'eût du pain tendre, Scarron, Lett. Œuv. t. I, p. 211, dans POUGENS.
  • 4Qui ressent fortement ce qui agit physiquement. Des membres tendres et délicats. Osera-t-elle [l'âme] toucher à ce corps si tendre, si chéri, si ménagé ? Bossuet, la Vallière. Que du Seigneur la voix se fasse entendre, Et qu'à nos cœurs son oracle divin Soit ce qu'à l'herbe tendre Est, au printemps, la fraîcheur du matin, Racine, Athal. III, 7. Je suis comme un enfant dont les organes encore tendres sont vivement frappés par les moindres objets, Montesquieu, Lett. pers. 48. N'est-ce point offenser, appauvrir la nature, que de détruire ainsi ses tendres germes dans les espèces que nous ne pouvons d'ailleurs multiplier ? Buffon, Ois. t. XV, p. 83. Marcher avec des pieds trop tendres sur des épines, Letourneur, Trad. de Clar Harlowe, Lett. 88.

    Ce cheval est tendre à l'éperon, il y est très sensible.

    Il a la bouche tendre, il a la bouche délicate.

    Il est tendre aux mouches, il est extrêmement sensible aux piqûres des mouches.

    Fig. et familièrement. Il est tendre aux mouches, il ne peut supporter les moindres incommodités, et aussi il s'offense des moindres choses. En vérité, la vie est triste quand on est aussi tendre aux mouches que je la [le] suis, Sévigné, 21 sept. 1675.

    On dit dans le même sens au propre et au figuré : il a la peau tendre.

    Avoir la vue tendre, les yeux tendres, avoir la vue délicate, faible.

  • 5L'âge tendre, la tendre jeunesse, l'enfance, la première jeunesse. Nous nous aimions tous deux dès la plus tendre enfance, Racine, Théb. II, 1. Qu'as-tu fait de mon fils ? Je te l'ai confié dès l'âge le plus tendre, Racine, Phèdre, v. 6. Hippias, d'un âge plus avancé, semblait devoir accabler Télémaque, dont la tendre jeunesse était moins nerveuse, Fénelon, Tél. XVI.

    Dès ses plus tendres années, dès son enfance. La passion dominante de Thémistocle était l'ambition et l'amour de la gloire, qui parut en lui dès ses plus tendres années, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. III, p. 134, dans POUGENS.

  • 6 Fig. Qui ressent vivement ce qui agit moralement. Je crois, monsieur, que vous n'avez pas l'imagination si tendre qu'il vous faille consoler de cela, Voiture, Lett. 35. Comme en cette matière il a le cerveau tendre, Th. Corneille, Berger extrav. I, 3. Je connais votre cœur ; vous devez vous attendre, Que je vais le frapper par l'endroit le plus tendre, Racine, Bérén. III, 3.

    Avoir la conscience tendre, être délicat sur les choses qui intéressent l'honneur. Sa pureté [de la langue française] va jusqu'au scrupule, comme celle des personnes qui ont la conscience tendre, et auxquelles l'ombre même du mal fait horreur, Bouhours, Entret. d'Ar. et d'Eug. 2.

  • 7Qui touche à des intérêts délicats. Ce qui rendait la querelle sur les images si vive, et fit que, dans la suite, les gens sensés ne pouvaient pas proposer un culte modéré, c'est qu'elle était liée à des choses bien tendres : il était question de la puissance…, Montesquieu, Rom. 22.
  • 8 Fig. Disposé aux sentiments affectueux, et, plus particulièrement, au sentiment de l'amour. Un père tendre. Un tendre amant. De bonne fortune pour nous, elle est plus tendre pour ses amis [que pour ses amants], Voiture, Lett. 25. Quand je pense que la vie, et principalement la mienne, se passe dans l'éloignement et dans l'inquiétude, je plains ceux qui sont aussi tendres que moi, Sévigné, 1er déc. 1679. Les hommes sont pour l'ordinaire moins tendres que les femmes, Maintenon, Avis à la duchesse de Bourg. Ô Dieux ! à quels tourments mon cœur s'est vu soumis, Voyant des deux côtés ses plus tendres amis ! Racine, Théb. II, 1. Vous qui êtes tendre jusqu'à n'oser parler à Idoménée [de votre départ de peur de l'affliger], vous ne serez plus touché de ses peines dès que vous serez sorti de Salente, Fénelon, Tél. XXIII. Vous connaissez son cœur, il est aussi tendre pour ses amis que terrible pour ses ennemis, Voltaire, Jenni, 6.

    Tendre à, avec un infinitif. Ils [les premiers chrétiens] sont fermes dans les périls, mais ils sont tendres à aimer leurs frères, Bossuet, 2e sermon, Pentecôte, 2.

    Familièrement. N'être pas tendre, être sévère, rigoureux. Quand une fois je m'y mets, je ne suis pas tendre, Comte de Caylus, Hist. de M. Guill. Œuv. t. x, p. 39, dans POUGENS.

  • 9Qui a le caractère de l'affection. Croyons donc avec saint Jean en l'amour d'un Dieu ; la foi nous paraîtra douce en la prenant par un endroit si tendre, Bossuet, Anne de Gonz. Dieu ne demande pas aux personnes de son sexe une sublime raison, ni une science fastueuse, mais une dévotion tendre, Fléchier, Dauphine. Rappelez en votre mémoire avec quelle tendre et sensible joie il recueillit ce qu'il avait semé dans l'âme de ce jeune vainqueur [le fils de Louis XIV], Fléchier, Duc de Mont. Oh dieux ! tant de respects, une amitié si tendre, Que de raisons pour moi, si vous pouviez m'entendre ! Racine, Andr. II, 2. Nous sommes seuls encor ; hâtez-vous de répandre Des pleurs que vous arrache un intérêt si tendre, Racine, Iphig. I, 5. Toujours de vos bontés je vais m'entretenir, Chérir de vos vertus le tendre souvenir, Voltaire, Zaïre, II, 2.

    Il se dit particulièrement de l'amour. Un tendre aveu. … J'en vois qui sont faites à pouvoir inspirer de tendres sentiments, Molière, Mis. III, 5. Zaïre est la première pièce de théâtre dans laquelle j'aie osé m'abandonner à toute la sensibilité de mon cœur ; c'est la seule tragédie tendre que j'aie faite, Voltaire, Zaïre, Lett. Que j'aime à triompher de ce tendre embarras ! Voltaire, ib. III, 6. De cet espoir trop tendre elle était occupée, Voltaire, ib. v, 10.

  • 10Attendrissant. Qui ne serait touché d'un si tendre spectacle ? Corneille, Poly. v, 6.
  • 11Qui se laisse facilement aller à… en bonne et en mauvaise part. Vous pensiez bien trouver quelque jeune coquette, Friande de l'intrigue, et tendre à la fleurette, Molière, Éc. des mar. II, 9. Vous êtes donc bien tendre à la tentation, Molière, Tart. III, 2. Moi qui suis tendre aux larmes, Sévigné, 1er juill. 1672. Un cœur même tendre pour le bien, Massillon, Carême, Mot. de conv. J'ai un peu fait le nigaud avec le prince, parce que je suis tendre à la peine d'autrui ; mais le prince est tendre aussi, et il ne dira mot, Marivaux, Double inconst. III, 6.
  • 12Touchant, gracieux. Le tendre chant des oiseaux. Que leurs tendres écrits [de Théocrite et de Virgile] par les Grâces dictés…, Boileau, Art p. II. De cette fleur si tendre et si tôt moissonnée, Racine, Athal. IV, 3. Jeunes et tendres fleurs par le sort agitées, Racine, Esth. I, 1. Il commençait à n'avoir plus ces grâces si tendres qui sont comme la fleur de la première jeunesse ; son teint devenait plus brun et moins délicat, ses membres moins mous et plus nerveux, Fénelon, Tél. XVII. Ma fille, tendre objet de mes dernières peines, Voltaire, Zaïre, II, 3. Les Grâces, dont les soins ont élevé Racine, Aiment à répéter ses écrits enchanteurs, Tendres comme leurs yeux, doux comme leurs faveurs, Chénier, Frag. de l'art d'aimer.

    Avoir le son de la voix tendre, un son de voix tendre, avoir le son de la voix touchant et gracieux. Enfants, car votre voix est enfantine et tendre, Chénier, l'Aveugle. Il me semble déjà dans mon oreille entendre De sa touchante voix l'accent touchant et tendre, Lamartine, Jocelyn, Prol.

    En musique, un air tendre, un air touchant, respirant l'amour. Que chanteront-ils ?… je veux quelque chose de tendre et de passionné, Molière, Sicil. 4.

  • 13En peinture, touches tendres, coups de pinceau extrêmement délicats.

    Pinceau tendre, pinceau délicat.

    Cette acception a vieilli.

  • 14Couleur tendre, couleur délicate, qui ne fatigue pas la vue. Le pic que M. Brisson a décrit sous le nom de pic blanc a le plumage du corps d'un jaune tendre, Buffon, Ois. t. XIII, p. 48.

    On le dit, dans le même sens, de la lumière. La lumière tendre de la lune adoucit encore la blancheur de leur peau, Diderot, Salon de 1765, Œuv. t. XIII, p. 17, dans POUGENS. Les rideaux des fenêtres n'étaient qu'entr'ouverts ; un jour tendre se glissait dans l'appartement à travers des ondes de pourpre, Marmontel, Contes mor. Alcib. Tu parus au milieu de nous comme un soleil levant, dont la tendre lumière prépare la sérénité d'un beau jour, Graffigny, Lett. péruv. 2.

  • 15 S. m. Le tendre d'une pierre, dit aussi la moye, la couche tendre qui se trouve dans la pierre.
  • 16 Fig. Ce qu'il y a d'affectueux, de sensible. C'est me faire une plaie au plus tendre de l'âme, Molière, l'Ét. III, 4.
  • 17Penchant. J'ai un furieux tendre pour les hommes d'épée, Molière, Préc. 12.

    Familièrement. Tendresse d'amour. Elle m'a fait entendre Tant seulement, qu'elle a pour nous du tendre, Voltaire, Nanine, I, 2. La fille [Ophelia] de cet officier de la couronne, qui avait du tendre pour Hamlet, devient réellement folle, Voltaire, Mél. litt. A MM. de l'Acad. franç.

    En termes des romans amoureux du XVIIe siècle, le pays de Tendre, nom allégorique d'un royaume imaginaire, représentant les diverses circonstances d'une intrigue amoureuse. Puis bientôt en grande eau sur le fleuve de Tendre Naviguer à souhait, tout dire et tout entendre, Boileau, Sat. X. N'avez-vous jamais vu la carte du Tendre dans Clélie ? je suis pour eux à Tendre sur Enthousiasme, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 18 mai 1772.

  • 18Le tendre de tranche, voy. TENDE.

PROVERBES

Dieu vous assiste, notre pain est tendre, nos couteaux sont rouillés, nous ne pouvons rien vous donner.

Jeune femme, pain tendre, bois vert, mettent la maison au désert.

HISTORIQUE

XIe s. Karles respunt : trop avez tendre coer, Ch. de Rol. XXII.

XIIe s. Jamais mes ieuz [je] ne verrai aseuvis De regarder sa bele face tendre, Couci, v.

XIIIe s. Selonc ce qu'ele ert [était] tendre et jeune creature, Berte, XLII.

XIVe s. Icelle femme estoit tendre [délicate] à son enfantement, car elle avoit eu plusieurs de ses enfans morts-nez, Du Cange, abortire.

XVe s. Messire Jean Loustree, qui estoit plus tendre [tranchait plus au vif] en ses paroles que nul des autres, Froissart, II, II, 142. L e froid païs de Flandre, Dont le peuple est mouvant, rebelle et tendre [changeant], Deschamps, Poésies mss. f° 213. Adonc parla le mary et dist : Canifre, je vous ay à femme prinse pour le bien que j'ay trouvé en vous ; mais je vous voy trop tendre [légère] ; si allez où bon vous semble ; car de vous n'ay que faire, Perceforest, t. IV, f° 113. Le cueur est seul, desarmé, nu et tendre, Et les yeulx sont bien armez de plaisirs, Orléans, Ball. 4. Le jouvencel Bouciquaut ne ressembla mie ceulx lesquels, après le grand travail, fuyent tant qu'ils peuvent au repos et aise, si comme font les nouveaux et tendres, Bouciq. I, 9.

XVIe s. … Ou trompe moy en me faisant entendre Qu'elle a le cueur bien ferme, et, fust-il tendre, Marot, I, 347. Ains, Seigneur, viens estendre Sur moi ta pitié tendre, Marot, IV, 235. Dez sa tendre enfance, Montaigne, I, 164. Mon ame ahanne en compagnie d'un corps si tendre, si sensible, Montaigne, I, 165. Ne croyez point si par inadvertance il m'eschappe quelque mot qui puisse desplaire ausdits seigneurs, si d'aventure ils estoient tendres des oreilles, Du Bellay, M. 228. Marius avoit en ce quartier là une fort belle maison, où il y avoit des moyens de delices plus tendres et plus effeminées, qu'il ne sembloit estre convenable à un homme qui…, Amyot, Marius, 10. Tendre à pitié, jusques à pleurer facilement, Amyot, Sylla, 64. Ces coups de flesches perçoient tout ce qu'ilz rencontroient, autant le dur que le tendre, Amyot, Crassus, 45. Tendre affection, Amyot, Sert. 28. Trop tendre fait briser ou fendre, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 429. C'est mollesse poltronne et delicatesse indigne d'un honneste homme qui nous rend incommodes et desagreables en conversation, et tendres au mal, au cas qu'il faille changer de maniere de faire, Charron, Sagesse, I, 39.

ÉTYMOLOGIE

Picard, tère ; wallon, teinr ou têr ; bourg. tarre ; provenç. tenre, tendre ; espagn. tierno ; portug. tenro ; ital. tenero ; du lat. tenerum, qui tient sans doute au radical tan, lat. tendere, grec τείνω : qui se laisse étendre.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

1. TENDRE. - HIST.

XVIe s. Trop tendre fait briser, doit être porté au verbe tendre.